• Social-Eco - le 9 Juin 2013

    La Marche des femmes contre l’austérité à Paris

    Reportage. Plusieurs centaines de manifestants se sont réunis ce dimanche à Paris pour la Marche des Femmes contre l’austérité. Sous la pluie, tous ont rappelé que les premières victimes de l’austérité étaient les femmes.

    « Il y a aujourd’hui deux fois plus de smicardes que de smicards, 83% des temps partiels sont occupés par des femmes, deux tiers des bas salaires sont aussi des femmes » énumère Fatima , secrétaire générale du collectif les effronté-E-e. « On ne se rend vraiment pas compte que les femmes sont aujourd’hui les premières victimes de l’austérité ! » s’insurge la jeune femme. Comme Fatima, ils sont nombreux à avoir investi, en ce début de dimanche après-midi à Paris, la place Colette face à la Comédie Française, avant de se diriger vers la place de la République.

    À l’appel de plus de 150 militantes, syndicalistes, et féministes de gauche, des marches de l’austérité étaient organisées un peu partout en France ce week-end. Après Marseille ou Tarbes hier, c’était au tour de Paris ce dimanche.
    Clémentine Autain, Marie-George Buffet ou même Jean-Luc Mélenchon se sont joints à la manifestation. Un déplacement essentiel selon Laurence Cohen, sénatrice communiste du Val-de-Marne. « Les femmes sont les premières victimes de l'austérité. Elles subissent de plein fouet le temps partiel contraint, une retraitée sur trois vit sous le seuil de pauvreté » a-t-elle rappelé lors des prises de paroles.

    Hommes et femmes, unis contre l’austérité

    C’est un cortège très mixte qui, pendant deux heures, a défilé dans les rues de Paris. Et si les femmes étaient au premier rang, les hommes n’étaient pas en reste.
    « C’est le même combat » explique Bernard, 56 ans, qui, accompagné de sa femme a fait le déplacement. « La voix des femmes porte » affirme-t-il, « mais c’est bien de l’amplifier».
    Jean-Charles, 29 ans, animateur social et culturel, est lui aussi venu manifester pour soutenir ses collègues féminines. « C’est essentiel de rappeler les inégalités entre les hommes et les femmes dans la vie quotidienne. Je le vois bien au travail, quand un homme pousse une gueulante on l’écoute bien plus qu’une femme » raconte-t-il. « C’est insupportable qu’il y ait encore des discriminations si fortes. En discriminant les femmes, on discrimine la moitié de l’humanité ! » affirme le jeune homme.

     

    Céline Agostini (texte et photo)


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  • Oppression des femmes et capitalisme

    A l'occasion de la publication sur le site Europe solidaire sans frontières d'une série d'articles d'Antoine Artous sur la question de l'oppression des femmes, initialement parus dans la revue Critique communiste en 1999, Contretemps met à disposition de ses lecteurs/rices l'un de ces articles, qui traite des relations entre l'oppression des femmes et le système capitaliste. 

     

    Si le capitalisme n’a pas inventé l’oppression des femmes, il a bien créé la famille moderne. L’analyse de celle-ci est donc indispensable à la compréhension de l’oppression des femmes dans la société moderne. Au demeurant, elle était au cœur des élaborations et discussions de celles et ceux qui, dans les années 1970 et 1980, avaient l’ambition de produire une analyse matérialiste de l’oppression des femmes.

    “Oppression des femmes et capitalisme” : d’aucun(e)s vont trouver le titre un tantinet archaïque - ou nostalgique, c’est selon. Au sens où, dans la façon de poser la question de la situation faite aux femmes dans la société moderne, il semble tout droit sorti d’un article écrit dans années 1970/1980. C’est volontairement qu’il sonne ainsi. Car après tout, cette période a connu, en lien avec le développement du mouvement femmes, des discussions et un travail d’élaboration qui garde tout son intérêt1. En témoigne, par exemple, le récent ouvrage de Christine Delphy, L’ennemi principal (Syllepse 1998), qui regroupe des textes publiés entre 1970 et 1978. Par contre La domination masculine (Seuil, 1998) de Pierre Bourdieu à la particularité de faire silence sur ce travail. Cette occultation n’est pas sans poser problème de la part d’un auteur qui entend mettre son savoir au service des luttes d’émancipation mais qui ignore les élaborations théoriques produites en lien avec ces mêmes luttes...

    Il est vrai que cet oubli renvoie à des désaccords dans l’approche générale. En effet, pour Pierre Bourdieu, “le principe de perpétuation” du rapport de domination entre sexes, “ ne réside pas véritablement, ou en tout cas principalement, dans un des lieux les plus visibles de son exercice, c’est-à-dire au sein de l’unité domestique, sur laquelle certain discours féministe a concentré tous ses regards” (p. 10). Nous retrouverons l’approche de Pierre Bourdieu. Disons simplement - même si la formule peut sembler lapidaire - que son modèle d’analyse de la domination masculine, élaboré à partir de la société kabyle dans laquelle les rapports de parenté jouent un rôle central dans la production/reproduction de l’ensemble des rapports sociaux, ne prend pas en compte les ruptures qu’introduit le capitalisme par rapport aux sociétés précapitalistes dans la situation faite aux femmes. C’est en tout cas sur cette question qu’est centré notre article. Il n’a pas la prétention de tracer un tableau d’ensemble du statut des femmes et de son évolution, mais a pour objectif de souligner certaines ruptures, décisives du point de vue des luttes d’émancipation.

     

    Retour sur les analyses d’Engels

    Si dans les années 1970, les regards se sont tournés vers la famille c’est à partir d’un constat somme toute empirique sur la situation faite aux femmes par l’évolution du capitalisme. Comme le souligne Christine Delphy, contrairement à celui qui chevauche la fin du XIX° siècle et le début du 20e, le mouvement féministe avait “eu le temps de constater l’erreur de la thèse d’Engels selon laquelle le travail salarié mettrait fin au patriarcat” (p. 9). Au demeurant, Engels n’était pas le seul à développer cette vision, mais il est important de comprendre comment le rapport au bilan critique de ses analyses a surdéterminé à l’époque la réflexion sur l’oppression des femmes. En lien avec la place occupée alors par la référence au marxisme dans les luttes d’émancipation, mais également à cause de la radicalité d’Engels concernant l’émancipation des femmes eut égard à l’idéologie dominante du mouvement ouvrier, dans sa version social-démocrate et stalinienne, et sa participation active au procès de naturalisation de la famille moderne auquel on va assister.

    Il n’est donc pas inutile de rappeler les grandes lignes de cette analyse en citant L’Origine de la famille... : “Dans l’ancienne économie domestique (...), la direction du ménage, confiée aux femmes, était une industrie publique de nécessité sociale, au même titre que la fourniture des vivres par les hommes. Avec la famille patriarcale, et plus encore avec la famille monogamique, il en alla tout autrement. La direction du ménage perdit son caractère public. Elle ne concerna plus la société ; elle devint un service privé ; la femme devint la première servante, elle fut écartée de la participation à la production sociale. C’est seulement la grande industrie qui a réouvert - et seulement à la femme prolétaire - la voie de la production sociale” (Éditions sociales, p. 82).

    Le problème posé par ce passage ne réside pas seulement dans la vision idyllique des sociétés dites primitives, mais dans l’analyse de la famille. Apparue avec la propriété privée et les sociétés de classes, elle est perçue avant tout comme une forme sociale d’origine précapitaliste, même si, via la propriété privée, elle se maintient dans la bourgeoisie. Or le développement du capitalisme tout au long du XX° siècle montre que non seulement la famille va devenir une institution centrale dans la classe ouvrière, mais que les femmes sont prolétarisées (participent à la production sociale) en tant que femmes. C’est-à-dire en fonction du statut donné par cette famille moderne qui, loin de disparaître, devient un cadre majeur de socialisation des individus.

    Il est remarquable que, malgré ce constat, à l’époque la quasi-totalité des auteurs marxistes (je ne parle pas ici, bien sûr, de la tradition stalinienne et sa naturalisation de la famille) reprend le cadre d’analyse d’Engels : la famille est pour l’essentiel perçue comme une forme sociale d’origine précapitaliste. Simplement Engels aurait surestimé les rythmes de sa disparition et la façon dont le capital a pu l’instrumentaliser pour ses propres besoins. Ainsi procède, au-delà des différences, Claude Meillassoux dansFemmes, grenier et capitaux (Maspero1975), ouvrage par ailleurs fort intéressant. Selon lui, après s’être constituée “comme le support de la cellule agricole, l’institution familiale s’est perpétuée sous des formes sans cesse modifiées, comme le support social des bourgeoises marchandes, foncières puis industrielles. Elle s’est prêtée à une transmission héréditaire du patrimoine (...). Mais aujourd’hui, hormis certains milieux bourgeois, la famille n’a plus d’infrastructure économique”. Certes, poursuit l’auteur, “elle demeure le lieu de production et de reproduction de la force de travail”, mais c’est pour ajouter : “le mode de production capitaliste dépend pour sa reproduction d’une institution qui lui est étrangère mais qu’il a entretenu jusqu’à présent comme étant la plus adaptée à cette tâche” (p. 213).

    Comme, par ailleurs, et à juste tire, ces mêmes auteurs font avec Engels de la famille le lieu privilégié dans lequel se structure la domination masculine, l’oppression des femmes dans le capitalisme apparaît pour l’essentiel comme des traces persistantes générées par le maintien de formes précapitalistes. À quoi s’ajoute la lenteur dans l’évolution d’une idéologie millénaire, le poids des mentalités, etc. L’objet n’est pas ici de revenir en détail sur les analyses produites sur les diverses fonctions qui sont alors attribuées à la famille dite patriarcale maintenue par le capitalisme. Il s’agit simplement de souligner que dans ce cadre, il devient difficile de rendre compte de ce qui, dans le système capitaliste lui-même, génère suis generis une forme spécifique d’oppression des femmes.

    La volonté de rompre avec ce type d’approche explique le travail sur la famille qui va alors se développer. Ainsi Christine Delphy, qui se réclame d’une méthode d’analyse matérialiste, entend mettre à jour l’existence d’un système particulier (le patriarcat) de subordination des femmes aux hommes dans les sociétés industrielles qui disposent d’une base économique spécifique : le mode de production domestique. Des analyses diverses seront produites, mais, chez de nombreux auteurs, on retrouve une préoccupation commune : mettre en œuvre une analyse matérialiste de la famille (donc de l’oppression des femmes) en rendant compte du procès de travail particulier, du mode de production spécifique qui la structure.

     

    La famille moderne comme invention du capitalisme

    Je traite pour partie ces discussions dans mon article de compte-rendu du livre de Christine Delphy. Ici je me contenterais de faire mienne l’appréciation générale de Bruno Lautier qui parle d’erreur consistant à vouloir fonder l’analyse “sur le procès de travail domestique, défini en soi, et non sur le statut de la famille” (Critiques de l’économie politique, oct-déc1977 p. 83). Certes la famille moderne remplit certaines fonctions économiques, mais - nous allons y revenir - ce qui caractérise le capitalisme par rapport aux formes précapitalistes est la dissociation des rapports de parenté d’avec les rapports de production. Si l’on considère que des catégories d’analyse doivent être ajustées à leur objet, c’est une erreur de méthode que de penser qu’il est possible de rendre compte de cette famille en analysant le mode de production (ou le procès de travail) qui la structurerait.

    Au demeurant on ne voit pas pourquoi développer une analyse matérialiste d’une institution serait systématiquement synonyme de mise à jour se son “infrastructure économique”. Sinon en référence à une certaine tradition marxiste pour qui la seule forme d’objectivité sociale existante est l’économie. Très précisément ce qu’explique Danièle Leger : il s’agit de “construire une analyse de la famille et de la situation de la femme dans la famille qui prenne pour point d’appui, non pas les seuls aspects idéologiques internes à la famille, mais la base réelle, économique, des rapports familiaux” (Le Féminisme en France, le Sycomore, 1982,  p. 95).

    Quoi qu’il en soit, l’écart est patent entre des analyses du type de celle de Claude Meillassoux et la façon dont les historiens traitent alors de la “naissance de la famille moderne”, selon le titre du livre d’Edward Shorter (Seuil, 1977). Ainsi Philippe Ariès (L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien régime, Plon, 1960) ne met pas l’accent sur une continuité, mais sur un bouleversement des cadres de socialisation permettant de comprendre comment l’enfance, au sens où nous en parlons aujourd’hui, est une catégorie sociale inédite, produite par l’apparition d’institutions nouvelles : l’école et la famille moderne. Cette dernière est alors décrite comme le lieu dans lequel se structure une catégorie sociale elle aussi inédite : la vie privée. Jean-Louis Flandrin (Familles, Hachette, 1976) indique bien les deux niveaux autour desquels s’opèrent la rupture. D’une part, se structure la distinction privé/public, alors que dans les sociétés monarchiques l’institution familiale “avait des caractères d’institution publique et (que) les relations de parenté servaient de modèle aux relations sociales et politique” (p. 7). D’autre part, est remise en cause la coïncidence entre l’unité de production et l’unité de consommation qui était la règle sous l’Ancien Régime.

