• Le Venezuela bolivarien affronte une dangereuse campagne de déstabilisation

    Jean ORTIZ

    Depuis la mort de Hugo Chavez, l’opposition vénézuélienne et les Etats-Unis considèrent que "le Venezuela est à prendre".

    Une vaste campagne de déstabilisation économique et politique est engagée, assez semblable à celle que connut le Chili de Salvador Allende : sabotages électriques, économiques, violences de rue, organisation de pénuries de produits de base, d’une spéculation tous azimuts... L’objectif de l’opposition est de créer un climat de chaos qui permette à la fois de gagner les prochaines élections municipales, de défigurer l’image extérieure d’un pays qui serait devenu "dangereux", "incertain", "liberticide"... Le grand parti de l’opposition : Fedecamaras, l’équivalent du Medef, flanqué de la droite, de l’extrême droite et de trois partis affiliés à l’ex Internationale socialiste, compte sur cette stratégie pour susciter à terme et si nécessaire, une intervention des Etats-Unis, pas forcément armée.

    L’autre axe de cette stratégie "à la chilienne" est l’élimination physique du nouveau président Nicolas Maduro, qui a acquis un poids et une dimension qui inquiètent "l’empire". Washington et ses satellites considéraient ce "vulgaire chauffeur de bus", ce "syndicaliste primaire", comme incapable de prendre la relève de Chavez. Il est vrai que le défi était et reste énorme, mais Nicolas Maduro s’avère compétent, lucide, énergique et innovateur. Il a mis en place "le gouvernement de rue" et s’attaque enfin concrètement à l’insécurité, la corruption... Il est donc l’homme à abattre pour liquider la révolution.

    L’affaire de l’AIRBUS 319 CJ, acheté en 2002 à Airbus, s’avère très troublante. L’avion présidentiel est resté récemment cinq mois en France pour révision. Il est revenu au Venezuela avec une fuite de carburant et "un problème sur une aile". Des anomalies (sabotages ?) détectées par la Sécurité et les techniciens vénézuéliens. Un porte-parole d’Airbus a répondu à Caracas que l’avion avait été effectivement révisé en France mais qu’Airbus "ne s’occupe pas de la maintenance". Alors qui ? Réponse peu satisfaisante... Chacun connaît la compétence du personnel d’Airbus et son niveau d’exigence. Que s’est-il donc passé ? La direction d’Airbus doit s’expliquer en tant que telle, à visage découvert, sinon elle pourrait être accusée de complicité de sabotage et de tentative d’homicide sur la personne du président vénézuélien, et se retrouverait dans de sales draps...

    Cette nouvelle affaire d’avion présidentiel vénézuélien, après celle de l’avion du président bolivien Evo Morales, doit susciter une solidarité redoublée des démocrates français avec ces pays et ces peuples engagés dans la construction, dans un cadre démocratique, pluraliste, pacifique, d’un "socialisme d’aujourd’hui".

    Jean Ortiz
    Universitaire



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  • Monde - le 11 Septembre 2013

    Coup d’Etat de Pinochet

    Chili 1973 : Sept documents web pour comprendre

    Il y a 40 ans, le président chilien se suicidait, après avoir résisté avec quelques proches aux assauts et aux bombardements de l’armée, mettant fin aux trois années de gouvernement de l’Unité Populaire. S’en suivaient 17 années de dictature du général Pinochet, marquées par une répression cruelle contre tous les militants de gauche et une casse systématique des droits des travailleurs. Aujourd’hui le Chili continue de panser les plaies de la dictature. Petit tour du web sur le sujet.

    Après des années de dictature et d’impunité, Augusto Pinochet finit par être arrêté à Londres en 1998. Le général sera régulièrement assigné à résidence jusqu’à sa mort en 2006, mais jamais jugé. Mais le 16 octobre 1998, l’heure est encore à la joie. Les victimes de la dictature et leurs familles fêtent le jugement qui ouvre la voie à un éventuel procès. C’est l’occasion pour France 2 de faire une rétrospective sur le régime (vidéo INA, 15’).

    Un régime qui commence dans la violence et la trahison, lors du coup d’État contre le président démocratiquement élu Salvador Allende. A partir de témoignages des survivants, le réalisateur Patricio Henriquez a réalisé Le dernier combat de Salvador Allende. Il y retrace la dernière journée du président chilien et on entrevoit la personnalité de celui qui a gouverné le pays pendant trois ans (55’).

    Mais derrière le général putschiste, la main des États-Unis ne tarde pas à apparaitre. Washington a en effet pris l’habitude de faire de l’Amérique Latine son terrain privé, sans que les peuples n’aient leur mot à dire. Hernando Calvo Ospina, journaliste et écrivain colombien, retrace dans son livre L’équipe de choc de la CIA la surveillance intensive exercée par les présidents étatsuniens successifs sur le socialiste Allende dès qu’il apparut comme pouvant être élu. Le texte est repris ces jours-ci par l’association France Amérique Latine : http://www.franceameriquelatine.org/spip.php?article1479


    En 1973, en pleine présidence de Richard Nixon, le néo-libéralisme entamait sa conquête du monde. Milton Friedman et ses « Chicago Boys » ont su utiliser l’avènement de régimes autoritaires pour imposer leur traitement de choc aux peuples sud-américains. C’est l’histoire que raconte Naomi Klein dans son ouvrage La stratégie du choc et dans le film qui en est tiré. En voici un extrait spécifiquement sur le cas du Chili (20’).

    Économistes néolibéraux, bourgeoisie américaine ou dirigeants de Washington … Pour tous, Salvador Allende symbolisait leur plus grande peur : la démonstration qu’un président de gauche pouvait être démocratiquement élu et mener avec le soutien du peuple une politique socialiste. Au-delà des réformes engagées, c’est tout le parcours d’Allende qui en faisait l’ennemi public numéro un pour les dominants d’Amérique. C’est ce qu’explique Tomas Moulian, sociologue chilien, dans le Monde Diplomatique, pour le trentième anniversaire du coup d’État : http://www.monde-diplomatique.fr/2003/09/MOULIAN/10515


    Son parcours et sa pensée, Salvador Allende les a résumés quelques heures avant sa mort. Lors d’un dernier discours, adressé au peuple chilien depuis le Palais de la Moneda assiégé, il redit sa confiance dans l’émergence d’un socialisme latino-américain. Un testament émouvant et militant de la part de celui qui se préparait à défendre jusqu’au bout le gouvernement du peuple (discours original sous-titré, 6’).

    Plus de trente ans après le coup d’État, la jeunesse chilienne a redécouvert le personnage d’Allende. Il est devenu un exemple pour les étudiants qui exigent depuis deux ans de sortir de l’éducation de Pinochet. Son portrait est brandi dans les manifestations et son idéal de socialisme démocratique est repris. Au Chili, la lutte entre les institutions de Pinochet et les idées d’Allende ne fait que commencer : http://www.regards.fr/acces-payant/archives-web/au-chili-la-jeunesse-se-souvient,5012

    Hors série l'Humanité : Chili, l'espoir assassiné

    Contre Allende, ils ont tout fait

    Florent Lacaille-Albiges


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  • pcbUn front anti-capitaliste pour avancer, un front anti-fasciste pour ne pas reculer

    Communiqué du Parti communiste brésilien (PCB)

     

    Traduction MA pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

     

    Le parti-pris des gouvernements du PT de l'institutionnalisme bourgeois et du « néo-développementalisme » capitaliste est le principal responsable de l'explosion d'indignation de couches hétérogènes de la société brésilienne.

     

    Le parti-pris d'alliances avec la droite pour s'assurer de la gouvernance du pays fait du gouvernement l'otage de ces forces conservatrices, conduisant à ce que, en dix ans, pas la moindre mesure ne serait-ce que de nature socialisante ne fût prise. Au contraire, la fraction PT du gouvernement fut à l'avant-garde de mesures de nature anti-populaire, contre les travailleurs.

     

    Les résultats en sont le retour des privatisations à grande échelle, la réforme des retraites et l'obligation d'une retraite complémentaire pour les fonctionnaires (FUNPRESP), la généralisation des partenariats public-privés, la concession de nos réserves de pétrole, le choix de l'agro-business – au détriment de la réforme agraire et de l'agriculture familiale –, pour le système financier et les grandes monopoles, les exonérations fiscales pour le capital et la précarisation du travail (créant plus d'emplois mais de moindre qualité), la politique d'austérité budgétaire conduisant à l'abandon des services publics, l'endettement croissant des familles, l'absence de perspective pour la jeunesse, le discrédit de la politique et des partis politiques.

     

    En dix années de gouvernement, à aucun moment les travailleurs ne furent appelés à agir de façon indépendante et autonome pour changer le rapport de forces en faveur de mesures de nature populaire et pour la défense de leurs droits, pourtant attaqués par l'offensive du capital et par la contre-réforme de l'Etat, sous direction du PT, qui a imposé la cooptation et l'apathie de la majorité des mouvements sociaux.

     

    A un peu plus d'un an de la fin du gouvernement Dilma, et après avoir perdu contact avec la rue en échange de places dans les bureaux, nous voyons l'effort tardif et désespéré des groupes qui le soutiennent, brandissant à la hâte de timides bannières réformistes abandonnées dès le premier mandat de Lula. Cet effort s’effectue désormais dans une conjoncture défavorable pour rompre l'alliance avec la droite modérée et dépasser la politique économique de la continuité néo-libérale.

     

    Le mouvement de rue, qui a commencé sous initiative populaire, est aujourd'hui tiraillé, la droite essayant de récupérer et folkloriser le mouvement, le canalisant vers ses objectifs ; c'est une tactique récurrente des classes dominantes, qui récupèrent les mouvements lancés par la gauche pour les mener vers un pacte entre élites, ce fut le cas des « Diretas Ja ! » [NdT : « des élections maintenant », les grandes manifestations de 1984 contre la dictature militaire] et de « Fora Collor » [NdT : « Collor, dégage », les grandes manifestations de 1992 contre le président de droite Fernando Collor, trempé dans de grands scandales de corruption].

     

    S'appuyant sur la légitime indignation de la population vis-à-vis de ce gouvernement, les partis de leur base de soutien et les autres partis de l'ordre, qui manipulent les demandes populaires et des travailleurs à des fins électorales, pour ensuite tourner le dos à leurs revendications, la droite la plus idéologique et réactionnaire, qui ne fut pas intégrée à la machine gouvernementale PT, se travestissent en mouvement anti-parti et joue avec les masses désorganisées et aliénées par les médias contre la gauche socialiste, attisant le désordre pour, par la suite, exiger l'ordre.

     

    Il s'agit de porter dans la rue la vraie gauche et ses propositions révolutionnaires pour, ainsi, s'emparer de la force des manifestations et ne pas avoir le contre-point organisé et populaire d'aventures déstabilisatrices, qui comptent sur le soutien logistique et la bienveillance de leurs collègues en uniforme pendant leur service.

     

    En ce moment, l'hégémonie du mouvement se trouve dans le camp moraliste, anti-parti et populiste (nacionaleiro) de la classe moyenne, avec des mots d'ordres vagues et sectoriels. S'ajoute à cela la compréhensible explosion des couches de la population rendus jusque-là invisibles par le discours d'auto-glorification chauvine (ufanismo) du gouvernement : des individus qui, dans leur majorité, viennent de quartiers ouvriers, las des accrochages avec la police. Ils se servent du désordre pour prendre possession des biens de consommation qu'ils convoitent dans les publicités, mais qu'ils ne peuvent acheter.

     

    Les forces fascistes, réduites en nombre, mais avec le soutien des grands médias à leur discours chauvin et anti-parti, profitent de cette tendance pour tenter de conduire le mouvement vers une certaine forme de coup d'Etat institutionnel « de masses » et dans le cadre de l'ordre légal, laissé intact par les gouvernements PT. Comme les coups d'Etat avec les tanks dans la rue ne sont plus d'actualité, ils pourront s'essayer soit aux menées putschistes au parlement ou dans les tribunaux, soit d'accumuler des forces pour gagner les élections de 2014.

     

    Ce qui peut interpeller, c'est la facilité avec laquelle les participants aux manifestations, aucun d'entre eux membres d'organisations de gauche, ont attaqué et occupé symboliquement l'Assemblée législatives de Rio de Janeiro et, à Brasilia, le Palais Itamaraty et la coupole du Congrès national. Ces affrontements se produisent, dans la majorité des cas, entre la police en uniforme et la police en civil, y compris les groupes para-militaires et organisations fascistes.

     

    D'ores et déjà, les organisations de droite appellent à se rassembler autour de la lutte contre la corruption et pour la restauration de l'ordre, rompu par le désordre qu'ils ont eux-mêmes provoqué. Il est nécessaire de rappeler que la corruption est inhérente au capitalisme et que, ironiquement, le drapeau de la « lutte contre la corruption » avait déjà servi à la droite pour l'élection de Fernando Collor et à la fausse gauche dans les vieux discours du PT.

     

    Les secteurs de masse qui ont manifesté une hostilité envers les partis de gauche ne perçoivent pas la différence entre ces organisations et les partis sans visage qui les mènent et qui devraient être l'objet de la révolte populaire, ceux qui agressent physiquement les partis de gauche sont les para-militaires, et non les manifestants.

     

    L'hostilité contre les partis de gauche est renforcée également par la profonde dépolitisation et le conservatisme d'un nouveau sens commun qui, tout en se soulevant contre les effets les plus évidents de l'ordre capitaliste en crise, se montre incapable de voir les déterminations les plus profondes de cette crise, liés au fonctionnement même du système. Le sens commun conservateur empêche que l'on perçoive l'actualité et la nécessité d'une lutte anti-capitaliste qui donne le cap d'une alternative socialiste et révolutionnaire, faisant en sorte que les personnes tombent dans le mouvement pour le mouvement, sans horizons définis, ce qui a conduit à une impasse les manifestations similaires des indignés en Europe ou Occupy aux Etats-unis.

     

    L' « œuf du serpent » acquiert de la visibilité. Derrière ce mouvement, se trouvent également des militaires de droite mécontents du cap de la Commission Vérité, l'Opus Dei préoccupée de l'avènement du nouveau pape et un conservatisme religieux qui désire profiter de la situation pour revenir sur les acquis des luttes contre les discriminations.

     

    Cette droite est si conservatrice et pro-impérialiste qu'elle n'accepte ni d'envoyer au gouvernement des forces réformistes qui agissent à leur service, mettant leurs compétences au profit d'agents suscitant l'apathie des travailleurs. Il peut y avoir, par conséquent, des divergences au sein des classes dominantes entre ceux qui, avec lucidité, se sentent à l'aise avec les gouvernements PT et ceux qui veulent prendre le pouvoir, à leur propre compte.

     

    Les forces de droite peuvent tirer profit de la conjoncture défavorable née en Amérique latine après la mort de Chavez, des liens entre Colombie et OTAN, du coup d'Etat au Paraguay, tout comme de la vague de manifestations très différentes qui déferlent sur le monde, pour en finir avec le soutien au réformisme et pour prendre le pouvoir directement, afin de restreindre encore plus la déjà restreinte démocratie bourgeoise et imposer la barbarie d'un capitalisme sans intermédiaires ni politiques compensatoires, intensifiant l'exploitation capitaliste.

     

    Avec l'aggravation de la crise du capitalisme, l'impérialisme peut chercher à se détacher de l'alliance tacite avec les réformistes et en finir avec la co-existence jusqu'alors consentie. Ce n'est pas un hasard si la nouvelle ambassadrice nord-américaine nommée au Brésil est liée au sionisme, à l'USAID et au Pentagone, qu'elle fut ambassadrice au Nicaragua pendant la lutte contre les sandinistes, en Colombie au cœur de l'offensive d'Uribe contre la rébellion et le mouvement populaire, et en Bolivie pendant la tentative séparatiste et de déstabilisation du gouvernement Evo Morales.

     

    Il faut que le mouvement à partir de maintenant sépare les actes convoqués par le camp populaire et ceux convoqués par la droite, de préférence dans des espaces, des dates et des trajets différents. Les fronts avec les forces populaires et de la gauche socialiste devront être forgés dans la lutte et en articulation à partir d'espaces communs de lutte, dans les communes et les régions, comme condition pour de possibles convergences unitaires nationales.

