• Théorie marxiste

    Les bases du marxisme

    L'exploitation capitaliste n'est pas un mythe. Elle asservit l'homme et détruit la planète...

    La lecture du livre de Marx : le Capital, est ardue et parfois difficile à comprendre.

    La théorie marxiste de l'économie politique reste cependant un outil nécéssaire pour comprendre le système dans lequel nous vivons. Ce système se caractèrise en l'exploitation de l'homme par l'homme ....

    Les crises successives sont inévitables car le recherche incessante d'un plus grand profit mène la classe possédante à sans cesse trouver de nouveaux moyens de produire de la plus value.

    Le marxisme est une pensée critique, mais pas un "système" : "je n'ai jamais établi de "système socialiste"" écrivait Karl Marx dans ses Notes critiques sur Adolphe Wagner (1880). Le marxisme est une analyse en évolution du monde tel qu'il est, une méthode qui doit lier intimement pratique et théorie.

  • Marx, patrimoine de l’humanité

    L’Unesco a officiellement inscrit le Manifeste du Parti communiste ainsi que le premier livre du Capital, de Karl Marx, sur la liste du patrimoine de l’humanité. Voilà une belle et légitime consécration pour l’auteur qui a le mieux su analyser le capitalisme, et tracer la voie pour en finir avec ce système. Cette nouvelle ne doit cependant pas réjouir les grands de ce monde, pour qui Marx est l’incarnation du plus grand danger : celui de voir les travailleurs s'unir et se soulever pour se libérer des chaînes du capital. Puisse ce patrimoine continuer à inspirer les travailleurs du monde.

    http://www.ptb.be


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  • Gilbert Remond : sans un parti communiste et une organisation de la jeunesse s'appuyant résolument sur le combat de classe et une théorie révolutionnaire, pas de perspective pour un mieux vivre !
     

    Au Chili comme au Brésil ou en Argentine, le fascisme a imposé avec des dictatures sanglantes des mesures libérales qui ont réduit à rien les services publics de ces pays, certaines comme sous Pinochet ont été complimentées par les économistes reconnus de nos universités et de nos médias. Qu'importait la misère et la pauvreté qui s'ensuivait, cela n'intéressait pas les militaires, ni nos médiacrates. Leurs peuples ont résisté pour retrouver des régimes plus démocratique mais n'ont pas été tirés d'affaire pour autant, les démocraties labellisées par les grands pays capitalistes en gros les partenaires-concurrents du G8 n'ayant pas d'avantage le souci du confort des peuples que leurs prédécesseurs sanguinaires et liberticides, celle-ci auraient même tendance à reprendre certaines de leurs méthodes policières lorsqu'elles se sentent débordées.

    Ainsi donc les cadres politiques dans lesquels vivent ces peuples apportent toujours les mêmes réponses. S'ils changent, c'est pour que rien ne change. Il ne reste donc d'autres alternatives que celle de continuer les luttes pour obtenir que reviennent sous forme de service à la collectivité une part du travail socialement réalisé que s'accapare toujours avec le même égoïsme glacé le capital. Ces luttes nous montrent par leurs caractères massifs et la détermination de leurs acteurs qu'elles sont les seules voies à emprunter pour se faire entendre. Nous dont le patrimoine social et historique malgré les attaques subies de ces dernières années, ménage encore quelques niches de confort, devrions comprendre que la meilleure des solidarités à leur apporter serait que nous empruntions les mêmes chemins pour forcer nos capitalistes qui sont souvent aussi les leurs à moins de prétention dans leurs pratiques vampiriques, et qu'ils stoppent cette tension infinie du toujours plus de leurs marges bénéficiaires et de leurs profits. Les rapports de force sont le seul langage qu'ils comprennent et par-dessus tout celui qui les prive de leur plus-value, c’est-à-dire la grève générale, le blocage à la source de ce qui produit la valeur à partir de quoi se constitue le capital.

    Mais ces luttes nous montrent aussi que la résignation est le pire des remèdes, qu'il n'y a pas d'autres choix pour le mieux vivre que la lutte et l'énergie qu'elle apporte. Rejoignons les peuples d'Amérique latine dans la revendication de ce mieux vivre, pour le droit au savoir et le droit au bonheur, cette promesse que nous avait fait entrevoir le projet de constitution de Robespierre et qui plus que jamais doit rester le combat de l'humanité. N'en déplaise, nous appelons depuis Marx cette démarche le socialisme, et elle impose que nous nous réapproprions les grands moyens de production et d'échange seule garantie à sa pérennisation.  Comme  dans chacune des  situations rapportées ci-dessous un parti communiste  et  une organisation de la jeunesse s'appuyant résolument sur le combat de classe et une théorie révolutionnaire sont nécessaires pour structurer le mouvement et lui ouvrir une perspective, cette perspective.

    Gilbert Rémond

    http://jacques.tourtaux.over-blog.com.over-blog.com


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  • Rosa Luxembourg, le 1er mai 1913 :

     « Un moment d'unité internationale des travailleurs, pour la paix et le socialisme »

    Un article écrit par la révolutionnaire allemande Rosa Luxembourg, pour le 1er mai 1913. Cent ans après, en période de crise capitaliste et de guerres impérialistes.

     
    Au moment du premier 1er mai, en 1886, la crise semblait dépassée, l'économie capitaliste de nouveau sur les rails de la croissance.

    On rêvait de d'un développement pacifique : les espoirs et les illusions d'un dialogue pacifique et raisonnable entre travail et capital germaient; le discours de la « main tendue à toutes les bonnes volontés » perçait; les promesses d'une « transition graduelle au socialisme » dominaient ».

    Crises, guerres et révolution semblaient des choses du passé, l'enfance de la société moderne : le parlementarisme et les syndicats, la démocratie dans l’État et la démocratie sur le lieu de travail étaient supposées ouvrir les portes d'un nouvel ordre, plus juste.

    L'histoire a soumis toutes ces illusions à une épreuve de vérité redoutable. A la fin des années 1890, à la place du développement culturel promis, tranquille, fait de réformes sociales, commençait une phase de violent aiguisement des contradictions capitalistes – un boom avec ses tensions électriques, un krach avec ses effondrements, un tremblement de terre fissurant les fondements de la société.

    Dans la décennie suivante, une période de dix ans de prospérité économique fut payée au prix de deux crises mondiales violentes, six guerres sanglantes, et quatre révolutions sanglantes.

    Au lieu des réformes sociales : lois de sécurité, répression et criminalisation du mouvement social. Au lieu de la démocratie industrielle : concentration extraordinaire du capital dans des ententes et trusts patronaux, et plans de licenciement massifs. Au lieu de la démocratie dans l'Etat : un misérable écroulement des derniers vestiges du libéralisme et de la démocratie bourgeoise.

    La classe ouvrière révolutionnaire se voit aujourd'hui globalement comme seule, opposée à un front réactionnaire uni des classes dominantes, hostile mais ne se maintenant que par leurs ruses de pouvoir.

    Le signe sous lequel l'ensemble de cette évolution, à la fois économique et politique, s'est consommée, la formuleà la quelle elle renvoie, c'est l'impérialisme.

    Rien de nouveau, aucun tournant inattendu dans les traits généraux de la société capitaliste. Les armements et les guerres, les contradictions internationales et la politique coloniale accompagnent l'histoire du capitalisme dès sa naissance.

    Nous ne sommes que dans la phase d'intensification maximale de ces contradictions. Dans une interaction dialectique, à la fois la cause et l’effet de l'immense accumulation de capital, par l'intensification et l'aiguisement de ces contradictions tant internes, entre capital et travail, qu'externes, entre Etats capitalistes – l'impérialisme a ouvert sa phase finale, la division du monde par l'offensive du capital.

    Une chaîne d'armements infinis et exorbitants sur terre comme sur mer dans tous les pays capitalistes du fait de leurs rivalités ; une chaîne de guerres sanglantes qui se sont répandues de l'Afrique à l'Europe et qui a tout moment peut allumer l'étincelle qui embrasera le monde.

    Si on y ajoute le spectre incontrôlable de l'inflation, de la famine de masse dans l'ensemble du monde capitaliste. Chacun de ces signes est un témoignage éclatant de l'actualité et de la puissance de l'idée du 1er mai.

    L'idée brillante, à la base du Premier mai, est celle d'un mouvement autonome, immédiat des masses prolétariennes, une action politique de masse de millions de travailleurs qui autrement auraient été atomisées par les barrières des affaires parlementaires quotidiennes, qui n'auraient pour l'essentiel pu exprimer leur volonté que par le bulletin de vote, l'élection de leurs représentants.

    La proposition excellente du français Lavigne au Congrès de Paris de l'Internationale ajoutait à cette manifestation parlementaire, indirecte de la volonté du prolétariat, une manifestation internationale directe de masse : la grève comme une manifestation et un moyen de lutte pour la journée de 8 heures, la paix mondiale et le socialisme.

    Et cette idée, cette nouvelle forme de lutte, a donné un nouvel élan au mouvement cette dernière décennie ! La grève de masse a été reconnu internationalement comme une arme indispensable de la lutte politique.

    Comme action, comme arme dans la lutte, elle revient sous des formes et des nuances innombrables dans tous les pays, ces quinze dernières années.

    Pas étonnant ! Le développement dans son ensemble de l'impérialisme dans la dernière décennie conduit la classe ouvrière internationale à voir plus clairement et de façon plus tangible que seule la mise en mouvement des masses, leur action politique autonome, les manifestations de masse et leurs grèves ouvriront tôt ou tard une phase de luttes révolutionnaires pour le pouvoir et pour l'Etat, peuvent apporter une réponse correcte du prolétariat à l'immense oppression que produit les politiques impérialistes.

    En cette période de course aux armements et de folie guerrière, seule la volonté résolue de lutte des masses ouvrières, leur capacité et leur disposition à de puissantes actions de masse, peuvent maintenir la paix mondiale et repousser la menace d'une guerre mondiale.
     
    Et plus l'idée du Premier Mai, l'idée d'actions de masse résolues comme manifestation de l'unité internationale, comme un moyen de lutte pour la paix et le socialisme, s'enracinera, et plus notre garantie sera forte que de la guerre mondiale qui sera, tôt ou tard, inévitable, sortira une lutte finale et victorieuse entre le monde du travail et celui du capital.
     
    In Liepziger Volkszeitung, 30 avril 1913
     
    Traduction AC (traduction libre d'extraits de l'article originel - repris par la JC Paris 15 dans le numéro 2 de son journal) pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
     
     
     

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  •  MARX ET L'UNION SACREE

    L'HISTOIRE NE SE REPETE PAS MAIS ELLE PEUT BEGAYER

    UN ECRIT DE MARX SUR LA POLITIQUE POLITICIENNE EN ALLEMAGNE AVEC LA DROITE ET LES COALITIONS.

    Cette courte présentation de ma part rappelle les manoeuvres du capital quand il est en crise pour pratiquer l'Union Sacrée de tous les partis. Ce matin un organisme de sondage indique que les français seraient partisans d'un gouvernement d'Union Nationale. En Italie c'est le cas depuis hier où la sociale-démocratie vient de faire alliance avec les néo fascistes de chez Berlusconi. En France, depuis quelques jours la presse aux ordres du grand capital lance l'idée d'un gouvernement national composé de personalités de droite et de gauche avec des techniciens. Ils avancent les noms de Bayrou et de Gallois et d'autres personages.

    J'ai repris cette lettre de Marx pour montrer à quel point la bourgeoisie sait faire pour enrôler les sociaux démocrates et tenter de pervertir y compris les éléments les plus avancés dans l'Union Sacrée du capital.

    Avec la crise systèmique actuelle du capitalisme, nous sommes dans ce scénario et Hollande en est un élèment majeure pour rassembler les défaitistes.

    Bernard LAMIRAND

    Voici la lettre de Marx concernant la duplicité de Lassale un social-démocrate allemand.

    Lettre à Kugelmann

    Karl Marx

    23 Février 1865

    J'ai reçu hier votre lettre qui m'a vivement intéressé, et je veux répondre à ses différents points.

    Tout d'abord permettez-moi de vous exposer brièvement mes rapports avec Lassalle. Pendant toute son agitation nos relations furent suspendues : 1° à cause de ses fanfaronnades et de ses vantardises doublées du plagiat le plus honteux de mes œuvres; 2° parce que je condamnais sa tactique politique; et 3° parce que je lui avais déclaré et "démontré", avant même qu'il eût commencé son agitation dans le pays, que c'était un non-sens de croire que l' "Etat prussien" pourrait exercer une action socialiste directe. Dans les lettres qu'il m'adressa, de 1848 à 1863, ainsi que dans nos entrevues personnelles, il s'était toujours prononcé pour le Parti que je représente. Mais dès qu'il se fut convaincu à Londres (fin 1862) qu'il ne pourrait poursuivre son petit jeu avec moi, il décida de se poser en "dictateur ouvrier" contre moi et contre le vieux Parti. Malgré tout, je reconnus ses mérites d'agitateur quoique, vers la fin de sa courte carrière, son agitation m'apparût sous un jour de plus en plus équivoque. Sa mort subite, notre vieille amitié, les lettres de deuil de la comtesse de Hatzfeld, ma répugnance pour l'insolence poltronne des feuilles bourgeoises envers celui qu'elles avaient tant redouté de son vivant, tout cela me détermina à publier une courte déclaration contre ce misérable de Blind; mais cette déclaration ne se rapportait pas à l'action même de Lassalle (la Hatzfeld envoya la déclaration à la Nordstern). Pour ces mêmes raisons, et dans l'espoir de pouvoir éloigner ainsi des éléments qui me semblaient dangereux, je promis, ainsi qu'Engels, de collaborer au Sozial-Demokrat (cet organe avait publié une traduction du " Manifeste Inaugural").

