Comment la Commission Européenne est en train de faire un FMI européen.
Premier épisode : présentation et genèse du Pacte pour l’Euro
En Europe, la crise économique récente (et toujours active) a poussé les états membres à prendre position sur la question de savoir ce que devait ou pouvait être une action financière commune en cas de difficulté majeure rencontrée par l’un d’entre eux. Cette question s’est avérée plus urgente et plus importante encore dans la zone euro, puisque la maîtrise de la monnaie est un pilier de la construction européenne actuelle, et que les difficultés rencontrées par l’un des états de la zone euro sont susceptibles de rejaillir sur cette monnaie.
Un Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) a été mis en place dans l’urgence le 28 octobre 2010 suite à la crise particulièrement dure connue en Grèce. Doté de 440 Milliards d’Euros (Md€), il a été utilisé pour apporter des « liquidités » aux pays les plus en difficulté, mais sous conditions politique, budgétaire, fiscale et sociale, qui ont consisté dans un premier temps à durcir le Pacte de Stabilité. Mais en réalité, plusieurs pays, particulièrement l’Allemagne et la France, ont profité de ces circonstances pour obtenir en contrepartie, non seulement un renforcement de la discipline budgétaire, mais aussi une surveillance accrue des Etats, donc un contrôle des choix politiques et budgétaires des Etats Membres à long terme. Dès octobre 2010, un système de sanctions plus dur est élaboré, prévoyant par exemple la suppression de certaines subventions ou l’obligation de constituer un dépôt bancaire bloqué dès lors que l’évolution du déficit d’un pays fait craindre qu’il ne dépasse les 3% de Maastricht, donc avant qu’il ne le dépasse (voir LeMonde.fr des 28-29 et 30 octobre 2010). Une sanction « préventive » en quelques sortes, tout à fait dans la ligne de pensée d’un certain Nicolas Sarkozy qui s’était écrié à l’Assemblé Nationale lorsqu’il était ministre de l’intérieur : « la meilleure des préventions, c’est la sanction ».
Mais, si le minimum était obtenu à ce moment là, l’ambition de formaliser une mise à jour ultra-libérale de la doctrine européenne n’était pas encore atteinte. On le verra dans les épisodes suivants, l’essentiel de cette doctrine consiste en effet à faire de l’UE un outil politique encore plus puissant de contrôle des politiques publiques nationales au bénéfice du grand capital européen et international. La crise devra servir de bras de levier pour faire accepter cette mise à jour, grâce au chantage du FESF.
Car en réalité, c’est là qu’est le cœur de l’histoire : comment aménager le terrain pour que le capitalisme international retrouve ou accroisse ses marges de profits eu Europe, et faire en sorte que les Etats ne puissent plus empêcher de faire des profits pendant longtemps (assurer de la « lisibilité » aux marchés). C’est bien ce problème qui est grave, et non la question de savoir si c’est une bonne chose d’ouvrir ses frontières à une collaboration internationale en général, européenne en particulier. Oui c’est une bonne chose, mais non, l’UE actuelle n’est pas une ouverture, mais un pas supplémentaire dans l’enfermement de la guerre économique généralisée.
C’est ainsi que, quelques mois plus tard, sont nés
1/ Le « Mécanisme Européen de Stabilité », ou MES : c’est le cadre général qui contient l’actualisation de la doctrine européenne, la pérennisation du FESF et son mode de fonctionnement, ainsi que le « Pacte pour l’Euro » qui décrit avec plus de détail les conditions politiques auxquels devront se soumettre les Etats membres.
2/Le Semestre Européen : c’est une procédure politique qui prévoit que l’examen des projets de budgets nationaux par la Commission Européenne doit désormais précéder au cours du premier semestre de chaque année l’élaboration de ces budgets par les parlements nationaux.
Le « Pacte pour l’Euro » est donc le texte politique qui définit la nouvelle révolution ultralibérale de l’UE pour les années à venir, révolution au terme de laquelle la Commission entend bien devenir le FMI de l’Union Européenne.
Dans le prochain épisode, nous commencerons à suivre le fil de ces textes, à commencer par les principes financiers du FESF. A suivre…
Pacte pour l’euro : un FMI européen (2)
Comment la Commission Européenne est en train de faire un FMI européen.