    L’approche est d’autant plus intéressante que ces historiens critiquent l’approche évolutionniste issue de la sociologie du XIX° siècle pour qui la famille nucléaire avait succédé linéairement à une famille patriarcale élargie (Lebrun, La vie conjugale sous l’Ancien régime, Armand Colin 1975). Il n’existe pas un seul modèle familial sous l’Ancien Régime, mais la “petite famille”, pour reprendre la formule de Jean-Louis Flandrin est largement répandue comme le montrent des études détaillées menées par des historiens anglais (Histoire de la famille, Armand Colin, 1986 t. 2). Reste que s’en tenir à une analyse statistique du nombre de personnes vivant sous le même toit pour se contenter de souligner, à travers la simple caractérisation de famille nucléaire, sur la continuité entre l’Ancien Régime et le monde moderne occidental oublie de traiter l’histoire de la famille comme institution et de marquer les ruptures soulignées plus haut. Au demeurant le terme lui-même ne renvoie pas à la même réalité sociale. Sous l’Ancien régime ce qui la caractérise le mieux est la notion de “maison” ou “maisonnée” ; ainsi les serviteurs font partie de la famille.

    Traiter de la famille moderne comme institution, c’est mettre en relation ses conditions d’émergence avec ce mouvement historique plus vaste qui, avec l’avènement du capitalisme, voit se réorganiser l’ensemble du corps social et apparaître deux niveaux inédits historiquement des pratiques sociales. D’une part, sous l’effet de la généralisation des rapports marchands, l’économie n’est plus “encastrée dans le social”, selon la formule souvent répétée de Karl Polanyi (La Grande transformation, Gallimard, 1983), et l’usine moderne émerge comme lieu spécifique dans lequel s’organise la production sociale. D’autre part se construit l’”Etat politique séparé”, pour reprendre cette fois une formule du jeune Marx, comme représentant du “public” face au “privé”, dissociation qui n’existait pas sous l’Ancien Régime, marqué par des formes patrimoniales du pouvoir politique. Les rapports de parenté qui, dans le passé, comme le fait bien apparaître la double rupture soulignée par Jean-Louis Flandrin, étaient eux aussi, encastrés dans les autres rapports sociaux, se séparent de la “société civile” pour constituer cette institution - elle aussi inédite historiquement - qu’est la famille moderne au travers de laquelle se structure un nouvel espace, celui du “privé”, distinct tout à la fois de l’espace économique et de l’espace politique.

     

    Famille et construction du rapport salarial

    Notre propos ici n’est pas de rendre compte de la famille moderne en retraçant sa genèse historique (on ne rend pas compte du fonctionnement d’une institution dans un système social en développant une approche historico-génétique), mais de souligner certaines de ses caractéristiques générales par rapports aux formes précapitalistes. Ainsi, au XIX° siècle, la famille devient une institution centrale de la bourgeoisie dont une des fonctions est bien “la transmission héréditaire du patrimoine”. Mais, au-delà, la famille moderne va devenir, le modèle dominant dans l’ensemble des classes sociales. Si le développement du travail des femmes et des enfants dans la première moitié du XIX° siècle et la déchirure du tissu social (séparation habitat/travail) produits par la grande industrie détruisent massivement les structures familiales populaires urbaines, un mouvement inverse s’amorce dans la seconde moitié du XIX° siècle pour se poursuivre au siècle suivant.

    La généalogie de cette “véritable stratégie de familialisation des couches populaires”, selon la formule de Jacques Donzelot (La police des familles , Minuit, 1977), a donné lieu à des études détaillées (Lion Muraut et Patrick Zyberman Le Petit travailleur infatigable, Recherches, 1976 ; Isaac Joseph et Philippe Fritsch Disciplines à domicilesRecherches, 1977), mais souvent unilatérales car raisonnant trop en termes de politique de normalisation et, en référence à Michel Foucault (Surveiller et punir, Gallimard, 1975), de “tactique et figures disciplinaires”. On retrouve d’ailleurs à l’époque un problème analogue en ce qui concerne le développement de la scolarisation. Or, cette normalisation est également une mise en place d’un cadre (capitaliste) de socialisation porteur d’une certaine amélioration de l’existence et, plus généralement, remettant en cause des formes de socialisation précapitalistes trop souvent valorisées par une vision “romantique”.

    Ce mouvement de “familialisation”, qui se cristallise, en particulier au niveau de l’habitat (Rémy Butel et Patrice Noisette, De la cité ouvrière au grand ensemble, Maspero, 1977), retrouve l’ensemble des caractéristiques mises à jour par la naissance de la famille moderne. Ainsi la nouvelle architecture de l’habitat que décrit longuement Philippe Ariès et à travers laquelle s’organise l’intimité familiale. Les différences sociologiques sont multiples entre les familles bourgeoises du XIX° et les familles ouvrières qui vont se développer ; entre autres l’insertion de ces dernières dans des réseaux spécifiques de sociabilité. Mais au-delà, le cadre de socialisation des individus qui se met en place est le même, en particulier par la façon dont l’institution structure les femmes dans l’espace domestique.

    Ces dernières remarques sur cette politique de “familialisation” concomitante à la structuration du rapport salarial montre bien qu’il ne faut pas comprendre la typologie de l’espace social capitaliste - en particulier la distinction privé/public - à la façon dont peut en parler le libéralisme classique qui, de plus, y englobe l’économique. Le privé n’est pas une donnée spontanée générée par ce qui serait l’auto-organisation de la société civile face à l’État. Ce dernier a joué un rôle central dans la construction de la famille, comme d’ailleurs du rapport salarial. Pour autant la distinction privé/public ne renvoie pas à une seule catégorie “idéologique” qui pourrait se déconstruire par la simple mise à jour critique de ses mécanismes de constitution.

    Il s’agit d’une division objective de l’espace social générée, répétons-le, par la “dissociation” des rapports de parenté d’avec les rapports politiques et les rapports de production. “Dissociation “ : cette formule ne veut pas dire que, comme si l’on avait affaire à un simple jeu de construction, des rapports, auparavant encastrés l’un dans l’autre, ne feraient simplement que se séparer. Au contraire, dans ce mouvement, ils se restructurent profondément pour donner naissance à des formes sociales spécifiques. Le social, comme objet d’étude, n’est pas une donnée transhistorique homogène traversant de façon indifférenciée l’histoire des sociétés.

    Si, comme l’anthropologie et l’histoire nous l’apprennent, les rapports de parenté jouent un rôle décisif dans le statut social donné aux femmes, ce mouvement de “dissociation” ne peut que transformer leurs conditions générales de socialisation et les rapports homme/femme qui en résultent. Redonnons la formule d’Engels : “La direction du ménage perdit son caractère public. Elle ne concerna plus la société ; elle devint un service privé”. La remarque est décisive pour ce qui concerne la famille moderne, mais fausse si on la projette (ce que fait Engels) sur les sociétés de “classes” précapitalistes. 
    Dans les familles paysannes de l’Ancien Régime, non seulement la femme a des activités autres que les tâches “ménagères” (le mot est anachronique), mais ces tâches ne sont pas séparées de la production sociale, en l’occurrence de l’unité de production qu’est la famille paysanne. Le travail des femmes est présent tout au long des activités de la communauté paysanne qui dit explicitement la division sexuelle du travail tout au long de la production sociale. Ce qu’Engels appelle “la direction du ménage “ - les tâches attribuées aux femmes par la division sexuelle du travail qui ne se réduisent d’ailleurs pas à des activités au sein de la maison- n’est en rien un service privé, en opposition aux travaux réalisés dans la production sociale.

    L’opposition masculin/féminin ne recoupe pas celle entre public/privé. Même si c’est de façon moins forte que les hommes, les femmes sont présentes dans “l’espace public” (compris au sens large du terme et non de façon strictement moderne), mais dans des espaces différents de celui des hommes, délimités par leur place dans la division sexuelle du travail. Par contre, dans la famille moderne, qui voit la “direction du ménage” devenir un service privé, l’opposition entre masculin/féminin recoupe bien la division public/privé. Ainsi compris, l’avènement de cette famille ne signifie pas seulement un simple renforcement de la “spécialisation” des femmes dans le travail domestique, mais une véritable rupture dans l’espace qu’elles habitent.

     

    “La femme habite un autre monde”

    Cette rupture se traduit par de profondes transformations dans le statut donné aux femmes et la façon dont sont pensés les rapports entre sexe. Pour le résumer en une formule, on peut dire que se met en place un procès contradictoire. D’une part, dans le cadre plus général du mouvement d’individualisation qui se met alors en place, la femme est spécifiée, dans ses rapports avec l’homme, comme un individu ; sous cet angle, elle est reconnue comme un individu égal à l’homme. Mais, d’autre part, cette reconnaissance se réalise à travers une entreprise de naturalisation du nouveau découpage de l’espace social et de la place occupée par la femme : par nature le domaine de la femme est le privé, “l’intérieur” de la nouvelle maison mise en place par la famille moderne. La femme est reconnue comme individu, mais dans cette différence naturelle à travers laquelle se construit la féminité, telle qu’elle a pris corps dans la culture moderne et qui, en particulier, se cristallise dans la catégorie sociale de mère, symétrique à celle de l’enfance, qui se construit alors (Knibieheler et Fouquet, Histoire des mères, Montalba, 1980).

    Le discours de Rousseau est manifeste à ce propos et, s’il est quelque peu exacerbé, sa thématique essentielle va se trouver chez la plupart des représentants politico-idéologiques de la Révolution française. La chose a été suffisamment mise en évidence pour qu’il ne soit pas utile d’y revenir ici. Mais il est important de souligner que cette naturalisation doit être comprise au sens fort du terme. Elle procède d’un mouvement plus vaste qui voit la différenciation entre les deux ordres de la nature et de la société jadis encastrés l’un dans l’autre. L’opposition nature/culture présente comme thématique dans les sciences sociales (et introduite par Lévi-Strauss) porte encore la marque de ce mouvement.

    Dans les sociétés précapitalistes, la légitimation de l’ordre social se fait toujours (certes sous des formes différentes) par son inscription au sein d’un ordre surnaturel, d’un cosmos. La façon dont la société s’organise est une donnée naturelle, au sens où elle n’est qu’un aspect de cet ordre cosmique plus vaste. Ainsi pour Aristote l’organisation en famille et en cité relève d’une même “loi naturelle”, la cité-État est un agrégat de familles (plus exactement de maisons) et le destin de l’homme d’être un”animal politique” ne peut s’accomplir que par l’intermédiaire de l’oikia (Sissa, « La famille dans la cité grecque », Histoire de la famille, t.1, Armand Colin, 1986)2.

    Par contre avec la Révolution française (et plus généralement avec la politique moderne), on assiste, explique Pierre Rosanvallon (Le Sacre du citoyen, Gallimard, 1992, p. 138), à une “auto-institution du social” : l’ordre politique de la société ne relève plus de la nature des choses, au sens donné plus haut, mais d’un contrat passé entre les hommes, il devient conventionnel. “Le rapport entre les sexes s’en trouve profondément affecté, leur ancienne division fonctionnelle se doublant d’une nouvelle séparation : l’identification du masculin à l’ordre de la société civile et du féminin à l’ordre naturel. La femme n’est du même coup plus seulement appréhendée dans ses différences physiques et fonctionnelles par rapport à l’homme à partir de son propre rôle : elle habite dorénavant un autre monde que le sien”.

    La thématique qui se développe au sein du mouvement ouvrier à partir de la fin du XIX° siècle s’inscrit dans la même problématique. Elle est d’autant plus significative que les ouvriers qui la portent sont partisans de l’émancipation du genre humain. Ils affirment, comme les bourgeois éclairés du siècle précédent, respecter l’individualité de la femme. Mais, expliquent Jacques Rancière et Patrice Vauday (Les Révoltes logiques, hiver 1975 p. 17,18), “la libération de la femme, c’est son retour à sa vocation naturelle. (Elle) passe par l’existence d’un domaine réservé. (La femme) participe au maintien d’un espace fermé à l’intrusion patronale et étatique : l’ordre naturel de la famille”. Ce discours est repris par bon nombre de féministes. S’il se démarque - par exemple en acceptant l’union libre - de certaines valeurs de la famille bourgeoise, sa structure est la même que celle du discours tenu au XVIII° siècle sur la féminité : la femme est reconnue comme un individu égal à l’homme, mais dans sa différence, à travers justement cette vocation “naturelle”. Le constat est d’autant plus frappant que, à la même époque, l’historicité de la famille devient une question acquise dans les sciences sociales naissantes. La tentation est alors forte de faire de ce discours le simple effet de “préjugés” alimentés par la concurrence de la main-d’œuvre féminine, issus de l’ancienne famille patriarcale en voie de disparition alors que, au contraire, il s’articule à la construction de la nouvelle famille moderne.