    Quant à moi, sur son désir, j'envoyai à la mort de Proudhon un article sur ce dernier, et je permis à la rédaction de nous considérer comme ses collaborateurs, après qu'elle nous eût envoyé un programme satisfaisant. Et enfin le fait que W. Liebknecht était membre officieux de la rédaction nous fut également une garantie. Cependant, il s'avéra très vite — nous en reçûmes bientôt la preuve — que Lassalle, en fait, avait trahi le Parti. Il avait conclu un véritable contrat avec Bismarck (et naturellement sans recevoir aucune garantie de son côté). Il devait se rendre à la fin de septembre 1864 à Hambourg, et là (avec le fou Schramm et l'espion de police prussien Marr) "forcer" Bismarck à l'annexion du Schleswig-Holstein, c'est-à-dire proclamer cette annexion au nom des "ouvriers". En compensation, Bismarck avait promis le suffrage universel et quelques charlataneries socialistes. Dommage que Lassalle n'ait pu jouer cette comédie jusqu'au bout ! Elle l'aurait rudement ridiculisé et aurait montré combien il avait été mystifié. Toute autre tentative de ce genre eût été rendue impossible à jamais ! Lassalle s'est engagé sur cette fausse route parce que, dans le genre de M. Miquel, c’était un Real politiker, mais de plus grande envergure et avec des mobiles plus élevés. By the bye, j'étais depuis si longtemps fixé sur Miquel que je m’expliquais son attitude sur le fait que le National Verein était une superbe occasion pour cet avocaillon du Hanovre de se faire écouter par l'Allemagne en dehors des quatre murs de sa maison. Il voulait aussi, d'une façon rétroactive, faire valoir sa personne dans le Hanovre et jouer le "Mirabeau hanovrien" sous la protection de la Prusse. Tout comme Miquel et ses amis actuels s'emparent de l' "ère nouvelle" inaugurée par le prince régent de Prusse, pour national zu vereinlern et se cramponner au faîte prussien", tout comme ils déployèrent leur "fierté bourgeoise" sous la protection de la Prusse, de même Lassalle voulait jouer au marquis Posa du prolétariat avec le Philippe II d'Uckermarck; et Bismarck devait servir d'entremetteur entre lui et la royauté prussienne. D'ailleurs, il ne faisait ainsi qu'imiter ces messieurs du National Verein. Mais tandis que ces derniers firent appel à la "réaction" prussienne dans l'intérêt de la classe moyenne, Lassalle serra la main de Bismarck dans l'intérêt du prolétariat. Dans un sens, l'attitude de ces gens était plus justifiée que celle de Lassalle, le bourgeois étant habitué en "réaliste" à ne considérer comme son intérêt le plus immédiat que celui qui se trouve le plus près du bout de son nez. En outre, cette classe a toujours, en fait, conclu à un compromis, même avec la féodalité, tandis que la classe ouvrière, par la nature même des choses, doit être sincèrement révolutionnaire.

    Pour une nature théâtralement altière comme celle de Lassalle, que des vétilles telles que postes, titres de bourgmestre, etc., ne pouvaient corrompre, c'était une pensée bien séduisante : une action directe en faveur du prolétariat, réalisée par Ferdinand Lassalle ! En fait, il était trop ignorant des véritables conditions économiques d'une telle action pour pouvoir faire de critique envers lui-même. Quant aux ouvriers allemands, ils étaient tombés trop bas à la, suite de la vile politique de réalités par laquelle les bourgeois allemands avaient enduré la réaction de 1849-1859 et toléré l'abrutissement du peuple, pour ne pas acclamer ce sauveur charlatanesque qui leur promettait de les faire passer d'un seul bond en terre sainte !

    Reprenons le fil interrompu plus haut : à peine le Sozial-Demokrat était-il fondé, qu'on s'aperçut que la vieille Hatzfeld voulait exécuter après coup le "testament" de Lassalle. Elle était en relations avec Bismarck par l'intermédiaire de Wagner, de la Kreuz-Zeitung. Elle mit l'Arbeiterverein (allgemeinen deutschen), le Sozial-Demokrat, etc., à la disposition de ce dernier. L'annexion du Schleswig-Holstein devait être proclamée dans le Sozial-Demokrat et Bismarck reconnu Patron. Tout ce plan fut déjoué par la présence de Liebknecht à Berlin et à la rédaction du Sozial-Demokrat. Quoique la rédaction de la feuille nous déplût fort, à Engels et à moi; malgré le culte flagorneur pour Lassalle, la coquetterie occasionnelle avec Bismarck, etc., qui étaient en vigueur, il était naturellement beaucoup plus important, pour le moment, de ne pas rompre publiquement avec la feuille, afin de déjouer l'intrigue de la vieille Hatzfeld et d'empêcher que le Parti ouvrier fût complètement compromis. C'est pourquoi nous fîmes bonne mine à mauvais jeu, tout en écrivant privatim au Sozial-Demokrat qu'il devait faire front aussi bien à Bismarck qu'aux progressistes. Nous tolérâmes même les intrigues de Bernhard Becker (ce vaniteux plein de lui-même qui prenait au sérieux l'importance que Lassalle lui avait léguée par testament) contre l'International Workingmen's Association.

    Pendant ce temps, les articles de M. Schweitzer dans le Sozial-Demokrat devenaient de plus en plus bismarckiens. Je lui avais écrit auparavant qu'on pouvait intimider les progressistes dans la "question de la coalition", mais que le gouvernement prussien, au grand jamais, n'accepterait la suppression complète de la loi de coalition, car cela signifierait une brèche dans la bureaucratie, mettrait les ouvriers hors de tutelle, entraînerait la suppression du règlement pour les domestiques, l'abolition de la bastonnade à la campagne, etc., ce que Bismarck ne permettrait jamais, et qui est même incompatible avec l'Etat de fonctionnaires prussien. J'ajoutai même que, si la Chambre rejetait la loi de coalition, le gouvernement, pour la maintenir, se retrancherait derrière de grandes phrases (disant, par exemple, que la question sociale exige des mesures "plus profondes", etc.). Tout cela se confirma. Et que fit M. Schweitzer ? Il écrivit un article en faveur de Bismarck et réserva tout son héroïsme contre des infiniments petits tels que Schulze, Faucher, etc.

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  •  Face à la crise de la zone euro, la crise du capitalisme : « Lire le capital », par Filipe Diniz (PCP)

    capital-champs.jpg« Lire le capital »

     

    Traduction JC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

     

    Par Filipe Diniz, membre du Comité central du Parti communiste portugais

     

    Quand l' « économie casino » que la spéculation financière alimente connaît des difficultés, le système met en pratique la règle d'or : socialiser les pertes. Tous les moyens sont bons : depuis la « nationalisation » (comme ce fut le cas comme la Banca portugues de negocios – BPN), à l’invocation de la législation « anti-terroriste » (comme Gordon Brown a tenté de le faire pour geler les actifs de l'ICESAVE en Grande-Bretagne). Mais la solution, le modèle dans l'UE est le vol des travailleurs et des peuples orchestré par les troïkas.

     

    La récente crise en Chypre nous oblige à un effort d'information. Et ce n'est pas facile, car les grands médias font avec la crise du capitalisme la même chose qu'ils font avec les agressions impérialistes : ils sont partie prenante et complices, et « informent » en fonction.

     

    Par exemple : par rapport à la mesure barbare, sans précédent, consistant à piquer de l'argent déposé par les épargnants, petits et grands, dans les banques, que mettent en avant ces médias, d'une seule voix ? Qu'il s'agit d'en finir avec le blanchiment de l'argent sale des « russes ». Comme s'il n'y avait pas du blanchiment massif d'argent sale de même origine dans d'autres places, à commencer par la Hollande, la Grande-Bretagne ou le Luxembourg. Comme si c'était un hasard que deux des plus grandes entreprises mondiales de comptabilité (KPMG et PricewaterhouseCoopers, qui ne sont certainement pas « russes ») soient installées dans l'île. Comme si la Laiki Bank, désormais dans de beaux draps, n'avait pas parmi ses actionnaires une entreprise de Dubai. Comme si, finalement, cet argent « russe » n'était pas partie intégrante du système financier du capitalisme mondial qui n'a ni cœur, ni odeur, ni nationalité.

     

    Si la Laiki Bank attirait les investissements étrangers avec des taux d'intérêts de l'ordre de 5%, quelle différence cela fait avec ce que faisait ICESAVE en Islande, vers où affluaient des sommes colossales provenant de Grande-Bretagne par exemple ? La question est toujours la même : les mécanismes qui conduisent le capital à chercher à maximiser les profits dans le cadre de la spéculation financière pour compenser l'inexorable loi de la baisse tendancielle du taux de profit, dans le système productif. Et si les profits du grand capital se trouvent menacés dans la roulette financière, les troïkas rentrent en scène pour voler les travailleurs et protéger les banques.

     

    Dans « Le Capital » (Livre 3, Tome VI), Marx énumère six « contre-tendances » à cette loi. Cela vaut la peine de souligner quatre d'entre elles :

     

    • élévation du degré d'exploitation du travail ;

    • la compression du salaire pour baisser la valeur du travail ;

    • la sur-population relative ;

    • le commerce extérieur ;

     

    Les relire c'est lire, en somme, le programme des troïkas, que Passos (premier ministre portugais) et Portas (ministre des Affaires étrangères portugais) appliquent de façon fanatique et auquel Seguro (secrétaire-général du Parti socialiste) jure fidélité.


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  • Le 31 mars 2013

     

    Suraccumulation et crise systémique du capitalisme

     

    Michel Peyret

     

    « Pour en rester à l’histoire récente du capitalisme, écrit Tom Thomas, on observera que les nombreuses crises qui se sont succédées au cours de ces trente dernières années ont pu être circonscrites et surmontées assez facilement. Elles n’ont pas, comme celle d’aujourd’hui, dégénéré en crise systémique généralisée parce que le capitalisme a pu mettre en œuvre plusieurs contre-tendances à la baisse du taux de profit. Ces contre-tendances ont des noms. Elles s’appellent défaites des prolétaires, mondialisation et extension du crédit. »

     

    La suraccumulation généralisée  du capital

     

    CHAPITRE 1 du livre de Tom Thomas « La crise. Laquelle? Et après? »

     

    Ce chapitre résume brièvement une des découvertes fondamentales de K. Marx, à savoir la cause profonde des crises systémiques récurrentes du capitalisme, cause profonde qui ne doit pas être confondue avec les causes immédiates qui jouent le rôle de déclencheur de la crise.

     

    Il s’agit de la loi qui établit que le développement du capital, son procès d’accumulation, conduit toujours à une suraccumulation de capital. C’est-à-dire à un « excès » de capital sous toutes les formes qu’il revêt au cours du procès de valorisation: argent, moyens de production, force de travail, marchandises, et à nouveau argent. « Excès » s’entend bien sûr relativement à la possibilité pour le capital, considéré ici dans sa généralité comme capital unique, de réaliser une plus-value3 suffisante (sous forme de profit) par la vente des marchandises produites.

     

    Suraccumulation de capital ou sous-consommation des masses sont deux façons de dire la même chose, par exemple, trop de moyens de production et de marchandises et pas assez de masse salariale pour les absorber, ou encore trop de capital produit (accumulé) et pas assez de plus-value (pl) produite4. Nous y reviendrons.

     

    Autrement dit, ce sont deux manifestations du même phénomène, de la même contradiction qui provoque la crise, toutes deux abaissent le taux de profit, voire même, à partir d’un certain niveau de suraccumulation, la masse des profits.

     

    Cette contradiction réside dans le fait que le capital tend à diminuer la quantité de travail vivant qu’il emploie en même temps qu’il tend à augmenter la puissance des machines et la quantité de marchandises produites. Or évidemment, seul le travail vivant peut produire la plus-value car il est à la fois seul fournisseur de surtravail et facteur indispensable de sa réalisation en plus-value lors de l’achat des marchandises par les salariés.

     

    La compréhension de ce phénomène est indispensable à la compréhension de la crise généralisée du capital. Résumons-en l’argumentation.

     

    Le capital n’existe que comme valeur se valorisant, s’accumulant ainsi sans cesse par la production de plus-value. De l’argent thésaurisé, des machines arrêtées, des marchandises invendues, bref, des valeurs immobiles ne sont pas du capital. Tout au plus sont-elles des valeurs en attente de le devenir. C’est bien pourquoi le capitaliste cherche à éliminer autant qu’il le peut cette immobilité. Il y parvient par le fonctionnement des machines en continu, par la limitation des stocks, par l’intensification et la flexibilité du travail, etc.

     

    Le capital, n’existant que dans la valorisation et l’accumulation, développe « la production pour la production ». Mais pas seulement par un élargissement permanent de celle-ci, que cet élargissement soit géographique ou création de nouveaux produits et de nouveaux besoins, car cet accroissement de la production s’effectue nécessairement en tant que production capitaliste, c’est-à-dire production pour le profit.

     

    Ceci amène chaque capitaliste, gérant (« fonctionnaire » dit Marx) d’un capital particulier, à devoir non seulement produire plus, conquérir de nouveaux marchés, mais à le faire en réduisant au maximum ses coûts de production afin d’augmenter ses profits. La concurrence l’y oblige qu’il le veuille ou non car s’il se montrait médiocre dans cet exercice, son capital disparaîtrait, ruiné ou englouti par d’autres plus performants.

     

    Comme chacun le sait, réduire la part du salaire contenu dans les marchandises produites est pour chaque capitaliste particulier un moyen essentiel d’augmenter le profit. Pour le capital en général, dont la reproduction est en cause dans la crise systémique, cela revient évidemment à diminuer le capital variable (Cv) à engager (la quantité de « travail nécessaire ») afin d’augmenter la plus-value.

     

    Il y a plusieurs façons de le faire. Toutes ont pour point commun la coercition du chômage et la violence étatique, légale ou illégale. Marx les a regroupées en deux grandes catégories.

     

    D’une part, l’extraction de la plus-value « absolue » qui consiste à augmenter la quantité de travail vivant fournie, soit en allongeant le temps de travail, soit en augmentant son intensité sans augmenter le salaire en proportion.

     

    D’autre part, l’extraction de la plus-value « relative » obtenue par des hausses de productivité grâce au perfectionnement des machines qui permet de diminuer le capital à engager (Cc + Cv). Cc augmentant moins que Cv ne diminue pour une production de valeur donnée. Mais si l’on s’en tient à l’extraordinaire ampleur du développement du capitalisme moderne depuis le 20ème siècle, c’est de loin l’augmentation de la plus-value relative qui a été le moyen essentiel mis en œuvre pour y parvenir.

     

    Or une conséquence évidente de cette augmentation, toujours obtenue par un accroissement de la puissance et de l’efficacité des machines et une diminution corrélative de la quantité de travail humain contenu dans chaque marchandise, est que cette diminution finit par produire, à la longue, et malgré l’élargissement de la production et de la consommation5 qu’autorise cette productivité accrue, un effet contraire à celui attendu concernant la valorisation du capital.

     

    Cet effet contraire se manifeste dans toutes les phases de la reproduction du capital, phases qui existent toutes simultanément du fait de l’enchevêtrement des cycles des multiples capitaux particuliers. Dans la phase de production proprement dite, cette diminution – qui porte d’abord sur Cv, c’est-à-dire sur la quantité du travail qui revient à l’ouvrier sous forme de salaire, direct et indirect – induit l’augmentation du rapport Cc/Cv ou « composition organique » du capital selon la formule de Marx. Laquelle est un facteur bien connu de diminution du taux de profit. D’une façon plus générale, la diminution relative de la quantité de travail vivant qui s’échange contre Cv finit par entraîner la diminution de la pl qui est la part non payée du travail et la base même du profit.