     

    Le PCB réaffirme sa ligne stratégique basée sur la caractère socialiste de la révolution brésilienne et son opposition de gauche au gouvernement PT qui n'est même plus réformiste, mais otage de la droite et au service du capital. Face aux attaques des secteurs putschistes les plus à droite, serrons les rangs au côté des travailleurs contre notre ennemi commun.

     

    Nous n'apporterons aucun soutien à quelque tentative que ce soit de sauver le gouvernement Dilma et réaffirmons qu'il porte une lourde responsabilité dans l'existence des manifestations et leur glissage vers la droite, étant donné que le gouvernement ne s'est penché à aucun moment sur un véritable changement par rapport à sa politique d'alliance avec la bourgeoisie. Au contraire, on voit se renforcer les appels à l' « ordre » et au « calme » et la proposition d' « union nationale » a été lancé, avec la convocation d'une réunion avec les gouverneurs et les préfets, des initiatives gouvernementales qui ne visent qu'à préserver le status quo politique en dégénérescence.

     

    En guise de recul déguisé, l'autre solution avancée pour arrêter le mouvement d'indignation à l'origine de la révolte – le prix des billets de bus – ne fait que proposer de nouveau le même principe qui fait avancer le gouvernement : augmenter les subventions aux entreprises, détournant les fonds publics vers le profit privé. De telles mesures sont annoncées de façon honteuse lors d'apparitions télévisées qui réunissent PT et PSDB afin que, dans le cadre du mono-partisme bi-céphale dominant jusqu'alors au Brésil, tout le monde apparaisse sur la photo en vue des prochaines élections.

     

    Notre éventuelle participation unitaire dans un front anti-fasciste conjoncturel se fera avec notre identité propre, en jetant la responsabilité du gouvernement dans les périls fascistes, en posant nos critiques et nos propositions tactiques et stratégiques. Ceux qui doivent être protégés ne sont pas le gouvernement mais les travailleurs, face au risque de recul suscité par l'impasse politique d'une coalition de forces qui les a désarmé contre leurs réels ennemis, en s'alliant avec eux dans l'illusion d'un développement capitaliste qui devait réaliser l'impossible : répondre aux demandes de tous (bourgeoisie et travailleurs).

     

    En dépit de l'actuelle hégémonie conservatrice sur le mouvement, la question est loin d'être résolue. Mais le fascisme ne sera vaincu et l'orientation du mouvement ne pourra être socialiste que si les travailleurs montent en première ligne de la lutte, de façon organisée, à travers les syndicats les mouvements populaires combatifs et opposés à l'ordre dominant.

     

    La seule façon d'éviter la germination fasciste est de renforcer une réelle alternative à gauche et socialiste pour que le Brésil abandonne les illusions d'un développement concerté avec la bourgeoisie monopoliste et le fétiche d'un ordre démocratique abstrait qui réconcilierait toutes les classes en lutte, réaffirmant la nécessité d'un gouvernement populaire.

     

    Quel que soit le scénario, avancée ou recul, le front de la gauche socialiste et anti-capitaliste doit construire un programme commun, élaborer une convergence unitaire, privilégiant les efforts unitaires dans le mouvement de masse, pour éviter de n'être qu'une simple coalition électorale. Quand nous parlons de front de la gauche socialiste et anti-capitaliste, nous n'avons pas comme critère exclusif le registre électoral, mais nous intégrons les organisations politiques révolutionnaires non-institutionnalisées et les mouvements sociaux contre-hégémoniques.

     

    L'axe central pour instaurer un dialogue avec le mouvement de masse qui exprime de façon chaotique son mécontentement ne peut pas être une défense abstraite de l' « ordre et du calme » et une continuité de la même politique avec « plus de dialogue », mais une affirmation offensive que les demandes en termes d'éducation, de santé, de logement, de transport, contre les gaspillages de la Coupe du monde, les expulsions, la violence policière, les privatisations effrénées, l'endettement des familles, la précarisation des conditions de travail et la remise en cause des droits des travailleurs ne sont pas ne s'expliquent pas avec des affirmations moralistes contre la corruption, mais ce sont les conséquences attendues du parti-pris du développement capitaliste et du mythe selon lequel la croissance de cet ordre pourrait conduire en même temps à alimenter les profits des monopoles et à satisfaire les revendications populaires.

     

    Il est temps d'affirmer que la vie ne peut pas être garantie par le marché : santé, éducation, logement, transport et autres services essentiels ne peuvent pas être des marchandises, ce sont des droits et ils doivent être garantis par les fonds publics qui sont utilisés en ce moment d'abord pour subventionner et soutenir les grands monopoles capitalistes et les grandes banques.

     

    Ce changement exige de dépasser les limites de la démocratie bourgeoise qui désormais apparaît à visage découvert, une simple réforme politique pour maintenir les mêmes qui ont toujours été au pouvoir n'est pas suffisante. Il faut instaurer un véritable gouvernement populaire qui s'appuie sur des formes de démocratie directe et donne la parole à la majorité de la société et, principalement, aux travailleurs.

     

    Le PCB, qui n'est pas intimidé par les menaces de la droite, restera dans la rue, aux côtés des forces de gauche anti-capitalistes et populaires, et portera bien haut ses mots d'ordre :

     

    • Le fascisme ne passera pas !

     

    • Non à la criminalisation des mouvements populaires !

     

    • Démilitarisation de la police !

     

    • Pour la nationalisation des transports publics, de la santé et de l'éducation, sous contrôle des travailleurs !

     

    • C'est nôtre pétrole !

     

    • Pour un front de la gauche anti-capitaliste !

     

    • Pour un gouvernement populaire !


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    Ebullition sociale au Brésil
    dimanche, 23 juin 2013 / Mémoire des luttes

    Depuis le 6 juin et le premier rassemblement organisé à Sao Paulo contre la hausse des tarifs des transports publics, le Brésil est touché par un mouvement de contestation sociale qui s’est peu à peu transformé en « marée citoyenne ». Celle-ci touche désormais quatre-vingt villes du pays-continent. Jamais depuis les mobilisations de 1992 contre le gouvernement de Fernando Collor de Mello, sa corruption et ses politiques néolibérales, un tel mouvement ne s’était développé. Entre temps, le champion régional latino-américain a pourtant connu, depuis 2002, deux mandats « lulistes » marqués par d’indéniables avancées sociales et une croissance économique soutenue.

    La présidente actuelle, Dilma Rousseff, inscrit son action dans le prolongement de son populaire prédécesseur. Toutefois, le modèle « luliste », basé sur une stratégie visant à construire un « consensus interclassiste », semble se gripper sur fond de ralentissement économique.

    Qui sont les mouvements actuellement en action ? Quelles sont leurs revendications ? Indiquent-ils le retour de la question de classe au Brésil ? Quel est leur lien avec le système politique ? Quelles réponses apportent les partis et le gouvernement ? Les forces de droite vont-elles récupérer et instrumentaliser – y compris par la violence - ce mouvement ?

    Mémoire des luttes propose un dossier constitué d’analyses et documents latino-américains. Il sera régulièrement actualisé.

    Il y aura des changements, dans tous les sens…

    Par le Secrétariat national du MST

    Cher(e)s ami(e)s et compagnons du Mouvement des sans terre (MST) et des mouvements sociaux de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA),

    Un rapport très succinct…

    Hier, 20 juin, un million de personnes sont descendues dans la rue dans quinze capitales régionales du pays.
    Il y a de tout. Dans chaque ville luttent les coeurs et les esprits. A Sao Paulo et à Rio, des secteurs de droite ont pris l’avantage, agressant des militants de gauche et provoquant des violences pour générer le chaos. Mais, dans d’autres villes, la gauche continue à donner le ton.

    Voici ce que l’on peut dire en résumé :

    1. La mobilisation est sociale, et part d’un secteur né après l’époque néolibérale. Ce sont des jeunes de la classe moyenne et de la classe moyenne basse qui sont au cœur de cette mobilisation. C’est un secteur qui ne communique que via les réseaux sociaux et qui n’est pas influencé par la télévision et les grands médias. Pour l’heure, les travailleurs gardent le silence.

    2. Ce secteur est le fruit de douze ans de conciliation de classe (comme au Chili) qui a exclu la jeunesse de la participation politique. Et la jeunesse veut participer d’une façon ou d’une autre, ne serait-ce qu’en défilant dans la rue, sans répression.

    3. Tout ceci est la conséquence d’une grave crise urbaine structurelle, produite par le capital financier et la spéculation immobilière. D’où la hausse des loyers et les ventes massives de voitures financées par les banques avec comme conséquence le chaos aux heures de pointe, sans transports publics, qui fait perdre aux gens deux à trois heures par jour pour se rendre au travail ou à l’école…

    4. Personne ne contrôle ces jeunes. Il n’y a pas de direction politique.

    5. Pour l’heure, les plus touchés sont les partis traditionnels, la politique bourgeoise et, bien sûr, la méthode développée par le Parti des travailleurs (PT) pendant ces années de gouvernement, mais aussi les gouvernements de chaque État, tous, qu’ils soient de droite, du centre, de gauche…

    6. La droite s’infiltre pour créer un climat de violence, de chaos et rejeter la faute sur le PT et sur Dilma Rousseff.

    7. Le gouvernement de Dilma Rousseff est paralysé dans sa politique. Il ne voulait qu’administrer et maintenant il ne sait plus quoi administrer.

    8. En tant que mouvements sociaux, nous tentons de proposer une politique pour aller de l’avant (voir ci-dessous la lettre à la présidente Dilma Rousseff) et élargir les revendications pour avancer vers une réforme politique, une réforme des médias, une réforme fiscale et une réforme agraire.

    9. Nul ne sait ce qui va se passer : allons-nous vers une situation à l’espagnole, capitalisée par la droite dans les urnes, et qui se reproduirait ici en 2014 ? Ou bien vers une situation à l’argentine (2001) avec des avancées ? ou à la grecque, pour l’heure dans une impasse ? Probablement aucune d’elles. Nous allons trouver une formule brésilienne que personne ne connaît aujourd’hui…

    10. Mais il est clair que nous avons besoin de changements et il y aura des changements, dans tous les sens !

    21 juin 2013


     

    « Nous espérons que le gouvernement actuel choisira de gouverner avec le peuple et non contre lui »

    Lettre ouverte des mouvements sociaux à la présidente Dilma Rousseff

    Chère Présidente,

    Le Brésil a connu cette semaine des mobilisations dans quinze capitales régionales et dans des centaines de villes. Nous partageons le sens de vos déclarations soulignant l’importance de ces mobilisations pour la démocratie brésilienne, sachant que les changements nécessaires dans le pays passent par la mobilisation populaire.

    Plus qu’un phénomène conjoncturel, les manifestations récentes montrent la reprise progressive de la capacité de combat populaire. C’est cette résistance populaire qui a permis les résultats des élections de 2002, 2006 et 2010. Notre peuple, mécontent des mesures néolibérales, a voté pour un autre projet. Pour sa mise en œuvre, cet autre projet s’est heurté à une forte résistance, principalement de la part du capital rentier et des secteurs néolibéraux qui conservent une grande puissance dans la société.

    Mais il a également été confronté aux limites imposées par les alliés de dernière minute venus d’une bourgeoisie nationale qui, dans les débats qui déterminent le choix des politiques gouvernementales, entravent la réalisation de réformes structurelles telle celle des transports urbains et publics.

    La crise internationale a bloqué la croissance et, avec elle, la continuité du projet porté par ce vaste front qui a jusqu’ici soutenu le gouvernement.

    Les récentes manifestations sont menées par un large éventail de jeunes dont c’est la première mobilisation. Ce processus sensibilise les participants en leur permettant de se rendre compte de la nécessité d’affronter ceux qui empêchent les progrès du Brésil dans la démocratisation de la richesse, l’accès à la santé, à l’éducation, à la terre, à la culture, à la participation politique, aux médias.

    Les secteurs conservateurs de la société cherchent à contester la signification de ces manifestations. Les médias tentent de caractériser le mouvement comme anti-Dilma, contre la corruption des politiciens, contre les dépenses publiques et d’autres lignes directrices qui appellent au retour au néolibéralisme. Nous croyons que les lignes sont aussi nombreuses que le sont les opinions et visions du monde dans la société. C’est un cri d’indignation d’un peuple historiquement exclu de la vie politique nationale qui est habitué à voir la politique comme quelque chose de nuisible pour la société.

    Dans cette optique, nous nous tournons vers vous pour demander la mise en œuvre de politiques de réduction du nombre de voyageurs dans les transports publics et de réduction des profits des grandes entreprises. Nous nous opposons à la politique d’exonération fiscale de ces entreprises.

    Le temps est venu pour le gouvernement de faire avancer l’agenda démocratique et populaire, d’encourager la participation et la politisation de la société. Nous nous engageons à promouvoir toutes sortes de débats autour de ces questions et nous sommes également disponibles pour en discuter avec les pouvoirs publics.

    Nous proposons l’organisation urgente d’une réunion nationale, impliquant les gouvernements des États, les maires des grandes villes, et des représentants de tous les mouvements sociaux. Pour notre part, nous sommes ouverts au dialogue, et nous pensons que cette réunion est la seule façon de trouver des solutions pour résoudre la crise grave qui affecte nos grands centres urbains.

    Le moment est propice. Ce sont les plus grandes manifestations que la génération actuelle a vécues, et d’autres viendront. Nous espérons que le gouvernement actuel choisira de gouverner avec le peuple et non contre lui.

    Cette lettre a été signée par les 35 entités du mouvement social et populaire ci-dessous.

    • ADERE - Asociación de los Trabajadores Asalariados Rurales de Minas Gerais
    • Asamblea Popular
    • Periodistas del Centro de Estudiso Mediáticos Barão de Itararé
    • CIMI - Consejo Indigenista Misionario
    • CMP - Central de Movimentos Populares
    • MMC - Movimento de Mujeres Campesinas
    • CMS - Coordinación de Movimientos Sociales
    • Colectivo Intervozes (por la democratización de los medios)
    • CONEN - Coordinación Nacional de las Entidades Negras
    • Consulta Popular
    • CTB - Central de los Trabajadores y Trabajadoras del Brasil
    • CUT- Central Única de los Trabajadores
    • Fetraf - Federación de los Agricultores Familiares
    • FNDC - Foro Nacional por la Democratización de los Medios
    • FUP - Federación Única de los Trabajadores Petroleros
    • Juventude Koinonia (iglesias tradicionales)
    • Levante Popular da Juventude
    • MAB - Movimento dosa tingidos pro barragens
    • MAM - Movimento Nacional pela soberania popular frente a Mineração
    • MCP movimento campones popular, de Goias
    • MMM - Marcha Mundial de Mulheres
    • Movimentos de la Via Campesina
    • MPA - Movimento de los Pequeños Agricultores
    • MST - Movimiento de los Trabajadores Rurales Sin Tierra
    • SENGE/PR- Sindicato de los Ingenieros del Paraná
    • Sindipetro - Sindicato de los Trabajadores Petroleros de São Paulo
    • SINPAF - Sindicato de los Trabajadores e Investigadores de Embrapa y Codevasf
    • UBES - Unión Brasileña de Estudiantes de Secundaria
    • UBM - Unión Brasileña de la Mujer
    • UJS - Unión de la Juventud Socialista
    • UNE - Unión Nacional de los Estudiantes
    • UNEGRO - Unión Nacional del Negro

    Traduction : Thierry Deronne pour le blog mouvementsansterre.wordpress.com
    Edition : Mémoire des luttes

    http://www.medelu.org/Ebullition-sociale-au-Bresil

     
    Le Brésil de Lula, huit ans plus tard
    lundi, 21 juin 2010 / Pierre Beaudet /

    Professeur à l’École de développement international et de mondialisation, Université d’Ottawa. Editeur des Nouveaux cahiers du socialisme (Montréal), membre du réseau « Intellectuel collectif internationaliste »

    En 2002, le Brésil surprend le monde en élisant à la présidence de la République un ouvrier syndicaliste. Luiz Inácio Lula da Silva, fondateur et chef du Parti des travailleurs (PT) est en effet emblématique d’un grand mouvement populaire qui a déstabilisé la dictature au tournant des années 1980. Par la suite, le PT monte à l’assaut du ciel pour contester le pouvoir historiquement dans les mains de grands caciques venant de l’élite.