     

    Un procès contradictoire

    Le mouvement historique à travers lequel se constitue la féminité et donc contradictoire. L’autre face de cette naturalisation est la “biologisation et la sexualisation du genre et de la différence des sexes”, pour reprendre une formule de Michelle Perrot (La Place des femmes, La Découverte, 1995, p. 42) faisant référence au livre de Thomas Lauquer (La Fabrique du sexe, Gallimard, 1992) ; un travail qui se situe dans la lignée de Michel Foucault et, ce faisant, donne une vision unilatérale du procès historique. Il serait intéressant, sous cet angle, d’entrer plus en détail sur l’éclairage différent porté par les études historiques sur la médicalisation, portée par les hommes, d’un problème comme celui de l’accouchement. Ainsi Mireille Laget (Naissances, Seuil, 1982) insiste sur la perte de pouvoir de la communauté des femmes qui, dans le passé prenait en charge cet accouchement et, dans la préface de l’ouvrage, Philippe Ariès jette un regard nostalgique sur les anciennes formes de sociabilité et de savoir-faire féminins. Par contre Edward Shorter (Le corps des femmes, Seuil1982) met uniquement l’accent sur les progrès introduits par cette médicalisation, faisant de “l’alliance” entre les médecins éclairés et les femmes un des facteurs de l’émancipation de ces dernières des contraintes traditionnelles pesant sur leur corps.

    On retrouve également un éclairage différent dans l’appréciation portée sur les caractéristiques du mariage lié à cette nouvelle famille émergeant au XVIII° siècle. Pour Elisabeth de Fontenay, il “assujettit la femme puisqu’il transforme le contrat familial entre familles de type patriarcal en un lien conjugal interindividuel et dénué de toute dimension socio-politique. En privatisant ce lien, on rejette la femme hors de la vie publique” (Les Temps Modernes, mai 1976, p. 1792). Ce faisant, l’auteur souligne un des aspects du processus, contre une vision linéaire du progrès historique que n’évite pas toujours Edward Shorter dans L’invention de la famille moderne qui, rejetant toute vision idyllique des anciennes formes de sociabilité, met uniquement l’accent sur les potentialités ouvertes. Reste qu’Elisabeth de Fontenay oublie la dynamique de transformation qui s’inscrit dans ce lien interindividuel. Il en va ainsi, comme l’indique Jean-Louis Flandrin dans Familles, dans les rapports sexuels, avec la reconnaissance de la femme comme partenaire. Ici encore, il serait intéressant de revenir plus en détail sur le schématisme de certaines analyses qui lient avènement de la bourgeoisie et processus de normalisation sexuelle, d’enfermement de la sexualité et de l’amour dans la famille. L’accent mis sur ce qui serait une liberté sexuelle plus grande dans les sociétés d’Ancien Régime (Solé, L’amour en Occident à l’époque moderne, Albin Michel, 1976), oublie qu’il s’agit, pour l’essentiel, d’une libre sexualité masculine, se traduisant par des rapports de domination brutaux sur les femmes.

    Plus généralement, la transformation du mariage “en un lien conjugal interindivuel” veut dire qu’il tend à se donner comme un contrat entre deux individus présupposés libres et égaux. Le ver est dans le fruit de la dépendance millénaire des femmes par rapport aux hommes. Cette situation se retrouve au plan juridique. Sous l’Ancien Régime, certaines femmes peuvent voter car la tradition féodale lie ce droit à un statut (par exemple la propriété d’un fief) et non à la personne. La Révolution française supprime tout droit de vote aux femmes, mais introduit certains progrès au niveau du droit privé ; en particulier, au moins dans un premier temps, un droit de divorce relativement égalitaire.

     

    Production capitaliste et division sexuelle du travail

    Je n’irai pas plus loin dans ces remarques et soulignerais un autre aspect de la dimension contradictoire de ce procès de socialisation des femmes qui ne recoupe exactement celui qui vient d’être décrit. Il concerne le rapport des femmes à la production sociale et du devenir de ce qu’il est convenu d’appeler la division sexuelle du travail. Convenu d’appeler : en effet, au-delà de ce qui semble une évidence, cette catégorie fonctionne davantage comme “prénotion” que comme catégorie d’analyse rigoureuse. D’abord, en ce qui concerne la notion de division de travail elle-même car le travail, comme catégorie spécifique est une invention de la modernité. Ensuite, la catégorie de division du sexuelle du travail est souvent employée pour parler de deux réalités différentes. Au sens strict du terme - c’est en tout cas ainsi que je l’emploierai - elle veut dire que les activités de production sont organisées selon le principe d’une division du travail entre sexes. Mais elle peut vouloir dire que la division du travail est sexuée, au sens où, sans relever d’un principe d’organisation du social selon la différence de sexe, elle fonctionne selon des rapports asymétriques entre les sexes.

    Revenons à la famille moderne. Nous avons dit que son avènement ne signifie pas un simple renforcement de la “spécialisation” des femmes dans le travail domestique, mais une véritable rupture dans l’espace qu’elles habitent. En tant qu’elles sont déterminées par les rapports de parenté, les femmes n’existent plus comme groupe social spécifique disposant, selon la place que leur donne la division du travail entre sexes, de leurs propres espaces dans “l’espace public” (au sens large du terme) structuré par la production sociale. Les femmes habitent à présent “un autre monde” que les hommes.

    La division du travail entre sexes ne fonctionne plus pour délimiter les espaces respectifs entre deux groupes sociaux présents au sein de la production sociale, mais pour tracer une frontière entre deux espaces sociaux de nature différente. Enfermées dans la famille et “la direction du ménage” devenu service privé, les femmes, en tant qu’elles sont déterminées par les rapports de parenté, sont expulsées de la production sociale. Mais, en même temps, leurs conditions de participation à celle-ci sont profondément transformées car la division du travail entre sexes n’est plus un principe organisateur de la production capitaliste, contrairement à ce qui se passe dans les formes de production précapitalistes.

    Le constat peut sembler étonnant de la part de quelqu’un qui renvoie à l’élaboration des années 1970/80 pendant lesquelles des études commencent à être produites qui, justement, montre que dans la production sociale capitaliste, la division du travail est fortement sexuée (Kergoat, Critiques de l’économie politiques, oct-déc 1978). Certes. Mais une chose est de souligner la dimension sexuée de cette division, autre chose est d’affirmer que la division du travail entre sexes est un des principes d’organisation de la production comme dans les formes précapitalistes. C’est-à-dire que cette production est organisée en fonction de la différence des sexes et que, en conséquence, cette division est dite ouvertement. Dans les sociétés “primitives”, dans lesquelles les rapports de parenté fonctionnent comme rapports de production, la production sociale est structurée par les rapports de sexe. Maurice Godelier (La production des grands hommes, Fayard, 1982) montre comment chez les Baruya, la légitimation de l’ordre social - c’est-à-dire son inscription dans un ordre surnaturel - est tout entière construite autour des rapports de domination des hommes sur les femmes. Dans les sociétés précapitalistes de “classes”, d’autres divisions sociales deviennent dominantes, mais l’organisation de la production sociale selon les rapports de sexe garde toute son importance ; ainsi dans les diverses communautés paysannes exploitées par les “classes” dominantes.

    Dans La Domination masculine (p. 53), Pierre Bourdieu fait remarquer, à juste titre, qu’il faut se garder de projeter sur ces sociétés une vision issue du monde moderne. Car le travail, au sens où nous l’entendons, comme pratique différenciée d’autres activités, n’existe pas. Dans ces sociétés “le travail” est “une fonction sociale que l’on peut dire “totale” ou indifférenciée” qui, de plus, ne concerne pas les seules activités productives. Le constat que je viens de faire sur la place de la division sexuelle du travail n’en est que plus important puisque celle-ci touche non pas seulement à une activité spécifique d’un individu (le travail au sens moderne), mais à une “fonction sociale” globale qui donne un statut à cet individu dans la communauté. Cette division structure donc une hiérarchisation inégalitaire qui définit un groupe social - en l’occurrence les femmes - tout au long de l’espace social de la communauté concernée.

    Si la division sexuelle du travail n’existe plus comme principe d’organisation de la production sociale capitaliste, c’est parce que les rapports de parenté se sont totalement “dissocié” des rapports de production. Et parce que, plus généralement, tout comme le travail salarié capitaliste ne spécifie pas les individus selon des statuts, la division du travail dans une entreprise moderne ne se structure pas, dans ses formes de légitimation, à travers une hiérarchie définie par des statuts sociopolitiques, mais à travers ce que le jeune Marx appelle une “hiérarchie de savoir” dont l’existence est légitimée par les seules contraintes d’organisation technico-scientifique de la production. Naturellement, il ne s’agit pas de dire que cette division du travail est “neutre”, exempte de rapports de domination et sans dimension sexuée. Il s’agit de souligner le rapport contradictoire des femmes à la production sociale.

     

    Le rapport salarial ne spécifie pas les individus selon des statuts

    Les femmes sont “prolétarisées” (deviennent salariées) en tant que groupe social spécifique. Statut qui se manifeste par des phénomènes largement analysés : double journée de travail, variation de l’emploi en fonction du chômage, temps partiels bas salaires, métiers dits féminins, etc. Toutefois, dans ce dernier cas, la variation au gré des conjonctures ou de l’évolution historique montre que le caractère sexué des filières de l’emploi ne renvoie pas à ce qui serait une définition sociale stricte du masculin et du féminin dans la production. Certes, cette dernière ne se contente pas d’enregistrer de rapports asymétriques entre les sexes, elle contribue à le reproduire. Reste que, en dernière analyse, cette situation ne découle pas des caractéristiques de la production capitaliste, mais du statut donné aux femmes par la famille moderne ; au demeurant, c’est bien ce que disent en général les études sur le caractère sexué de cette dernière.
    La contradiction joue également dans l’autre sens. Les femmes sont prolétarisées en tant que femmes, mais, ce faisant elles deviennent salariées. Un des acquis du féminisme est d’avoir montré que cette participation à la production sociale n’est pas synonyme d’émancipation, mais la grosse majorité de ses composantes n’a pas remis en cause le fait que devenir salariées soit un facteur important, voire décisif, dans la marche vers cette émancipation. Je n’insisterai pas sur ce point là. Sinon pour souligner que la question n’est pas seulement celle de l’indépendance financière, de la participation à des activités sociales, etc. Le rapport salarial ne spécifie pas l’individu selon des statuts. En tant qu’échangiste de cette marchandise quelque peu particulière qu’est la force de travail, le salarié est saisi par le rapport social spécifique qu’est le rapport salarial capitaliste comme un individu tout à la fois libre et égal aux autres individus. Et cette détermination n’est pas de pure forme, même si, par ailleurs, le salariat est un rapport social servant de médiation à l’exploitation capitaliste.

    Même si ce rapport est sexué, cette détermination existe pour la femme salariée qui, devenue échangiste, est saisie comme individu à la fois libre et égale aux autres individus, entre de plain-pied dans la sphère politico-juridique moderne à travers laquelle s’énonce, comme exigence sans cesse répétée, la question du droit à la liberté et à l’égalité. Toutefois la catégorie d’égalité n’est pas ici tout à fait la même que celle dont nous avons parlé à propos de la famille moderne qui spécifie la femme comme individu sexué. Or, explique Marx, le procès d’échange de marchandise ne présuppose pas seulement la liberté et l’égalité des individus, il dit leur équivalence ; pour lui la différence entre individus n’existe pas. En ce sens, ce qui caractérise le sujet politico-juridique moderne est son abstraction au sens fort du terme ; l’individu est abstrait de ses conditions relationnelles d’existence, donc il n’est pas sexué.

    Certes, en particulier avec le développement du droit social, tout un pan du droit moderne va se concrétiser pour traiter des individus en tant qu’ils appartiennent à un groupe social particulier. On retrouve d’ailleurs ici le statut donné aux femmes par la famille moderne ; ainsi lors de la construction de l’État providence. Même si, par la suite certains pays ont pris des distances avec lui, “la plupart des États ont mis en place un modèle sexué d’accès aux droits sociaux, qui définit et traite les femmes en tant qu’épouses et/ou mères” (Lewis, La place des femmes, La Découverte, 1997, p. 406). Toutefois dans son noyau dur à travers lequel est spécifié le sujet politico-juridique, le droit moderne reste bien caractérisé par l’abstraction. C’est d’ailleurs ce qui permet de comprendre la place qu’il a occupé (et occupe toujours) dans les luttes d’émancipation au nom d’une exigence sans cesse répétée “d’égaliberté” car il existe “ une tension permanente entre les conditions qui déterminent historiquement la construction d’institutions conformes à la proposition de l’égaliberté, et l’universalité hyperbolique de l’énoncé” (Balibar, Les Frontières de la démocratie, La Découverte, 1992, p. 138). Mais, ce faisant, rien n’est dit sur la différence de sexes. Ainsi posée, la question de l’égalité et de la différence -récurrente, on le sait, dans le féminisme - est une question spécifique de la modernité.