Episode 2 : un principe financier prometteur pour les interventions du Fonds Européen de Stabilité Financière
Les principes sur lesquels repose la mise à jour de la doctrine européenne sont regroupés dans un texte intitulé « Conclusions des chefs d’ États ou de gouvernements de la zone euro du 11 mars 2011 ». Il possède 2 annexes : le fameux « Pacte pour l’Euro », à la fois programme et boîte à outils, et la « Déclaration de l’Euro-Groupe du 28 novembre 2010 ». Cette mise à jour a été réalisée au prétexte de la pérennisation du Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF). Cette doctrine à aussi un nom : « Mécanisme Européen de Stabilité » (MES).
Nous évoquerons tout cela en détail, mais, cet épisode de notre petite saga expose un grand principe financier des « Conclusions » du 11 mars 2011.
Citation : « L’assistance financière sera subordonnée à une stricte conditionnalité dans le cadre d’un programme d’ajustement macroéconomique», le « Pacte pour l’Euro » faisant partie de ce programme. On est d’emblée mis dans la logique d’ensemble.
Eas d’intervention du FESF, je cite, « il convient de revoir à la baisse la fixation des taux d’intérêt du FESF afin de mieux tenir compte de la soutenabilité de la dette des pays bénéficiaires, tout en restant au-dessus des coûts de financement du fonds, en ménageant une marge appropriée pour faire face au risque, et conformément aux principes de fixation des taux d’intérêt du FMI. Les mêmes principes s’appliqueront au MES. »
Diminuer le taux d’intérêt pour tenir compte de la situation des pays, c’est plutôt une bonne chose (on allait tout de mêmes pas attendre de l’UE qu’elle préconise l’annulation sans conditions de la dette pour défendre les pays membres contre la finance internationale).
Ceci dit, qu’est ce que la « soutenabilité » ? Quel sont les critères d’appréciation ? Par exemple, le fait qu’il existe une sécurité sociale, un salaire minimum, ou qu’il existe un secteur public seront-il des éléments qui fera dire à la Commission Européenne : « ce pays a encore des marge de manœuvre budgétaire » puisqu’il lui reste beaucoup « d’économies » possibles, parmi lesquelles réduire l’action de sa Sécurité Sociale, baisser les salaires, détruire les salaires minimum, ou privatiser.
Et ceci n’est pas une vue de l’esprit. C’est simplement la réalité des positions dominantes dans l’UE actuelle, et ce sera un fil conducteur de tout le « Pacte pour l’Euro ». S’il fallait une preuve tout de suite, il suffit de citer les remarques formulées à l’attention de quelques pays en difficulté dès le début des « Conclusions des chefs d ’États ou de gouvernement » du 11 mars. Ainsi à propos de la Grèce, on peut lire un encouragement à « mener à bien entièrement et rapidement le programme de privatisations et de valorisation du patrimoine foncier de 50 milliards d’euros qu’elle a annoncé ». Autre exemple concernant le Portugal : « En particulier, les chefs d’État ou de gouvernement, le président de la Commission et le président de la BCE accueillent favorablement et soutiennent le train de mesures d’envergure annoncé aujourd’hui par le Portugal concernant les réformes budgétaires, financières et structurelles ». Rappelons la teneur principale des mesures prises au Portugal : gels et diminutions de salaires, suppression d’aides sociales ou encore augmentation de la TVA (mesures semblables à celles prises en Grèce : réduction des salaires des fonctionnaires, des pensions de retraite et augmentation des impôts).
Donc, l’objectif de ce principe d’intervention est d’augmenter les taux d’intérêt pour les pays jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de marge de manœuvre, ce qui peut se traduire par « tant que tu n’as pas tout privatisé, on va faire payer ton peuple pour lui apprendre à refuser de se faire exploiter pas nos grands groupes d’assurance ».
Ensuite, lorsque le texte dit : « ménager une marge appropriée pour faire face aux risques », il s’agit bien entendu des risques que prendrait le FESF à prêter des capitaux, non pas des risques qu’on fait prendre à la population en encourageant la destruction des secteurs publics.