    Peu à peu, la gauche progresse, d’abord en conquérant plusieurs grandes villes où des expérimentations de gestion municipale inédites ancrent le PT et créent de facto une grande coalition comprenant une partie importante des classes moyennes et populaires, urbaines et rurales. Les diverses « gauches » se coalisent également en amenant au PT une grande partie de l’ancienne mouvance marxiste, des chrétiens progressistes, des syndicalistes.

    Finalement, tout cela débouche sur la victoire de Lula aux élections présidentielles de 2002 (suivi d’un deuxième mandat acquis en 2006). De facto, le PT devient la première force politique du pays, bien que la scène parlementaire demeure extrêmement fragmentée [1]. Principal adversaire du PT, le Parti social-démocrate brésilien (PSDB), constitue l’autre grand pôle de la scène politique, regroupant la droite traditionnelle avec une partie des secteurs modernistes des élites économiques et des couches moyennes-supérieures.

    Nouveaux et anciens enjeux

    Huit ans plus tard, à l’approche des prochaines élections présidentielles (octobre 2010), une nouvelle polarisation politique se répercute sur le pays. Lula ayant réalisé ses deux mandats, c’est Dilma Roussef (elle occupe depuis peu des fonctions importantes dans l’administration Lula) qui va défendre les couleurs du PT. Devant elle, José Serra, au nom du PSDB. Bien que les sondages indiquent un niveau d’appui populaire très élevé pour Lula (autour de 80%), rien n’est joué d’avance.

    En faveur de Dilma et de la poursuite du projet de Lula, l’économie connaît une embellie. Le gouvernement affirme bien gérer la crise mondiale d’une manière qui avantage le Brésil, ce dont témoigne le taux de croissance du PIB (qui pourrait être + ou - 5% en 2010) et même que la progression de l’emploi et la diminution de la pauvreté, assez spectaculaire si on considère que, selon divers indicateurs, environ trente millions de personnes sont sorties de la pauvreté « extrême ». D’autre part, la bonne santé économique se reflète dans la diminution importante de la dette externe [2]. Sans être imperméable aux fluctuations des marchés financiers, le Brésil est assis sur un fort excédent commercial ainsi qu’une confortable réserve en devises (+ 24% en 2009).

    Entre-temps, Lula est devenu le Président de « tous les Brésiliens ». Sa popularité dépasse de loin celle de son parti (dont il s’est partiellement autonomisé). En fait, Lula est populaire pas seulement (et pas principalement) à cause de son charisme et des mesures de redistribution qui ont bénéficié aux couches populaires, mais aussi et surtout parce qu’il représente un projet et un processus de transformation qui encourage les classes populaires. Certes ce projet n’est pas (et n’a jamais été) « révolutionnaire », ni dans sa forme, ni dans son contenu. Et, dans ce sens, on peut reconnaître dans la gouvernance de la gauche brésilienne des éléments très similaires à ce qui s’est passé en Europe et en Amérique du Nord dans le sillon du keynésianisme et de la social-démocratie.

    Éléments similaires, mais non identiques : le Brésil, pays de pauvreté et d’exclusion sociale structurelles, héritier de l’esclavagisme qui a prévalu jusqu’au dix-neuvième siècle, est encore aujourd’hui le pays le plus inégalitaire au monde. Ce pays, par ailleurs, reste une démocratie récente, encore fragile, ayant vécu pendant plusieurs décennies sous la dictature militaire. Aussi on peut comprendre que, dans un tel contexte, une politique de réformes partielles, basées sur une sorte de grand « compromis » entre dominants et dominés, reste un défi considérable.

    On observe donc que la lutte politique demeure vive. Et la candidate du PT est handicapée, du fait qu’elle est relativement inconnue, sans le parcours spectaculaire de son prédécesseur. Entre-temps, les médias lui mènent la vie dure, mettant en question sa capacité à présider un pays aussi compliqué que le Brésil. Le PSDB promet de « mieux » gouverner, en évitant d’attaquer Lula, ce qui pourrait être contre-productif électoralement parlant. Pour autant, la droite n’est pas assurée de l’emporter. Car le Brésil d’aujourd’hui n’est plus le même. Les classes populaires sont plus affirmatives, moins subordonnées et dépendantes des réseaux de pouvoir traditionnels qui avaient maintenu la majorité de la population dans une situation de non-citoyenneté.

    Continuités et ruptures

    En huit ans que s’est-il donc passé ? Au départ, la tâche de Lula ne semblait pas facile. En 2002, le pays est en effet affaibli par huit ans de gestion néolibérale « pure et dure » par le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso. La dette explose, en partie par l’ouverture sans précédent de l’économie brésilienne et l’alignement du gouvernement brésilien sur le « consensus de Washington » imposé par les États-Unis et le FMI [3]. Les revenus des couches populaires et moyennes sont en régression. Le chômage frappe presque 20% de la main d’œuvre active. Le secteur public est disloqué par une vague de privatisations qui permettent à l’élite économique de racheter à bas prix des pans entiers de l’économie. La pauvreté et les inégalités s’accroissent de manière spectaculaire. Que faire ?

    D’emblée, Lula décide de calmer le jeu L’idée est d’assurer la stabilité, d’éviter des débordements et des crises, alors que la droite prédit la fuite des capitaux, voire l’écroulement de l’économie. Pour contre-attaquer, mais aussi parce que cela correspond à sa vision des choses, Lula annonce ses couleurs dans une fameuse « Lettre aux Brésiliens » où il affirme qu’il faut, « malheureusement », respecter les engagements précédents, notamment le paiement de la dette, et la continuation de la politique monétaire.

    Il promet aussi de garder comme priorité la lutte contre l’inflation, via des taux d’intérêts très élevés, ce qui sécurise les détenteurs de capitaux. Il s’engage à respecter l’austérité fiscale et à limiter les dépenses de l’État. Bref, avec son controversé ministre des finances, Antônio Palocci, Lula rassure les secteurs dominants, tant les élites brésiliennes que les institutions financières et internationales comme le FMI. La pilule est amère…

    En même temps, Lula annonce un programme de « récupération » économique. Il stoppe les privatisations et remet à l’agenda public l’idée d’un État « développementiste », intervenant et régulateur. Il reprend langue avec le mouvement syndical et les secteurs populaires. Surtout, il redynamise le filet de sécurité sociale surtout orienté vers les populations les plus pauvres et paysannes, dans le nord du pays (dont le « Nordeste »). Le projet Fome zero (faim zéro) met à la disposition de ces couches (un quart de la population totale) une aide sociale sous la forme d’une allocation familiale (Bolsa Família) ce qui contribue à réduire la famine et la pauvreté « extrême ».

    Sur d’autres plans, la politique imposée par Lula indique également des continuités et des ruptures. Son gouvernement mise sur le développement du secteur agro-industriel, et facilite la croissance des exportations de soja transgénique et de viande, sous la houlette des grandes entreprises privées qui exploitent la majeure partie des terres arables. Lula finalement refuse l’idée d’une réforme agraire « radicale », pourtant promue par ses alliés historiques, dont le formidable Mouvement des sans-terre, le MST [4]. En même temps, son gouvernement aide le MST à récupérer des terres en friche, lui apporte aussi des financements pour renforcer ses capacités techniques, notamment dans la gestion des coopératives mises en place sur les terres « récupérées » par les Sans terre.

    De tout cela émerge peu à peu une sorte de projet de développement, différent sur bien des aspects du traditionnel « desarollisme » basé sur l’État « fort » et l’industrialisation par la substitution des importations. Mais ce projet est également en rupture avec le modèle néolibéral des années 1980-90 sur quelques points essentiels, notamment le rôle de l’État et la nécessité de recréer un filet de sécurité sociale comme moyen de relancer le marché interne et donc l’économie.

    L’épreuve du pouvoir

    Pendant son premier mandat, de 2002 à 2006, le gouvernement navigue entre divers écueils. L’orientation « continuiste » en matière économique lui fait mal, notamment auprès de ses alliés sociaux et même auprès de certaines franges du PT. Quelques démissions d’élus se manifestent, d’où émerge un parti qui s’affirme à la gauche du PT, le PSOL (Partido Socialismo e Liberdade),mené par la députée Heloísa Helena, et endossée par des personnalités à l’origine de la fondation du PT comme Plínio Arruda Sampaio.

    Plus tard, l’érosion de la base militante du PT s’accélère, provoquée par une série de scandales sur le financement du parti. Le système politique brésilien est construit sur l’opacité, les jeux d’influence, les alliances sans principe et les deals qui se négocient entre les acteurs politiques sur la base d’intérêts. Le gouvernement Lula, qui a pourtant promis de « nettoyer » cette situation, la gère à sa manière, en offrant aux uns et aux autres, partis et personnalités, des avantages, petits et gros, dès lors qu’ils n’entravent pas la politique gouvernementale [5]. Cette évolution est pointée par les médias de droite qui accusent le gouvernement de corruption, ce qui provoque le départ, ou la critique, de personnalités de gauche, notamment dans la mouvance chrétienne, ainsi que des mouvements sociaux.

    Mais ces turbulences n’affectent pas le gouvernement Lula de manière stratégique. En 2006, il est réélu (au deuxième tour cependant). La population, surtout des secteurs populaires et paysans, vote massivement pour le Président. Les grands mouvements, comme le MST, décident de l’appuyer : d’une part pour éviter le retour de la droite, d’autre part parce qu’ils sont conscients que Lula apporte également des éléments de réponse en phase avec les revendications du peuple et du mouvement populaire.

    Au départ de son deuxième mandat, Lula promet d’accélérer la cadence et de relancer le développement. Il augmente le salaire minimal de plus de 30 %, à la fois pour accroître les revenus des couches populaires, à la fois pour relancer le marché intérieur. À la Bolsa familia s’ajoutent d’autres initiatives : le ProUni (soutien aux étudiants universitaires des familles modestes), le PRONAF (appuis à l’agriculture paysanne), le programme Territorios da Cidadania (transferts budgétaires vers les municipalités et régions pauvres). Parallèlement, le gouvernement, à travers le Programme d’accélération de la croissance (PAC), investit 200 milliards de dollars dans la réhabilitation des infrastructures (routes, aéroports, ports maritimes, assainissement des eaux.

    Les résultats de ces initiatives, essentiellement de nature assistantialiste, permettent une réelle amélioration des conditions de vie de la majorité des Brésiliens [6]. Certes comme l’explique Laurent Delcourt, il faut analyser cette évolution avec des nuances [7]. Les dépenses canalisées sur le filet de sécurité sociale restent très inférieures à celles consacrées au service de la dette. Parallèlement, les taux d’intérêt demeurent très élevés, au profit des détenteurs de capitaux et au détriment de l’emploi.

    Dans le domaine des politiques agricoles, central dans la dynamique de l’économie et de la société brésiliennes, Lula maintient un modèle « de développement agraire fondé sur les monocultures d’exportation et l’agrobusiness, certes moteur de croissance et source de précieuses devises, mais socialement inique, écologiquement désastreux et intenable sur le long terme » [8].
    C’est un peu la même tendance qui se manifeste au niveau énergétique, alors que l’accent est mis sur le renforcement de l’énorme entreprise publique PETROBRAS, qui accroît considérablement ses capacités de production, ainsi que sur d’autres initiatives pour augmenter le potentiel énergétique du pays via des grands barrages, le détournement de fleuves et même des projets pour construire des centrales nucléaires.

    Au total, le bilan du gouvernement dégage un portrait que le sociologue brésilien Emir Sader qualifie d’« hybride » et contradictoire. D’une part, la gouvernance de Lula permet en effet au secteur financier de conserver son rôle central, ce qui permet aux couches privilégiées d’engranger d’énormes profits. D’autre part, l’État redevient « développementiste », tant par la redistribution des revenus que par le renforcement du rôle régulateur de l’État dans l’économie [9].

    Sur l’échiquier mondial

    Ces développements considérables doivent être contextualisés dans l’évolution du positionnement du Brésil sur l’échiquier mondial. Au moment de l’élection de Lula, le Brésil fait du sur-place en restant ancré sur la politique états-unienne, tant à l’échelle des Amériques que sur des questions plus vastes comme l’avenir des régulations commerciales (dans le cadre des négociations de l’OMC).

    En 2003, Lula s’exprime lors des négociations de l’OMC pour s’opposer à ce qu’il considère comme des politiques de libéralisation commerciale négatives du point de vue du Brésil et des pays du sud. Assez rapidement, Lula change le ton de ces discussions. Il affirme la priorité d’avancer dans l’intégration des Amériques et s’oppose explicitement au projet promu par les États-Unis et le Canada d’une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou ALCA en portugais et en espagnol) [10].

    Dans les Amériques, le gouvernement entend renforcer divers projets d’intégration, ce qui débouche (2008) sur l’UNASUR (Union des nations sud-américaines). Certes, cette structure hémisphérique embryonnnaire ne peut se comparer à l’Union européenne, mais elle a des ambitions. La question devient alors pratique. Il est en effet difficile de coordonner réellement les initiatives en cours (MERCOSUR, ALBA), traversées de diverses luttes d’influence, notamment entre le Brésil et un bloc de pays plus revendifs composé du Venezuela, de la Bolivie, de l’Équateur et de Cuba [11]. Reste aussi à créer de nouvelles institutions politiques et à dépasser le cadre économique et commercial qui prévaut actuellement et qui, faute de base politique commune, n’avance pas rapidement, en dépit de la création de nouveaux outils d’intégration comme Petrosur (énergie), Bancosur (finances), Telesur (communication) [12].

    Parallèlement, l’activisme du gouvernement Lula se manifeste dans diverses crises où se confrontent les intérêts brésiliens (et latinos) et ceux des États-Unis. À cet effet, l’affrontement le plus direct survient au Honduras où un coup d’État, organisé par les élites locales et soutenu par les États-Unis renverse (juin 2009) le gouvernement élu et appuyé fortement par le Brésil qui parvient même à isoler Washington au sein de l’Organisation des États Américains(OEA), pourtant fief traditionnel des États-Unis dans la région.

    Face aux États-Unis justement, la situation demeure tendue. Les plans de remilitarisation de la Colombie, amorcés à l’époque de Bush, continuent sous Obama. Les menaces contre le Venezuela et même contre Cuba prennent toute leur place au sein d’une administration qui avait été élue pour s’éloigner de la « guerre sans fin » des néoconservateurs.

    Lula pendant ce temps cherche à cultiver ses relations avec Washington, d’une part parce qu’il le faut (!), d’autre part en misant sur l’image d’un État « responsable », capable de participer à la réorganisation des Amériques d’une manière qui ne nuirait pas nécessairement aux États-Unis, mais sans subordination. Le projet est ambitieux, c’est le moins qu’on puisse dire.

    Certes sur cela, le moment actuel favorise Lula. Au fur et à mesure que, résultat de mobilisations populaires sans précédent, se consolide toute une série de gouvernements de centre-gauche latino-américains qui s’opposent, à des degrés divers, au « consensus de Washington ». Sans prendre la tête de l’opposition au traditionnel ennemi yankee, le gouvernement de Lula en prend acte d’une manière astucieuse, en diversifiant ses relations commerciales (notamment avec la Chine et l’Union européenne) [13], et en devenant plus activiste et volontariste dans les grands débats mondiaux.

    Cette inflexion coïncide avec d’importantes transformations économiques. À partir de 2006-07 et à l’avantage du Brésil, la flambée du prix des matières premières, notamment alimentaires, permet une grande poussée des exportations brésiliennes (principalement soja et produits alimentaires). Ainsi, tout en restant relativement confiné dans une division du travail traditionnelle, le Brésil, avec un secteur financier solide et un confortable excédent budgétaire, consolide sa réputation d’État « émergent ». Il forme avec d’autres pays également dits « émergents » une alliance informelle, le BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), avec lesquels se tissent de nouveaux liens économiques et politiques.
    De tout cela émerge un G20, pour faire contrepoids, relativement parlant, au G8, traditionnel club des pays riches du Nord [14]. Ce face-à-face reste relatif, puisque les deux « camps » s’inscrivent dans une perspective commune de « libéralisation » des marchés, tout en se disputant sur les termes de cette « libéralisation ».

    La prochaine étape

    Dans quelques mois, des millions de Brésiliens iront voter à l’élection présidentielle, de même que pour élire les gouverneurs des États et pour renouveler une partie des sénateurs et parlementaires au Congresso national. Certes, tous ont les yeux fixés sur l’élection présidentielle, à la fois centre nerveux de la gouvernance et site de la légitimité populaire. Depuis l’annonce officieuse de sa candidature, Dilma Roussef progresse dans les sondages sur les intentions de vote. La machine politique de l’État fédéral est mobilisée pour assurer sa victoire sur un discours simple mais convaincant : il fait continuer !