    J’ai parlé à plusieurs reprise d’un procès de socialisation contradictoire des femmes institué par le capitalisme. La formule ne veut pas laisser croire que ces contradictions fonctionnent pour ainsi dire d’elles-mêmes afin de faire évoluer le système. En elle-même une contradiction est muette si elle ne devient pas une contradiction sociale ; c’est-à-dire si elle n’existe pas comme conflit social, lutte sociale, etc. à travers laquelle se structurent des acteurs sociaux. Et c’est ce mouvement qui fait évoluer le système. On sait, par exemple, que des luttes ont été nécessaire, en particulier sur la question de la citoyenneté, pour que le salarié devienne un sujet juridico-politique. Reste que rendre compte d’un procès général de socialisation contradictoire est important pour comprendre non seulement ce qui nourrit les luttes d’émancipation mais également ce qui structure leur horizon.

     

    Remarques sur le livre de Pierre Bourdieu

    C’est toute cette dimension qui disparaît dans le livre de Pierre Bourdieu. Revenons à la façon l’auteur parle de la domination masculine à partir de ses analyses de la société kabyle développées dans Le sens pratique (Minuit, 1980). “L’ordre social fonctionne comme une immense machine symbolique tendant à ratifier la domination masculine sur laquelle il est fondé : c’est la division sexuelle du travail, distribution très stricte des activités imparties à chacun de deux sexes, de leur lieu, leur moment, leurs instruments ; c’est la structure de l’espace, avec l’opposition entre le lieu d’assemblée ou le marché, réservés aux hommes, et la maison, réservée aux femmes, ou, à l’intérieur de celle-ci, entre la partie masculine, avec le foyer, et la partie féminine, avec l’étable, l’eau et les végétaux ; c’est la structure du temps, journée, année agraire, ou cycle de vie, avec les moments de rupture, masculins, et les longues périodes de gestation, féminines” (p. 16). Pierre Bourdieu décrit ici de façon précise une société précapitaliste dans laquelle, manifestement, les rapports de parenté fonctionnent comme cadre important de reproduction de l’ensemble des rapports sociaux.

    Le problème est que, ce faisant, il entend construire un modèle théorique permettant de rendre compte de la domination masculine en général (tout au moins pour les sociétés méditerranéennes) dont la société kabyle fournirait la “forme canonique” (p. 113). En effet, “bien que les conditions ‘idéales’ que la société kabyle offrait aux pulsions de l’inconscient androcentrique aient été en grande partie abolies et que la domination masculine ait perdu quelque chose de son évidence immédiate, certains des mécanismes qui fondent cette domination continuent à fonctionner comme la relation de causalité circulaire qui s’établit entre les structures objectives de l’espace social et les dispositions qu’elles produisent tant chez les hommes que chez les femmes. (...) Les changements visibles qui ont affecté la condition féminine masquent la permanence des structures invisibles” (p. 63, 113).

    Si dans la société kabyle la domination masculine a cette “évidence immédiate”, c’est que les rapports de parenté ne sont pas “dissociés” des autres rapports sociaux. J’ai souligné comment cette “dissociation”, caractéristique du capitalisme, fait partie d’un mouvement plus vaste de réorganisation du social (des “structures objectives de l’espace social”) qui se traduit par de nouvelles conditions générales de socialisation des femmes ; comme d’ailleurs de l’ensemble des individus. Manifestement, pour Pierre Bourdieu, hormis cette perte de visibilité, la structure objective du “monde sexuellement hiérarchisé” reste similaire et produit les mêmes dispositions chez les hommes et chez les femmes.

    Cela est d’autant frappant que chez lui, la catégorie d’inconscient ne relève manifestement pas d’une problématique freudienne. Elle désigne simplement l’existence de structures cognitives non conscientes qui s’articulent à une “construction sociale des corps”. Je ne vais pas ici discuter de la théorie de la violence symbolique de Pierre Bourdieu. Toutefois en ce qui concerne la construction sociale des corps, je préfère les formules de Maurice Godelier. Par exemple : “Le corps humain partout fonctionne comme machine ventriloque de l’ordre social et cosmique. Les représentations du corps incorporent l’ordre social...” (1997, p. 442). Si c’est le cas, l’analyse doit prendre comme point de départ la façon dont l’ordre capitaliste structure “un monde sexuellement hiérarchisé”, dans sa différence avec celui des sociétés précapitalistes. Somme toute, on retrouve ici un point général de méthode d’analyse du capitalisme. Pour reprendre une formule de Daniel Bensaïd (Marx l’intempestif, Fayard, 1995) “l’ordre logique prime l’ordre historique” , au sens où - comme l’indique sans cesse Marx - le point de départ de l’analyse est celui des conditions structurelles de reproduction de ce système social. Pierre Bourdieu propose, lui, une approche historico-génétique, en l’occurrence une “sociologie génétique de l’inconscient sexuel” (p. 113).

    Au demeurant si son livre présente un tableau cohérent des formes de domination masculine dans la société kabyle, pour traiter de la situation des femmes dans la société moderne, il procède surtout par coups de projecteur et remarques de méthode, sans se préoccuper d’en tracer un tableau similaire ; ne serait-ce que pour faire apparaître les éléments de continuité et de différence. Il serait intéressant de revenir plus en détail sur les analyses faites dans Le sens pratique pour faire apparaître toutes les différences qui ne sont pas traitées ; en particulier celles concernant la production sociale et de l’espace social qui, dans la société kabyle, ont une structure caractéristique des formes précapitalistes : ils sont tout entiers structurés selon les mêmes principes de division sexuelle (avec sa dimension cosmique). L’organisation interne de la maison kabyle que décrit Pierre Bourdieu reproduit cette division sexuelle de l’espace, mais de façon inversée. Par contre, la maison moderne dont parle Philippe Ariès est partie prenante d’une structuration de l’espace social (public/privé) que nous avons décrite. Non seulement son découpage interne (typologie des pièces, etc.) n’est pas le même que celui de la maison kabyle, mais l’organisation de l’espace domestique vise à développer le “privé conjugal”, va dans le sens d’un “renforcement du couple et non d’une distinction masculin/féminin” (Lefaucher, Segalen, La Place des femmes, La Découverte, 1995).

    Il est vrai que si l’on se contente de raisonner selon “des oppositions pertinentes” qui, dans ce cas, se traduisent par une homologie transhistorique de l’opposition féminin/masculin, dedans/dehors, privé/public, il est difficile de percevoir la rupture introduite par le capitalisme dans la structuration objective de l’espace social. Bien plus important est le silence fait sur un des aspects essentiels de ce que nous avons appelé le procès contradictoire de socialisation des femmes généré par le capitalisme : celui de l’égalité (et, au-delà, de l’égaliberté). “Dans toute science historique ou sociale en général, il ne faut jamais oublier (...) que le sujet, ici la société moderne bourgeoise, est donné aussi bien dans la réalité que dans le cerveau, que les catégories expriment donc des formes d’existence” de cette société, explique Marx dans son Introduction à la critique de l’économie politique ( Éditions sociales, 1957, p. 179). ’est dire que, pour rendre compte de la société moderne, il n’est pas possible d’analyser d’abord ce qui serait son objectivité sociale pour, dans un second temps, traiter des “idées”, des formes de représentation accompagnant son développement. L’égalité, telle que la dit le monde moderne est une catégorie sociale, renvoie à l’existence d’une forme sociale objective.

     

    Imaginaire social et “économie des biens symboliques”

    Cette absence de traitement de l’égalité comme forme sociale objective est d’autant plus manifeste que Pierre Bourdieu a la volonté “d’échapper à l’alternative ruineuse entre le “matériel”, et le “spirituel” ou “l’idéel” (p. 9). Force toutefois est de constater que cet oubli est récurrent puisque, par exemple, lorsqu’il traite des formes de domination symbolique de l’État moderne, il réussit ce tour de force de ne pas parler de la spécificité du sujet politico-juridique moderne : le lecteur de ses textes ignore tout simplement que, pour la première fois dans l’histoire, existe un État qui dit la liberté et l’égalité des individus-citoyens.

    Au demeurant dans La Domination masculine, Pierre Bourdieu traite très peu du rapport salarial moderne. Sans doute parce que, à cause du découpage schématique de la société en champs auquel procède sa sociologie, il fait partie du seul champ “économique”, alors que c’est un rapport social décisif pour qui veut comprendre les conditions générales de socialisation de l’individu moderne dans leurs différences avec les formes précapitalistes.

    Ici encore Pierre Bourdieu raisonne d’abord en termes de continuité. Dans les deux cas, les femmes y fonctionnent comme des “moyens d’échange” car leur statut est fondamentalement déterminé par la place qu’elles occupent dans “l’économie des biens symboliques”. “De même que, dans les sociétés les moins différenciées, elles étaient traitées comme des moyens d’échange permettant aux hommes d’accumuler du capital social et du capital symbolique au travers des mariages, véritables investissements permettant d’instaurer des alliances plus ou moins étendues et prestigieuses, de même, aujourd’hui, elles apportent une contribution décisive à la production et à la reproduction du capital symbolique de la famille, et, d’abord, en manifestant, par tout ce qui concourt à leur apparence - cosmétique, vêtement, maintien, etc. - le capital symbolique du groupe domestique : de ce fait, elles sont rangées du côté du paraître, du plaire” (p. 106)3

    Tout se passe comme si l’avènement du capitalisme se traduisait par un simple processus de différenciation “de l’économie des biens symboliques” - dont le mariage est une pièce centrale - qui se serait simplement autonomisée tout en gardant une même structure. Ce n’est pas tout fait comme cela que les choses se passent. Et si l’on veut remettre en cause une approche “économiste” de la famille mieux vaut renvoyer, par exemple, à Maurice Godelier : “ Les rapports de parenté constituent les supports de processus d’appropriation et d’usage de la terre ou de titres, de statuts, bref de réalités aussi bien matérielles qu’immatérielles, qui se présentent aux yeux des acteurs sociaux comme essentielles à la reproduction d’eux-mêmes et de leur société” (Annales sept-oct1993 p. 1196). Dans la société d’Ancien Régime où les “classes” dominantes sont des “ordres” la question du “paraître” est décisive car elle est signe d’un rang. Ce qui permet de comprendre pourquoi, à l’encontre de ce que nos sociétés considèrent rationnel du point de vue économique, les grands seigneurs se ruinaient dans la construction d’une “Maison”, signe d’un certain rang (Elias, La Société de cour, Flammarion 1985). Ce qui permet de comprendre les stratégies matrimoniales de la bourgeoisie de l’époque en direction de la noblesse qui, toujours du point de vue “économique” n’étaient pas spécialement rentables. Dans ce cadre l’accumulation de “capital symbolique” à travers le mariage des femmes était un élément important, voire décisif.

    Le symbolique travaille à partir de ce qu’est la dimension imaginaire d’un rapport social. Et si cet imaginaire est constitutif de l’objectivité du social, alors il est difficile d’en parler sans l’articuler à l’analyse plus large des rapports sociaux régissant les conditions spécifiques de reproduction d’ensemble d’une société donnée. À supposer que la catégorie de “capital symbolique” soit pertinente (je ne le crois pas, mais c’est un autre problème), on ne peut faire comme si les conditions de production et de reproduction du capital symbolique de la famille resteraient les mêmes avec l’avènement de la famille moderne. À moins d’ignorer sa nouveauté comme le fait Pierre Bourdieu qui, au contraire et une fois encore, souligne une continuité : “Les femmes sont restées longtemps cantonnées dans l’univers domestique et dans les activités associées à la reproduction biologique et sociale de la lignée” (p. 104).

    La lignée : le mot est significatif. Il renvoie à d’autres catégories comme celles de “maisonnée”, Maison, lignage, caractéristiques, par exemple, de la famille de l’Ancien Régime. Soit la famille dans les “classes” dominantes. La reproduction de son capital symbolique est alors décisive car, comme je l’ai signalé à propos de la “Maison”, elle concerne la représentation (la mise en scène) publique d’un statut socio-politique dans une société structurée selon des “ordres”. Si, outre, sa reproduction biologique, les femmes ont une fonction dans la reproduction sociale de cette famille, ce n’est pas essentiellement à travers du statut de femme/mère de la famille moderne, enfermée dans le privé. Elle se joue au niveau du paraître, de la mise en scène de ce statut, essentiel pour la reproduction de la lignée. Et, ce faisant, les femmes ne sont pas “cantonnées dans l’univers domestique”, cette mise en scène n’est pas de l’ordre du privé : la “Maison” est un espace “public”, on y tient salon. On sait le rôle “public” que jouent les femmes dans les salons au XVIII° siècle.

    On se souvient comment Elisabeth de Fontenay souligne que, avec l’avènement de la famille moderne le mariage perdait sa “dimension sociopolitique” pour se transformer en lien privé, rejetant la femme hors de la vie publique. C’est très précisément à tout ce “paraître” avec sa dimension publique que s’oppose alors l’image de la femme-mère dont le domaine est le privé qui va être le point de départ de la construction sociale de la féminité, dans sa version moderne. La femme n’est plus du côté du “paraître” mais du “privé”. C’est dans ce cadre, et à partir de l’imaginaire qui le structure, que les femmes participent à la “reproduction biologique et sociale”, non pas de la lignée, mais de cette nouvelle famille. Et -dernière remarque - cette famille n’a pas pour fonction constitutive de mettre en scène publiquement un statut social dans une société structurée selon des hiérarchies sociopolitiques.