     

    Dans la phase de réalisation du profit par la vente des marchandises, puisque cette diminution de la masse salariale relativement à l’augmentation plus rapide de la production, voire sa diminution absolue, entraîne le phénomène de la « sous-consommation », d’autant plus problématique pour le capital que les gains de productivité et l’énormité de la puissance et de la valeur des moyens de production qui les accompagnent impliquent la nécessité d’une consommation de masse pour répondre à une production de masse6.

     

    Dans la phase de la circulation de la valeur réalisée (la valeur initiale additionnée de la pl) sous forme argent, puisque celui-ci, en partie ou totalement, ne parvient pas à se métamorphoser à nouveau en facteurs de production, en capital se valorisant – et cela manifeste bien la suraccumulation – du fait même de ces difficultés qui ruinent le profit, et le ruinent d’autant plus qu’elles attisent les résistances et la lutte des classes. Résultat: la reproduction du capital ne se fait plus en totalité, ou très difficilement, une partie part en fumée!

     

    Bref, pour résumer en simplifiant, on peut dire que cette baisse de la quantité de travail employé relativement à l’augmentation des forces productives scientifiques incarnées dans les machines, à laquelle chaque capitaliste contribue en cherchant à augmenter son profit particulier, tourne périodiquement en catastrophe pour le capital en général et donc aussi pour tous les capitaux particuliers qui ont chacun de leur côté, et sans le savoir, scié la branche sur laquelle ils étaient tous assis: le travail prolétaire.

     

    Citons quelques exemples de ce phénomène général.

     

    En dix ans… « de 1994 à 2004, la production industrielle a progressé de 10 % au Japon, 25 % en zone euro, 40 % aux USA », et dans le même temps, les pertes d’emploi industriels se sont élevées de 15 % aux USA et en Allemagne, de 7,5 % en France7. Il en va de même pour la si célèbre croissance chinoise. Ce ne sont pas les délocalisations dans les pays à bas coûts de main-d’œuvre qui inversent fondamentalement cette tendance: « la part du capital dans la contribution à la croissance (chinoise) a atteint 62 %… La part de l’augmentation de l’emploi est donc devenue très faible »8.

     

    Selon une étude du Bureau International du Travail (BIT), filiale de l’ONU, la croissance économique mondiale en 2007 a été de 5,2 %, tandis que celle du nombre de travailleurs n’a été que de 1,6 %, la différence s’expliquant par les progrès en matière de productivité9.

     

    De telles crises générales ne sont pas nouvelles. Mais elles sont devenues d’autant plus explosives et dévastatrices que le capital s’est concentré, mondialisé, immensément accumulé en moyens de production mécanisés.

     

    Ainsi, comme on le sait, la crise de 1929 ne s’est terminée que par la deuxième guerre mondiale. Cependant, les experts stipendiés de la bourgeoisie continuent à affirmer que chaque crise n’aurait que des causes spécifiques, dues à des difficultés ou des « erreurs » particulières. Leurs allégations se fondent sur certaines apparences réelles mais superficielles. En général, ils confondent les causes du déclenchement de la crise à tel ou tel moment ou en tel ou tel endroit du procès de valorisation avec celles qui en font une crise généralisée.

     

    Ceci leur permet d’éviter de parler de ces dernières qui gisent dans le phénomène de suraccumulation/sous-consommation, lui-même résultat inéluctable des hausses de productivité générées nécessairement par le rapport social d’appropriation privée des moyens de production propre au capitalisme, rapport qui apparaît ainsi comme la cause ultime. Nous verrons au chapitre 4 que c’est encore ce qu’ils font aujourd’hui. Pensant avoir trouvé la cause particulière dans les excès de la finance seule, y ajoutant parfois la faiblesse des salaires et de la consommation qui serait, selon eux, la contrepartie de ces excès, ils proposent en conséquence des remèdes fallacieux ou utopiques mais ayant tous pour but de revigorer ce capitalisme, vraie cause des catastrophes.

     

    C’est pourquoi, à l’encontre de ces experts, nous devons insister sur le fait que la suraccumulation du capital, révélée par la crise générale révèle, se manifeste comme suraccumulation de toutes les formes que le capital revêt dans le procès de production (A – M – A’). Dans ce procès de production de la plus-value, qui est son existence propre, il passe sans cesse de la forme argent à celles de moyens de production, matières premières, force de travail, marchandise, puis à nouveau argent. Et cela recommence indéfiniment. Un procès est relancé avant même que le précédent ne soit achevé, ce que permet le crédit. Il en résulte que tous les moments du procès s’enchevêtrent ainsi que les procès des multiples capitaux particuliers.

     

    Toutes ces formes de capital existent donc simultanément. Elles dépendent toutes les unes des autres et croissent ou diminuent ensemble. Certes pas forcément au même rythme, ni nécessairement en proportions égales. La conséquence en est que la suraccumulation apparaît toujours dans un secteur particulier, (par exemple, l’immobilier en 2007-2008), ou la pénurie dans tel autre (par exemple, le « choc » pétrolier en 1974 et les suivants).

     

    Evidemment, la crise se déclenche toujours pour une cause particulière de sorte que les « experts » la prennent pour « La » cause. Mais ce fait déclencheur n’implique pas que la suraccumulation n’existe pas partout, pour toutes les formes du capital, argent, marchandises, moyens de production, etc. S’il en était autrement d’ailleurs, la crise ne pourrait pas se généraliser à toutes les branches du capital, à toute son aire mondialisée. Elle serait vite circonscrite par des mesures particulières.

     

    La crise dite des « subprimes », par exemple, est à la fois un « trop » de moyens de production, de marchandises et d’argent dans le secteur immobilier et une « sous-consommation » des masses. Elle illustre aussi le fait que le crédit, qui a mis le « trop » d’argent au débit des acheteurs au lieu qu’il ne soit avancé par le capitaliste constructeur et donc mis à son débit10, n’a été qu’un masque, un élément retardateur de l’éclatement de la contradiction, mais non la cause de cette crise, ni celle de sa généralisation.

     

     

    Nous verrons au chapitre 2 pourquoi il y eut un tel développement du crédit, et pourquoi cela aboutit nécessairement à une hyper-enflure de titres financiers donnant droits à percevoir un intérêt11. Nous verrons aussi que cela n’enlève rien à ce qui vient d’être dit. Et que l’éclatement en « krachs » de ces « bulles » financières formées par cette hypertrophie n’est que la manifestation visible et spectaculaire des difficultés et des échecs que rencontre non pas seulement cette forme particulière de capital qu’est le capital financier, mais le capital en tant que tel, c’est-à-dire en tant que procès de valorisation.

     

    C’est toujours la production de plus-value qui est l’objet et le résultat attendu (sous forme de profit) de ce procès. Et c’est donc fondamentalement dans ce que les « experts » eux-mêmes appellent « l’économie réelle » que « ça se passe ». Y aurait-il là une sorte d’aveu que le reste est irréel, imaginaire? Bref, c’est là où le capital est matérialisé en moyens et conditions de la production que se joue sa réussite ou son échec. C’est là que l’argent avancé aboutit ou non à la création et à la transformation en argent d’une valeur supérieure à l’initiale.

     

    Au-delà de cette évidence que « l’argent ne produit pas d’argent comme le poirier des poires », bien des faits permettent cependant de confirmer cette vérité que ce sont les difficultés rencontrées par ce procès d’accumulation qui sont au cœur de la crise.

     

    Ainsi, un « expert officiel » écrit que « le dérèglement de la machine économique américaine (considéré par lui comme cause principale de la crise, n.d.a.) qui avait débuté dès la fin 1997 avec la dégradation de la rentabilité des entreprises et qui s’est amplifié avec l’accroissement de leur dette, devait inévitablement déboucher sur une crise financière de grande ampleur »12.

     

    Voilà une affirmation qui situe l’origine de la crise dans la dégradation du taux de profit, la crise financière n’étant qu’une conséquence. Mais si tel est le cas, c’est cette dégradation qu’il aurait fallu expliquer. Or l’auteur ne s’y attache pas; il n’y consacre qu’une dizaine de pages contre quelques 420 consacrées aux problèmes purement financiers. Il se contente de l’argument superficiel selon lequel ce serait la concurrence effrénée en provenance des pays asiatiques à bas salaires qui aurait rogné les bénéfices des entreprises US, européennes et japonaises.

     

    Passons ici sur le fait que nombre de ces entreprises ont, au contraire, gonflé leurs productions et leurs profits grâce aux délocalisations qui ont permis une relance de l’accumulation du capital et retardé l’échéance de la crise. Contentons-nous d’observer que l’auteur se borne au constat suivant: il y a trop d’offres (surcapacités) et pas assez de demandes (sous-consommation), soit en résumé, pour lui, une concurrence trop exacerbée, ce qui fait baisser les profits.

     

    Mais quelles sont les causes de cette situation? Ce n’est pas la concurrence qui est la cause de la pléthore de moyens de production, des gains de productivité, de la diminution relative de la masse salariale. Ce sont là, on vient de le rappeler, des phénomènes inhérents aux rapports d’appropriation privée des moyens de production, rapports qui sont l’essence du capitalisme.

     

    La concurrence n’est qu’un facteur externe au procès de valorisation de chaque capital. Elle est action des capitaux les uns sur les autres et non cause interne de ce procès. Elle n’est que le gendarme qui oblige les capitalistes à se soumettre à la condition d’existence du capital, en l’occurrence la production d’un maximum de profits. C’est pour respecter cette condition qu’ils travaillent à augmenter sans cesse la production et la productivité, et c’est cela qui finit par aboutir pour tous au résultat inverse que chacun recherchait: la baisse du taux de profit. « C’est la baisse du taux de profit qui suscite la concurrence entre les capitaux et non l’inverse »13. Cette baisse contraint en effet les capitalistes individuels à une lutte toujours plus acharnée pour leur survie, ou si l’on préfère, pour la survie de la portion du capital qu’ils gèrent. Et pour cela, tous les moyens sont utilisés: accroissement de la productivité, exploitation accrue, dumping, coups fourrés, guerres.

     

    En ce qui concerne la production de plus-value, l’auteur en reste donc au constat qu’il y a une suraccumulation. Certes, ce phénomène existe. Mais s’en tenir à cela est réducteur. Il faut en fait distinguer deux phénomènes qui se superposent: surcapacités et suraccumulation de capital.

     

    Le premier exprime seulement un déséquilibre, un problème quantitatif tandis que le second est de nature qualitative puisqu’il pose la question du taux de profit, donc des rapports de production. En effet, la suraccumulation de capital sous forme de moyens de production se développe en même temps comme sous-consommation, à partir d’une même cause qui est les gains de productivité. Plus l’accumulation historique du capital est avancée, plus ce phénomène de suraccumulation/sous-consommation (de Cv qui croît moins vite que Cc) prend une ampleur ruineuse pour le taux de profit.

     

    La composition organique du capital atteint un niveau structurellement et définitivement insupportable pour le capital, pour son taux de profit14. Ici, le capitaliste ne peut tenter de contrecarrer cette carence qu’en agissant sur les composantes de ce taux, notamment sur le taux d’exploitation (plus-value/Cv). Il ne peut se contenter comme nous le verrons au chapitre 5 de réduire les surcapacités. La surcapacité indique seulement que l’offre a fini par excéder la demande. Cela arrive toujours vers la fin des phases de croissance dans lesquelles règne l’euphorie. Dans ces périodes, le capital fonctionne « bien » comme il faut, il accumule, la croissance, c’est le bonheur!

     

    La crise est alors perçue comme trop de marchandises sur le marché et « pas assez » de débouchés. On parle alors de « crise des débouchés ». Il suffirait alors de détruire cet excédent de moyens de production ou/et d’augmenter les salaires pour retrouver un équilibre satisfaisant. Il ne s’agirait que d’un problème conjoncturel d’ajustement quantitatif entre offre et demande, part des profits et part des salaires.

     

    Ce raisonnement est basé sur une réalité, on l’a dit, les surcapacités existent. Mais on oublie une autre réalité: c’est que ce n’est pas là la cause fondamentale de la baisse du taux de profit. Et c’est pourtant cette dernière qui indique qu’il s’agit d’une crise structurelle du capitalisme, une crise dans les rapports de production qui ne permettent plus une production suffisante de plus-value. C’est donc eux que le capital doit modifier. La crise structurelle, systémique, est par conséquent toujours le moment d’une restructuration de ces rapports. C’est ce sur quoi nous reviendrons in fine. Pour le moment, contentons-nous du constat de ces surcapacités qui sont une part de la réalité, et doivent être considérées à ce titre.

     

    Ainsi, notre expert observe que les surcapacités dans le secteur automobile étaient déjà très fortes dès l’année 2000. Elles n’étaient masquées « qu’à coups de crédits à taux zéro et de remises de plus en plus considérables »15. Cela conduisait à stimuler artificiellement la demande au prix « d’une réduction suicidaire des marges ». Mais malgré tout, le taux d’utilisation des capacités de production (TUC) tombait à 65 % dès 2006.

     

    De la même façon, dans le secteur des « nouvelles technologies de l’information » (NTI) que les experts officiels s’enthousiasmaient à présenter comme une source de croissance et de profits extraordinaires, « leur TUC tombait de 92,5 % en mai 2000 à 56,5 % deux ans plus tard »16. En fait, les surcapacités touchaient quasiment tous les secteurs de l’économie U.S. En 2000, on constatait que « le niveau du TUC dans le secteur des produits finaux n’était jamais tombé aussi bas depuis l’après-guerre, à 70,5 % alors que la moyenne de longue période est de 80 % ».

     

    Le même constat pouvait être fait pour l’U.E. et le Japon, puis un peu plus tard pour l’ensemble des pays industrialisés. Le fait qu’il y ait « trop » de capital relativement à la pl réalisable se manifeste d’ailleurs très clairement par un ralentissement des investissements productifs bien que les profits et plus encore les liquidités disponibles à bas taux d’intérêt soient encore importants. Puis, c’est le désinvestissement forcé, la destruction massive du capital « excédentaire » sous toutes ses formes, financières, moyens de production, marchandises, force de travail, etc. C’est alors le moment de la crise, ses premières manifestations.

     

    Le ralentissement de la croissance mondiale depuis le début des années 70 était déjà symptomatique de ce phénomène. En croissance annuelle moyenne, elle fut respectivement de 5,5 %, 3,8 %, 3,1 % et 2,6 % dans les décennies 61-70, 71-80, 81-90, 91-2000, et inférieure à 2 % ensuite jusqu’à être devenue négative aujourd’hui17. Cette décélération fut encore plus forte dans les pays à haute technologie; elle fut respectivement de 5,5 %, 3,5 %, 3,2 % et 2,5 %.

     

    Deux autres faits significatifs de cette tendance au blocage de l’accumulation (du réinvestissement productif) sont à signaler: d’une part, l’ampleur prise par les opérations de rachats de leurs propres actions par les sociétés cotées en bourse, et d’autre part, la distribution des profits plutôt que leur réinvestissement.