Mais là où les choses sont tout à fait claires, c’est dans l’expression « marge appropriée […] conformément aux principes de fixation des taux d’intérêts du FMI ». La citation du FMI dans ce texte signé à plus haut niveau est extrêmement significative. Cette référence sera utilisée de manière presque caricaturale dans la « Déclaration de l’Eurogroupe du 28 novembre 2010 » (un épisode lui sera consacré). D’autre part, mais en conséquence, il s’agit d’une « aide » qui rapportera des intérêts à l’UE, information qui pourra intéresser les salariés à qui on va diminuer les salaires, ou les précaires à qui on va supprimer les allocations.
La référence au FMI est donc claire dès le début. Mais l’Union Européenne veut faire mieux : elle entend se donner les moyens politiques d’imposer ses orientations aux États membres, et pour longtemps ! A suivre dans le troisième épisode…
Pacte pour l’euro : un FMI européen (3)
Comment la Commission Européenne est en train de faire un FMI européen.
Episode 3 : une volonté d’augmenter la pression politique de l’Union Européenne sur les politiques nationales, et de graver pour longtemps dans le marbre les orientations ultralibérales de cette UE.
Dans l’épisode 2, nous avons évoqué un grand principe financier exposé dans les « Conclusions des chefs d’Etats ou de gouvernements de la zone euro du 11 mars 2011 », qui posait le premier jalon de l’ambition de l’UE de devenir le FMI des pays européens. Cette tendance va se confirmer, se renforcer, s’affirmer au fur et à mesure du texte. Mais il existe une grande différence avec le FMI : compte tenu des différents traités déjà adoptés (y compris en dépit de la volonté des peuples), l’UE dispose de moyens politiques, législatifs et juridiques beaucoup plus puissants que le FMI, et ce texte dit clairement la volonté d’aller toujours plus loin dans cette direction.
Ainsi, la phrase de l’épisode sera : « Ce pacte met surtout l’accent sur des domaines qui relèvent de la compétence nationale et sont cruciaux pour renforcer la compétitivité et éviter tout déséquilibre préjudiciable». On ne peut être plus clair quant à la volonté de soumettre encore plus les politiques nationales aux instructions de l’UE, mais surtout, ce texte affirme que cette volonté a un but et un seul : la compétitivité. Cette notion est détaillée dans le pacte, et il nous faudra quelques épisodes pour en faire le tour. Mais n’anticipons pas.
Concernant le niveau d’engagement politique et juridique des Etats dans le Pacte réclamé par l’UE, on peut lire ce morceau de phrase répété plusieurs fois : « instaurer un cadre budgétaire strict et stable, avec la base juridique la plus solide possible ». Pour bien comprendre cette phrase, il est utile d’anticiper un peu (des fois, il le faut) sur le « Pacte » lui-même, en citant en particulier un passage qui traite des règles budgétaires nationales : « traduire dans leur législation nationale les règles budgétaires de l’UE [en utilisant un] « instrument juridique » […] « par nature suffisamment contraignant et durable (par exemple, la Constitution ou une législation cadre) ». L’UE va donc jusqu’à faire quelques suggestions pratiques au cas où ce ne serait pas assez clair. Une constitution ou une loi cadre (loi organique en France) sont des textes supérieurs à toute autre loi, c’est-à-dire que toute loi doit respecter les principes écrits dans une constitution ou dans une loi cadre. L’UE réclame donc que l’engagement des États se situe à un niveau législatif tel qu’il pourra cadenasser toutes les futures lois ou orientations que voudraient prendre les représentations nationales sur les politiques économiques, fiscales et sociales, à moins de modifier une nouvelle fois la constitution. Ainsi, par exemple, une nationalisation pourrait devenir anticonstitutionnelle. Rien que ça. Nous l’avions déjà expliqué lors de la campagne du referendum du Traité Constitutionnel Européen. Cela revient pas la fenêtre.
Et rappelons pour finir cet épisode que le principe qui est au dessus de tous les autres, qui détermine cette volonté politique forte, c’est la compétitivité. Ce texte européen entend par là soumettre officiellement tous les pays membres à l’impératif suivant : il faut de la « lisibilité » pour les marchés. Tout le reste est subordonné… même la démocratie….. (voir dans l’épisode 4….).