    Naturellement il faudrait nuancer ces remarques afin de montrer comment, par exemple, dans la bourgeoisie du XIX° siècle, où les stratégies matrimoniales sont liées, tout à la fois à des problèmes de transmission de patrimoine et de statut social, les femmes fonctionnent souvent comme “moyens d’échange” . De même, il est évident que se jouent à travers la famille (comme ailleurs) les “signes de distinction” dont parle Pierre Bourdieu. Ici, je voulais simplement souligner que le modèle théorique (et non telle ou telle description concrète) qu’il propose pour rendre compte du statut de la femme dans le mariage est tout entier surdéterminé par des formes antérieures dans lesquelles, effectivement, les femmes fonctionnent comme “moyens d’échange” et où la mise en scène publique de la famille comme “capital symbolique” joue un rôle central.

     

    Texte paru dans la revue Critique communiste, n° 154, hiver 1999, qui présentait un dossier « Femmes ».

     

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    • 1. En lien avec la présence active de ses militantes au sein du mouvement autonome des femmes, la Ligue Communiste Révolutionnaire (comme la IV° Internationale) a participé pleinement à ces discussions et à ce travail d’élaboration qui, quelles que soient par ailleurs les fortes contradictions internes induites par le développement du féminisme, a gardé une dimension mixte. Articles de Critique Communiste ou numéro spécial, articles dans Inprecor, livres aux éditions la Brèche, création des Cahiers du féminisme. Je le dis comme je le pense (car l’aspect strictement universitaire des bibliographies données sur cette époque l’occulte) : parmi les organisations se réclamant du marxisme, la Ligue est celle qui a le plus systématiquement confronté les acquis de ce dernier et du mouvement ouvrier sur “la question femme” aux questions posées par l’irruption du féminisme. C’est explicitement en référence à cette expérience collective que se situe cet article. Pour ce qui concerne plus particulièrement mon propre travail je renvoie à “Système capitaliste et oppression des femmes”, dans "Femmes, capitalisme, Mouvement ouvrier", numéro spécial de Critique Communiste janvier 1978. Voir également “À propos des débats sur la famille”, Politis la revue, nov-déc 1994/janv1995.
    • 2. Sans entrer dans le détail, il faut rappeler que le couple polis/oikia n’est pas tout à fait homologue au public/privé moderne comme on le laisse parfois entendre. Par contre il est intéressant de souligner comment l’apparition de la cité et sa citoyenneté, seul exemple de forme de pouvoir politique précapitaliste non patrimonial (dont l’espace n’est pas structuré par les rapports de parenté), non seulement la femme est exclue de l’exercice de la citoyenneté, mais comment une cité comme Athènes qui pousse le plus loin la remise en cause de la structure de la maison (oikia) , est celle dans laquelle, par rapport à d’autres cités, les femmes sont le plus exclues de la communauté citoyenne.
    • 3. La féminité comme située du côté de l’apparence, du paraître et du plaire. Les formules raisonnent comme un écho à celles de Piera Aulagnier- Spairani (Le désir et la perversion, Seuil, 1966 p. 72), qui se réclame de Lacan, lorsqu’elle parle de la constitution du féminin, dans ses rapport au phallus : “Là où le garçon tentera de se rassurer en se disant que ce qui manque à la femme, c’est lui qui le possède (...), la fille, elle, ne peut que s’avouer que le désir de la mère, si elle veut continuer à en être le support, fait qu’elle doit renfoncer à être pour paraître, et pour paraître ce que justement elle n’est pas et n’a pas”. C’est son corps en entier qui fonctionne comme équivalent phallique. Cette approche de la féminité comme apparence, mascarade est discutée au sein de la psychanalyse (André, La Sexualité féminine 1997 p. 45). Je ne sais pas si Pierre Bourdieu connaît ce texte qui, à l’époque eu quelques échos, mais il permet de rendre compte de la façon dont fonctionne souvent l’approche qu’il a du statut des femmes dans ladite économie des biens symboliques. Tout se passe souvent comme s’il “collait” à certaines analyses de la psychanalyse pour, en quelque sorte, leur donner une épaisseur sociologique.

      Reste que, vu le statut de l’inconscient freudien, cette sociologie de l’inconscient est quelque peu problématique. Et l’on ne peut “emprunter” des analyses à la psychanalyse en “oubliant” ce qu’elle présuppose : un inconscient qui a, justement, peu à voir avec la sociologie. Pierre Bourdieu procède de façon un peu similaire avec Lévi-Strauss. D’une part, il reprend comme telle - sans la discuter - la thèse selon laquelle, en lien avec la prohibition de l’inceste, l’échange des femmes est une dimension symbolique constitutive du lien social (du passage de la nature à la culture). D’autre part, il entend développer une approche sociologique du phénomène (par justement la référence à l’économie des biens symboliques), alors que ce n’est pas du tout ce qui est en jeu chez Lévi-Strauss.

    date: 
    01/04/2013 - 11:06
    Antoine Artous
     

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    Rouge Midi
    http://rougemidi.fr/spip.php?article7667
    L’Union Européenne contre les droits des femmes
    samedi, 9 mars 2013  

    Ines Zuber, députée européenne du Parti communique portugais (PCP) pique sa colère à l’occasion du 8 mars (lire ci-dessous). Inutile de dire qu’en réfléchissant bien, elle ne doit pas être la seule... au Portugal et ailleurs !

    On commémore la Journée internationale de la Femme. Il nous revient à nous, communistes, de rappeler que la commémoration de cette journée – proposée il y a 103 années de cela par Clara Zetkin [en photo ci-contre avec Rosa Luxemburg NDLR] – est historiquement liée au mouvement révolutionnaire, à l’émancipation des travailleuses dans la lutte du prolétariat contre l’exploitation capitaliste. Un événement qui s’est transformé, au fil des ans, en une célébration symbolique de luttes bien plus vastes de toutes les femmes pour leur émancipation économique, sociale et politique.

    Et il nous revient à nous également, communistes, de ne pas laisser faire l’instrumentalisation et la manipulation de cette journée pour donner un blanc-seing aux politiques de droite, d’exploitation capitaliste, et aux responsables de la mise en place de ces politiques qui, naturellement, usent toujours de cette date pour feindre l’indignation face à ces inégalités « inacceptables » entre hommes et femmes, inégalités que reproduisent chaque jour les politiques qu’ils mettent en œuvre, défendent et cautionnent.

    Cette semaine sera même célébrée dans les institutions européennes. Conférences, séminaires, affiches dans les couloirs, déclarations d’intentions, bouquets de fleurs, enfin, beaucoup de marketing atour d’une journée est qui est celle des travailleuses et non de ceux qui remettent en cause leurs droits chaque jour tout en cherchant à se défausser sans gêne de leurs responsabilités.

    Le diagnostic partagé

    Dans toutes ces initiatives organisées par le Parlement européen ou par la Commission européenne, on fait des diagnostics « alarmés » sur la difficile situation des femmes en « temps de crise ». Et en analysant des chiffres effectivement préoccupants, tous seront unanimes pour manifester leur inquiétude.

    On nous dira que les femmes sont plus sévèrement touchés par les « effets de la crise ». Que les femmes sont les plus touchées par la destructions des fonctions sociales d’État. Que ce sont les femmes qui travaillent le plus à temps partiel (dans l’UE, en 2011, quatre fois plus que les hommes) et qu’elles subissent plus les contrats de travail « atypiques », que les politiques de coupes dans les investissements publics, y compris les baisses de salaires et les licenciements, touchent surtout la fonction publique, secteur où, dans l’UE, 70% des travailleurs sont des femmes.

    On nous dira que tous ces facteurs ont un impact énorme sur le montant des retraites que les femmes se verront accordées. On nous dira que les coupes dans les aides sociales – comme les coupes dans les allocations familiales au Portugal – affectent le droit des femmes à donner à leurs enfants une vie digne.

    On nous dira que la pression sur les familles augmentera les violences domestiques, majoritairement contre les femmes. On nous dira que dans l’UE, 23% de la population (données de 2010) sont sous le seuil de pauvreté et que la paupérisation de la population touche surtout les femmes, notamment les femmes âgées qui vivent seules et celles qui sont à la tête d’une famille mono-parentale. On nous dira de nombreuses vérités.

    Les causes se trouvent dans cette Europe

    Ce qu’on nous dira pas lors de ces commémorations officielles, c’est que les causes de ce recul de civilisation que les femmes vivent aujourd’hui dans plusieurs pays de l’UE sont les politiques de droite qui visent à l’accumulation de richesse et des profits entre des mains privés, n’hésitant pas à casser les fonctions sociales de l’État et à appliquer des politiques qui facilitent l’exploitation maximale de la main d’œuvre féminine.

    Si ces messieurs qui parlent à la Commission européenne et au Parlement européen ont défendu et mis en pratique l’ingérence étrangère dans notre pays, ils ont également défendu la dérégulation du code du travail, la casse des conventions collectives – un des meilleurs instruments pour combattre les discriminations salariales – ont défendu les baisses de salaires et des aides sociales, les licenciements dans la fonction publique, dont ils admettent que cela touche d’abord les femmes.

    Tout cela, au Portugal (comme en Grèce et en Irlande) fait partie des mémorandums qu’ils ont soutenu et qu’ils disent inévitables. Ils défendent, par exemple, le Semestre européen et approuvent ses recommandations pour 2013, ils ont donc approuvé : le « développement des régimes de travail flexibles », la diminution des allocations-chômage et des salaires.

    Ce n’est pas nous qui le disons. C’est, tout simplement, écrit. La majorité du Parlement européen a adopté ces recommandations : cette même majorité qui se plaint des conséquences de ce qu’elle a provoqué.

    Quelles solutions ?

    Pour résoudre ce qu’ils estiment inacceptables, ils proposeront : les mêmes politique d’austérité et de redressement budgétaire mais, cette fois, avec des « préoccupations de « genre » de façon à ce que les effets négatifs pour les femmes soient « nuancés ».

    Et ils ne feront rien, ensuite, en pratique, pour renforcer les fonctions sociales d’État, renforcer les lois de façon à défendre les droits des femmes et à garantir des salaires dignes pour les travailleuses.

    Mais, certainement, les femmes ne laisseront pas faire l’instrumentalisation de cette journée. Elles continueront la lutte et la résistance pour la dignité.

    Inés Zuber Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pc...

    http://www.rougemidi.fr/spip.php?article7667


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  • Histoire du 8 mars 

    Comment le 8 mars est devenu la Journée Internationale des Femmes...

    Portail de l'action des Elus et de la vie citoyenne

    Au début du XXe siècle, des femmes de tous pays s’unissent pour défendre leurs droits. 

    L’origine de cette journée s’ancre dans les luttes ouvrières et les nombreuses manifestations de femmes réclamant le droit de vote, de meilleures conditions de travail et l’égalité entre les hommes et les femmes, qui agitèrent l’Europe, au début du XXe siècle.

    La création d’une Journée internationale des femmes est proposée pour la première fois en 1910, lors de la conférence internationale des femmes socialistes, par Clara Zetkin, et s’inscrit alors dans une perspective révolutionnaire.

    La date n’est tout d’abord pas fixée, et ce n’est qu’à partir de 1917, avec la grève des ouvrières de Saint Pétersbourg, que la tradition du 8 mars se met en place. Après 1945, la Journée internationale des femmes devient une tradition dans le monde entier.

    Jusqu’à nos jours...

     

    La date est réinvestie avec le regain féministe des années 70 et la Journée internationale des femmes est reconnue officiellement par les Nations Unies en 1977, puis en France en 1982. C’est une journée de manifestations à travers le monde, l’occasion de faire un bilan.

    La Journée des femmes reste aujourd’hui d’une brûlante actualité. Car tant que l’égalité entre les hommes et les femmes ne sera pas atteinte, nous aurons besoin de la célébrer.

    Pour en savoir plus :

     

    http://8mars-online.fr/historique-du-8-mars

    http://pcautunmorvan.eklablog.com/histoire-du-8-mars-a3108653

    8marsURSS Lénine à propos de la Journée internationale des travailleuses en 1921

    Texte repris par http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

     

     

    La journée internationale des travailleuses

     

     

    Le trait essentiel, fondamental du bolchévisme et de la Révolution d’Octobre, c’est d’amener à la politique ceux qui étaient les plus opprimés sous le régime capitaliste. Les capitalistes les étouffaient, les dupaient et les pillaient aussi bien sous la monarchie que dans les républiques bourgeoises démocratiques. Cette oppression, cette duperie, ce pillage du labeur populaire étaient inévitables tant que subsistait la propriété privée de la terre, des fabriques et usines.