     

    La distribution des profits n’a pas pour seule cause l’avidité immédiate des financiers car s’ils avaient des espoirs d’investissements juteux, ils les feraient (en effet, le capitaliste ne demeure capitaliste que pour autant qu’il travaille toujours à accumuler plutôt que de consommer). Ainsi, selon la célèbre agence financière Standard and Poors, les rachats d’actions des 500 premières sociétés US ont dépassé 1300 milliards $ au cours des 3 années 2005-2008, contre seulement 1276 milliards $ consacrés aux investissements. En France, les 40 plus importantes entreprises cotées au CAC 40 ont racheté en 2007 pour 19 milliards d’euros de leurs actions et distribué 38 milliards de dividendes. En 2008, elles ont 11 milliards de rachats et 43 milliards de dividendes (soit sur ces deux années, 111 milliards non réinvestis)18. En France toujours, « l’ensemble des revenus nets distribués par les sociétés non financières représente 26 % du résultat opérationnel en 2007, contre seulement 15 % en 1993 »19.

     

    L’Europe dans son ensemble connaît le même phénomène, comme le montre cette observation faite dès 2001 par un expert: « sur l’ensemble des marchés européens, les émissions nettes d’actions, c’est-à-dire les montants bruts des émissions corrigés des rachats d’actions et des dividendes versés aux actionnaires, ont été négatives ces dernières années »20. Or, confesse un autre, « rien de plus inquiétant que ces rachats d’actions massifs puisqu’ils signifient que les entreprises concernées et leurs managements n’ont pas de projets d’investissement à long terme suffisamment créateurs de richesses (de profits, n.d.a.) et qu’ils préfèrent encore rendre l’argent à leurs actionnaires… »21. Voilà qui est bien dit!

     

    Pour en terminer sur ce point, citons cet autre fait significatif qu’est l’ampleur des opérations de fusions-acquisitions, OPA et autres. « En 2007, celles-ci ont atteint 1600 milliards $ en Europe et 1800 aux USA »22. Or il s’agit là seulement d’éliminer un concurrent et de capter ses clients. Ces opérations ne créent aucune capacité de production supplémentaire. Au contraire, celles-ci sont le plus souvent réduites car elles servent à éliminer les doublons ou les capacités excédentaires. Et quand ces achats se font par des opérations à « effet de levier » (les fameux LBO: Leverage Buy Out), c’est-à-dire quand l’acquisition est financée essentiellement par emprunt mis à la charge de l’entreprise rachetée, il s’en suit en général un arrêt des investissements pour rembourser au plus vite l’emprunt et un dépeçage de l’entreprise pour prendre un bénéfice rapide.

     

    A défaut de pouvoir vraiment l’expliquer comme une opération inhérente au capitalisme, de nombreux économistes se sont accordés néanmoins à constater une ancienne et forte tendance au ralentissement, voire parfois au blocage du procès d’accumulation. Ils entérinaient ainsi sans le vouloir le fait bien réel de la suraccumulation de capital bien qu’ils ne le comprenaient que comme un problème d’équilibre quantitatif entre des surcapacités dans la production d’un côté et des faiblesses du pouvoir d’achat de l’autre, ce qui, selon eux, conduisait à une concurrence toujours plus virulente qui abaissait les prix ainsi que les taux de profit.

     

    Observons que ce ralentissement puis cette régression de l’accumulation, phénomènes significatifs de la suraccumulation, se manifestent aussi bien comme insuffisance que comme « excès » de profits.

     

    Insuffisance de profit par rapport au capital engagé (faiblesse du taux de profit). Excès de profit parce que la pl produite sous forme d’argent à la fin d’un cycle de production ne trouve pas, en tout ou partie, à se réinvestir en capital additionnel, c’est-à-dire en moyens de valorisation, du fait même de la faiblesse du taux de profit et donc du risque accru d’une perte. C’est de l’argent « décapitalisé », de l’argent qui ne peut plus être capital (sauf sous forme de capital financier fictif dont nous parlerons au chapitre 3).

     

    Cela ne rend pas pour autant valable la thèse « régulationniste » qui prétend que cet excès de pl provient d’un excès d’affaiblissement des salaires. Accepter cette explication revient à considérer la crise comme une crise « des débouchés ». On pourrait donc, selon les « régulationnistes », surmonter la crise par une meilleure répartition de la « valeur ajoutée », c’est-à-dire par une augmentation des salaires des ouvriers au détriment des dividendes pour les actionnaires. Cela « régulerait » l’accumulation capitaliste en rééquilibrant production et consommation. Nous reparlerons de cette thèse au chapitre 4.

     

    Mais déjà, on peut dire que ce raisonnement utilise la catégorie « production », laquelle est inopérante si on ne l’entend pas pour ce qu’elle est concrètement, c’est-à-dire production de plus-value. Et si on l’entend bien comme telle, on ne peut plus parler d’excès des profits distribués en les séparant de leur insuffisance ainsi qu’il vient d’être dit. Il est clair qu’une augmentation des salaires au détriment des profits ne saurait résoudre le problème de cette insuffisance qui est cause de la crise.

     

    Pour en rester à l’histoire récente du capitalisme, on observera que les nombreuses crises qui se sont succédées au cours de ces trente dernières années ont pu être circonscrites et surmontées assez facilement. Elles n’ont pas, comme celle d’aujourd’hui, dégénéré en crise systémique généralisée parce que le capitalisme a pu mettre en œuvre plusieurs contre-tendances à la baisse du taux de profit. Ces contre-tendances ont des noms. Elles s’appellent défaites des prolétaires, mondialisation et extension du crédit:

     

    1°) Les défaites des prolétaires dans ce qu’étaient jusque-là leurs plus vieux et leurs plus solides bastions (sidérurgie, charbonnages, chemins de fer, etc.) ont été marquées par l’effritement des « acquis sociaux » d’après-guerre sous les coups de boutoir des gouvernements Reagan, Thatcher, Mitterrand et autres. Ces attaques ont permis à la bourgeoisie d’entamer une longue période de destruction des anciens rapports de production, souvent appelés « le compromis fordiste ». Ces anciens rapports ont été remplacés progressivement par de nouveaux rapports « précaires », ou « libéraux » selon la terminologie officielle. Nous montrerons au chapitre 5 le contenu, l’importance et les limites de cette transformation.

     

    2°) La mondialisation, dans sa 3ème phase historique, a accompagné ces transformations. Elle ne sera évoquée que très brièvement ici car elle a déjà fait l’objet d’un ouvrage particulier23. Rappelons simplement qu’elle a puissamment contribué à l’aggravation de l’exploitation des prolétaires et à la mise en place des rapports de précarité, tout en élargissant l’aire de valorisation et d’accumulation du capital.

     

    3°) L’extension considérable, d’une ampleur inouïe et sans précédent, du crédit. Ce point fera l’objet des chapitres 2 et 3.

     

    Ce n’est que vers la deuxième moitié des années 90 que la tendance à la baisse du taux de profit a commencé à reprendre résolument le dessus. Au point qu’on a pu lire ce genre de commentaire d’un « expert » financier français: « La baisse sensible de la rentabilité du capital, constatée aux USA à partir de 1997, semble redonner une certaine actualité à la théorie de la baisse tendancielle du taux de profit de Marx… L’accumulation de capital productif aux USA entre 1992 et 2000 a provoqué, à partir de 1997, une baisse forte de la rentabilité du capital, due sans doute aux rendements décroissants »24.

     

    Mais pour rendre compte de la grande crise généralisée et « systémique » ouverte dans les années 2007-2008, nous commencerons par expliquer les raisons de l’hypertrophie du crédit et le rôle de celui-ci dans la crise. On nous en rebat les oreilles pour nous faire croire que la crise ne serait due qu’à ce dérèglement financier, qu’il s’agirait seulement d’exagérations dues à un trop grand laxisme des Etats « libéraux », aux paradis fiscaux ou à quelques financiers trop gloutons avides de bonus, de stock-options et de parachutes dorés. On essaie de nous faire croire qu’il serait possible de s’opposer à tout cela par une politique d’intervention étatique qui remettrait à l’ordre du jour la réglementation et le contrôle, ou même un peu d’ordre et de morale dans un capitalisme par ailleurs sain et ne demandant qu’à prospérer pour le bien de tous. Une fois que tous ces arguments, qui encombrent le champ de l’analyse et l’obscurcissent, auront été démontés et évacués, il sera plus aisé de passer aux choses sérieuses: les vraies solutions possibles à partir des vraies causes de la crise.

     

    Note :

     

    Cc, capital constant.

    Cv, capital variable (salaire)


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  • Karl Marx par Mustapha Boutadjine (DR)

    Politique - le 14 Mars 2013

    Isabelle Garo : "Nous vérifions aujourd’hui les crises du capitalisme que Marx avait prédites"

     

    Karl Marx, 1883-2013. Spécialiste de Marx, la philosophe Isabelle Garo expose toute l’actualité de son œuvre pour comprendre et analyser le capitalisme et la crise actuelle.

    Cent trente ans après 
sa mort, en pleine crise 
du capitalisme, la pensée de Marx a-t-elle encore 
une actualité ?

    Isabelle Garo. L’actualité de l’analyse du capitalisme par Marx (et par Engels, qu’on oublie souvent) n’est pas celle d’une description historique qui, dans ses détails concrets, resterait valable 
ou le redeviendrait. Cette actualité concerne d’abord l’étude 
d’un mode de production, dont les contradictions, économiques et sociales, constituent l’essence même. Nous sommes bien placés, malheureusement, pour vérifier l’une des intuitions majeures 
de Marx : les crises du capitalisme appartiennent à sa définition même, elles sont inséparables de sa nature. Une telle approche ne fait pas de lui un économiste, mais un critique 
de l’économie politique, associant 
à l’analyse économique de tendances et contre-tendances concrètes, l’analyse et la critique sociale, la prospective et l’intervention politiques, l’approche et l’invention philosophiques.

    Peut-on analyser le système capitaliste actuel à l’aune 
de l’œuvre de Marx ?

    Isabelle Garo. À l’heure d’une 
des crises majeures du capitalisme, les acquis sociaux des quarante, voire des soixante-dix dernières années se trouvent démolis les uns après les autres. C’est un capitalisme dérégulé qui réapparaît, dont les caractéristiques sont certes nouvelles, mais qui retrouvent certains des traits du capitalisme de l’époque de Marx. La remontée du taux de profit est sa seule obsession, quelles qu’en soient les conséquences sociales et environnementales, et son moyen, en temps de crise, est notamment 
la pression sur les salaires, directs 
et indirects, ainsi que 
la remarchandisation capitaliste de tout ce qui lui avait été arraché de haute lutte sur le terrain de la santé, de l’éducation, des retraites, des transports, etc. Pourtant, ces politiques ultraviolentes de contre-réforme ne semblent pas en mesure de résoudre ce qui est l’une 
des pires crises de l’histoire 
de ce mode de production.

    En quoi l’analyse de Marx peut-elle vraiment nous aider à comprendre la crise et sa dimension financière ?

    Isabelle Garo. S’attachant à articuler la sphère de la production et celle de la circulation, Marx est l’un de ceux qui accordent la plus grande attention aux phénomènes monétaires et financiers. Concernant la dimension financière du capitalisme contemporain, devenue si complexe, si les œuvres de Marx n’en produisent évidemment pas de description immédiatement transposable, elles aident pourtant à l’analyse de ses mécanismes fondamentaux. De ce point de vue, loin que la dimension financière soit séparable de ce qui serait un capitalisme industriel fondamentalement sain, 
elle en est constitutive, inséparable. Ainsi, Marx élabore la notion de « capital fictif », qui désigne les titres émis à partir de prêts. Ces prêts ne sont pas du capital productif de valeur, ils sont pourtant bien un capital porteur de profit, celui-ci étant toujours la plus-value extorquée aux salariés, mais une plus-value à venir. Ce décalage dans le temps est gros des crises capitalistes. C’est pourquoi les effets du capital fictif ne sont pas fictifs mais bien réels. Et c’est en ce point que la crise prend 
sa dimension sociale, sa dimension de guerre de classes avivée.

    Selon Marx, y a-t-il une 
alternative possible à l’intérieur 
du capitalisme ou bien faut-il changer de système social ?

    Isabelle Garo. Si les œuvres de Marx connaissent un réel regain d’intérêt aujourd’hui, on vante plus volontiers ses mérites d’analyste que le caractère politique, révolutionnaire, de son analyse d’ensemble du capitalisme. 
Or la perspective qui colore et oriente toutes ses analyses est bien la sortie hors du capitalisme. Sans jamais prescrire de stratégie passe-partout, craignant de faire « bouillir les marmites de l’avenir », il ne cessera de combiner analyse théorique et intervention militante en vue d’abolir ce capitalisme qui n’est nullement le dernier stade de l’histoire humaine, en dépit de ce qu’on nous raconte. Sur ce point, il faut souligner que, pour Marx, la lutte politique et sociale est aussi une lutte d’idées. C’est la notion d’idéologie qui rassemble ces différentes dimensions. Car l’offensive néolibérale est aussi idéologique, au sens où elle vante les mérites d’un monde à l’envers, qui asservit la satisfaction des besoins sociaux à la seule recherche du profit pour quelques-uns. De plus, elle sait aussi combiner les idées et la force, parvenant à faire exister ces idées au travers de politiques concrètes. Ainsi la thèse individualiste, aussi invraisemblable et simpliste soit-elle, se diffuse réellement, c’est-à-dire se vérifie jusqu’à un certain point comme effet des politiques d’individualisation des salaires, des formations, des parcours, qui renforcent l’exploitation et isolent l’individu. Lutter contre ces politiques, ce n’est pas simplement réfuter les thèses adverses, c’est leur opposer systématiquement d’autres solutions économiques, sociales, politiques, en n’oubliant 
pas les acquis des luttes passées 
et présentes, de par le monde. 
Et c’est bien entendu revenir 
de façon critique sur les questions du socialisme et du communisme, sur leur histoire et sur leur pertinence. Ce champ d’intervention est gigantesque. Il exige un effort d’invention, et d’invention collective, qui sache inclure l’analyse théorique mais aussi la déborder et la renouveler.

     

    Isabelle Garo a publié plusieurs ouvrages sur Marx, dont Marx, une critique de la philosophie (Le Seuil), Foucault, Deleuze, Althusser 
et Marx (Démopolis), et Marx et l’invention historique, (Syllepse).

    Entretien réalisé par Anna Musso


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  • Karl Marx et le budget de Di Rupo

    Le 4 avril 1865, Karl Marx fulmine : « On ne peut compresser un cours d’économie politique en une heure. Mais nous allons faire de notre mieux. » Solidaire va comprimer encore un peu plus le regard de Marx sur le combat salarial.