    Aux succès enregistrés en matière de lutte contre la pauvreté, l’équipe de Lula fait valoir la stabilité économique (« mêmes les riches sont devenus plus riches », affirme le président sortant), de même que l’« émergence » du Brésil, à qui The Economist promet de devenir la cinquième puissance économique du monde. Selon Dilma, le Brésil de Lula a réussi à gouverner d’une manière où « le développement avec l’inclusion sociale devient un modèle économique » [15]. La candidate du PT promet de créer, rien de moins, qu’un « pays de Welfare State à la mode brésilienn », avec comme acteur principal « un État capable de planifier et de gérer ».

    Reste à savoir si l’électorat suivra. À son avantage, Dilma profite du désarroi politique de la droite, qui ne peut se réclamer de sa gouvernance antérieure (le gouvernement Cardoso avait presque mené le pays à la ruine), et qui ne peut nier non plus les avancées économiques et sociales des huit dernières années. Pourtant, la victoire n’est pas acquise, car ce qui menace le plus Dilma et le PT c’est l’abstentionnisme croissant, lié à la transformation du débat et de la mobilisation politique. En effet, le PT n’est plus un appareil militant, mené par un noyau dur de cadres dédiés et ancrés sur les mouvements populaires. D’un côté, parce qu’il a été « décapité » par l’exode vers les fonctions étatiques. D’un autre côté, parce qu’il a perdu, du moins en partie, sa captation symbolique de l’espoir de transformation, qu’il avait acquis au travers des luttes populaires des années 1980-1990. Le renforcement des capacités médiatiques du PT, qui fait campagne de plus en plus « à l’américaine » (via la télévision) ne fait pas totalement contrepoids à cette absence de mobilisation.

    Certes, cette déperdition n’est pas « totale ». Beaucoup de militants sociaux restent fidèles au PT, moins par enthousiasme que par réalisme, « pour faire échec à la droite », et aussi pour continuer de mener une bataille pour les droits sociaux et économiques. Pour Emir Sader, le secteur militant doit maintenir une relation de proximité avec le PT, pour en renforcer les éléments progressistes, pour concentrer l’attaque contre l’hégémonie du secteur financier et de l’agrobusiness [16].

    Les mouvements sociaux, pour leur part, restent alignés sur la continuité. La Centrale unique des travailleurs, la CUT, reste toujours loyale à Lula, même si la classe ouvrière, notamment dans le secteur industriel et les services, a subi les impacts de la politique macroéconomique orthodoxe. Les secteurs paysans, surtout dans le nord, restent acquis au gouvernement, en bonne partie à cause des programmes sociaux qui ont fait une différence dans leur vie. Le MST, pour sa part, tout en se gardant un droit de réserve, finira sans doute par faire comme en 2006, en appuyant Dilma, « contre la droite ».

    Sans aucun doute, tous ne sont pas d’accord avec cette optique. Une partie de la base militante du PT, on l’a vu, a été attirée par le PSOL [17]. Mais, aujourd’hui, ce parti traverse une crise profonde, tant il est incapable de déterminer une ligne conséquente et alternative face à la politique de Lula [18]. Et il est déchiré par des factions qui tentent de s’arracher le pouvoir et les candidatures, et compromis dans de douteuses convergences avec la droite [19]. Les dissidents plus récents, regroupés autour de la populaire ex-ministre de l’environnement Marina Silva, ne réussissent pas non plus à relancer le Parti Vert, étrange amalgame de gauches et de droites qui veulent promouvoir l’agenda du « développement durable » d’une manière qui reste ambiguë. A ce jour, en tout cas, les arguments écologistes n’apparaissent pas capables de proposer une plateforme globale alternative, et restent confinés, soit dans quelques secteurs de la gauche déçue du PT, soit parmi les classes moyennes urbaines assez éloignées des préoccupations des secteurs populaires.

    Guerre de position

    Au Brésil et ailleurs en Amérique latine, une puissante reconfiguration s’esquisse sous nos yeux. L’empire états-unien, avec ses aventures moyen-orientales et sa mauvaise gestion de la crise financière, est malmené dans une zone qu’il considérait comme sienne » (à travers la doctrine dite de Monroe). Certes, les États-Unis sont loin d’être hors jeu, mais ils ont maintenant devant eux des États, des gouvernements et des mouvements relativement cohérents et organisés. D’où la marge de manœuvre, restreinte mais réelle, qui existe. Est-ce suffisant pour prévoir une « renaissance » économique et politique de l’Hémisphère et la mise en place d’un nouveau « modèle » de développement ? Il serait pour le moins imprudent de s’avancer aussi loin, même si, ici et là, un tel projet semble se dessiner.

    En fin de compte, l’évolution des luttes sociales et politiques sur le plan interne risque d’être déterminante. Dans le cas du Brésil, plusieurs options s’expriment. Le projet de Lula d’une grande coalition multi-classe en est une. Autour d’un État fort épaulé par une coalition de centre-gauche, ce projet « néo-développementiste » mise sur le renforcement des capacités productives animées par le secteur privé (l’agrobusiness notamment) et un secteur public renforcé (dans l’énergie), et dont les retombées (profits) sont redistribuées pour améliorer les conditions des classes populaires et également relancer le marché interne. Ce projet implique un élargissement des relations du Brésil avec le reste du monde. Pour dire en clair, le renforcement des liens Sud-Sud et l’atténuation de la dépendance envers les États-Unis.

    À l’opposé, le projet des élites traditionnelles et de la droite est de rebrancher le Brésil sur le « turbocapitalisme » qui prévaut dans le reste du monde capitaliste et qui mise sur une financiarisation accrue au bénéfice quasi exclusif des couches supérieures. Dans les débats électoraux actuels, il n’est pas rare d’entendre les médias, très majoritairement de droite, proposer l’abolition du programme Bolsa familia (« trop coûteux et favorisant la paresse naturelle des classes populaires »), réclamer l’éradication des favelas (« ils occupent des zones où la ville moderne pourrait être développée ») et exiger la criminalisation des mouvements sociaux, notamment du MST. À rebours, la droite voudrait également réaligner le Brésil sur les Etats-Unis, et même les appuyer dans leur lutte contre des États définis par Washington comme « dangereux », tels le Venezuela ou l’Iran. C’est dire si elle n’a pas apprécié la tentative de médiation avec Téhéran, menée conjointement avec la Turquie, au sujet de l’enrichissement d’une partie du stock d’uranium iranien.

    Entre ces deux grandes options, il y a également la perspective d’approfondir les transformations sociales en donnant aux classes populaires non seulement de meilleures conditions de vie, mais aussi du pouvoir et des capacités politiques. Tout cela dans une perspective « éco-socialiste », où la question environnementale est organiquement liée à celle du développement « durable ». Bref, dans un langage qui rappelle, en partie au moins, le projet à l’origine du PT, et qui promeut également le dépassement du système politique actuel via la démocratie « participative ».

    Pour le moment, cet « écosocialisme » apparaît davantage « entre les lignes » que sur la scène politique réellement existante, pourrait-on dire. Mais l’option est présente : en effet, rien n’indique que les avancées réalisées par le peuple brésilien ces dernières années, au pas de course dans un temps très limité, ne l’inciteront pas à aller plus loin. Par ailleurs, les limites sont de plus en plus étroites, compte tenu des crises - ou de la crise des crises devrait-on dire - qui traversent l’horizon économique, politique et écologique des sociétés contemporaines. Tout cela conduit des populations à rechercher de nouveaux projets.

     

    [1] Le PT compte 91 députés (sur 513) et 14 sénateurs (sur 81) au Congrès brésilien. Par ailleurs, il contrôle trois Etats sur 27. De facto, les gouvernements du PT au niveau fédéral, provincial (les États) et municipal sont tous des gouvernements de coalition dans lesquels on trouve les petits partis de gauche (PSB, PCdoB, PTB, etc.) et plusieurs formations centristes comme le PMDB notamment. Par ailleurs, le système politique brésilien est de nature présidentialiste, ce qui donne au Président une grande marge de manœuvre pour gouverner. Des changements plus fondamentaux cependant, comme des réformes de la Constitution, sont sous la responsabilité des élus et relèvent donc des partis politiques.

    [2] De 2002 à 2009, cette dette est passée de 210 milliards de reais à 202 milliards, mais plus important est le fait que le ratio dette/PIB est passé de 41,8 à 12,9.

    [3] Jorge Mattoso, “O Brasil herdado”, in Emir Sader & Marco Aurelio Garcia, Brasil, entre o passado e o futuro, Editora Fundaçao Perseu Abramo, Sao Paulo, 2010.

    [4] Les grandes propriétés (1 000 hectares et plus) occupent encore 43% des terres cultivées au Brésil.

    [5] Un exemple parmi tant d’autres. Dans l’État du Ceara, le gouverneur Cid Gomes « règne » avec l’appui du PT et du PSDB. Les deux partis ont convenu de se répartir les sièges et de ne pas se faire ombrage. Le frère de Gomes est ministre de Lula qui, par ailleurs, négocie avec les autres partis, de gauche ou de droite, pour avoir une majorité parlementaire. Ces ententes impliquent du financement occulte, des nominations à des postes de responsabilité, des privilèges, en d’autres termes tout ce que l’éthique originale du PT rejetait.

    [6] Graziano da Silva J., « Consumo dos pobres : motor da retomada econômica no Brasil », Valor, 16 décembre 2009.

    [7] Laurent Delcourt, « Le Brésil de Lula, une dynamique de contradictions », in Alternatives Sud, Le Brésil de Lula, un bilan contrasté, Éditions Syllepse, 2010.

    [8]  Ibid.

    [9] Emir Sader, A nova touperia, os caminhos da esquerda latino-americana, Boitempo Editoria, Sao Paulo, 2009.

    [10] Ce projet est finalement enterréen 2004 devant l’opposition très majoritaire des pays d’Amérique latine et devant les mobilisations immenses qui traversent l’hémisphère, y compris d’ailleurs aux États-Unis et au Canada.

    [11] Des analystes soulignent les tensions découlant de certaines tendances hégémoniques du Brésil, superpuissance économique de l’hémisphère, et qui font que les entreprises brésiliennes dans leur expansion « naturelle » tentent d’occuper des parts de plus en plus grandes des marchés en Argentine, en Bolivie et ailleurs. Voir à ce sujet Claudio Katz, « L’Amérique latine et la crise mondiale », Inprecor, no. 556, janvier 2010.

    [12] Bien que le commerce entre les pays du MERCOSUR ait quadruplé depuis 2002, il représente encore un pourcentage assez faible (15c% plus ou moins) des liens commerciaux du Brésil. Voir à ce sujet Alexandre Morin, « Un bilan mitigé pour les 20 ans du MERCOSUR », Centre d’études interaméricaines, Université Laval, chronique de janvier 2010.

    [13] En 2009, la Chine est devenue le deuxième partenaire commercial du Brésil, derrière l’Union européenne mais devant les États-Unis.

    [14] Voir à ce sujet Renaud Lambert, « Le Brésil, ce géant entravé », Le Monde diplomatique, juin 2009.

    [15] Dilma Roussef, “Um pais para 190 milhoes de Brasileiros”, in Emir Sader & Marco Aurelio Garcia, Brasil, entre o passado e o futuro, op.cit.

    [16] Emir Sader, A nova touperia, os caminhos da esquerda latino-americana, op.cit.

    [17] Lors des élections de 2006, Heloisa Helena avait raflé la troisième place au premier tour du scrutin, avec 6 millions de votes (près de 7 % du total). Le PSOL, par ailleurs, avait fait élire trois députés fédéraux. Les pronostics actuels indiquent une diminution importante de ses intentions de vote en 2010.

    [18] Renato Godoy de Toledo, Brasil de Fato, 6 avril 2010.

    [19] Le « sage » du PSOL, Plínio Arruda Sampaio, ne parvient même pas à obtenir l’investiture du parti pour la présidentielle.

    http://www.medelu.org/Le-Bresil-de-Lula-huit-ans-plus


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    BASTA !

    http://www.bastamag.net/article3142.html

    Mouvement social

    Pourquoi les Brésiliens se sont révoltés

    Par Jaqueline Nikiforos (20 juin 2013)

    Après le mouvement Occupy aux Etats-Unis ou les « indignés » en Espagne, c’est au tour de la jeunesse brésilienne de se soulever. En cause : une augmentation du tarif des transports publics alors que ces infrastructures sont défaillantes. Avec en toile de fond, les sommes colossales dépensées en vue de la Coupe du monde et la crise de la représentation « démocratique » brésilienne, largement aux mains d’une oligarchie. Récit.

    Lundi 17 juin. Une date qui entrera dans l’histoire d’une société peu habituée aux grandes démonstrations populaires. Les manifestations contre la hausse du prix des tarifs des transports publics ont réuni près de 500 000 personnes dans les principales villes du Brésil. C’est le plus grand soulèvement de ces vingt dernières années depuis la destitution du Président Fernando Collor, en 1992, pour fait de corruption.

    Dans le métro São Paulo, les manifestants crient : « Le peuple s’est réveillé ! » :

    La vague de protestations a commencé début juin à São Paulo, la plus grande ville du pays. Des milliers de personnes descendent dans les rues pour exiger l’abrogation de la hausse de 20 centimes du prix des tickets de transport (bus, métro et train). Le 13 juin, ils manifestent pour la quatrième fois quand la marche pacifique est brutalement réprimée par la Police Militaire (qui dépend de l’Etat de São Paulo). La répression cause une centaine de blessés. Elle est immédiatement condamnée par Amnesty International. 160 personnes sont arrêtées. Plusieurs journalistes qui couvrent la mobilisation sont agressés et arrêtés. Certains d’entre eux sont même hospitalisés en raison de la gravité de leurs blessures. Un épisode sans précédent depuis les années de la dictature militaire (1964-1985).


    Le photographe Sérgio Silva, de l’agence Futura Press, et la reporter Giuliana Vallone, du journal Folha de São Paulo, ont été blessés aux yeux par des tirs de balles en caoutchouc.

    Cette répression à São Paulo va déclencher des manifestations dans tout le pays. Le 17 juin, un demi-million de personnes descendent dans les rues de Brasilila, de Rio, de São Paulo... Le 19, des milliers de personnes tentent de s’approcher du stade de Fortaleza, où l’équipe de foot du Brésil dispute une rencontre face au Mexique. Car la hausse des tarifs des transports pour les Brésiliens est à mettre en perspective avec les sommes colossales dépensées pour la préparation de la Coupe du monde. Près d’un demi-milliard d’euros ont été dépensés rien que pour la rénovation du stade de Maracanã à Rio !

    A la pointe de la contestation, le Mouvement « Passe Livre » (MPL) – Pass (de transport) libre –, « un mouvement social autonome horizontal et indépendant, qui lutte pour un transport public véritablement gratuit pour toute la population et libre de l’exploitation privée », comme il l’explique sur son site. Le mouvement est créé en 2005 afin de fédérer les luttes et revendications qui émergent dans différentes mégapoles du pays depuis la fin des années 90. Constitué principalement de jeunes entre 15 et 30 ans, le MPL n’a cessé de croître, en multipliant les collectifs et en gagnant de plus en plus l’adhésion de la jeunesse.

    Dans le pays qui se prépare à accueillir la Coupe du monde en 2014, l’offre de transport public demeure précaire. Les quatre plus grandes villes du pays (São Paulo, Rio de Janeiro, Salvador et Brasilia) ne disposent, ensemble, que de 170 km de réseaux. A São Paulo, plus de 4 millions de personnes utilisent quotidiennement les systèmes de train et de métro. Un métro dont les lignes s’étirent sur 74 km – soit trois fois moins que Paris – et comptent 64 stations pour couvrir les 1 522 km2 qui forment la ville. En comparaison, Paris, qui est quatorze fois plus petite (105 km2) compte plus de 300 stations et 220 km de réseaux. A Rio de Janeiro, la situation est encore pire, avec seulement 35 stations...