     

    L’essence du bolchévisme, du pouvoir soviétique est de remettre tout le pouvoir d’Etat entre les mains des masses laborieuses exploitées, en dévoilant la duperie et l’hypocrisie de la démocratie bourgeoise, en abolissant la propriété de la terre, des fabriques et des usines. Ce sont ces masses qui prennent en main la politique, c'est-à-dire l’édification de la société nouvelle. C’est une œuvre difficile, les masses sont abruties et accablées par le capitalisme, mais il n’existe pas, il ne peut exister d’autre issue à l’esclavage salarié, à l’esclavage capitaliste.

     

    On ne saurait amener les masses à la vie politique sans y attirer les femmes. Car en régime capitaliste, les femmes, la moitié de l’espèce humaine, sont doublement exploitées. L’ouvrière et la paysanne sont opprimées par le capital, et par surcroît, mêmes dans les républiques bourgeoises les plus démocratiques, premièrement elles ne jouissent pas de tous les droits, car la loi ne leur confère pas l’égalité avec les hommes ; deuxièmement, et c’est là l’essentiel, elles restent confinées dans « l’esclavage domestique », elles sont les « esclaves du foyer » accablés par les travaux ménagers, les plus mesquins, ingrats, durs et abrutissants, et en général par les tâches domestiques et familiales individuelles.

     

    La révolution bolchévique, soviétique, coupe les racines de l’oppression et de l’inégalité des femmes de façon extrêmement profonde, comme aucun parti et aucune révolution au monde n’ont osé les couper. Chez nous, en Russie soviétique, il n’existe pas trace de l’inégalité des femmes par rapport aux hommes au regard de la loi. Le régime des soviets a totalement aboli l’inégalité odieuse, basse, hypocrite dans le droit matrimonial et familial, l’inégalité touchant l’enfant.

     

    Ce n’est là que le premier pas vers l’émancipation de la femme. Aucun des pays bourgeois, même parmi les républiques les plus démocratiques n’a osé faire ce premier pas. On n’a pas osé, par crainte de la « sacro-sainte propriété privée ».

     

    Le deuxième pas et le principal a été l’abolition de la propriété privée de la terre, des fabriques et des usines. C’est cela et cela seul qui fraye la voie de l’émancipation complète et véritable de la femme, l’abolition de « l’esclavage domestique » grâce à la substitution de la grande économie collective à l’économie domestique individuelle.

     

    Cette transition est difficile ; il s’agit de refondre « l’ordre des choses » le plus enraciné, coutumier, routinier, endurci ( à la vérité, c’est plutôt une monstruosité, une barbarie). Mais cette transition est entreprise, l’impulsion est donnée, nous sommes engagés dans la nouvelle voie.

     

    En cette journée internationale des ouvrières, on entendra dans les innombrables réunions des ouvrières de tous les pays du monde, saluer la Russie soviétique qui a amorcé une œuvre incroyablement dure et difficile, une grande œuvre universelle de libération véritable. Des appels galvanisants inciteront à ne pas perdre courage face à la réaction bourgeoise furieuse, souvent même sauvage. Plus un pays bourgeois est « libre » ou « démocratique », et plus les bandes capitalistes sévissent avec fureur et sauvagerie contre la révolution des ouvriers ; c’est le cas pour la république démocratique des Etats-Unis d’Amérique. Mais la masse ouvrière s’est déjà réveillée. La guerre impérialiste a définitivement éveillé les masses endormies, somnolentes, inertes de l’Amérique, de l’Europe et de l’Asie arriérée.

     

    La glace est brisée dans toutes les parties du monde.

     

    L’affranchissement des peuples du joug impérialiste, l’affranchissement des ouvriers et des ouvrières du joug capitaliste avance irrésistiblement. Des dizaines et des centaines de millions d’ouvriers et de paysans, d’ouvrières et de paysannes ont fait progresser cette œuvre. Voilà pourquoi l’affranchissement du travail délivré de la servitude capitaliste triomphera dans le monde entier.

     

    4 mars 1921. Publié dans la Pravda du 8 mars 1921.

     


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  • Féminisme

    Mais que vient faire Frédéric Taddéi au Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ?

    Par Marilyn Baldeck (25 janvier 2013)

    Institué au début du mois de janvier, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ne convainc pas tout le monde. Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association contre les violences faites aux femmes au travail, y décèle une possible renonciation de la lutte contre les violences sexistes. D’autant que l’animateur Frédéric Taddei, favorable à la prostitution, a rejoint le Haut conseil en tant que « personnalité qualifiée ».

    Créé par décret présidentiel le 3 janvier dernier, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes est placé « auprès du premier ministre ». Il a pour mission « d’assurer la concertation avec la société civile et d’animer le débat public sur les grandes orientations de la politique des droits des femmes et de l’égalité, notamment en ce qui concerne la lutte contre les violences de genre, la place des femmes dans les médias et la diffusion de stéréotypes sexistes [1], la santé génésique, l’égal accès aux fonctions publiques et électives et la dimension internationale de la lutte pour les droits des femmes ». Il est présidé par Danielle Bousquet, militante féministe et ancienne députée.

    Le même jour, un autre décret présidentiel a créé la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, placée « auprès du (sic) ministre chargé des droits des femmes » Najat Vallaud Belkacem. Ernestine Ronai, militante féministe et responsable de l’Observatoire de lutte contre les violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis, est chargée « de contribuer à la mise en œuvre de ces objectifs » , sans plus de précisions.

    « Propagande pro-proxénète »

    D’anciennes structures – l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, la commission sur l’image des femmes dans les médias et la commission nationale de lutte contre les violences faites aux femmes – disparaissent au profit de ces deux nouvelles instances. L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), qui avait été nommée membre de la commission nationale de lutte contre les violences faites aux femmes dès sa création en 2001 et dont le mandat, compte tenu de ses apports en matière d’analyse des violences masculines à l’encontre des femmes, avait toujours été renouvelé, ne s’est pas vu proposer de mandat dans le collège associatif du Haut Conseil.

    En revanche, Frédéric Taddéi, animateur de télévision, a été placé au sein du collège des « personnalités qualifiées choisies à raison de leur compétence et de leur expérience dans les domaines des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes » du Haut conseil. Il est vrai que son expertise en matière de propagande pro-proxénète par émission de « service public » interposée n’est plus à démontrer.

    Le 10 décembre dernier, l’animateur recevait dans son émission « Ce soir ou jamais » sur France 2, Dominique Alderweireld, qui possède une dizaine de « maisons closes » en Belgique. Cité dans « l’affaire du Carlton de Lille » il a été condamné pour proxénétisme. Cette émission avait eu pour seul objectif de nier les crimes perpétrés au nom du droit des hommes à disposer du corps des femmes contre rémunération.

    Quel projet de société ?

    Dans l’hebdomadaire Grazia du 11 janvier, Frédéric Taddéi explique : « C’est Najat Vallaud Belkacem qui m’a sollicité. » Et précise : « J’ai accepté car l’égalité hommes-femmes, que je ne confonds pas avec l’indifférenciation des sexes, est un thème qui m’intéresse. Même si il y a un tas de sujets sur lesquels je suis en désaccord ». Question de Grazia : « Lesquels, par exemple ? » Réponse : « Je suis pour la prostitution. »

    De quels apports le Haut conseil va-t-il donc pouvoir se prévaloir ? D’avoir tenté de « sensibiliser » Frédéric Taddéi, ce que nous avons pu entendre ici ou là ? D’avoir autorisé la controverse en son sein, au motif ou au prétexte d’une nécessaire pluralité « d’opinions », si tant est qu’être « pour la prostitution » puisse en être une ?

    N’avait-il pas mieux et plus urgent à faire ? En quoi la présence de M. Taddéi  [2] dans le Haut Conseil va-t-elle bien pouvoir servir aux femmes ? A la société tout entière ? A quel projet de société le fait de ranger M.Taddéi (thuriféraire de la prostitution) parmi les spécialistes de l’égalité entre les femmes et les hommes, correspond-il au juste ? Quelle politique, notamment en matière de « prostitution », ce Haut conseil est-il supposé soutenir ou accompagner ?

    Protéger les femmes ou condamner les hommes violents ?

    La création, concomitamment au Haut conseil, de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, enterre encore un peu plus tout positionnement abolitionniste de la France. Faut-il encore le rappeler, la politique sous-tendue par cette terminologie empruntée aux traités européens et onusiens exclut de facto toute lutte contre le proxénétisme et plus encore toute pénalisation du fait de payer pour un rapport sexuel : il n’est question que de la « traite » [3]. L’esclavage aurait eu de beaux jours devant lui si la seule « traite des esclaves » avait été abolie. Or c’est bien l’esclavage qui a été aboli.

    Souvenons-nous d’ailleurs que la féministe Olympe de Gouges fut une des plus ardentes abolitionnistes de l’esclavage du Siècle des Lumières, de la même façon que les féministes, au cours des siècles, ont toujours dénoncé les systèmes d’oppression quels qu’ils soient et où qu’ils s’exercent. En outre, il est illusoire de vouloir assurer « la protection des femmes contre les violences » tout en circonscrivant les politiques publiques en matière de prostitution à la seule « lutte contre la traite des êtres humains ».

    Il n’est enfin pas anodin que l’expression « lutte contre les violences faites aux femmes », présente dans le nom de la commission éponyme dissoute, a purement et simplement disparu de la terminologie gouvernementale, au profit de l’expression « pour la protection des femmes contre les violences ». Il ne s’agit donc plus de lutter contre les violences, mais d’en « protéger » les femmes. Le Haut Conseil, pour sa part, contiendra une commission « sur – et non contre – les violences de genre ». Ainsi les concepts de « protection des femmes » et de « genre », cent fois questionnés et remis en cause par les féministes, qui savent bien que ces choix terminologiques sont lourds de sens, sont-ils institutionnalisés.

    Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT

    Notes

    [1] Nous supposons qu’il faut lire « la lutte contre la diffusion de stéréotypes sexistes ».

    [2] Qui, soit dit en passant, était absent de la première réunion du Haut Conseil, le 8 janvier dernier.

    [3] Cf. notamment l’interview de Marie-Victoire Louis, chercheuse féministe, fondatrice et ex-présidente de l’AVFT par Grégoire Téry, en 2005.

    http://www.bastamag.net/article2890.html


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  • l-echoNajat Vallaud-Belkacem veut abolir la prostitution. Ni plus, ni moins. Elle assure ne pas être naïve et compte renforcer l’arsenal pénal pour éradiquer le «plus vieux métier du monde». Avec une telle déclaration, la jeune ministre en aura été pour ses frais, essuyant une volée de critiques, les associations lui rappelant notamment que la répression risquait de faire basculer ladite activité vers encore plus de clandestinité. Il aura sans doute manqué à ce «bébé éléphant» de clarifier davantage ses objectifs, à moins que la réalité du terrain ne lui ait en fait échappé.


     

    En effet, une récente étude pointe que près de neuf personnes prostituées sur dix sont victimes de la traite des êtres humains, ce qui explique également que les statistiques les donnent à 80 % d’origine étrangère. Arrachées à leur famille ou vendues par un entourage peu scrupuleux, privées de papiers d’identité, déportées, violées et battues chaque jour, déconstruites, déshumanisées, assassinées.

     

    Voilà l’enfer que vivent des milliers de femmes et d’enfants, parfois même des hommes. Ce commerce odieux est un véritable fléau et tend à progresser, tant il est lucratif pour les bourreaux qui s’y livrent. Les réseaux mafieux, toujours plus puissants et étendus, tiennent la dragée haute aux forces de l’ordre et aux ONG. Et face à ce monstre à visage humain, trop peu de moyens pour trop peu de victoires.


     

    La France n’est pas une exception. Comme ailleurs, les victimes y sont considérées comme des criminelles, des symboles d’une immigration dite néfaste.


     

    La ministre des Droits des femmes veut donc abolir la prostitution. Elle se dit consciente que le travail sera de longue haleine. Quitte à faire preuve de courage, elle aurait été bien mieux inspirée d’engager le gouvernement dans une lutte sans précédent contre l’esclavage.

     

    Mickaëlle JOUAULT
    Editorial de L’ECHO
    Jeudi 28 Juin 2012


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  • GRAND DÉBAT

    La prostitution en France et en Europe

     

    En France, la nouvelle ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, entend faire «disparaître» la prostitution. Est-ce possible ? Est-ce la meilleure solution ? Que font nos voisins européens ?La prostitution en France et en Europe

    photo : ninasaurusrex / CC

    La position abolitionniste

    Najat Vallaud-Belkacem veut mettre fin à la prostitution, une déclaration qui se place dans la continuité de la politique française sur le sujet. La « position abolitionniste » de la France avait été réaffirmée par l’Assemblée nationale en décembre 2011, et la nouvelle ministre des Droits des femmes entend « tirer toutes les conséquences » de la résolution qui avait été votée à ce moment-là.