    Luc Lever

    Voici plus d’un siècle, à la demande de la Première Internationale, Karl Marx évoquait déjà tout l’enjeu des mesures de Di Rupo : une réduction des charges patronales, un index manipulé et le gel de salaires. Il répond à deux questions.
    Si on augmente les salaires, le pouvoir d’achat des travailleurs n’est-il pas réduit à néant par les hausses de prix ?
    Les augmentations salariales arrachées par les syndicats nuisent-elles à la position concurrentielle ?

    Marx a montré que la valeur d’échange des marchandises produites est déterminée par la « quantité de travail » nécessaire à leur production et que la valeur ajoutée produite par le travail est toujours supérieure au salaire versé. « Les salaires des ouvriers ne peuvent jamais être plus élevés que la valeur d’échange des marchandises produites. » La différence entre la valeur ajoutée totale et le salaire versé apparaît dans le capitalisme en tant que profit.

    Cela nous donne une contradiction de classe entre les salariés et les employeurs. « D’une hausse générale du niveau salarial résulte une baisse de la marge bénéficiaire générale, sans pour autant, en général, faire monter le prix des marchandises. »

    Ensuite, Marx affirme que les travailleurs ne cueillent pas automatiquement les fruits d’un accroissement de la productivité. Dans ce cas, le salaire reste en retrait de la productivité accrue et les profits augmentent. L’exploitation (relative) s’accroît donc, même sans baisse de salaire.

    Une situation similaire se produit quand le patron augmente les prix : « Prétendre en pareil cas que l’ouvrier ne doit pas réclamer avec insistance une augmentation proportionnelle des salaires (via une association à l’index, par exemple, NdlR) revient à lui dire qu’il lui faut se contenter de mots en guise de choses (pouvoir d’achat). »  

    La nécessité du combat

    Plus généralement, Marx montre que les travailleurs ne reçoivent qu’une infirme partie de la richesse qu’ils créent et que cette dernière est surtout utilisée en vue de l’accumulation du capital et de la liquidation des emplois. « Dans tout le développement de l’industrie moderne, la balance penche toujours plus en faveur du capitaliste et au désavantage des travailleurs. Dans la production capitaliste, le niveau salarial moyen a tendance à ne pas monter, mais à baisser. » C’est ainsi que nous avons vu systématiquement décroître la part des salaires dans le revenu national et croître celle du profit.

    « Si la tendance adopte effectivement ce caractère, la classe ouvrière ne doit-elle pas alors renoncer à résister aux patrons et ne ferait-elle pas mieux de renoncer à la lutte pour améliorer temporairement sa situation ? se demande Marx. Si elle le faisait, elle se dégraderait en une masse égale de pauvres hères ruinés ».

    C’est ainsi que Marx souligne l’importance du combat salarial. Toutefois, le combat du syndicat ne doit pas se limiter à « une guérilla contre les retombées du système en place », mais il doit « essayer en même temps de changer ce système » en utilisant sa « force organisée » comme « levier pour la libération définitive de la classe ouvrière, c’est-à-dire pour la suppression définitive du système salarial ».

    C'est la différence entre un syndicalisme réformiste qui ne fait que négocier avec le patronat des aménagements au système (la "moins pire des solutions" en cas de crise capitaliste comme actuellement) et un syndicalisme de classe, révolutionnaire, qui organise les travailleurs pour contrer le patronat et les actionnaires et proposer des solutions pour dépasser ce capitalisme, le renverser.

    Sources : Karl Marx, Salaire, prix et profit, téléchargeable sur www.communisme-bolchevisme.net • Lettre de  K. Marx à F. Engels, 20 mai 1865 • Certaines citations ont été vulgarisées.

    http://www.ptb.be


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  •  Les fascismes colorés (communistes et populistes, partie 2)

    Communistes et populistes, GQ, partie 2

     

    lien à la partie 1 : Qu’est ce qu’on appelle le « populisme » et comment les communistes l’appréhendent-ils?

     

    2) Non pas un seul fascisme, mais plusieurs fascismes colorés

     

    Lutter contre l'influence du fascisme dans le peuple est indispensable, et pour lutter contre un adversaire il faut le connaître. Or d’une part le fascisme dans sa forme dictatoriale d’avant guerre n’est guère d’actualité, et d’autre part il y a plusieurs formes distinctes de fascisme. On peut définir comme fascistes les courants politiques de masse, réactionnaires, autoritaires, antidémocratiques, et anticommunistes qui veulent soumettre le prolétariat à la bourgeoisie en agitant une menace extérieure réelle ou non. Historiquement, ce sont des avatars de la contre-révolution dont les précurseurs sont apparus à la fin du XIXème siècle en réaction à la montée de l'aspiration au socialisme.

     

    Voyons un peu cette ménagerie :

     

    Fascisme brun, nationaliste et antisémite larvé, xénophobe et anti-immigré, particulièrement hostile aux noirs et maghrébins, adepte des délires mystiques intégristes catholiques, néo-païens, ou New Age, historiquement pétainiste, collabo et tortionnaire OAS.

    Fascisme blanc des identitaires, « white power », suprématistes raciaux, proaméricain, dont l’emblème est la croix étoilée de la confédération esclavagiste, nostalgiques du KKK et néonazis, avec une tendance à produire des désaxés enclins au terrorisme.

    Fascisme vert des islamistes, antijuif et antifrançais et racketteur moral des communautés musulmanes, diffusé par les saoudiens, les qataris et les confréries religieuses conservatrices de Londres ou de Genève. Aussi odieux et plus influent que les précédents,  n’en déplaise aux islamo-gauchistes, car il a été en quelque sorte adoubé par le spectacle médiatique et l’empire étatsunien comme son adversaire officiel (d’où d’ailleurs la fascination naïve d’une bonne partie de l’extrême gauche pour ces groupes riches en psychopathes égorgeurs qu’on voit à l’œuvre en Syrie). Les ennemis de mes ennemis ne sont pas forcément mes amis.

    Fascisme bleu des ultralibéraux thatchériens, anti-pauvres, antisocial, dont le but est de dépouiller les travailleurs de tous leurs droits, et qui a repris à son compte la composante militariste et belliciste du fascisme d’avant guerre (notons que ce dernier tout comme le fascisme italien éponyme à ses débuts n’est pas raciste, ce qui ne le rend pas meilleur pour autant puisqu’il ouvre la route aux autres en détruisant toutes les solidarités de classe). En France, courant non dénué de relents pétainistes et OAS, une des ailes du mouvement « Occident » des années 70 ayant fourni plusieurs ministres à Sarkozy. L’anticommunisme du style « Livre Noir » structure ce courant qui a des affinités avec la gauche libérale ingérente et belliciste. Fascisme précieux dans notre argumentaire : le « tu votes non comme Le Pen » de la gauche morale s’attire en réponse un imparable « tu votes oui comme Sarkozy ».

    Rappelons pour mémoire le fascisme noir, clérical, catholique, homophobe et anti-avortement, soutenu par de puissantes associations, telle l’Opus Dei.

    Noter que tous ces gens là agissent contre l’indépendance de la France, qu’ils lui préfèrent l’Europe, le Vatican, l’Allemagne, les États-Unis ou l’Arabie Saoudite, et quoiqu’ils en disent détestent la patrie des deux drapeaux, rouge et tricolore, de la Résistance, de la Commune et de Valmy. Ils sont tous anticommunistes, et fondamentalement hostiles aux valeurs universelles d'égalité issues de la Révolution française.

    Lutter contre le fascisme oui, et quelque soit sa couleur. Mais en gardant en tête l'avertissement de Jean Lévy, qui pose la difficile question : "de qui suis-je le plus éloigné, de mon collègue de travail qui vote FN, ou de mon patron qui vote PS?"

     

      à suivre ...

    Qu’est ce qu’on appelle le « populisme » et comment les communistes l’appréhendent-ils?

    Communistes et populistes, par GQ, partie 1

     

    Il y a quelques temps, j’ai visionné sur le Net une vidéo tournée par un « brun rouge » bien connu (celui qui se prétend le "marxiste du FN") qui développait une critique du capitalisme argumentée et intéressante, à la porté du plus grand nombre ce qui ne gâte rien. Vers la fin du film, les allusions à l’origine juive de banquiers ou de politiciens libéraux se faisaient cependant de plus en plus lourdes. Jamais il ne se revendiquait explicitement comme antisémite, mais il conduisait progressivement ses spectateurs au rejet des Juifs en tant que tels. Mais on ne pouvait en être certain qu'en connaissance des antécédents de l'auteur. Le propos implicite était bien sûr le sens profond et pulsionnel du film, mais impossible de le prouver. L’ensemble des raisonnements de l’auteur s’en trouvait en quelque sorte corrompu, contaminé. Le terrain de la critique du capitalisme était désormais miné. Le fascisme contaminerait-il tout ce qu’il touche ? Comment éviter l’infection ? Comment rester purs ?

    Cette réaction est excessive. Cet auteur était d'évidence antisémite. Fallait-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ?  Je pense que non. Le propos que je développe ici peut se résumer ainsi : nous ne devrions rejeter systématiquement ni les idées ni les thématiques stigmatisées par les médias de la pensée unique ou « mainstream » comme « populistes », mais plutôt les soumettre à un examen critique, et s’il le faut, les reprendre à notre compte en y imprimant notre marque, si nécessaire après  les avoir nettoyés des colorations fascistes qui ont pu y déteindre.

     

    1) Qu’est ce qu’on appelle le « populisme »  et comment les communistes l’appréhendent-ils?

     

    Ce qui est attaqué par la pensée unique sous le nom de « populisme » est en fait une réaction de protestation inscrite à l’extérieur du politique qui est davantage caractéristique du prolétariat précaire hyper-actuel des anciens pays riches que de l’ensemble du peuple proprement dit. Ce peuple paraît aujourd’hui clivé suivant un rapport numérique 50/50 entre une couche « incluse » intégrée, modernisée, syndiquée, apparemment plus instruite qu’avant, mais largement dupe des médias, et un prolétariat précarisé, appauvri, en grande déshérence, souvent d'un niveau culturel très bas, et en grande colère. Ce qui caractérise le débat public actuel est sa mise à l’écart. Le byzantinisme du débat « sociétal » continue tandis que le monde s’écroule sur lui.

    Un des traits distinctifs du populisme selon ses contempteurs serait l’hostilité aux élites, comme si ce concept de l’« élite », depuis qu’il fut forgé vers 1914 par le penseur fasciste Wilfredo Pareto, n’était pas un masque pour la bourgeoisie, notre vieille ennemie. Or une des activités principales de la pseudo élite salariée du capitalisme est justement l’animation de débats moralisants, esquivant la sphère économique et sociale, qui manquerait à la « complexité » chère aux penseurs de la « postmodernité ».

    Les communistes ne manquent pourtant pas de prendre position dans les débats « de société » irritants et insistants qui envahissent l’actualité comme par hasard, et comme s’ils étaient faits exprès pour détourner le prolétariat de ses vrais intérêts. En général, ils le font pour soutenir le « camp moderne » contre les résistances au type de changement qui est prôné par la majorité des médias, résistances qui sont assimilées un peu rapidement à de purs archaïsmes, voire à des éructations barbares. Il n’en résulte pas grand-chose de concret pour ces belles causes. Dans la plupart des cas d’ailleurs la position des communistes passe complètement inaperçue, car elle enfonce des portes largement ouvertes depuis la lointaine époque de mai 1968.

    Certes ils ne pourraient pas les ignorer complètement mais ils ne gagnent rien à s’engager à fond dans tous les Pussy Riots qui se présentent et autres polémiques futiles du café du commerce global. Ils perdent leur temps et gâchent les rares fenêtres médiatiques qui s’ouvrent à eux. Et en endossant un discours qui ne tranche nullement sur le reste des invités qui bavardent complaisamment sur les écrans, ils se coupent du prolétariat, non sans s’y déchirer eux-mêmes, les communistes étant partagés comme les autres courants politiques sur ces questions de mœurs, de morale, de culture, de religion, etc.

    Ils ne devraient pas comme c’est malheureusement souvent le cas briller d’un conformisme angéliste à priori, et se ranger sans risque et sans gloire dans la meute morale du soi-disant politiquement correct. Inversement, il ne faudrait certes pas tomber dans un rejet systématique des modes idéologiques, même si l’on voit par avance de quelle manière elles seront utilisées pour brouiller les cartes. Même si « le peuple voit juste » il peut aussi être trompé, et il n’y aura jamais de raison valable pour ménager des préjugés populaires racistes, anti homosexuels ou misogynes. Mais il ne faudrait pas non plus donner l’impression au public qu’on pense qu’il faille se ranger dans un combat communautariste pour obtenir quelque chose de la société, sous peine de rejeter massivement dans le camp de nouveaux fascismes les prolétaires « mâles, blancs, hétérosexuels » qui sont fort nombreux, en tout cas en France.

      Je crois qu'un principe de base est d'éviter de se régler par rapport aux positions du FN, comme si ce parti issu des manipulations mitterrandiennes était le référent politique  en France. D'éviter de s’investir à fond dans un combat partagé par tout l’échiquier politique, sauf le FN, qui ferait paraitre ce dernier comme seule voix « antisystème », ni  rejeter loin de soi toute idée, toute position qui serait un jour par hasard celle du FN, d’autant qu’elles sont souvent changeantes,  dictées par une démagogie opportuniste et transparente. On n’est nullement obligé de dire « il pleut »  si le Pen dit « il fait beau », et le type de raisonnement par amalgame qui se généralise et qui soutend les campagnes de diabolisation médiatique doit être rejeté (du style : Le Pen soutient la Syrie dans l’agression maquillée en guerre civile qu’elle subit, tu soutiens la Syrie, donc tu soutiens Le Pen). Dans le but de séduire l’électorat populaire, il tend à plagier les positions anciennes du PCF qui si elles n’étaient pas toutes bonnes avaient le mérite de la clarté. Il serait parfaitement capable pour citer un exemple le temps d’une campagne électorale de demander la nationalisation des banques. Il faudrait, dans ce cas, dire le contraire ?