    Le bus est donc encore le principal moyen de transport public utilisé par la population. Mais la flotte de véhicules, vieillissante, ne peut pas répondre à la demande de manière satisfaisante [1]. Le service est commercialisé par des entreprises privées via un système de concession public [2]. A São Paulo, la hausse récente des prix contraint la population la plus pauvre, obligée à de longs et pénibles trajets pour aller travailler, à sacrifier une partie de leur budget alimentaire. Parallèlement, les compagnies de bus enregistrent un bénéfice mensuel d’environ 45 millions d’euros (131 millions de reais). 70 % de ce montant est payé par les passagers [3].

    La lutte des Brésiliens pour l’annulation de l’augmentation de vingt centimes – ce qui peut, de France, paraître dérisoire – révèle une faillite beaucoup plus grande. Et montre l’épuisement de la démocratie représentative au Brésil dans son ensemble. Pour une grande partie des manifestants, ce n’est pas un soulèvement contre « n’importe quoi » ou un gouvernement en particulier, mais contre une augmentation des tarifs soutenue par tous les pouvoirs, dans un système de représentation et de prise de décision en crise.

    Un mouvement de fond que les grands médias brésiliens cherchent à maquiller. Ces médias, historiquement proches du pouvoir et concentrés aux mains de quelques grandes fortunes [4] ont essayé, à l’image du puissant groupe audiovisuel Globo, de neutraliser le potentiel de la révolte qui a gagné le pays, en se focalisant d’abord sur les actes de « vandalisme » de quelques « casseurs » plutôt que sur le contenu des revendications. Quand les médias se sont aperçus que le mouvement prenait trop d’ampleur pour en maquiller la taille, ils ont commencé à en disputer le contenu. Les mêmes supports et chroniqueurs qui ont condamné les premières manifestations en les décrivant comme du « vandalisme », construisent désormais leurs propres récits d’un mouvement devenu soudainement « pacifique », mais en le réduisant à une mobilisation pour un « Brésil meilleur ». En clair : en le dépolitisant. Dans les rues et sur les réseaux sociaux, les partisans du mouvement contre-attaquent en s’opposant à cette tentative de dépolitisation des manifestations.

    Cela n’a pas empêché le mouvement de continuer. Le 18 juin, à São Paulo, une partie des manifestants rassemblés face à la Mairie criait « pas de violence » tandis qu’une autre répondait « pas de bourgeoisie ». Le lendemain, en fin de journée, le gouvernement a cédé aux protestations et a annoncé la suspension de l’augmentation. La jeunesse du MPL et des organisations de gauche a non seulement gagné une bataille importante, mais a renforcé les autres mobilisations en cours et repris confiance dans la force et le pouvoir de la mobilisation populaire.

    Jaqueline Nikiforos

    Crédits photos : JF Diorio/ Estadao Conteudo (photo de une) et Isabela Freitas/ Facebook

    Notes

    [1Lire ici, en portugais.

    [2comparable ici à la délégation de service public.

    [3Voir cette vidéo, en portugais.

    [4Lire cet entretien sur le site d’Autres Brésils.


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  • Renato Rabelo, Président national du Parti Communiste du Brésil - Partido Comunista do Brasil (PCdoB)

    traduction Nico Maury

     
    La voix du peuple doit être soigneusement écoutée et obtenir une réponse (PCdoB)
    Les principaux motifs qui s'expriment dans les manifestions sont apparemment simple : La lutte contre les prix des tarifs des transports urbains et le mécontentement contre les gros investissements dans la construction des stades de football, symptômes aiguës, en plus du stress, vécus par une grande partie de la population des grands centres urbains du Brésil.

    Les villes se sont développées rapidement dans notre pays, elles sont incapables de se doter des structures appropriées pour répondre à cette transformation rampante, provoquant ainsi une concentration de graves problèmes sociaux, ce qui rend les villes inhospitalière pour ses habitants, en particulier pour ceux qui vivent en périphérie. Le déclenchement de ces événements qui se propagent à travers le pays doit servir d'avertissement, car cela révèle les conditions réelles de vie dans les villes, c'est un problème majeur, pour la majorité des personnes qui occupent maintenant la rue et ce doit devenir une priorité pour faire face à ces problèmes.

    Nous défendons les gouvernements véritablement démocratiques engagés à assurer le progrès social, les gouvernements qui sont en avance, ou qui prennent part à cela, ils ont le devoir de chercher des débouchés pour commencer à résoudre les graves problèmes urbains. Une solution en profondeur s'impose, défendue par le programme du PCdoB, qui veut une réforme urbaine, qui peut établir un plan intégré pour le développement, un renouvellement et une humanisation des villes. C'est une exigence qui prend de l'ampleur.

    Des mesures immédiates ont été prise pour remédier au problème urgent du logement, qui a un fort impact sur ​​les centres urbains, par la présidente Dilma Rousseff à travers un vaste programme, Minha Casa Minha Vida, ce programme rempli un rôle important dans le financement du logement social. Également à travers la PAC 2 il y a de nombreux projets en cours pour régler les problèmes de mobilité structurelle dans les grands centres urbains et de la capitale. Mais c'est une une question brûlante qui impose une réponse par la construction d'un système et d'un financement du transport en commun de qualité dans les centres urbains, ce qui permet la locomotion de ses habitants sans nécessiter l'utilisation constante de l'automobile.

    Le PCdoB s'efforcera, par son influence sur le mouvement social et par sa relation démocratique aux gouvernements, a rechercher des mesures d'urgences pour réduire les prix des tarifs des transports urbains et pour développer des réseaux de transports communs plus efficaces. En ce moment il faut conjuguer les efforts pour répondre aux aspirations du peuple au niveau fédéral, étatique et municipal.
     
    Nicolas Maury
     

    Les syndicats brésiliens soutiennent les manifestations et dénoncent la répression policière 

    Mercredi 19 Juin 2013

    Dans une note publiée lundi, les syndicats ont affirmé leur soutien à la mobilisation contre l'augmentation des prix des transports urbains et pour le droit de manifester "les manifestations sont tout à fait légitime et démocratique". "La virulence de la répression policière contre les manifestants est inacceptable, elle rabaisse le droit constitutionnel à la liberté d'expression", indique le communiqué - traduction Nico Maury

     
    Les syndicats brésiliens soutiennent les manifestations et dénoncent la répression policière
     
    Note des syndicats sur la mobilisation contre la hausse des prix des transports urbains et sur le droit de manifester

    La lutte contre l'augmentation la hausse des prix des transports en cours à travers le pays exprime le mécontentement des travailleurs et du peuple soumis quotidiennement à des conditions inhumaines dans les transports (bus, trains, métros, etc.), en particulier dans les grandes villes. Le tarif est élevé est dut aux conditions de mise en oeuvre de ce service public essentiel.

    Les syndicats estiment donc que les manifestations sont tout à fait légitimes et démocratiques. La virulence de la répression policière contre les manifestants est inacceptable, elle rabaisse le droit constitutionnel à la liberté d'expression et est l'expression de la vieille rengaine, des pouvoirs en place, réduisant les questions d'intérêt social à une simple affaire de police.

    Ainsi, les syndicats signataires de ce soutien manifestent leurs soutiens à la lutte contre l'augmentation des prix, le droit de manifester et dénoncent la violence policière. Il est essentiel que les manifestations soient pacifiques et aboutissent à l'ouverture de négociations avec les gouvernements des États et des municipalités sur le coût des tarifs et des conditions offertes aux usagers des transports publics.

    São Paulo, le 17 Juin 2013.

    CENTRAL ÚNICA DOS TRABALHADORES – CUT
    FORÇA SINDICAL
    UNIÃO GERAL DOS TRABALHADORES – UGT
    CENTRAL DOS TRABALHADORES E TRABALHADORAS DO BRASIL – CTB
    NOVA CENTRAL SINDICAL DOS TRABALHADORES – NCST
     

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  • Photo : EPA

    Monde - le 18 Juin 2013

    À un an du Mondial de football, le Brésil s'embrase

    Hausse du coût des transports publics, corruption gouvernementale et dépenses somptuaires pour préparer le Mondial de football... Le Brésil a été secoué lundi par les manifestations sociales les plus importantes depuis 21 ans, qui ont duré plus de sept heures dans plusieurs villes, notamment à Rio qui a connu des scènes de guérilla urbaine.

    Quelque 200.000 personnes ont défilé lundi dans les rues des principales villes du Brésil alors que le pays fait face à une vague croissante de mécontentement. Les manifestations, organisées via les réseaux sociaux, ont perturbé le fonctionnement de plus d'une demi-douzaine d'agglomérations parmi lesquelles Rio de Janeiro, Sao Paulo, Brasilia ou encore Belo Horizonte. Il s'agit des plus grosses mobilisations depuis celles dirigées en 1992 contre la corruption du gouvernement de l'ex-président Fernando Collor de Mello, qui avait démissionné durant son procès politique devant le sénat. Les manifestations se multiplient depuis deux semaines au Brésil en raison d'un ralentissement de l'économie et d'une forte inflation.

    Ces protestations se déroulent au moment où le pays abrite la Coupe des confédérations, répétition générale en miniature du Mondial dans un an.

    C'est dans la capitale qu'a eu lieu la plus importante manifestation. 100 000 personnes ont défilé dans les rues de Rio de Janeiro, d'abord pacifiquement, contre l'augmentation des tarifs des transports publics et les dépenses somptuaires engagées pour préparer le Mondial-2014 de football, avant de dégénérer dans la violence à la nuit tombée. Un groupe de quelques dizaines de manifestants a pris d'assaut le parlement de l'Etat de Rio. Les policiers anti-émeutes les ont finalement dispersés dans la nuit. A Sao Paulo, où 65 000 manifestants ont défilé sur l'avenue Paulista, un groupe a essayé d'envahir le parlement local mais a été arrêté par les gaz lacrymogènes de la police. A Brasilia, cinq mille manifestants ont protesté dans le quartier des ministères, symbole du pouvoir. Quelque 200 d'entre eux ont réussi à grimper sur le toit du parlement où ils ont entonné l'hymne brésilien avant d'en redescendre spontanément. Des scènes similaires se sont répétées à Porto Alegre, Curitiba, Belo Horizonte notamment, en pleine Coupe des Confédérations de football, répétition générale en miniature du Mondial dans un an.

    "Nous sommes arrivés dans la maison du peuple. C'est le premier pas pour montrer que nous ne sommes pas morts; ils pensaient que l'on s'arrêterait pour voir le football mais le Brésil n'est pas seulement ça", a déclaré Bruno Pastrana, un étudiant de 24 ans, assis sur le toit du Congrès National de Brasilia. Les autorités brésiliennes espèrent que le Mondial puis les Jeux olympiques de 2016 à Rio seront l'occasion d'illustrer la place grandissante du pays, puissance émergente, sur la scène internationale. "Pendant de nombreuses années, le gouvernement a entretenu la corruption. Les gens manifestent contre le système", a estimé Graciela Caçador, 28 ans, habitante de Sao Paulo. "Ils ont dépensé des milliards pour construire des stades et rien pour l'éducation ou la santé", a-t-elle ajouté.

    La popularité du gouvernement a chuté de huit points en juin

    Le gouvernement a d'abord été pris de court par l'éclosion soudaine de ce mouvement apolitique la semaine dernière, après l'annonce de l'augmentation des tarifs des transports publics. Il semble à présent débordé par sa nouvelle dimension en grande partie attisée par l'indignation suscitée par les violences policières de la semaine dernière. "Viens, viens, viens dans la rue, viens!", scandaient à Rio les manifestants en milieu d'après-midi, tandis que du haut des tours de bureaux du centre-ville, des employés jetaient une pluie de morceaux de papier blanc en geste de soutien.

    Croissance en berne et inflation

    "Nous ne permettrons pas que des manifestations perturbent les événements que nous nous sommes engagés à réaliser", avait averti quelques heures plus tôt le ministre des Sports, Aldo Rebelo. Dans une apparente volonté d'apaisement, la présidente Dilma Rousseff a rectifié le tir quelques heures plus tard, affirmant que "les manifestations pacifiques sont légitimes et propres à la démocratie". "C'est le propre de la jeunesse de manifester", a-t-elle ajouté dans un communiqué. Cette fronde se développe alors que le Brésil, après des années de vigoureux développement économique et social, traverse une passe délicate marquée par une croissance en berne et une poussée de l'inflation notamment sur le prix des denrées alimentaires. La popularité du gouvernement a chuté de huit points en juin, pour la première fois depuis l'élection à la présidence en 2011 de Dilma Rousseff, qui reste largement favorite pour le scrutin de fin 2014.

     

    Brésil : La révolte populaire est légitime !


     

    Brésil : La révolte populaire est légitime !

    Depuis une semaine, le Brésil est secoué par un mouvement social d’« indignés » qui ne cesse de s’élargir contre la hausse des tarifs des transports publics décidée dans plus d’une vingtaine de villes du pays. Mais, comme avec le Parc Gezi en Turquie, ce n’est que la pointe de l’iceberg et le détonateur d’un malaise et d’un mécontentement social beaucoup plus profond. Et comme en Turquie ou ailleurs, la répression policière brutale n’a fait que stimuler le mouvement au lieu de l’intimider. Initiées par un mouvement appelé « Movimiento Pase Libre » (une organisation étudiante qui revendique la gratuité du transport public), les manifestations jouissent d’un large soutien dans l’opinion et le mouvement prend de plus en plus un caractère de masse, avec des manifestations d’une ampleur jamais vue au Brésil depuis 15 ans. Ainsi, ce lundi, 100.000 personnes ont manifesté à Río de Janeiro, 65.000 à Sao Paulo, et plusieurs dizaines de milliers d’autres à Brasilia, Belo Horizonte, Porto Alegre, Salvador, Belén, Vitoria et Curitiba, entre autres grandes capitales régionales. A Brasilia, les protestations se concentrent surtout contre les dépenses pharaoniques de prestige engagées par les autorités pour organiser des événements sportifs internationaux. Le gouvernement dépense des milliards en stades de football alors que les secteurs publics des transports, de l’éducation et de la santé sont en difficulté. Les « indignés » brésiliens exigent donc principalement pour le moment l’amélioration des services publics et de plus grands investissement dans ces secteurs, ainsi que la lutte contre la corruption et le gaspillage des ressources publiques. Nous reproduisons ci-dessous une déclaration du PSOL, organisation anticapitaliste brésilienne issue d’une scission du PT (Parti des Travailleurs, au pouvoir). (Avanti4.be)

    Le PSOL (Parti du Socialisme et de la Liberté) exprime son soutien le plus total aux mobilisations qui ont lieu dans tout le Brésil contre l’augmentation des prix des transports publics et dénonce avec force la violence policière qui tente de réprimer le droit légitime d’organisation et d’expression.

    L’augmentation de l’intensité des protestations – qui touchent les villes de Porto Alegre, Natal, Maceió, Goiania, Río de Janeiro et São Paulo – a brisé le black-out médiatique des grands médias et elles sont devenues un thème central de l’actualité.

    Les autorités qui « frappent et emprisonnent » ne comprennent pas que la révolte est provoquée par le ras-le-bol de passer six heures par jour dans des transports publics de mauvaise qualité et qui engloutissent un tiers du salaire ; là est la raison principale du soutien populaire aux manifestations. La contestation, qui a été initiée par les jeunes, n’est que la pointe de l’iceberg d’une grande insatisfaction collective. Répondre avec intransigeance, violence et brutalité policière c’est jeter de l’huile sur le feu.

    Alckmin (gouverneur du PSDB - social-démocrate - dans l’Etat de São Paulo), Haddad (maire du Parti des Travailleurs de la ville de São Paulo), Paes (maire du PMDB - centre-droit - dans la ville de Rio de Janeiro) et Cabral (gouverneur dans l’Etat de Rio de Janeiro) doivent assumer leurs responsabilités dans cette répression répugnante et absurde ainsi que leur inaction. En outre, il ne revient pas au ministre de la justice, Cardozo, de contribuer à stimuler l’agressivité de la Police Fédérale dans la répression des mouvements.

    L’augmentation de la violence provoquée par la Police Militaire, surtout lors des récentes protestations dans l’Etat de São Paulo, démontrent que la politique totalitaire des gouvernements locaux et de l’Etat fédéral ne supporte pas la critique et la contestation. Cela les pousse à criminaliser les mouvements sociaux, ce qui est inacceptable dans une société qui se dit démocratique. Nous exigeons la libération immédiate de toutes les personnes emprisonnées. En outre, condamner les activistes à payer des amendes élevées et avec des plaintes pour « conspiration » est inadmissible.