    Une législation bancale en France

    Pourtant, en France, seuls le proxénétisme et la traite des êtres humains sont interdits. La prostitution est autorisée, même si, depuis 2003, une loi punit le racolage actif comme passif. En d’autres termes, le démarchage des prostituées ne doit plus être visible, mais elles peuvent continuer à pratiquer leur activité à l’abri des regards. François Hollande avait regretté qu'une une telle mesure ait été votée. Une mesure qui, selon lui, ne conduit qu’à « repousser la prostitution dans des zones peu accessibles pour les associations ».

    La pénalisation des clients

    L’idée principale de cette démarche « abolitionniste » serait la pénalisation des clients. Najat Vallaud-Belkacem rappelle, en effet, que les prostituées sont quant à elles « d'abord des victimes de violences de la part des réseaux, de proxénètes ». Ce projet voit le jour en partie car les lois existantes ne sont pas suffisantes. Par exemple, du fait d’une mondialisation de l’activité, près de 80% des prostituées sont étrangères et n’osent dénoncer leurs proxénètes de peur d’être expulsées.

    Contre cette décision

    Les lois en vigueur n’ont pas mis fin à la prostitution, ce qui est pourtant l’objectif du gouvernement français, malgré de nombreuses voix qui s’élèvent contre cette décision. Les indépendantes du Bois de Boulogne défendent «le droit à disposer de leur corps». Le Syndicat des travailleurs du sexe (Strass) estime, quant à lui, que pénaliser les clients ne ferait que précariser davantage les prostituées. D’autres s’inquiètent d’une recrudescence des crimes sexuels. Quelle est la situation dans les pays où la prostitution est entièrement légale et dans celle où elle est interdite ?

    La situation en Suède

    En Suède, les clients sont pénalisables depuis 1999. Pourtant, les crimes sexuels n’ont pas connu de hausse depuis cette date. De plus, tous s’accordent à dire que la prostitution de rue a fortement diminué. Solution idéale ? Peut-être pas. La prostitution aurait envahi le net, faute de pouvoir fleurir dans les rues. Les salons de massage et les appartements seraient également devenus des moyens de contourner la législation, en rendant la prostitution invisible.

    Une réduction du trafic d’êtres humains

    Un échec total ? Pas tout à fait. La Suède est aujourd’hui l’un des marchés les moins porteurs en ce qui concerne le trafic d’êtres humains. Une victoire qui pourrait sous-entendre qu’en Suède la prostitution restante est majoritairement volontaire… Certains pays ont pourtant fait le choix d’une décision diamétralement opposée : légaliser la prostitution.

    En Allemagne, tout est permis

    En Allemagne, la prostitution est parfaitement licite. Proxénétisme, racolage, maisons closes, tout est permis. Pourquoi ? Pour mieux protéger les prostituées. Pour qu’elles bénéficient ainsi de meilleures conditions de travail, d’une assurance maladie, d’une cotisation retraite, et qu’elles sortent ainsi de la clandestinité.

    Des femmes qui refusent la protection sociale

    Mais est-ce un vrai succès ? Alors que la loi ProstG visait surtout à améliorer les conditions sociales des prostituées, le ministère fédéral de la famille et des femmes affirme que « les femmes préfèrent rester des journalières », en partie car « beaucoup de femmes considèrent leur passage dans le secteur du sexe comme une activité transitoire ». Presque toutes renoncent même à l’assurance retraite, et certaines avaient une assurance-maladie avant le passage de la loi.

    Lutter contre le crime

    La baisse du taux de criminalité était également l’un des objectifs phares de l’Allemagne. Pourtant, face à cette légalisation, comment lutter contre le trafic humain et l’exploitation sexuelle ?

    Une situation difficile à vivre en Suisse

    En Suisse, où la prostitution est également autorisée, à condition qu’elle soit exercée volontairement et sans contrainte, d’autres problèmes se posent. A Zurich, où des périmètres et des horaires ont été accordés à l’exercice des pratiques des prostituées, les riverains se plaignent de leur présence : embouteillages tous les soirs, préservatifs et ordures sur le trottoir chaque matin…

    La création de « parkings à prostituées »

    La situation est devenue tellement invivable qu’une vraie polémique a été créée dans la capitale économique suisse, à tel point qu’un référendum a été soumis aux citoyens : pour ou contre la création de « parkings » à prostituées à l'entrée de la ville. Le "OUI" l’a emporté à 52,6%. Des box seront donc installés d’ici 2013 pour éviter les nuisances dans les zones habitées.

    Une vraie solution ?

    Est-ce une solution à laquelle pourraient aspirer les citoyens français ? Andrea Gisler, présidente de l’association féministe Zürcher Frauenzentrale, s’exprime sur les conséquences de tels « parkings à prostituées », déjà présents en Allemagne, à Bonn, Cologne et Dortmund : « Le problème n'est pas réglé, mais juste déplacé ». En effet, à Dortmund, ces parkings ont été démantelés car ils attiraient la criminalité.

    Le chantier français

    Quelle est alors la solution ? Aucune n’apparaît  idéale, pourtant la France semble avoir choisi la sienne : faire disparaître la prostitution, même si Najat Vallaud-Belkacem reconnaît que ce projet « sera un chantier de long terme ».

    http://www.jolpress.com


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  • La ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem relance dans le Journal du Dimanche le débat sur le statut pénal de la prostitution qui selon elle doit « disparaître », appelant le gouvernement à « se donner les moyens » de l’abolir.

     La ministre du Droit des femmes Najat Vallaud-Belkacem veut rendre illégal le recours à des prostituées en France, pays qui pour l'instant ne réprime pas cette activité mais seulement le proxénétisme et la traite des êtres humains. PHOTO AFP

    «La question n’est pas de savoir si nous voulons abolir la prostitution - la réponse est oui - mais de nous donner les moyens de le faire», déclare la ministre. «Mon objectif, comme celui du PS, c’est de voir la prostitution disparaître.»

    Actuellement, recourir à une personne prostituée n’est pas un délit en France. Depuis 2003, la loi française punit le racolage passif, c’est-à-dire celui exercé par la personne prostituée sur la voie publique, de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.Ce texte est dans les faits peu appliqué et ne prévoit rien contre les clients.
    D’après une récente enquête du Mouvement du Nid, un homme sur huit a déjà eu recours à une prestation sexuelle tarifée.Durant la campagne, François Hollande avait dit son intention de supprimer ce délit de racolage passif qui «conduit à repousser la prostitution dans des zones peu accessibles pour les associations».Quant à la pénalisation des clients, «la réflexion doit être ouverte», avait-il ajouté, expliquant que «disposer librement du corps d’une autre personne» contre paiement était «dans les textes internationaux, (...) une atteinte aux droits humains».Selon diverses estimations, environ 20 000 personnes se prostituent en France, dont 70 à 80% de femmes et 80% d’étrangers (Balkans, Afrique, Amérique du Sud, Chine).
    Plusieurs associations pensent toutefois que ce chiffre est sous-évalué.  «Un chantier de long terme»«Je ne suis pas naïve, je sais que ce sera un chantier de long terme», précise Najat Vallaud-Belkacem en expliquant que la «position abolitionniste» du PS est «le fruit d’une réflexion tirant les leçons des insuffisances des dispositifs actuels».L’abolitionnisme divise les associations et se heurte à l’opposition des prostitué(e)s indépendants, qui manifestent régulièrement à Paris, jugeant que cela mettrait en danger leur subsistance et leur sécurité en les poussant vers plus de clandestinité.Corinne, porte-parole des indépendantes du Bois de Boulogne, défend «le droit à disposer de son corps» et estime que ces prostituées, qui grâce à leur activité «ont un niveau de vie certain», ne sont «pas prêtes à l’abandonner pour accepter un revenu minimum». «Se recycler à 40 ans ou 50 ans passés, quand on a quasi aucun CV, c’est difficile.»Pour Ernestine Ronai, vice-présidente de l’Amicale du Nid, association pro-abolition, «c’est un chantier pour lequel il faut des moyens législatifs et financiers».
    Cela passe notamment, selon elle, par la pénalisation des clients, la lutte contre le proxénétisme, plus de moyens pour accompagner une reconversion des prostituées.Selon Guy Geoffroy, le député UMP à l’origine d’une résolution parlementaire de 2011 préconisant de pénaliser les clients, «neuf personnes prostituées sur dix sont victimes de la traite des êtres humains».Rappelant le vote de la résolution, Mme Vallaud-Belkacem assure dans le JDD que le ministre de l’Intérieur Manuel Valls et elle «ne resteront pas inactifs sur cette question».«Pour tirer toutes les conséquences de la résolution de l’Assemblée nationale, nous organiserons une conférence de consensus», ajoute-t-elle sans plus de précision.
    La pénalisation des clients sur le modèle de ce qui se pratique en Suède depuis 1999, avait également été défendue l’an passé par Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, pour qui «il n’existe pas de prostitution libre, choisie ou consentie». Cette semaine, le préfet de police de Paris Bernard Boucault a déclaré que le nombre de personnes faisant commerce de leur corps avait doublé en 2011 dans le Bois de Boulogne, haut-lieu de la prostitution parisienne. Cette augmentation s’explique notamment par l’afflux de jeunes femmes roumaines ou bulgares, exploitées par des réseaux de proxénétisme, selon les associations.

    La Voix Du Nord

     


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  • « Première dame contre première femme » ? Elle a choisi… le banal sexisme

    par Ugo Palheta, le 12 juin 2012

    Invariablement, chaque président nouvellement élu est accueilli par l’implacable ritournelle médiatique qui, produisant la figure de la « première dame » (et de manière concomitante le « couple présidentiel »), contribue à fixer et figer les rôles qu’hommes et femmes sont supposés adopter. L’élection de François Hollande n’aura pas échappé à cet héritage féodal qui fonctionne comme une piqûre de rappel sexiste. Sitôt le costume présidentiel endossé par le nouveau monarque républicain, ont ainsi fleuri dans les « grands » médias – « sérieux » ou « people », écrits ou télévisés – les articles sur le « style » de la « première dame », d’impayables remarques sur sa garde-robe, mais surtout quantité d’articles sur sa prétendue « rivalité » avec l’ex-compagne de François Hollande, Ségolène Royal. Sur ce point au moins, le changement n’est assurément pas pour maintenant.

    Elle contre les femmes

    Dans cette litanie de dossiers et d’articles aussi insipides que sexistes, il faut faire un sort particulier au magazine Elle, dans la mesure où il affiche parfois – le temps d’un édito ou d’un article vite oublié – des prétentions (très mollement) féministes. Nous avions déjà montré dans un précédent article spécifiquement consacré à Elle combien ce magazine travaille imperturbablement à la légitimation de la division sexiste du travail, qui assigne aux femmes l’essentiel du travail domestique (tâches ménagères, éducation des enfants, etc.) [1].

    Le numéro 3465 du magazine (daté du 25 mai 2012) offre un nouvel exemple de la bouillie sexiste que ce fleuron du groupe Lagardère offre chaque semaine à ses lectrices. Et l’on ne peut, pour commencer, que répéter ici ce que nous écrivions il y a quelques mois à propos d’un article savamment intitulé « Mode in power », portant sur le « look des dirigeantes », tant le même procédé est à l’œuvre dans l’article que nous analysons plus bas :

    « Sous le vocable unifiant de “dirigeantes” se trouvent placées sur le même plan deux femmes, Michelle Obama et Kate Middleton, uniquement connues en tant qu’épouses d’hommes célèbres (qui eux-mêmes le sont à des titres bien différents), et quatre autres qui ont exercé des fonctions politiques de premier plan (ministres, députées, etc.). C’est assez dire la confusion qu’Elle contribue à entretenir sur la “réussite” des femmes, puisque diriger – conjugué au féminin – peut encore et toujours consister à être la “femme de”. Considèrerait-on le mari (ou le compagnon) d’Angela Merkel ou de Martine Aubry comme un “dirigeant” ? Poser la question, c’est évidemment y répondre »

    .

    Le même procédé est à l’œuvre dans l’article du 25 mai 2012. Elle annonce la couleur dès le bandeau en « une » : « Valérie Trierweiler, Ségolène Royal : première dame contre première femme. Les enjeux d’une rivalité, leurs blessures secrètes ».

    Il s’agit donc de réduire les deux femmes – l’une ancienne candidate à l’élection présidentielle et l’autre journaliste à Paris-Match – à leur statut d’épouse, passée ou présente, réputées « rivales » et affublées de « blessures » d’autant plus intéressantes médiatiquement qu’elles sont « secrètes ». Et l’alléchant programme, composante de la rubrique dite « info » du magazine, ne déçoit pas à la lecture : outre une photo utilisée par de nombreux magazines, montrant Valérie Trierweiler serrant la main de Ségolène Royal lors d’un meeting, Elle entreprend de se pencher sur « les relations épineuses entre les deux femmes ».

    Aussi le magazine diffuse-t-il sans vergogne les ragots propres à la presse dite « people », les élevant, en passant, au statut d’ « info ». La rédactrice de l’article, Florence Besson, s’emploie en effet à prouver la réalité et l’importance politique d’une prétendue « rivalité » entre Ségolène Royal et Valérie Trierweiler, à coup d’expressions vagues (« malaise visible », « signes de tension », etc.), de verbes au conditionnel (« la First Girlfriend aurait textoté… ») et de lecture labiale : « tous ont pu lire sur les lèvres de Valérie Trierweiler cette demande incongrue : “Embrasse-moi sur la bouche” ».