     

    à suivre ...

    http://reveilcommuniste.over-blog.fr


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  • Rémy Herrera  Chercheur au CNRS, UMR 8174 Centre d’Economie de la Sorbonne (Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, France)

     

    Séminaire Marx au XXIe siècle, samedi 12 mars 2011

     

    [la conférence en vidéo]

     

    Introduction

     

    L’une des erreurs les plus fréquentes des interprétations courantes de la crise actuelle est qu’il s’agirait d’une crise financière qui contaminerait la sphère réelle de l’économie. Il s’agit, en réalité, d’une crise du capital, dont l’un des phénomènes les plus visibles et médiatisés a surgi au sein de la sphère financière en raison de l’extrême financiarisation du capitalisme contemporain. Nous avons affaire à une crise systémique – qui touche le cœur même du système capitaliste, le centre du pouvoir de la haute finance qui contrôle depuis plus de trois décennies l’accumulation. Ce n’est pas un phénomène conjoncturel, mais structurel. La série de crises monétaro-financières à répétition qui a successivement frappé différentes économies depuis trente ans participait de la même crise – depuis le « coup d’État financer » des États-Unis en 1979 : Mexique en 1982, crise de la dette dans les années 1980, États-Unis en 1987, Union européenne, Grande-Bretagne comprise, en 1992-1993, Mexique en 1994, Japon en 1995, Asie dite « émergente » en 1997-1998, Russie et Brésil en 1998-1999, Côte d’Ivoire même au même moment, à nouveau États-Unis en 2000 avec l’explosion de la bulle de la « nouvelle économie », puis Argentine et Turquie en 2000-2001… Crise qui s’est récemment aggravée, surtout depuis 2006-2007, à partir du centre hégémonique du système, et qui s’est généralisée en une crise multidimensionnelle ; à la fois socio-économique, politique, énergétique, climatique, alimentaire, humanitaire même, et encore financière : en Islande, en Grèce, en Irlande, au Portugal… Ce n’est pas le « beginning of the end of crisis » aperçu par les conseillers du président Barack H. Obama. Ce n’est pas une crise de crédit habituelle, ni une crise de liquidité passagère, par laquelle le système trouverait à se recomposer, se renforcerait et recommencerait à fonctionner « normalement » – avec un nouvel essor des forces productives et dans le cadre de rapports sociaux modernisés. Cela semble plus grave, vraiment beaucoup plus grave…

     

    Première partie : la référence à Marx

    A. Je commencerai en disant que, pour analyser cette crise capitaliste en particulier, comme les crises capitalistes en général, la référence à Marx reste aujourd’hui tout à fait fondamentale,

     

    1. parce que le marxisme, ou les marxismes (y compris certains mélanges marxisants) nous fournissent, pour cette analyse, des outils, des concepts, des méthodes, des théories, comme aussi des débouchés politiques, très puissants – ce, malgré les difficultés et les incertitudes. C’est le cadre théorique le plus puissant et le plus utile pour comprendre et pour analyser la crise, et surtout pour appréhender les transformations actuelles du capitalisme et tenter d’éclairer les transitions post-capitalistes qui s’ouvrent et s’amorcent – pour les raisons et dans les conditions que je dirai ici.

     

    2. Pour celles et ceux qui – dans un tel séminaire – auraient le toupet de ne pas être convaincus et qui tiendraient les marxismes pour peu de choses, j’ajouterais que pas grand-chose, c’est mieux que rien ; car le fait (incroyable) est qu’il n’existe pas de théorie de la crise dans le courant dominant en économie, actuellement, le mainstream néo-classique. Pire : pour lui, la crise n’existe pas dans l’élément de la théorie. C’est si vrai que la plupart des grandes encyclopédies « orthodoxes » n’ont pas de chapitre ni d’entrée « crise ». Dans la théorie (pour l’économie standard : la formalisation mathématique) ou dans l’empirie (pour cette même économie standard : l’économétrie), le sujet de la crise intéresse peu : très peu de travaux académiques du courant néo-classique y sont consacrés – y compris à ses frontières (internes) « néo-keynésiennes ».

     

    Pour le mainstream, la monnaie n’est pas intégrée dans le circuit et la dynamique de reproduction du capital : valeur égal prix ; taux de profit égal taux d’intérêt ; en micro-économie, il n’y a pas de monnaie dans l’équilibre général version Arrow-Debreu ; en macro-économie, la monnaie est en général considérée comme neutre, de sorte que l’équilibre est automatique, et la crise interdite par construction. Il est donc important d’avoir à l’esprit, dès le début, que l’idéologie scientifique du capitalisme ne prend pas la crise pour objet d’étude et ne peut par conséquent pas comprendre les crises du capitalisme réellement existant. Cela ne veut pas dire hélas que, sur tel ou tel point, certaines analyses néo-classiques ne font pas mieux que les marxistes, car, sur ces points, les orthodoxes peuvent mieux saisir ce qui se passe (par exemple : pour ce qui est des transmissions des effets de la sphère financière à la sphère réelle, ou même en finance [finance mathématique] où les marxistes sont très peu présents).

     

    Pour ne pas être décroché, il faut donc lire Marx, mais également la littérature de nos ennemis, y compris la presse de l’establishment ; d’autant que les fractions de classes dominantes débattent entre elles comme si les peuples n’étaient pas là ou n’y comprenaient plus rien, et que, contrairement à la plupart des directions partisanes et syndicales « de gauche », elles n’ont pas abandonné la défense de leurs positions de classes ni une certaine solidarité internationale (disons plutôt inter-impérialiste).

     

    Mais comme la crise est un fait très difficile à nier en pratique, ceux d’entre les néo-classiques qui s’y intéressent l’analysent à partir de facteurs extérieurs aux marchés et perturbateurs des mécanismes automatiques de correction par les prix : les interventions de l’État, des « bugs » informatiques (puisque la majorité des ordres de transactions financières sont passés par ordinateurs, avec des temps de réaction mesurés en milliardième de seconde [en nanoseconde, à 10-9]), ou les excès de comportement de certains agents (des fraudes de Ponzi à la Madoff ou le trou de Monsieur Kerviel).

     

    Mais, en fait, la spéculation n’est pas un excès ou une erreur de la corporate governance ; c’est une potion magique contre le mal structurel du capitalisme, un remède pour contrer la tendance à la baisse du taux de profit et offrir des débouchés aux masses de capitaux ne trouvant plus à s’investir dans la production de façon rentable – l’éclatement des « bulles » étant le prix à payer (à payer par les peuples). Dans la vision orthodoxe, la concentration de la propriété privée et la logique de maximisation du profit individuel ne sont considérées comme problématiques. La conception néo-classique de l’État est celle d’une entité séparée de la sphère économique et non dominée par les intérêts du capital. Les syndicats existent, au moins en théorie, mais pas la lutte des classes.

     

    Il faut évidemment s’éloigner de telles interprétations, parce que nous savons que les crises font partie intégrante de la dynamique contradictoire de la reproduction élargie du capital.

     

    3. Provoquons un peu : les hétérodoxies reprennent de la force dès qu’elles reviennent vers Marx. C’est le cas de Keynes. Dans sa critique des néo-classiques, Keynes a puisé une partie de ses idées dans un fond théorique commun avec Marx. Les deux se retrouvent dans un rejet de la loi de Say. Keynes revient en un sens à une théorie de la valeur travail sans la placer en avant, ni parler d’exploitation. Il reprend même dans Treatise on Money les schémas de reproduction du Livre II (probablement sans le savoir, car il n’a pas vraiment lu Marx, mais il connaît le russe Tugan-Baranovski sur les Crises industrielles en Angleterre), pour aborder le problème de la crise sous l’angle monétaire, à la façon des théories du cycle des affaires de l’époque, et donc différemment de Marx, et pour conclure que c’est l’insuffisance de l’investissement (non de l’épargne) qui engendre la crise.

     

    Comme Marx, Keynes voit le capitalisme déboucher sur un effondrement pour des raisons endogènes au système. Et à y regarder de près, la cause ultime de la crise chez Keynes rejoint l’analyse marxienne : ce qui explique la crise, en amont de l’insuffisance de l’investissement (due à une diminution de l’efficacité marginale du capital, elle-même liée à l’obsolescence du capital et éventuellement accentuée par la hausse du taux d’intérêt), c’est, en dernière instance, la concurrence capitaliste – soit ce que Marx appelle les contradictions internes du capitalisme. La définition du profit par Keynes est plus proche de celle de Marx que des Néo-Classiques, dans un schéma où, si le profit baisse, les anticipations dégradées font baisser l’investissement (Kalecki aura raison de corriger en disant : les anticipations font baisser les plans d’investissement), ce qui fait entrer l’économie dans la crise, laquelle est caractérisée par un équilibre sans plein emploi, et sans mécanismes d’ajustement spontané par le marché.

     

    Il convient donc d’aller au-delà de l’examen de la question du partage de la valeur ajoutée (entre salaires et profits), comme le font la plupart des Keynésiens – vrais ou faux.

     

    Quelle interprétation marxiste de la crise ?

    1. La crise s’interprète en termes marxistes comme crise de suraccumulation du capital. Depuis un certain nombre d’années, nous étions un certain nombre à soutenir l’inéluctabilité d’une dévalorisation du capital, brutale et de grande ampleur. Cette crise devait arriver… Fondamentalement, elle peut s’expliquer par une suraccumulation de capital découlant de l’anarchie même de la production et conduisant à une pression à la baisse tendancielle du taux de profit lorsque les contre-tendances (y compris les nouvelles, liées, comme on le verra, aux nouveaux instruments financiers) viennent à s’épuiser. Et cette suraccumulation se manifeste à travers un excès de production vendable, non pas du fait d’une insuffisance de personnes dans le besoin ou ayant le désir de consommer, mais parce que la concentration des richesses tend à exclure une proportion toujours plus grande de la population de la possibilité d’acheter des biens. Mais au lieu d’avoir affaire à une surproduction standard de marchandises, l’essor du système du crédit permet au capital de s’accumuler sous forme de capital-argent, lequel peut se présenter sous des formes toujours plus abstraites, irréelles, fictives.

     

    2. Le concept de « capital fictif » me semble être important pour l’analyse de la crise. Son principe de base – la capitalisation d’un revenu dérivé d’une survaleur à venir –, comme certaines des formes sous lesquelles on le trouve (capital bancaire, actions en bourse, dettes publiques…), ont été identifiés par Marx en son temps. Il en esquissa l’étude, en liaison avec celles du capital porteur d’intérêt et du développement du système du crédit capitaliste, dans la Section 5 du Livre III du Capital, spécialement à partir du chapitre XXV, et surtout au chapitre XXIX (« composantes du capital bancaire »), et jusqu’au chapitre XXXIII.

     

    Les idées ne sont pas achevées – et elles ne le sont toujours pas (malgré les travaux de grands auteurs) ; les choses ont beaucoup changé depuis l’époque de Marx (la monnaie a changé de forme pour devenir encore plus immatérielle, le marché des changes s’est extraordinairement dilaté dans un régime détaché de l’or).

     

    Mais Marx nous a laissé des éléments permettant d’appréhender les mouvements fictifs du capital, qui intègrent le système de crédit et le capital monétaire, dont l’analyse conduit à celles de la reproduction élargie en liaison avec le développement exorbitant de formes de plus en plus irréelles du capital, en tant que sources de valorisation autonomisées, en apparence séparées de la plus-value ou appropriées sans travail, comme « par magie ». Marx parle d’ailleurs ici de capital fonctionnant comme un « automate » – on pourrait dire tel un « autocrate », comme il a pu le dire ailleurs de la machine d’État.

     

    Le lieu de formation par excellence du capital fictif se situe dans le système du crédit, qui relie l’entreprise capitaliste à l’État capitaliste ; et l’on trouve à cette intersection : les bourses, les banques, mais aussi les fonds de pensions, les fonds d’investissement spéculatifs (ou hedge funds, localisés dans les paradis fiscaux) et d’autres entités similaires. Des vecteurs privilégiés du capital fictif sont aujourd’hui la titrisation (qui transforme des actifs [par exemple, des créances] en titres financiers) et les échanges de produits dérivés, qui sont des « puissances » du capital fictif.

     

    3. Mais il y a à résoudre ici des problèmes théoriques et empiriques, nombreux et délicats. Des problèmes théoriques. Exemples : pour distinguer les diverses sources de capital fictif, selon leur support et leur degré de détachement de la sphère réelle. Ou pour montrer que les profits du capital fictif sont aussi réels. Ou pour montrer comment ces « profits fictifs » (réels) peuvent être assimilés à l’action d’une contre-tendance à la baisse du taux de profit. Des problèmes empiriques, également : pour démontrer l’origine des profits fictifs. Ou pour parvenir à recalculer les taux de profit et savoir quelle est la place du capital fictif dans le redressement des taux de profit. Ou comment est partagée la plus-value entre les différentes fractions capitalistes…

     

    Le capital fictif est de nature complexe, dialectique, à la fois irréel et réel. Sa nature est en partie parasitaire, mais ce capital bénéficie d’une distribution de plus-value (sa liquidité donne à son propriétaire le pouvoir de le convertir, sans perte en capital, en monnaie, « liquidité par excellence »). Et ce capital alimente une accumulation de capital fictif additionnel comme moyen de sa propre rémunération.

     

    De façon plus générale, sur ce sujet, l’un des problèmes les plus sérieux est la quasi-impossibilité de formaliser, que l’on soit marxiste ou non en économie, sans être contraint de séparer les sphères réelle et financière ; ce qui n’est vraiment pas très satisfaisant. Même s’il est vrai que forme-marchandise et forme-monnaie doivent être séparées pour finir par devenir inséparables.

     

    Revenons aux origines de la crise…

    Deuxième partie : origines, manifestations et effets de la crise

     

    1. Les origines de la crise ?

     

    A. Les origines financières

     

    a. La crise qui éclata sur le compartiment subprime du marché immobilier états-unien avait été préparée par des décennies de suraccumulation de capital fictif. Il faut appréhender cette crise dans une perspective de longue période d’aggravation des dysfonctionnements des mécanismes de régulation du système mondial sous l’hégémonie des États-Unis, au moins depuis la suraccumulation de capital-argent des années 1960, liée aux déficits états-uniens (causés pour partie par la guerre du Viêt-nam), aux tensions intenables subies par le dollar et à la multiplication des eurodollars, puis des pétrodollars, sur les marchés interbancaires.

     

    b. Dans ce processus, certains événements ont eu un rôle fondamental, parmi lesquels, sur le marché de changes, le démantèlement des accords de Bretton Woods avec la décision des États-Unis en 1971-1973 de ne plus les respecter, d’abandonner la convertibilité-or et de démonétiser l’or, donc de démanteler le système d’étalon de change-or sous Nixon (et Paul Volker, aujourd’hui conseiller du président Barack Obama), et de flexibiliser les régimes de changes.

     

    D’où les grandes vagues de déréglementation des marchés monétaires et financiers à compter de la fin de la décennie 1970, avec spécialement la « libéralisation » des taux de changes et des taux d’intérêt. La crise de la dette des pays du Sud découle de la hausse du taux d’intérêt de la Fed en 1979, du « coup d’État financier » par lequel la haute finance, essentiellement états-unienne, reprit le pouvoir sur l’économie mondiale.

     

    Aux origines profondes de la crise, il y a à l’œuvre tous ces processus de dérégulation (et donc de re-régulation par les oligopoles financiers) et d’intégration des marchés financiers au sein d’un marché globalisé, lesquels déplacèrent le centre de gravité du pouvoir mondial vers la haute finance, et lui permit d’imposer ses diktats à toute l’économie.