    En accusant la totalité de ce mouvement large et légitime de vandalisme, les gouvernements sans scrupules et l’élite brésilienne tentent de manipuler l’opinion publique. Mais leur tentative est vouée à l’échec comme le montre clairement les résultats des sondages qui démontrent un énorme soutien populaire envers les manifestations et le rejet de la coercition et de la violence policière.

    Il convient de signaler que, récemment, les coûts des transports ont été exemptés d’impôts. Il est absurde de constater que les patrons des entreprises publiques annulent cet avantage fiscal en réajustant les prix à la hausse, avec le consentement des maires et des gouverneurs. Cette collusion entre les entreprises et les gouvernants n’est pas étonnante puisque ces entreprises ont subventionné les campagnes électorales de ceux qui, aujourd’hui, leur « renvoient l’ascenseur » de cette manière.

    Dans les villes gouvernées par le PSOL - Macapá et Itaocara –, il n’y a pas eu d’augmentation des tarifs des autobus, par décision politique des maires. Notre logique de gouvernement est d’être au service des travailleurs et de la jeunesse et non des patrons qui transforment le droit au transport public en un vulgaire business. Nous pensons qu’il est possible, avec un budget équilibré et la volonté politique nécessaire, d’avancer des mesures telles que la gratuité pour les étudiants et même la gratuité pour tous. La défense de ces propositions n’a donc rien d’irréaliste ou d’absurde car elle garantit le droit constitutionnel des citoyens à la mobilité.

    Le PSOL défend le droit à la protestation, le droit au transport public de qualité et dénonce la violence policière. Les mouvements à Goiânia et Porto Alegre ont obtenu des victoires avec la réduction des prix du transport. Il faut poursuivre dans cette voie et arracher d’autres victoires. Et ce n’est qu’en luttant que nous pourrons vaincre.

    Brasilia/ Brésil, 14 juin 2013.

    Source :
    http://psol50.org.br/site/noticias/2060/psol-emite-nota-em-apoio-as-manifestacoes-contra-o-aumento-de-passagens-e-repudia-repressao-da-policia
    Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera

    Témoignage d’une militante du Nouveau Parti Anticapitaliste français présente au Brésil

    Les manifestations d’aujourd’hui au Brésil marquent une massification du mouvement et ce sont les plus importantes des 15 dernières années. Toutes les grandes villes sont touchées. Au moins 65.000 à São Paulo, 100.000 à Rio, 20.000 à Belo Horizonte, 15.000 à Porto Alegre, 10.000 à Belém... A São Paulo des cortèges ont été organisés sur plusieurs universités et lycées. 4000 de l’Université de São Paulo. Les étudiants de la fac de Médecine se préparent a secourir les manifestants en cas de repression. Les mères de plusieurs jeunes ont organisé leur propre cortège. Des manifestations de solidarité de la part d’artistes et intellectuels se multiplient. La police a été contrainte d’accepter que les manifestants définissent le parcours de la manif et le gouverneur "d’interdire" l’usage du flashball A Rio il y a des affrontements avec des voitures brulées et 80 policiers pris en otage à l’intérieur du parlement local. A Brasilia les manifestants sont montés sur le toit de l’Assemblée Nationale et un siège a été mis en place, en empechant les députés de sortir. A BH un manifestant a été poussé d’un pont de 36 mètres et il pourrait y avoir des morts (information non confirmée). Avec la Turquie, on peut dire que les pays "emergents" deviennent le maillon faible de la chaine capitaliste ! Face à la popularité du mouvement, Dilma et Lula ont été contraints de dire qu’il s’agissait de manifestations démocratiques qui faisaient progresser le pays. A suivre...

    Source :
    http://tendanceclaire.npa.free.fr/breve.php?id=5224

    http://www.avanti4.be/analyses/article/bresil-la-revolte-populaire-est-legitime


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  • ocupacion-univ-de-chile.jpg60 lycées et universités occupés au Chili, 100 000 étudiants dans les rues : la lutte continue pour une éducation publique !

     

    Article AC pour http://jeunescommunistes-paris15.over-blog.com/ repris par http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

     

    La lutte continue au Chili pour réclamer une éducation publique, gratuite et universelle. La semaine dernière, ce sont plusieurs centaines de milliers de lycéens et d'étudiants qui ont relancé un mouvement, qui ne faiblit pas depuis ses débuts, au printemps 2011.

     

    Le mouvement d'occupation des lycées et des universités monte en puissance : d'une dizaine d'établissements fin mai, ce sont désormais 24 universités – 17 publiques et 7 privées – et 35 lycées qui sont en grève et occupées, partiellement ou totalement.

     

    Parmi les universités, la prestigieuse Université du Chili est au cœur du mouvement, avec 16 facultés en arrêt total.

     

    Les autres principales universités de la capitale, telle l'Université de Santiago (Usach) ou l'Université technologique métropolitaine (UTEM) ont joint le mouvement, ainsi que les grandes facs des villes de province, dont celle de Concepcion, la doyenne du pays.

     

    Les universités privées ont embrayé, avec des occupations historiques à l'Université de l'Humanisme chrétien ou l'Université autonome du Chili.

     

    Les lycées (Institutos) sont également touchés par la vague de blocages, jusqu'au réputé « Institut national » de Santiago, en grève depuis deux semaines. Chaque établissement porte ses propres revendications, tous se rejoignent sur une revendication : le retour à une éducation publique.

     

    Ce mouvement a convergé une nouvelle fois dans une manifestation montre dans les rues de Santiago, convoquée par la Confédération des étudiants chiliens (Confech) et l'Assemblée coordinatrice des lycéens (ACES).

     

    Plus de 100 000 lycéens, étudiants ont demandé ce jeudi 13 juin la fin d'une éducation privée réalisant des profits sur le dos des étudiants, la fin de la municipalisation et de la régionalisation, le retour à une éducation publique, nationale, gratuite et de qualité.

     

    Le désastre de l'éducation privatisée au Chili : une leçon pour nous en France

     

    Un retour sur les origines de la privatisation de l'éducation au Chili, ses conséquences désastreuses qui conduisent à ce rejet aussi unanime est nécessaire, au moment où on désire importer ce modèle en Europe.

     

    La privatisation a commencé sous la dictature de Pinochet, avec la municipalisation de l'éducation primaire et le renforcement de l'autonomie pour les universités tandis que la création d'établissements privés, secondaires et supérieurs, était encouragée.

     

    Dans le même temps, Pinochet instaure la « liberté scolaire », chaque famille a la liberté de choisir l'établissement primaire, secondaire et supérieur de son choix.

     

    La transition vers la démocratie, loin de revenir sur ces réformes, les a institutionnalisées avec la loi LOLCE de 1991 qui s'inscrit dans un système dual. Ainsi pour l'éducation primaire et secondaire :

     

    • d'un côté un réseau privé, bénéficiant de sources de financements variées : les donateurs privés, les parents via les frais de scolarité mais aussi l’État qui les subventionne ;

       

    • de l'autre un réseau municipal, en sous-financement chronique, en partie dans les communes pauvres ;

     

    Le résultat, c'est une éducation privatisée, inégalitaire et de piètre qualité, dès le primaire et le secondaire :

     

    1. une privatisation … soutenue par les deniers publics ! c'est le développement au cours de ces trois dernières décennies des établissements privés : 1 600 établissements d'éducation privés ont ouvert depuis 1990, tandis que 600 établissements publics ont fermé leurs portes.

       

      Seulement un quart des universités sont publiques actuellement au Chili, tandis que l'éducation primaire et secondaire est divisée en deux : 6 000 établissements municipaux et 1,6 millions d'élèves, 5 000 établissements privés pour 1,5 millions d'élèves.

       

      Les chiffres globaux révèlent un financement à 55% public et 45% privé trompeur. En effet, les deux-tiers des dépenses du gouvernement central partent en subventions qui alimentent à 95% le secteur privé.

       

      Le Chili se caractérise donc par une éducation supérieure largement privatisée, un système primaire et secondaire dual où le secteur privé est largement subventionné par l'Etat.

       

    2. Une éducation de classe, où l'éducation ne fait pas que reproduire les « inégalités », mais instaure une véritable ségrégation scolaire, une éducation de classe, payée par tous mais au service d'une minorité.

       

      L'éducation au Chili est financée à 40% par les familles chiliennes. La part de l'éducation dans le budget des familles devient exorbitante : de 10% pour les familles les plus riches (plus de 2 500 € par mois) à 15% pour les plus pauvres (moins de 200 € par mois).

       

      Selon les chiffres officiels, une famille pauvre dépense 40 € par mois pour payer son éducation, une famille riche 350 €.

       

      Derrière ces chiffres, cela veut dire que les familles populaires et des couches moyennes sont de plus en plus éloignées de l'enseignement supérieur, mais aussi des établissements primaires et secondaires sélectifs.

       

      La première barrière est économique : dans les universités privées, les frais vont de 300 à 1 800 € par mois. Dès le primaire, les parents doivent prendre en charge en moyenne 30% des frais de fonctionnement de l'école.

       

      La logique de la « liberté scolaire » conduit à une « sélection compétitive » entre élèves, à tout âge, biaisée par avance : les meilleurs écoles sont (censées être) privées, car mieux financées, grâce aux subventions publiques et aux frais exorbitants à la charge des familles.

       

      Hormis une infime minorité détectée tôt, les autres sont condamnés à une éducation au rabais dans le système municipalisé ou un réseau privé de seconde zone ;

       

    3. une éducation de piètre qualité ;

       

      contrairement au discours des thuriféraires de la libre concurrence, ce système concurrentiel et privatisé a conduit à une dégradation du niveau général de l'éducation au Chili, qui n'est pas seulement un ressenti mais qui se reflète dans les classements internationaux.

       

      Les tests SIMCE en langue et en mathématique montrent que seuls 60% des élèves maîtrisent le niveau exigé en 5 ème, mais seulement 3% pour les élèves des milieux les plus pauvres.

       

      Dans les tests PISA, en comparaison avec les autres pays de l'OCDE, le Chili se classe 33 ème (sur 35) en compréhension écrite, mathématiques et sciences.

       

      Dans ses rapports annuels, l'UNESCO loue régulièrement le modèle cubain, dans l'universalité d'une éducation de qualité, et réserve ses critiques pour le système chilien, fortement inégalitaire.

       

      Concrètement, le système chilien se divise en plusieurs strates, il maintient une petite minorité d'établissements (souvent publics) d'excellence, souvent historiques, basés sur une sélection drastique, sur une base académique.

       

      Deuxième strate, une poignée d'établissements privés, essentiellement dans le primaire et secondaire, offrant une éducation de qualité, essentiellement par un recrutement sélectif des élèves et enseignants, alors que la « valeur ajoutée » de l'éducation privée est très faible, et dont le critère de sélection est académique mais surtout économique et social.

       

      D'après le dernier test SIMCE, parmi les 10 meilleurs lycées pour leurs résultats en sciences et en langue, 9 sont privés.

       

      Enfin, pour la majorité qui n'a pas les moyens de se payer cette éducation ou d'accéder aux établissements d'excellence : ce sont, pour le primaire et le secondaire, l'éducation municipalisée, sous-financée, délaissée par les meilleurs élèves et enseignants.

       

      Et pour ceux qui veulent échapper à cette éducation municipalisée, ou aux universités publiques déconsidérées, il reste une alternative : les établissements privés à fins lucratives, surtout dans le supérieur, offrant de vaines espérances aux familles des couches populaires et moyennes, mais concrètement une éducation de très faible qualité.

     

    Pas d'illusions sur l'alternance socialiste chez les leaders du mouvement syndical

     

    C'est la fin de cette éducation privatisée, inégalitaire et de piètre qualité que réclament lycéens et étudiants chiliens, et le retour à une éducation nationale, publique et de qualité.

     

    En cette année électorale, les vautours rôdent au-dessus du mouvement étudiant, tentant de le récupérer, alors que le gouvernement de droite du millardaire Pinera continue de vanter les mérites du système éducatif actuel.

     

    En premier lieu, l'ex-future présidente Michelle Bachelet, du Parti socialiste, qui a fait des déclarations retentissantes contre le profit dans l'éducation … avant de signifier que cela ne siginifait ni la fin des écoles privées subventionnées, ni une éducation 100% publique !

     

    Les dirigeants du mouvement étudiant ne sèment aucune illusion sur l'alternance. Ainsi, Andres Fielbaum, président de la Fédération des étudiants de l'Université du Chili (FECh) :

     

    « La politique ne se base pas sur des promesses mais sur des faits concrets. Ainsi, les partis de la Concertacion (PS, Parti chrétien-démocrate) admettent en leur sein des groupes qui font des profits sur l'éducation. »

     

    « Notre génération a appris à ne plus être naïve, et à ne pas plus penser que c'est une victoire que nos propositions soient intégrées dans un programme électoral. »

     

    Pour Diego Vela, président de la Fédération des étudiants de l'Université Catholique du Chili, « les changements ne vont pas dépendre un candidat, mais de la lutte ».

     

    Selon le leader syndical de l'Université catholique, les déclarations de Mme Bachelet ne suffisent pas : « il faut en finir avec la logique du profit et renforcer l'éducation publique comme colonne vertébrale ».

     

    Les deux leaders syndicaux ont rappelé le passage de Mme Bachelet à la présidence du pays, entre 2006 et 2010, qui n'a fait qu'aggraver la situation de l'éducation au Chili. En 2008, sa ministre de l'Education était même tombée sur la question des subventions aux écoles privées.

     

    La figure du mouvement étudiant de 2011, la jeune communiste Camila Vallejo était même allée plus loin au début de l'année quant à la candidature Bachelet :

     

    « Je ne ferai jamais campagne pour Bachelet, je n'appelerai pas les jeunes à voter pour elle. Rien ne m'assure que son programme est représentatif que son programme soit représentatif des idées que j'ai défendu dans le mouvement étudiant »

     

    Comme en France, nous n'avons jamais eu d'illusions sur le gouvernement qui achève l'autonomie-privatisation des universités, nos camarades chiliens n'ont plus aucune illusion sur les socialistes qui ont géré loyalement depuis vingt ans le système hérité de Pinochet.

     

    Les étudiants ont appelé à une grande mobilisation nationale pour le 26 juin. Les syndicats des dockers et des mineurs ont déjà annoncé leur intention de se joindre à cette journée de grève et de manifestation

     

     

    En France, comme au Chili, seule la convergence des luttes entre travailleurs et étudiants peut mettre en échec les plans du gouvernement et du patronat !


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    Au Guatemala, la mano dura face aux revendications sociales

    mardi, 4 juin 2013 / Marilyne Griffon /

    Présidente du Collectif Guatemala (France)*

    Le 10 mai 2013, l’ancien général José Efraín Ríos Montt, dirigeant de facto du Guatemala du 23 mars 1982 au 8 août 1983, était condamné pour génocide et crimes contre l’humanité [1]. Quatre-vingt ans de prison ferme, la peine maximale. Ce verdict historique, prononcé par un tribunal national, était annulé par la Cour constitutionnelle guatémaltèque … dix jours plus tard, dans ce qui s’apparente à un véritable coup d’Etat judiciaire [2].

    Malgré tout, c’est un moment historique que vient de vivre le Guatemala, pays où les phénomènes, toujours actuels, de concentration des terres, de racisme et d’absence de démocratie, ont constitué les racines du conflit armé. Une guerre sale de trente-six ans (1960-1996), la plus meurtrière qu’ait connue l’Amérique latine au 20e siècle.

    M. Ríos Montt était jugé pour sa responsabilité dans plus de quinze massacres au cours desquels sont mortes 1 771 personnes, dans les municipalités de Santa María Nebaj, San Gaspar Chajul et San Juan Cotzal, dans le département du Quiché. Ces massacres visaient l’ethnie maya Ixile de l’Altiplano guatémaltèque. Ils ont été perpétrés par l’armée et les paramilitaires alors contrôlés par M.Efraín Ríos Montt et Mauricio Rodríguez Sánchez, son chef des renseignements depuis leur coup d’État du 23 mars 1982. Les massacres systématiques et indiscriminés faisaient partie de la stratégie de « terre brûlée » exécutée par l’armée pour « annihiler l’ennemi interne ». Pour leurs promoteurs, celle-ci se justifiait par la lutte sans merci contre le communisme.