    Psychanalyse de comptoir et sondomanie

    Que ces bruits aient ou non un semblant de vérité importe peu : c’est le glissement dans la conception de l’information qui doit retenir l’attention. Nouvel avatar de la « pipolisation » de la vie politique, cet article est par ailleurs révélateur des impensés sexistes sous-jacents à ce type d’article. En effet, à grand renfort de psychanalyse véreuse se trouvent doctement justifiés les poncifs sur les femmes, invariablement présentées comme jalouses et possessives (tare dans les hommes seraient dépourvus), dans un article qui en même temps, assomme lectrices et lecteurs de banalités, ni vraies ni fausses, sur les relations amoureuses :

    - « C’est un invariable , explique le Dr Nasio, psychanalyste. Dans tous les couples que je vois, il est inévitable que la nouvelle compagne soit allergique à la première  ! Nous avons là une situation de jalousie tout à fait ordinaire autour d’un homme ordinaire ».
    - « Pour elle [Ségolène Royal], assure le Dr Nasio, la situation est infiniment plus simple ! Elle a dû beaucoup souffrir mais c’est fini, elle a fait le deuil. En général , après une telle rupture, c’est la guerre chaude deux ans, froide trois, et ensuite, les enfants aidant, on passe à l’entente cordiale ».
    - « Ce doit être extrêmement dur pour Valérie Trierweiler, reprend le Dr Nasio. La nouvelle compagne a besoin pour aimer de se donner l’illusion que leur amour est le premier amour, pour construire, de faire table rase du passé. Et là, le passé est en retour permanent à travers Ségolène Royal, ses enfants, et cet idéal politique qu’ils ont construit ensemble ! ».
    - « Les hommes supportent souvent mal le prestige social de leur femme, analyse le Dr Nasio. Dès que celle-ci a plus d’argent, de responsabilités, ils ont envie de divorcer ».

    On ne saurait atteindre la vacuité journalistique sans agrémenter un tel dossier d’un sondage, qui vient en complément de ces morceaux de bravoure « psychanalytiques ». La question posée, d’un intérêt crucial à l’évidence, est la suivante : « De Valérie Trierweiler ou de Ségolène Royal, de qui vous sentez-vous le plus proche ? ». Outre l’absence des précisions méthodologiques minimales, ce sondage donne à voir le principal défaut inhérent à ce type d’exercice : postuler que l’ensemble des sondés – qui sont ici des sondées – se pose la question qu’imposent les sondeurs.

    Or qui, sinon les journalistes qui ont imaginé ce sondage, est susceptible de se poser une telle question, c’est-à-dire d’accorder un intérêt minimal à ce qui est en jeu ? Un sondage aussi ostensiblement dépourvu d’intérêt pour la grande majorité de la population révèle toujours davantage de choses sur les catégories de perception de ceux qui posent les questions que sur celles des sondés.

    Dernière précision livrée par ce dossier, l’inévitable couplet sur le style vestimentaire de la « première dame » : « A Washington, Valérie Trierweiler a fait sensation sur d’immenses talons, les Tribune YSL, avant d’opter pour un costume-pantalon accessoirisé d’un sac Lune Vanessa Bruno. Enfin, en robe Georges Rech, elle rencontre Michelle Obama, à qui elle a offert un sac Le Tanneur, made in Corrèze oblige. Et deux cabas Vanessa Bruno à Malia et Sasha. Fashion First Lady ! ».

    Pendant que le président fait mine de traiter les grandes questions de ce monde avec ses collègues, des hommes pour la quasi-totalité d’entre eux (mais Elle semble bien se moquer de cet aspect), la « première dame », c’est à peine sous-entendu, doit savoir détendre l’atmosphère en faisant rêver – au moyen de sacs ou de robes aux prix exorbitants pour la majorité des salariées – la gent féminine. C’est du moins l’image qu’Elle choisit de mettre en avant, en parfait conformité avec la distribution sexiste des rôles entérinée qui prévaut dans la société française.

    Elle  : un «  Gala pour riches » au service de la domination masculine

    Il suffit de comparer ce dossier proposé par le magazine Elle et un article parallèle dans le magazine Gala pour saisir à quel point le premier importe le modèle du genre « people ». Ainsi le chapô de l’article de Gala, s’appuyant sur une photo quasi-identique, annonce : « Crispations diverses, déclarations abruptes… La première dame et l’ex-compagne de François Hollande ont du mal à trouver un modus vivendi. Ces deux battantes sont toutefois condamnées à s’entendre ». Sans avoir recours aux services d’un psychanalyste pour asséner les banalités servies par Elle, le magazine « people » choisit le même angle que le magazine « haut-de-gamme », en les réduisant au rôle de « femmes d’influence » et en présentant comme « ordinaire » leur « rivalité » supposée : « C’est l’histoire de deux femmes. Une histoire banale que des milliers d’autres Françaises ont pu vivre un jour. Une histoire d’amour qui prend fin, une autre qui commence… avec le même homme. Des crispations inévitables ».

    Au fond, Elle est au sexisme à peine repentant ce qu’un journal comme Libération ou un magazine comme le Nouvel-Obs est au capitalisme triomphant. Et si Laurent Joffrin pouvait dire, heureux du travail bien fait, que Libération avait été « l’instrument de la victoire du capitalisme dans la gauche » [2], il n’est pas exagéré d’affirmer qu’Elle est un instrument hebdomadaire au service de la domination masculine. Le même Joffrin ne disait-il pas également vouloir faire du Nouvel-Obs un « Gala pour riches » [3].

    Derrière une rhétorique faussement et tièdement féministe, qui fait écrire à la journaliste de Elle que « ce qui se joue, dans cet étrange vaudeville au sommet de l’Etat, c’est aussi […] la place des femmes dans une société encore machiste », le magazine réactive en fait la majorité des stéréotypes que le mouvement féministe combat depuis plusieurs décennies. Choisir de mettre en scène une prétendue « rivalité », ostensiblement présentée comme « typiquement féminine », entre Ségolène Royal et Valérie Trierweiler, cela sur la base d’éléments insignifiants, c’est non seulement adhérer à une conception rabougrie de l’information, mais entretenir les représentations qui concourent au maintien de la subordination des femmes.

    Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de consulter le sommaire – ou simplement la couverture – du numéro en question. Il donne en effet un aperçu de la conception qu’a Elle des intérêts des femmes, à peu près résumable en quatre mots : beauté, mode, people, sexe. Outre l’article sur les relations entre Valérie Trierweiler et Ségolène Royal, on trouve ainsi en « une » les mentions suivantes : « Glam ou sport, la dentelle prend le dessus », « Sexe, dollars et Kanye West, le cas Kardashian », « Vécu : “Je l’ai quitté parce qu’il voulait tout le temps faire l’amour” », « Mode, c’est l’été de la jupe », « Kilos psycho : le régime qui va vous réussir », « François Hollande nous présente les femmes de son gouvernement », « Branché, quelles lunettes cet été ? ».

    A l’heure où le Conseil constitutionnel censure la loi sur le harcèlement sexuel, les femmes n’auraient donc pas mieux à faire que de se demander quelle jupe porter, comment perdre quelques kilos avant l’été, ce que devient la multimillionnaire « people » Kim Kardashian, ou quelles sont les « blessures secrètes » de Valérie Trierweiler.

    Ugo Palheta

    Notes

    [1] Voir notre article : Le magazine Elle, ou comment changer les apparences pour que rien ne change.

    [2] Cité par Pierre Rimbert, Libération, de Sartre à Rothschild, Raisons d’agir, 2005, p.114.

    [3] Cité dans « Laurent Joffrin, le journaliste le plus bête de France ».

    http://www.acrimed.org/article3842.html


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  • Un temps fort de convivialité et d’expression revendicative. En présence de Raymond Frackowiak, le dirigeant de la Coordination des mineurs CGT du Nord-Pas-de-Calais, les veuves de mineurs n’ont pas dérogé à la tradition en célébrant la Journée de la Femme à Billy-Montigny.

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     L’occasion pour Blanche Bellanger, la responsable du « collectif des femmes », de revendiquer « la revalorisation du taux de la pension de réversion à 60 % contre 54 aujourd’hui ». « Il y a longtemps qu’on se bat pour ça ! Aujourd’hui, on ne peut même pas s’acheter de la crème pour se faire belle », se désole Bertha qui rappelle que beaucoup de ses semblables perçoivent « entre 600 et 700 euros par mois ». Un montant « anormal car les femmes se sont battues avec leur mari pour obtenir des avancées sociales ». « C’est vrai qu’elles étaient sur les piquets de grève en 1948 ou en 1963. Si les luttes ont pu s’inscrire dans la durée, c’est aussi grâce à nous », explique Blanche. Tout comme, plus tard quand l’heure de la retraite aura sonné pour le mari atteint par la silicose, elles feront preuve « de dévouement et de courage » à leur chevet.

     

    Au secours des plus jeunes

    Ce bas niveau de ressources est aujourd’hui d’autant plus durement ressenti que la plupart se trouvent dans l’obligation de secourir leurs enfants et petits-enfants frappés par le chômage ou la précarité. « Nous, on n’a pas eu toujours une vie facile, mais notre jeunesse, c’est encore pire ! On n’a perdu les mines qui n’ont pas été remplacées » se lamente Monique à l’heure où la casse du régime minier se profile à l’horizon 2013. Non remboursements de médicaments, fermeture de dispensaires de proximité qui oblige à de coûteux déplacements, menaces sur la gratuité des prestations… Heureusement, « nous bénéficions encore du logement gratuit, mais on n’a peur qu’on nous enlève aussi ce droit », commente Thérèse.

     

    « Rester mobilisées ! »

    Autant de facteurs alarmants qui les incitent à « rester mobilisées » ! « Pour conserver nos acquis, nous participons à toutes les actions. L’an dernier encore, contre la réforme du Régime minier, nous étions devant l’Assemblée nationale », souligne Blanche. Un engagement d’autant plus fondamental que le poids des veuves au sein de la CGT mineurs ne cesse de croître, surmortalité masculine et non renouvellement des effectifs obligent ! Et l’ancienne secrétaire de l’UD CGT du Nord de se féliciter du soutien sans faille des « élus communistes  ». Une « chance que la population minière soit toujours aussi respectée » des milieux progressistes ! Et toutes espérer insuffler cet esprit de résistance à leurs descendants car « c’est aussi pour eux qu’on se bat » !Dans les filatures du Nord

    Mémoire d’ouvrières

    A Sallaumines où leur collectif s’est réuni, les veuves de mineurs évoquent leur passé d’ouvrières.

    Car elles aussi ont travaillé ! A 14 ou 15 ans, « une fois le certificat en poche », elles s’embauchaient dans les usines de filature de Roubaix, Fourmies ou Provins…

    Nous sommes dans les années 1960 - 1975. « Le textile à l’époque, c’était 250.000 salariés, se souvient Blanche qui y a débuté à l’âge de 14 ans. On nous appelait les filles des mines avec un certain dédain parfois .» Des levées à 2h 30 puis des départs en bus « pas chauffés » au petit matin avec un retour douze heures plus tard ! Des cadences infernales imposées par « des contredames qui gueulaient ». Des conditions de travail qui renvoient au XIXe siècle. « Des femmes perdaient des enfants à cause des rythmes de travail. Au début, nous n’étions pas organisées. Nous sommes allées voir nos élus, les municipalités dirigées par les délégués mineurs. On leur a demandé de nous aider. Des mineurs sont venus distribuer des tracts à la porte des usines et on a créé des syndicats », poursuit Blanche. Avec à la clé de jolies conquêtes : « Grâce aux luttes, on a imposé les deux jours de repos consécutifs, des pauses pour les femmes enceintes, des retours au domicile plus tôt, le droit aux boissons chaudes, mais aussi 35 % d’augmentation de salaires en 1968, on ne le dit pas assez .» Les carrières seront rarement longues. A l’heure du premier enfant, dans la foulée du mariage, les « filles des mines » rentraient au bercail ! « A peine mariée, nous étions enceinte. Après, il fallait s’occuper des gosses. En neuf ans, j’en ai eu sept », sourit Bertha. « C’était ainsi, mais on était heureuse. On appréciait ce qu’on avait », précise Renée. Et, « les crèches n’existaient pas à l’époque. Aussi, nous ne pouvions pas continuer à travailler. Ou il aurait fallu ne pas avoir d’enfants », rappelle Marcelline. Oui, mais « de notre temps, la pilule n’existait pas ! » fait remarquer Thérèse.

    Mai 1968 ouvrira grandes les voies d’une émancipation dont elles se réjouissent. Mais, ce sont surtout leurs filles qui en bénéficieront…

    gugul-html-m65ed1c20Jacques KMIECIAK

     

     


     

     


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