     

    c. Dans cette nouvelle ère « néo-libérale », les marchés financiers ont été modernisés, à travers l’essor des instruments de couverture notamment ; instruments rendus nécessaires par la flexibilisation des changes et des taux d’intérêt sur des marchés progressivement intégrés : je veux parler ici des produits dérivés, c’est-à-dire de contrats supportant des transactions, soit fermes (à terme organisés [les futures], à terme de gré à gré [les forwards], par échange de flux [les swaps]…), soit optionnels, et fixant les flux financiers futurs en fonction des variations de prix d’actifs sous-jacents, qui peuvent être un taux de change, un taux d’intérêt, le cours d’actions ou de matières premières, ou un événement à venir probabilisable. Ce sont là des outils de couverture (hedge en anglais), mais qui servent en fait le plus souvent à des stratégies de spéculation, en jouant sur l’« effet de levier » par prise de risque à partir d’un placement de mise limitée ; surtout quand ils sont hybrides et donnent lieu à des ventes à découvert sans contrepartie (ou short sells) – les opérations les plus risquées pouvant amener en théorie des pertes mathématiquement infinies (par exemple : avec les options de vente ou put).

     

    Il en a résulté que les montants correspondant à la création de ce capital fictif ont très vite, et très largement, dépassé ceux destinés à la reproduction du capital productif. Exemple : en 2006, la valeur annuelle des exportations mondiales égalait trois jours d’échanges d’OTC ou over-the-counter – contrats « off-exchange » négociés sans intermédiaire de gré à gré, donc hors bourse – avec 4 200 milliards de dollars échangés par jour. Cette valeur ne veut plus rien dire, ou ne nous dit plus rien. Mais ces 4,2 téradollars sont échangés par un nombre restreint d’oligopoles financiers, les primary dealers que la Fed appelle le G15 : Morgan Stanley, Goldman Sachs et 13 autres.

     

    Ce sont surtout ce que l’on appelle les dérivés de crédit, avec des montages très complexes de type swaps de défaut de crédit (CDS) ou dettes adossées à des actifs (CDO), qui ont posé problèmes en transformant complètement la vision traditionnelle du crédit et en mettant en jeu plusieurs degrés ou plusieurs « puissances » de capital fictif [des CDO de CDO ou CDO²]) – problèmes dont nous ne sommes d’évidence pas sortis, car l’une des dernières innovations de la finance a été, tout récemment, les CDO de CDO², c’est-à-dire des CDO3 ; lesquels sont évidemment échangés hors bourse, enregistrés hors bilan et créés presque sans règles prudentielles.

     

    Les origines réelles

    a. Mais il convient de saisir cette crise aussi et surtout à l’articulation des sphères financière et réelle : les contradictions qu’elle a révélées plongent leurs racines à long terme dans l’épuisement des moteurs de l’expansion de l’après Seconde Guerre mondiale, qui a amené ces profondes transformations financières. Dans la sphère réelle, les formes d’extraction de plus-value et d’organisation de la production avaient touché leurs limites, et elles durent être relayées par de nouvelles méthodes (de type Kanban) et ré-impulsées par du progrès technologique (informatique, robotique), qui ont bouleversé les bases sociales de la production – notamment par une substitution du travail par du capital. Après la longue suraccumulation concentrée de plus en plus dans la sphère financière sous la forme de capital-argent, l’excès d’offre a accentué la pression à la baisse des taux de profit observée dès la fin des années 1960.

     

    b. Et pour tenter de résoudre – en fiction – ce problème, aux États-Unis, la Fed, gagnée aux thèses monétaristes, avait augmenté ses taux d´intérêt unilatéralement à la fin des années 1970, marquant l’entrée dans l’ère dite du « néo-libéralisme » (qui reste un mot creux s’il n’est pas doté d’un contenu de classe et s’il n’est pas rattaché au pouvoir des oligopoles de la haute finance moderne).

     

    Certains des facteurs majeurs de la crise sont de nature « réelle » et liés à l’austérité : la crise des subprimes, par laquelle de nombreuses familles pauvres se sont retrouvées en défaut de paiement, s’explique aussi par les politiques néo-libérales menées depuis plus de trente ans et poussant à la rigueur, qui casse les salaires, flexibilise les emplois, massifie le chômage, dégrade les conditions de vie ; politiques qui ont brisé la demande et actionné des ressorts la rendant artificielle, et insoutenable.

     

    c. La croissance n’a donc pu être maintenue en régime néo-libéral qu’en dopant à mort la demande de consommation privée tout en tirant au maximum sur les lignes de crédit – et c’est cet essor exorbitant du crédit qui finit par révéler la crise de suraccumulation dans sa version actuelle. Dans une société où des masses d’individus toujours plus nombreuses sont exclues et sans droit, l’élargissement des débouchés offerts aux propriétaires du capital pouvait seulement retarder la dévalorisation de l’excédent de capitaux placés sur les marchés financiers, mais certainement pas l’éviter.

     

    C’est au cœur de la logique de la dynamique de l’économie états-unienne qu’est née la crise ; avec, d’une part, un rééquilibrage des déséquilibres internes et externes effectué par drainage de capitaux durables étrangers, à interpréter comme une ponction opérée par les classes dominantes états-uniennes sur les richesses du reste du monde, et, d’autre part, à l’intérieur des États-Unis, la concentration de richesses la plus forte depuis un siècle. Quelques données : la part des revenus accaparés par le 1 % le plus riche dans le revenu total était de 10 % il y a 30 ans, elle est de 25 % aujourd’hui ; la part des 10 % les plus riches était d’un tiers en 1979, elle était de la moitié en 2009. Ceci, par le gonflement extraordinaire des profits financiers (du capital fictif) des classes dominantes, qui déforma macroscopiquement l’économie des États-Unis, notamment le taux d’épargne, devenu négatif juste avant la crise. D’où, via la sphère réelle, la catastrophe actuelle.

     

    Comment se manifeste-t-elle ?

     

    2. Les manifestations de la crise

     

    A. Les manifestations financières et réelles

     

    a. La manifestation première de la crise a été une destruction brutale de capital fictif : sur l’année 2008, la capitalisation totale des bourses mondiales est passée de 48,3 à 26,1 billions de dollars (soit des millions de millions, ou des milliers de milliards, on est à 1012) ! Cette spirale descendante des actifs en valeur s’est accompagnée d’une perte de confiance et d’une situation d’illiquidité sur le marché interbancaire, dans un monde pourtant sur-liquide – l’hypothèse la plus probable étant celle d’une insolvabilité de nombreuses banques.

     

    Par conséquent, dans un contexte où les prix des titres composites et les risques les caractérisant étaient de plus en plus mal évalués (parce que non évaluables – sans même parler des aberrations de fonctionnement des agences de notation, de type Moody’s), les problèmes se sont déplacés du compartiment subprimes vers celui des crédits de crédits immobiliers (du capital fictif de degré un à du capital fictif du second degré), puis vers ceux des prêts solvables (les primes), avant que l’implosion de la bulle des instruments adossés aux hypothèques immobilières vienne contaminer les autres segments de marchés financiers et, de là, le marché monétaire proprement dit.

     

    Et c’est alors tout le système de financement de l’économie qui s’est bloqué.

     

    b. La dévalorisation du capital a eu une dimension réelle, par le biais du credit crunch, par disparition du crédit, notamment de prêts à la consommation. Les économies sont entrées en dépression, conjoncturellement dès 2007, mais, structurellement, dans un monde où un pic a été atteint pour certaines ressources naturelles stratégiques (au premier rang desquelles le pétrole) et où la recherche de nouvelles sources d’énergie posent des limites objectives à la croissance – et entraînent des pressions à la guerre –).

     

    Résultat : les indicateurs économiques se sont déréglés : chute du taux de croissance, des échanges commerciaux, de la consommation des ménages, pertes d’exploitation de firmes industrielles, chômage, pertes de logement, d’épargne…

     

    c. Une dimension extrêmement préoccupante de cette crise est enfin l’endettement des pouvoirs publics, notamment des États (qui ont en partie « nationalisé » de la dette privée), et les difficultés consécutives en matière de finances publiques, jusqu’aux collectivités locales, tout spécialement pour ce qui est des budgets sociaux (éducation, santé, retraites)...

     

    D’où les restructurations (par rachats-regroupements) de dettes souveraines qui sont discutés actuellement.

     

    B. Et puis il y a la guerre…

    a. Crise et guerre sont imbriquées. D’abord parce que la guerre est intégrée au cycle, économiquement, comme forme extrême de destruction de capital, mais aussi politiquement, pour la reproduction des conditions de maintien du commandement des fractions dominantes des classes dominantes – la haute finance – sur le système mondial.

     

    Pendant la Guerre froide, l’essor des forces productives a été en partie impulsé aux États-Unis par la dépense militaire et le complexe militaro-industriel, à travers la course aux armements, et les progrès techniques induits (systèmes informatisés, robots commandés par ordinateurs, internet…). Aujourd’hui, la dépense militaire reste considérable (un cinquième du budget fédéral, plus de la moitié des dépenses militaires mondiales, avec plus de 1 000 bases dans le monde) et le complexe militaro-industriel continue à jouer un rôle-clé, mais désormais sous le contrôle de la finance. L’emprise de la finance sur les firmes états-uniennes de l’armement va croissant et se manifeste par une prise de contrôle de la structure de propriété de leur capital par des investisseurs institutionnels eux-mêmes détenus par les grands oligopoles financiers : au début des années 2000, cette proportion atteignait 95 % du capital de Lockheed Martin, 75 % de General Dynamics, 65 % de Boeing... Idem pour les sociétés militaires privées, une part toujours plus grande d’entre elles passant sous la coupe de la finance à mesure que l’État « externalise » ses activités de défense : MPRI a été racheté par L-3 Communications, Vinnell par Carlyle, DynCorp par Veritas…

     

     

    b. Dans un contexte où l’usage de la force armée est la stratégie imposée au monde par la haute finance états-unienne comme condition de sa reproduction, où la militarisation est une modalité d’existence du capitalisme, et où le rôle de l’État (néo-libéral) est fondamental pour le capital (car c’est bien l’État qui entre en guerre pour le compte du capital, et ce sont les agences gouvernementales qui attribuent les montants astronomiques de contrats militaires aux firmes transnationales de l’armement, via le lobbying : General Electric, ITT…), dans ce contexte donc, la dépense militaire devient une majeure source de rentabilité pour le capital. Et elle peut de surcroît, quand elle est financée par la dette publique, accroître encore le capital fictif.

     

    c. En plus, on doit remarquer que les guerres d’Afghanistan et d’Irak ont été lancées en un temps précis – un temps de crise déjà : à partir de 2001 (tout comme 1913 et 1938 étaient des années de crise) ; crise qui a elle-même surgi au moment de modifications de la politique monétaire aux États-Unis consécutivement à l’aggravation des déficits internes et externes du pays – le premier, en raison du besoin de financement associé en partie aux guerres impérialistes ; le second, dû en partie aux délocalisations, surtout vers la Chine.

     

    Ainsi, à la suite du ralentissement de la croissance en 2000, la Fed a très fortement diminué son taux d’intérêt (de 6,5 % en décembre 2000 à 1,75 % en décembre 2001, puis à 1 % mi-2003), et l’a maintenu à ce niveau très bas jusqu’à la mi-2004. C’est précisément durant cette période, période au cours de laquelle les taux d’intérêt réels étaient devenus négatifs, que les mécanismes de la crise des subprimes se sont mis en place, avec des prises de risques de plus en plus élevés, tout spécialement dans l’immobilier. En raison de l’alourdissement de l’effort de guerre, notamment mais fondamentalement, la Fed a ensuite dû relever le taux d’intérêt à partir de 2004, soit un an après le début de la guerre en Irak, jusqu’à 5,25 % mi-2006. Et juste un peu après, dès la fin de l’année 2006, des débiteurs ont commencé à interrompre en masse leurs échéanciers de prêts hypothécaires – le nombre de défauts de paiement étant aggravé par la contraction de la croissance et la stagnation des salaires.

     

    Et la Fed a maintenu ce taux d’intérêt assez haut, au-dessus de 5 %, jusqu’à la mi-2007, alors que les signes de la crise étaient déjà là. Ce n’est qu’à partir d’août 2007 seulement, donc très tardivement, que la Fed a commencé à accorder aux banques quantité de crédits à taux réduits, à des taux cadeaux, proches de zéro – sans d’ailleurs éviter les paniques financières (paniques modernes, aux cris non plus des traders financiers, mais de souris informatiques). Et la crise explosa lorsqu’une masse critique de débiteurs a rencontré des difficultés pour rembourser les emprunts ; ce qui fut le cas dès la fin de l’année 2006, après que la Fed ait relevé son taux d’intérêt pour attirer des capitaux destinés à financer les budgets militaires dilatés par les nouvelles guerres impérialistes. Tout cela, sans victoire militaire des États-Unis, ni relance de l’accumulation par les destructions amenées par ces guerres impérialistes. Et la poursuite de ces guerres exacerbe encore davantage les contradictions capitalistes…

     

    3. Quels sont les effets de la crise ?

    A. Au Nord

     

    a. D’abord, dans un environnement de forte incertitude, la création massive de monnaie et la fixation des taux d’intérêt juste au-dessus de zéro, d’une part, d’autre part, le creusement du déficit budgétaire (à près de 10 % du produit intérieur brut aux États-Unis) et l’accroissement démesuré de la dette publique, ont entraîné une dépréciation du dollar et une « guerre des monnaies ».

     

    Guerre monétaire gagnée pour l’instant (mais pour combien de temps ?) par le dollar, pour la raison fondamentale que les États-Unis disposent d’une arme extraordinaire, « de destruction massive » : leur Banque centrale peut créer – sans limites – de la monnaie qui est acceptée par les autres pays, parce que le dollar demeure la réserve de valeur internationale, ce qui permet aux États-Unis d’imposer au reste du monde les termes d’une capitulation qui l’oblige à poursuivre les politiques néo-libérales, mais encore à subir le taux de change du dollar qui convient le mieux à la stratégie de domination états-unienne, y compris si cela implique une forte dépréciation des réserves de changes détenues par les autorités monétaires des autres pays, dont la Chine.

     

    Les États-Unis pensent qu’un dollar déprécié résorbera leur déficit commercial et stimulera leur production intérieure. Ce qui est une erreur, car on observe depuis plusieurs années que ces variables réagissent assez peu et de moins en moins à des baisses du dollar. Le résultat est en fait une croissance très faible aux États-Unis, qui sont en quasi-stagnation. Mais on dira : la croissance du régime néo-libéral était déjà de basse intensité ; c’est vrai, mais la situation s’est aggravée, car les causes sont maintenant dues aux problèmes de l’ensemble du système de financement des économies.