    Mais à la différence des autres peuples martyrs de la région (Honduras, El Salvador, Nicaragua) où la problématique de guerre froide était centrale dans la logique de répression, le conflit au Guatemala se doublait d’une logique interne propre, celle du racisme structurel à l’encontre de la population maya majoritaire et de la peur historique des élites dominantes locales de voir la population indigène accéder à une citoyenneté de plein droit. La logique de guerre froide a dès lors donné un excellent prétexte aux militaires et à l’oligarchie économique pour tenter d’exterminer des populations entières et de tuer dans l’œuf les revendications sociales de plus en plus offensives d’un peuple maya de mieux en mieux organisé.

    M. Efraín Ríos Montt incarne la figure de cette répression brutale menée lors d’un conflit armé interne qui a causé 200 000 morts ou « disparus », un million de déplacés internes, 400 000 réfugiés à l’étranger, et rayé 440 villages autochtones de la carte entre 1960 et 1996. Son gouvernement n’a duré qu’à peine plus d’un an, mais a marqué à lui seul les années les plus sanglantes. Pourtant, suite à la signature des Accords de paix en 1996 et pendant plus de quatorze ans (de 1998 à 2012), il a continuellement bénéficié d’une immunité garantie par son statut de parlementaire. Pasteur d’une secte évangélique fondamentaliste, il était le dirigeant messianique de la lutte antimarxiste, éternel aspirant à la présidence (comme en 2003 où il se présentait comme candidat).

    M. Ríos Montt, actuellement à l’hôpital militaire où il a été transféré deux jours après la condamnation, n’a fait que deux jours de prison. En revanche, ironie de l’histoire, son co-accusé, José Mauricio Rodríguez Sánchez, a, lui, retrouvé la prison préventive du fait de l’annulation du verdict du tribunal qui l’avait acquitté le 10 mai !

    Les suites de cette bataille judiciaire sont obscures. La défense l’a livrée à coups d’appels et de recours de procédure au lieu de proposer un dossier capable de prouver l’innocence des accusés. Mais quand bien même la condamnation pour génocide en venait à être annulée définitivement, un pas énorme a été franchi. Si la justice n’avance pas, le retour à l’oubli, lui, est impossible [3]. Après avoir fait face à soixante-quinze recours et une demande d’amnistie, un tribunal de Guatemala Ciudad rendait publiques plus de neuf-cents preuves et quatre-vingt-dix-huit témoignages démontrant les actes de génocide commis. Surtout, les dix témoignages de femmes victimes de violations sexuelles systématiques ont été reconnus comme preuves de génocide car constituant des actes dont le but était de détruire le tissu social des communautés mayas, une première dans un procès pour génocide [4].

    L’autre question essentielle est à présent de savoir si cette avancée déterminante passera l’envie à quelques-uns de mettre tant d’ardeur à défendre un système où règne une oligarchie sans partage, prête aux pires atrocités pour conserver ses biens.

    L’histoire récente du Guatemala est celle d’une alliance entre les élites traditionnelles locales et les intérêts économiques étrangers. Les exemples n’ont que trop marqué l’histoire du pays. Un pillage organisé avec la complicité des dirigeants et le soutien des forces militaires, qui, sans mener aux sommets d’horreur connus lors du conflit armé, a conduit à l’élimination d’un grand nombre de résistants pacifiques et de dirigeants paysans mayas notamment. La CIA avait ainsi mis fin aux espoirs levés par le printemps démocratique de 1944 à 1954. Celui-ci portait des revendications importantes : droit à la syndicalisation, obtention des terres en friches de la United Fruit Company (aujourd’hui bananes Chiquita) pour les redistribuer aux paysans sans terre. En fomentant le coup d’Etat, l’agence de renseignement américaine venait ainsi au secours de la multinationale exportatrice de bananes, « menacée » par les réformes agraires et du travail, laissant le surnom au pays de « République bananière ».

    Un demi-siècle plus tard, l’histoire semble se répéter. Ainsi, la compagnie pétrolière franco-britannique Perenco s’est illustrée en finançant, depuis 2011, l’armée via des sommes versées au gouvernement pour chaque baril de pétrole prélevé ... Depuis le début de l’année 2013, c’est la multinationale minière canadienne, Tahoe Ressources, qui fait parler d’elle. Les responsables de ses services de sécurité ont donné l’ordre d’abattre « les fils de p… » de paysans indigènes opposés à la mine, tirant sur des hommes désarmés. Les entreprises d’huile de palme ont recours à la force publique pour déloger dans le sang des populations de paysans sans terre occupant les terres fertilesde l’Est, ne manquant pas de détruire leurs abris de fortune et brûler leurs cultures [5]. Les acteurs de projets de centrales hydroélectriques, comme celui nommé « Hydro Santa Cruz », dirigé par une entreprise espagnole dans la ville de Barillas où l’état d’urgence avait été décrété l’année dernière [6], ne sont également pas en reste pour faire intervenir l’armée dès que la tension populaire se fait sentir... La liste est longue des exactions commises au nom des intérêts privés internationaux, soutenus par un régime corrompu et convaincu de son bon droit.

    Le recours à la force armée pour régler des questions sociales est devenu une fâcheuse habitude pour Otto Pérez Molina. Militaire à la retraite, impliqué comme responsable des incendies systématiques organisés contre les communautés Ixiles lorsqu’il était en poste dans la région sous M. Ríos Montt, M. Pérez Molina préside désormais le pays depuis le 14 janvier 2012. Dernière mesure extrême prise pour calmer la colère populaire face au projet minier de Tahoe Ressources (pour lequel, au mépris du droit international, la population autochtone n’a pas été consultée) : l’imposition de l’Etat d’urgence, du 1er au 9 mai dernier [7]. Les restrictions de la liberté de circulation, de réunion et d’assemblée étaient de mises, accompagnées de fouilles, contrôles et arrestations arbitraires, notamment parmi les dirigeants autochtones Xincas.

    En jeu ? L’extraction de métal précieux (or et argent) en opposition aux revendications paysannes de conservation des terres, des ressources naturelles et des cours d’eau afin d’assurer leur subsistance et l’avenir des générations futures, en accord avec leur respect traditionnel pour la Terre Mère.

    Mais ces arguments ne pèsent pas pour les dirigeants d’un pays où les intérêts politiques et économiques sont aux mains d’une même oligarchie, sans conscience nationale lorsqu’il s’agit de livrer les richesses du Guatemala aux appétits féroces des multinationales minières, pétrolières, agricoles ... Depuis le début de l’année 2013, on assiste donc à la recrudescence du "nettoyage social" au sein des dirigeants et communautés mayas en lutte pour la défense du territoire et des ressources naturelles. Cent soixante-neuf attaques de défenseurs des droits humains ont eu lieu au premier trimestre 2013 selon l’Unité de protection des défenseurs du Guatemala (UDEFEGUA) [8].

    L’attention internationale détournée sur le procès pour génocide a délié les mains du gouvernement pour mener la répression à l’encontre des mouvements paysans mayas au Guatemala. Les défenseurs des droits humains et leur soutien ne doivent pas relâcher leur pression. S’informer et faire circuler l’information sur ce qu’il se déroule au Guatemala pourrait permettre de sortir de ce cercle vicieux qui a fait du pays un véritable laboratoire de répression des revendications sociales depuis la chute, en 1954, du dernier gouvernement progressiste.

    *Le Collectif Guatemala est une association créée en 1979 par des réfugiés guatémaltèques et des militants français des droits humains. Le principal objectif de l’association est le soutien aux organisations du mouvement social du pays dans leurs efforts pour construire un Etat de droit. Dans le cadre du projet d’accompagnement international ACOGUATE, le Collectif envoie des volontaires français sur le terrain pour être présents auprès de défenseurs des droits humains menacés. www.collectifguatemala.org/

     

    [1] Pour écouter et lire la condamnation http://ajrguatemala.org/content/audio-de-la-sentencia-condenatoria-en-el-juicio-por-genocidio

    [2] Lire la résolution complète de la Cour constitutionnelle sur l’annulation de la condamnation :
    http://issuu.com/elperiodicoguatemala/docs/foldertotal?mode=window

    [3] Toutes les audiences du procès peuvent être réécoutées en ligne :http://www.paraqueseconozca.blogspot.fr/

    [4] Sur les violations sexuelles comme armes de guerre : http://ajrguatemala.org/content/entrevista-maya-alvarado-sobre-violencia-sexual

    [5] Pour les informations concernant les conflits agraires dans un contexte d’expansion de monocultures (palme africaine et canne à sucre) dans la Vallée du Polochic à l’Est du Guatemala, voir le site : http://valledelpolochic.wordpress.com/

    [6] « Le gouvernement décrète l’Etat de siège à Barillas pour troubles liés au projet de centrale électrique », Prensa Libre, 1er mai 2012 http://www.prensalibre.com/huehuetenango/Disturbios-Huehuetenango-construccion-hidroelectrica

    [7] « Des municipalités au Guatemala en Etat de siège pour des protestations minières », Telesur, 2 mai 2013 http://www.telesurtv.net/presidente-de-guatemala-decreta-estado-de-sitio

    [8] Lire le rapport mensuel de l’Unité de protection des défenseurs du Guatemala (UDEFEGUA) : http://www.udefegua.org/index.php/informacion

    http://www.medelu.org/Au-Guatemala-la-mano-dura-face-aux


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    Washington se relance dans le nouveau jeu latino-américain
    CHINE, ALLIANCE DU PACIFIQUE, PARTENARIAT TRANSPACIFIQUE /
    vendredi, 31 mai 2013 / Christophe Ventura /

    Mémoire des luttes

    (Première partie)

    « L’Hémisphère occidental [1] a toujours eu beaucoup d’importance pour les Etats-Unis. Je pense qu’il en a encore davantage aujourd’hui car à aucun moment de l’histoire américaine son potentiel n’a été aussi grand. » [2]

    Ces propos tenus par Joe Biden lors de la 43e Conférence de Washington sur les Amériques (7-8 mai) – intitulée cette année « Les Etats-Unis et l’Hémisphère : opportunité et croissance » – visaient notamment à présenter la nouvelle feuille de route de l’administration étatsunienne en Amérique latine. Et ce, à la veille d’un ballet diplomatique régional et international aussi intense qu’inédit illustrant les nouvelles dynamiques géopolitiques à l’œuvre en Amérique latine.

    Le vice-président américain a, en effet, choisi de prononcer ce discours quelques jours après la visite du président Barack Obama au Mexique et au Costa-Rica [3] (2-4 mai), quelques semaines avant son propre déplacement au Brésil, en Colombie et à Trinité-et-Tobago (durant la semaine du 26 mai) et la venue à Washington des présidents chilien (Sebastián Piñera, le 4 juin) et péruvien (Ollanta Humala, le 11 juin). Mais également avant celle du président chinois Xi Jinping. Ce dernier se rendra, en effet, à Sunnylands en Californie, les 7 et 8 juin, pour participer à son premier Sommet Etats-Unis/Chine [4].

    Pour Joe Biden, les Etats-Unis doivent désormais se repositionner en Amérique latine sur la base d’une approche privilégiant les activités économiques et commerciales. Et ce, indépendamment des différends politiques qui opposent Washington à plusieurs pays du sous-continent (Bolivie, Equateur, Venezuela). Pour lui, ces derniers ne doivent plus écarter la première puissance mondiale des nouveaux potentiels de la région. Il s’agit désormais de réanimer et/ou d’appuyer tous les projets de développement du libre-échange en Amérique latine, qu’ils soient bilatéraux ou sous-régionaux.

    De même, le vice-président américain considère l’achèvement du doublement du canal de Panama comme un investissement prioritaire pour augmenter les capacités d’échanges commerciaux à l’intérieur du continent, comme entre ses façades pacifique et atlantique.

    Il souhaite enfin organiser le retour des Etats-Unis comme puissance énergétique incontournable de la région. En effet, le pays compte désormais sur de nouvelles réserves de pétrole et de gaz de schiste qui lui permettent de pouvoir espérer devenir, selon l’Agence américaine d’information sur l’énergie et l’Agence internationale de l’énergie, le premier producteur mondial de pétrole et de gaz naturel à l’horizon 2030 [5]. Cette perspective ouvre une nouvelle période géopolitique pour les Etats-Unis. Dans ce cadre, ces derniers souhaitent proposer des alliances dans le domaine des énergies conventionnelles et des « énergies vertes » au Brésil et à la Colombie qui disposent également d’importantes ressources. Selon Washington, il s’agirait d’accroître la part des importations de pétrole des Etats-Unis issue de ces deux pays – ce qui relativiserait ainsi celle du Venezuela – tout en positionnant leurs entreprises et leurs technologies dans l’exploitation des nouvelles ressources récemment identifiées, notamment dans les eaux profondes de l’atlantique brésilien où gisent de gigantesques réserves de pétrole « pré-sel ».

    Pour Joe Biden, l’enjeu est tout simplement « de faciliter des changements profonds qui vont littéralement modifier le centre de gravité énergétique mondial vers l’Hémisphère  » au détriment du Moyen-Orient et de bâtir les « partenariats qui vont (…) permettre de (…) configurer un système global pour les dix, vingt, cinquante années à venir  ».

    Par ailleurs, s’il estime les conflits entre Washington, l’Equateur et le Venezuela toujours vifs et de première importance, le vice-président américain se satisfait des avancées du dialogue entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), ainsi de ce qu’il qualifie de «  petits signes encourageants depuis quelques années à Cuba  ».

    Depuis 2005 et le retentissant échec du projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA – Alca en espagnol) à Mar del Plata (4e Sommet des Amériques - Argentine) imaginé pour la région par les Etats-Unis au milieu des années 1990, la première puissance mondiale a vu son hégémonie politique, économique et géopolitique sensiblement s’éroder sur le sous-continent. De ce point de vue, l’ère de la présidence Obama (ouverte en 2008) n’a en rien modifié cette dynamique. Les 5e et 6e Sommets des Amériques de Port-d’Espagne (Trinité et Tobago) de 2009 et de Carthagène des Indes (Colombie) de 2012 ont confirmé le relatif affaiblissement des Etats-Unis dans la région.

    Sur le plan politique, la nouvelle génération de gouvernements progressistes élus dans une majorité de pays (notamment sud-américains) a imposé à Washington un nouveau rapport de forces en éloignant la traditionnelle puissance tutélaire des affaires politiques et géopolitiques de la région. Et ce, notamment au travers de la création de nouvelles configurations d’intégration régionale proprement latino-américaines (Unasur, Alba, Celac) [6]. Sur le plan économique, le poids des Etats-Unis a sensiblement diminué au détriment de l’Asie et de la Chine en particulier. En 2012, le commerce entre les deux parties du continent représentait cependant 843 milliards de dollars, celui entre la Chine et l’Amérique latine atteignant, lui, 200 milliards de dollars (contre 10 au début des années 2000) [7]. Si les Etats-Unis restent la première destination des exportations latino-américaines, l’Asie est devenue, depuis 2011, la seconde devant l’Union européenne (UE). Dans ce mouvement inédit, la Chine constitue déjà la première destination des exportations du Brésil (17 % ; Etats-Unis : 10%), du Chili (23 % ; Etats-Unis : 11 %) et du Pérou (15% ; Etats-Unis : 13%), la seconde de l’Argentine (7 % ; Etats-Unis : 5 %), la troisième de Colombie ( 4 % ; Etats-Unis : 40 %), et du Mexique ( 2 % ; Etats-Unis : 79 %) [8].

    Cette montée en puissance sur le plan économique de la Chine s’est accompagnée d’un renforcement de ses alliances avec plusieurs pays latino-américains et la région en tant que telle.
    Ces dernières années, Pékin a signé des accords de libre-échange avec le Costa Rica, le Chili et le Pérou. La Chine a également négocié un accord de partenariat stratégique avec le Brésil et proposé un accord de libre-échange au bloc du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Venezuela) [9]. A ceci s’ajoute le développement de relations économiques bilatérales renforcées et/ou privilégiées avec d’autres pays (Argentine, Cuba, Equateur, Mexique, Venezuela).

    Dans ce contexte où certains évoquent l’existence d’un « défi hégémonique » à venir pour les Etats-Unis avec la Chine, Washington semble décidé à se réinvestir en Amérique latine. Et ce, alors que le gouvernement américain entrevoit la disparition de Hugo Chavez au Venezuela comme une fragilisation structurelle de la Révolution bolivarienne limitant cette dernière dans sa capacité à animer un front politique régional contre lui.

    L’émergence de la Chine et le début de l’ère post-Chavez au Venezuela n’expliquent pas à eux seuls le regain étatsunien qui s’annonce. Deux autres facteurs doivent être pris en compte. Sur le plan géopolitique, les Etats-Unis doivent intégrer l’existence d’un second concurrent dynamique dans la région, le Brésil, à qui ils assurent néanmoins sa première source d’investissements. Ce dernier s’est désormais affirmé comme la puissance régionale majeure - l’Amérique latine est son premier marché d’exportation pour les produits manufacturés [10] – et pèse dans les affaires internationales [11]. Sur le plan économique, l’Amérique latine connaît une croissance ininterrompue et soutenue depuis une décennie. Elle dispose désormais, dans plusieurs pays, d’une importante classe moyenne consommatrice (environ 225 millions de personnes) [12]. Comme veut le croire Joe Biden, ses membres sont éligibles à l’obtention de « la carte Gold  ». Plus sérieusement, le vice-président américain affirme compter sur «  le nouveau commerce, les investissements et la consommation de l’Amérique latine pour créer des emplois aux Etats-Unis  ».

    Pour mener à bien leur projet, il convient de rappeler que, grâce à leurs accords de libre-échange bilatéraux ou sous-régionaux, les Etats-Unis disposent toujours de places fortes sur le sous-continent pour leurs entreprises et leurs investissements. L’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) englobe le Mexique ; l’accord de libre-échange République Dominicaine/Amérique centrale/Etats-Unis (CAFTA-DR), signé en 2004, concerne, outre la République Dominicaine, le Costa Rica, El Salvador, le Guatemala, le Honduras, et le Nicaragua.

    Par ailleurs, ils bénéficient d’accords de libre-échange bilatéraux avec le Chili, la Colombie, le Panama et le Pérou, ainsi que de commissions commerciales bilatérales avec l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. L’administration étatsunienne entretient également des relations commerciales institutionnalisées avec le Mercosur et le Marché commun caribéen (CARICOM).

    Mais désormais, les Etats-Unis comptent sur deux projets pour relayer leurs intérêts en Amérique latine. Il s’agit tout d’abord de l’Alliance du Pacifique. Cette nouvelle configuration d’intégration régionale a été lancée le 6 décembre 2012 et regroupe ses principaux alliés économiques dans la région : la Colombie, le Chili, le Mexique, le Pérou (dont chacun est lié aux Etats-Unis par un accord de libre-échange). Le Costa-Rica (dans la même situation) va l’intégrer à son tour (le pays a, par ailleurs, signé un accord de libre échange avec la Colombie le 22 mai), ainsi que le Panama (signataire d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis) qui était représenté par son président Ricardo Martinelli en tant qu’ « observateur candidat  ». Pour sa part, le Paraguay en a formulé la demande.

    L’objectif de l’Alliance est la constitution d’une zone de libre-échange entre tous ces pays disposant d’une façade pacifique (hors Paraguay), ouverte vers l’Asie et la Chine notamment. Il s’agit d’y établir, à termes, une liberté de circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes et d’y susciter les investissements internationaux. L’ensemble représente une population de 210 millions d’individus, 35% du PIB latino-américain et 3 % du PIB mondial (le Mercosur en représente 5 % [13]). Sorte de « hub  » du libre-échange régional, cet espace constituera un point d’appui déterminant pour l’expansion commerciale des Etats-Unis ne serait-ce que par le jeu des accords de libre-échange bilatéraux qui lui permettront d’assurer une circulation sans entraves de leurs biens, services et investissements dans chacun des marchés nationaux et, ce faisant, au sein du nouvel espace constitué entre eux.

    Le principe de la mise en place d’un parlement de l’Alliance a été décidé. Lors de son récent 7e Sommet qui s’est tenu le 23 mai à Cali (Colombie), l’Alliance et ses quatre pays fondateurs ont décidé, outre la signature de quinze accords de coopération, l’abaissement des tarifs douaniers au sein de l’ensemble à partir du 30 juin. Cette décision touchera dans un premier temps 90 % des biens et services qui circulent entre ces quatre pays. Parmi ceux-ci, 50 % seront d’emblée libres de tout droits de douanes [14].

    Sept autres pays – dont un européen – assistaient à ce Sommet en tant qu’observateurs : l’Australie, le Canada, le Guatemala, l’Espagne, le Japon, la Nouvelle Zélande, l’Uruguay. Un groupe de sept autres – dont la France – disposent désormais d’un statut d’observateurs permanents du processus : l’Equateur, El Salvador, la France, le Honduras, le Paraguay, le Portugal, la République Dominicaine.
     
    Le second projet, auquel la plupart des acteurs de l’Alliance du Pacifique sont également associés, est le plus ambitieux que les Etats-Unis ait développé depuis des années. Il s’agit du Partenariat transpacifique (PTP) [15]. Evoqué dès 2009 par Barack Obama, il a étéofficiellement lancé le 12 novembre 2011. Ce projet consiste à mettre en place la plus grande zone de libre-échange jamais créée au monde. Il vise à contrecarrer l’expansion économique et commerciale de la Chine en Asie et dans le Pacifique (40 % du commerce mondial). Le PTP est, en quelques sorte, le pendant, dans cette région, du Grand marché transaltantique dont les négociations sont actuellement en cours entre les Etats-Unis et l’Union européenne [16]. Ces deux initiatives reconfigurent le positionnement des Etats-Unis dans la concurrence économique et commerciale internationale et le système-monde face aux BRICS et autres blocs régionaux formés depuis les années 2000 .

    Le Chili, le Pérou et le Mexique sont les trois Etats latino-américains actuellement membres du PTP [17]. La Colombie a exprimé son intérêt pour le projet et dispose d’accords de libre échange avec cinq des onze pays impliqués à ce jour (elle est actuellement en négociation avec le Japon). Pour elle, ces onze pays représentent la moitié de ses exportations totales. Les autres pays associés sont l’Australie, le Brunéi, le Canada, les Etats-Unis, le Japon, la Malaisie, la Nouvelle Zélande, Singapour, le Vietnam. La Corée du Sud pourrait rejoindre cet ensemble géoéconomique qui représente à lui seul 30 % du PIB et un cinquième des exportations mondiales.

    Pour ses promoteurs, “ à travers le PTP, les Etats-Unis cherchent à accélerer l’avénement de la prochaine génération d’accords sur le commerce et les investissements. Ceux-ci leur permettront de renforcer leur compétitivité, d’augmenter leur commerce dans la région Asie-Pacifique, de soutenir la création et la localisation d’emplois sur leur territoire” [18].

    La zone PTP constitue le premier marché d’exportations des Etats-Unis (942 milliards de dollars en 2012, 61 % de leurs exportations totales, 75 % de leurs exportations de produits agricoles). Services, barrières non tarifaires (normes sanitaires, phytosanitaires, règlementations des produits, etc.), marché du travail, agriculture, cadres juridiques des Etats, e-commerce, investissement, propriété intellectuelle, services financiers, droits de douanes, traçabilité des biens, règles de la concurrence, règles environnementales, etc. Tous ces secteurs feront l’objet d’une libéralisation intégrale.

    L’affaire est à ce point prioritaire pour Barack Obama que les négociations limitent l’implication du Congrès grâce à l’activation du mécanisme du « fast-track authority  ». Ce dernier autorise le président à négocier directement un accord commercial qui sera, in fine, soumis au Congrès pour un vote d’approbation ou de rejet, mais sans possibilité pour ce dernier de l’amender ou d’organiser un débat élargi. De même, cette procédure oblige le Congrès à ne pas modifier le texte pendant la législature. En revanche, plus de 600 lobbyistes de multinationales américaines accompagnent l’administration Obama dans ces négociations. Celles-ci vont, selon l’analyste politique Malaisien Nile Bowie, octroyer « des droits jamais connus aux multinationales face aux Etats pour obtenir d’eux des compensations financières lorsque leurs politiques publiques affecteront, selon les critères de ces firmes, leurs perspectives de profits futurs dans un pays  ». Ainsi, « l’objectif est d’affranchir les firmes multinationales de toute responsabilité juridique vis-à-vis des gouvernements des pays dans lesquels s’applique le PTP. Le droit du commerce doit prévaloir et obliger les gouvernements signataires à être responsables devant les multinationales pour les coûts que leur imposeraient des lois nationales de réglementations. Cette logique s’appliquant aux secteurs de la santé, de la sécurité et de l’environnement  ».

    Et de préciser : « Dans l’Etat pour investisseurs privés que le PTP tente de mettre en place, les grandes entreprises étrangères peuvent porter plainte contre les gouvernements nationaux en plaçant les pays signataires sous le juridiction de tribunaux arbitraux d’investisseurs composés d’avocats du secteur privé  ».

    Par ailleurs, « la législation proposée sur la propriété intellectuelle aura d’énormes répercussions pour les signataires du PTP, y compris la possibilité de couper l’accès à Internet des foyers, des entreprises et des organisations. Sanctions acceptées en cas de non respect du copyright. En substance, les Etats signataires se soumettraient à des règles de propriété intellectuelle oppressives élaborées par les cartels du copyright de Hollywood, ce qui limiterait sévèrement leurs possibilités d’échanges d’informations numérisées sur des sites comme You Tube où les vidéos en streaming sont considérées comme susceptibles d’être assujetties au copyright  ».

    Pour l’analyste, « face à l’émergence de pays en développement comme ceux des BRICS ou d’autres qui cherchent un accès plus important à la croissance et au développement économique, l’administration Obama réalise qu’elle doit offrir aux nations du Pacifique – qui pourraient sinon approfondir leurs relations économiques avec la Chine – des débouchés plus généreux dans l’économie américaine ». Ainsi, « tout comme le Pentagone repositionne la puissance militaire des Etats-Unis dans la région Asie-Pacifique, le PTP s’affirme comme le véritable bras armé économique de la politique américaine du « pivot asiatique », attirant les économies stratégiques de la région dans un cadre juridique de gouvernance d’entreprises qui leur promet un accès libre aux marchés de la première puissance mondiale  » [19].

    L’Amérique latine offre un panorama tout à fait inédit. Elle se révèle le théâtre d’une nouvelle donne géoéconomique et géopolitique qui dépasse son propre périmètre géographique. Dans celle-ci, la Chine renforce ses positions, de nouvelles alliances géoéconomiques faisant la part belle au libre-échange et aux alliances commerciales avec les Etats-Unis se déploient aux côtés de configurations d’intégration régionale visant précisément à limiter l’influence de ces derniers dans la région et à renforcer l’indépendance du sous-continent.

    Les Etats-Unis intègrent l’Amérique latine dans une stratégie plus large qui vise, dans le périmètre de la région Asie-Pacifique, à organiser leur réplique face à l’émergence de nouveaux acteurs économiques et politiques dans le système-monde depuis le début des années 2000. Et ce, alors qu’ils peuvent désormais s’appuyer sur de nouveaux atouts énergétiques et politiques.

    Comment les pays latino-américains, et au premier rang desquels le Brésil [20] dont les intérêts contredisent, à termes, ceux des Etats-Unis et de la Chine dans la région, se déterminent dans ce nouveau jeu ?

    Cette question fera l’objet de la seconde partie de cet article. Ce dernier tirera également un bilan des différentes rencontres officielles de la période.

    [1] Pour Washington, cette expression englobe le Canada, les Etats-Unis et l’Amérique latine.

    [2] Allocution au sujet des priorités des Etats-Unis en Amérique latine. Lire Latin American Herald Tribune ; 29 mai 2013 (http://www.laht.com/article.asp?ArticleId=773166&CategoryId=12394).

    [3] Sur place, le président américain a rencontré plusieurs dirigeants centre-américains.

    [4] Auparavant, le nouveau président chinois aura visité trois pays latino-américains du 31 mai au 6 juin dont les deux parcourus en mai par Barack Obama : Costa-Rica, Mexique, Trinité-et-Tobago. Pour sa part, le vice-président Li Yuanchao s’est rendu en Argentine du 10 au 12 mai et au Venezuela du 12 au 16 mai pour consolider la coopération économique entre Pekin et ces deux pays.

    [5] Ces analyses sont relativisées par le géologue canadien réputé Davis Hugues. Lire Hervé Kempf, « Gaz de schiste : la fin” sur le site Reporterre : http://www.reporterre.net/spip.php?article4240

    [6] Sur ces sujets, consulter le site de Mémoire des luttes (www.medelu.org)

    [7] « The Obama Administration Looks to Latin America After Years of Neglect », Time World, (http://world.time.com/2013/05/13/has-washington-finally-discovered-latin-america/). En valeur, les seules exportations américaines vers l’Amérique latine représentaient, en 2012, 690 milliards de dollars (56 % de plus qu’en 2009). Lire « 10 Things You Didn’t Know about U.S.-Latin America Relations », dans « Latin America Goes Global », Americas Quarterly, printemps 2013 (http://www.americasquarterly.org/charticles/10-Things-You-Didnt-Know-About-US-Latin-America-Relations/ ).

    [8] Pour leur part, les importations latino-américaines provenaient, en 2010, pour 29,1 % des Etats-Unis, pour 27,2% d’Asie, pour 13,7 % de l’Union européenne. La Chine s’est, en 2011, hissée au second rang des pays d’où importent leurs besoins l’Argentine (14% ; Etats-Unis : 23%), le Brésil (15% ; Etats-Unis : idem), la Colombie (15% ; Etats-Unis : 25%), le Chili (17% ; Etats-Unis : 20%), le Mexique (15% ; Etats-Unis : 50 %), le Pérou (18% ; Etats-Unis : 20%). Données tirées de Panorama de la insersion internacional de America latina y el Caribe, Cepal, 2010-2011 et de « Latin America goes Global », Americas Quaterly (http://www.americasquarterly.org/charticles/Latin-Americas-Changing-Global-Connections/ ).

    [9] La Bolivie a signé un protocole d’adhésion lors du 44ème Sommet du Mercosur qui s’est tenu à Brasilia les 7 et 8 décembre 2012. L’Equateur est également en négociation pour intégrer l’ensemble. Le Paraguay est suspendu de participation depuis le coup d’Etat contre le président Fernando Lugo en juin 2012.

    [10] Lire Renaud Lambert, « Le Brésil s’empare du rêve de Bolívar”, Le Monde diplomatique, juin 2013.

    [11] Comme le confirme la récente nomination de Roberto Azevêdo à la tête de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

    [12] Celle-ci a augmenté de 50 % en dix ans.

    [13] Barbara Kotschwar et Jeffrey J.Schott, “The Next Big Thing ? The Trans-Pacific Partnership and Latin-America”, Americas Quarterly, printemps 2013 (http://www.americasquarterly.org/next-big-thing-trans-pacific-partnership ).

    [14] Lire la Déclaration de Cali : http://www.viicumbrealianzadelpacifico.com/noticias/vii-cumbre-de-la-alianza-del-pac%C3%ADfico-declaraci%C3%B3n-de-cali

    [15] Trans-Pacific Partnership (TPP) en anglais.

    [16] Lire Bernard Cassen, « Le grand marché transatlantique : danger ! » (http://www.medelu.org/Le-grand-marche-transatlantique ).

    [17] Tous ces pays font partie de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) dont la Chine est membre.

    [18] Extrait du communiqué officiel du Bureau de la représentation commerciale des Etats-Unis (USTR) à l’issue de la réunion du 17e cycle de négociations du PTP organisée à Lima du 15 au 24 mai : http://www.ustr.gov/about-us/press-office/press-releases/2013/may/tpp-negotiations-strong-momentum. La tenue de cette réunion à Lima explique en partie la visite de Ollanta Humala à Washington le 11 juin. Le prochain cycle de négociations se déroulera du 15 au 25 juillet en Malaisie.

    [19] Pour une analyse critique de l’intégralité du projet PTP, lire Nile Bowie, “ Neoliberal Overload. Trans-Pacific Partnership : Corporate Power-Tool Of the 1%”, Counterpunch (http://www.counterpunch.org/2013/04/03/trans-pacific-partnership-corporate-power-tool-of-the-1/)

    [20] La présidente Dilma Rousseff sera reçue le 23 octobre à Washington par Barack Obama.

    http://www.medelu.org/Washington-se-relance-dans-le


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