     

    Une autre perturbation induite, en parallèle, opère sur les marchés de matières premières, et notamment sur celui du pétrole, sur fond d’épuisement des réserves énergétiques mondiales, qui provoque l’envolée des cours.

     

    b. On le sait, les pires conséquences des effets réels de la crise sont supportées par les plus pauvres dans les classes populaires, avec des dégâts énormes, y compris aux États-Unis, qui sont toujours la première économie mondiale, mais avec de très mauvais indicateurs sociaux en comparaison des autres pays riches du Nord (pour l’espérance de vie, le taux de mortalité infantile, le droit à la santé, l’éducation même).

     

    Ces dégâts comprennent également, au Nord, un mal vivre généralisé, notamment au travail (pour ceux qui en ont…), voire des phénomènes individuels d’effondrement psychologique, constatés par la médecine du travail notamment, allant jusqu’au suicide. Je veux parler, ici, des effets combinés de la menace de chômage et des méthodes d’évaluation individuelle, entraînant la mise en concurrence des travailleurs au sein d’une même unité de production ; d’où la rupture des liens de respect, de loyauté, de solidarité, de convivialité ; d’où la méfiance entre travailleurs, la surveillance, l’autocontrôle, la peur au travail ; l’apparition de pathologies de la solitude, accompagnées de sentiments de trahison morale de soi-même, de prise de conscience du mensonge face à la qualité totale et la certification par le marché, dans des univers où se réduisent les espaces collectifs pour penser et agir ensemble, la perte de repères moraux, la perte du sens de la responsabilité, et pour reconquérir les instruments de transformation des rapports au travail. On arrive là à des dépressions non plus économiques, mais psychologiques – aux frontières de la psychanalyse.

     

    c. Et sur le plan politique, je crois ne pas avoir vraiment besoin d’insister sur les risques de remontée des extrêmes droites, sous leurs diverses variantes balayant un spectre du religieux au néo-fascisme, en passant par les dérives de la droite dite « traditionnelle ».

     

    Tout ceci n’excluant pas, hélas, le risque de nouvelles guerres…

     

    B. Quels effets de la crise au Sud ?

    a. D’abord, l’aggravation des transferts du Sud vers le Nord, via les différents canaux que l’on connaît : rapatriements de bénéfices sur investissements directs ou de portefeuille, remboursement de la dette externe, transformation de réserves de changes en crédits (aussitôt accordés aux États-Unis), mais aussi échange inégal, fuites de capitaux, etc. Et ces transferts vers le Nord vont encore devoir s’accélérer à l’avenir pour tenter de financer le sauvetage du système capitaliste central – sachant que l’hégémonie états-unienne dispose de la devise-clé du système international et de l’arsenal militaire qui va avec, pour imposer ce drainage de capitaux du reste du monde. Les États-Unis ont jusqu’à présent pu l’imposer à tous – à leurs partenaires impérialistes comme à leurs rivaux potentiels (à la Chine surtout) –, mais pour combien de temps encore ?

     

    b. Les effets de la crise sont variables selon les caractéristiques des économies du Sud et selon leur insertion dans le système mondial. Certains pays sont tellement exclus de ce système mondial et noyés dans la misère que la crise semble en apparence ne pas les toucher. Mais elle les touchera tous, qu’ils soient « émergents » ou pas.

     

    Le secteur agricole compte pour beaucoup dans la plupart de ces économies, par exemple ; mais les dysfonctionnements et les paradoxes de ce secteur sont gravissimes : trois milliards de personnes sur terre souffrent en effet de la faim ou de carences alimentaires, alors que les productions agricoles excèdent largement (au moins de 50 %) les besoins alimentaires (il y a crise de surproduction là aussi). Les trois quarts de ces personnes sont d’ailleurs elles-mêmes des paysans. L’extension des surfaces mises en culture au niveau mondial s’accompagne du recul des populations paysannes par rapport à celles des villes, absorbant les flux d’exode rural. Une proportion croissante de terres est cultivée par des transnationales qui ne destinent plus leurs productions à la consommation, mais à des débouchés industriels ou énergétiques. Dans la plupart des pays du Sud qui se trouvent exclus des bénéfices de la « mondialisation », un dynamisme (relatif) des exportations agricoles dérivés de cultures commerciales de rente coexiste avec des importations de biens alimentaires de base.

     

    Et je suggèrerais même ici d’interpréter (sans vouloir bien sûr réduire leur complexité) les événements qui secouent le monde arabo-musulman en référence à un capitalisme qui a détruit leurs structures sur la longue période et à la forme néo-libérale de ce capitalisme qui a posé, sous couvert de good governance, les bases de l’explosion sociale actuelle ; notamment avec l’envolée des prix des denrées alimentaires – et, pendant ce temps, l’impérialisme est aux aguets.

     

    c. Mais au-delà, les conditions paraissent réunies pour qu’une conséquence majeure de la crise soit l’accentuation de la confrontation Nord-Sud – malgré les cooptations du « G20 ». Confrontation Nord-Sud dans un monde où les niveaux de contradictions se complexifient : contradictions entre les classes dirigeantes et leurs classes dominées, contradictions entre les différentes classes dirigeantes qui dirigent les États, contradictions entre les pays du Sud eux-mêmes… ; mais avec une prédominance relative actuellement des contradictions entre classes dirigeantes, en lien avec la montée des pays dits « émergents ».

     

    La voie interne choisie par une large majorité de ces classes dirigeantes est la voie capitaliste, ou l’une des variantes de la voie capitaliste. Mais, non seulement cette voie n’a pas d’issue, car la résolution des contradictions produites par le capitalisme est absolument impossible au Sud, mais encore elle est amenée à entrer en conflit avec les puissances impérialistes du Nord.

     

    L’un des risques qui pèsent donc sur les luttes populaires au Sud est de voir leurs résistances confisquées, neutralisées, transformées en forces pro-systémiques par les classes dirigeantes ; alors même que ces classes dirigeantes du Sud, surtout celles dont la stratégie est la plus cohérente et conséquente (comme en Chine) ne parviendront probablement pas à avancer sans transformations internes allant dans le sens d’une modification du rapport de forces en faveur des classes populaires.

     

    Et cela vaut bien sûr pour l’Amérique latine – au Venezuela bolivarien, par exemple.

     

    Troisième partie : Quelles ont été, sont, seront les politiques anticrise ?

     

    A. Critiques des politiques orthodoxes

    1. Les politiques anticrise ont d’abord consisté à coordonner les actions des Banques centrales pour injecter des liquidités sur le marché interbancaire par création de monnaie « primaire », offrir des lignes de crédit spéciales aux banques et réduire les taux d’intérêt. L’objectif était véritablement d’éviter l’effondrement total du système, et aussi de limiter la dévalorisation du capital fictif en freinant la chute des marchés (notamment pour que des dérivés soient payés au plus près de leurs valeurs faciales), mais cela n’a résolu aucune des contradictions fondamentales du système.

     

    Un point tournant a été, comme on le sait, la non-intervention des autorités monétaires – néo-libéralisme oblige – lors de la faillite de Lehman Brothers à la mi-septembre 2008. D’évidence, les implications de cet immobilisme, en termes de démultiplication des risques de déstabilisation de tout le système, y compris via la dette d’État, n’avaient pas été mesurées.

     

    D’où, en quelques heures, un changement de cap à 180° du Trésor et de la Banque centrale : plusieurs établissements financiers en péril (comme l’assureur AIG) ont été nationalisés (le plus souvent sans droit de vote ni nouveaux critères de contrôle) ; les short sells ont été temporairement suspendues ; puis la Fed a ouvert des lignes de crédits aux primary dealers dans des conditions spéciales (à taux d’intérêt quasi nul) ; l’État a aidé ces dealers dans les montages de rachat de groupes en faillite et les a recapitalisé – c’est-à-dire a soutenu très lourdement le processus d’hyper-centralisation du pouvoir des oligopoles financiers dans des structures de propriété du capital toujours plus concentrées (Lehman Brothers a été repris par Citigroup, Merryll Lynch par Bank of America, la caisse d’épargne Washington Mutual par Morgan…) ; une structure de « défaisance » était créée pour apporter la garantie de l’État à les titres « toxiques » ; et, mesure cruciale, la Fed a étendu en octobre 2008 son dispositif de swap lines (ou « arrangements réciproques temporaires sur devises ») aux Banques centrales du centre et des grands pays du Sud, les rendant quasi « illimitées »…

     

    Puis ce furent les plans Paulson 1 et 2 et les plans de soutien généralisé de l’économie (y compris de General Motors et aux autres, sans empêcher les licenciements massifs…), avec, au passage, des recapitalisations de la Fed, à bout de souffle. Et, finalement, début 2011, le président de la Fed a prévenu le Trésor qu’il ne continuera pas à financer les déficits publics, qu’il fallait revenir à la rigueur, qu’il fallait augmenter les taux d’intérêt ; avec deux risques majeurs ici : aux États-Unis, que le fardeau de la dette publique s’alourdisse encore ; et pour le reste du monde : que les flux de capitaux repartent financer les déficits états-uniens, et leur permettre de nouveau de vivre au-dessus de leurs moyens…

     

    Et tout cela, sous les yeux des peuples, qui comprennent non seulement que l’État est tourné contre les services publics, mais encore qu’il ne les fait payer que pour le sauvetage de la haute finance – qui le domine.

     

    2. Face à cela, une partie – minoritaire, mais significative – des courants libéraux continue à se radicaliser, en direction de thèses ultra-libérales inspirées par Hayek, Mises ou Rothbard. Leurs analyses de la crise, par exemple par Rockwell et Rozeff de l’Institut von Mises, sont fondées sur une foi réaffirmée dans le caractère automatique des rééquilibrages des marchés.

     

    Évidemment, elles sont gênantes pour les néo-libéraux, dans la mesure où elles défendent l’idée que la crise viendrait d’un excès d’interventionnisme et que l’État n’a pas à sauver les banques et les firmes en difficulté. Ce qu’il faudrait faire, selon eux, ce serait en finir avec les réglementations étatiques qui limitent la liberté des agents sur les marchés. Exemple : alors que les politiques publiques du logement prétendaient que les citoyens pouvaient tous accéder à la propriété immobilière, les marchés (qui eux ne sont pas « populistes ») ont démontré que non. Ces ultra-libéraux sont donc contre tout plan anticrise, et en particulier contre toute régulation des taux d’intérêt par la Banque centrale.

     

    Les plus extrémistes vont jusqu’à réclamer la suppression pure et simple des institutions étatiques – y compris de l’armée –, ainsi qu’une privatisation de la monnaie. Bien sûr, ils sont conscients que ces mesures pousseraient le capitalisme vers le chaos, mais ils pensent que, grâce aux mécanismes de marché, ce chaos serait bénéfique au capital et que le capitalisme se reconstituerait plus vite et mieux que par des interventions étatiques, en forme d’aides publiques artificielles à des entreprises qui sont de toute façon condamnées à la faillite.

     

    3. Et les positions réformistes ? La gravité de la crise a favorisé un retour des thèses de Keynes : « Keynes est aujourd’hui, plus que jamais, à l’ordre du jour », écrit Paul Krugman –qui est un économiste néo-classique ! En fait, même si elles s’opposent aux néo-classiques traditionnels au sujet des interventions de l’État, les interprétations néo-keynésiennes participent de leur même matrice théorique, dirons-nous, « bourgeoise ».

     

    Pour les plus avancés d’entre eux, malgré des nuances, des variantes et des subtilités, ils ne formulent que des visions à peine « réformistes », consistant à introduire des modifications minimes dans le fonctionnement du capitalisme pour qu’il puisse survivre le plus longtemps possible.

     

    Le Rapport de la Commission Stiglitz en fournit l’illustration. Son document final, rédigé en 2009 à la demande du président de l’Assemblée générale des Nations unies, ne remet pas en cause les fondements de l’idéologie dominante. Les vieilles certitudes néo-libérales sont juste à réviser, mais pas à abandonner : les taux de changes doivent être flexibles ; les vertus du libre-échange sont réaffirmées face aux « dangers du protectionnisme » ; les défauts de la corporate governance sont à corriger, mais la gestion des risques continue d’être confiée aux oligopoles financiers et la régulation du système mondial reste sous l’hégémonie du dollar états-unien.

     

    Nous sommes loin du rejet de la libéralisation financière globalisée exprimées par de plus en plus de pays au Sud – non sans contradictions, il est vrai –, de la Chine populaire au Venezuela bolivarien…

     

    B. Keynes

    1. Soyons clairs : les politiques anticrise ne sont pas keynésiennes. Si des mesures « keynésiennes » sont perceptibles – dès le plan G.W. Bush de 2008 d’ailleurs (avec les rétrocessions d’une partie des impôts, par exemple) et, surtout, avec le programme du président Barack H. Obama (avec des travaux d’infrastructures, etc.) –, la prédominance va encore nettement au néo-libéralisme pour sauver le maximum de capital fictif suraccumulé. La conversion d’urgence de plans de sauvetage du capital en un interventionnisme d’États actionnés de façon parfaitement anti-démocratique par les gouvernements du Nord ne peut faire illusion. Les politiques anticrise et leurs initiateurs ne se sont pas extraits des dogmes de l’orthodoxie.

     

    La Fed et les autres Banques centrales du Nord continuent à créer de la monnaie primaire massivement, avec encore tout récemment le Quantitative Easing 2. Mais cette politique monétaire « keynésienne », en apparence, a, en réalité, sombré dans une « trappe à liquidité », où la stratégie de baisse des taux d’intérêt réels s’est révélée incapable de redresser l’efficacité marginale du capital et de transférer du capital monétaire de la sphère financière vers la sphère productive.

     

    De là, la préoccupation actuelle aux États-Unis, depuis le début de l’année 2011, qui est l’endettement de l’État : du Trésor, de l’État fédéral, mais également des États fédérés et des collectivités locales. Le président de la Fed (Bernanke) a récemment prévenu le ministre des Finances (Geithner) et le Congrès que l’heure est au durcissement des plans d’ajustement budgétaire ; en clair, qu’il faut faire exactement le contraire de ce que préconisait Keynes, c’est-à-dire « faire le ménage » : résorber le déficit en augmentant les impôts et en réduisant les dépenses, par les baisses du nombre des fonctionnaires et de leurs rémunérations ; soit reporter le fardeau sur les travailleurs – y compris via la santé, les retraites, etc. Idem pour nous, en Europe.

     

    Il n’y a donc pas de retour à des politiques « keynésiennes », ni aux États-Unis ni en Europe, et la conception dominante de l’État reste celle d’un État néo-libéral, au service du capital, tout particulièrement pour le système du crédit.

     

    2. Et quand bien même il y aurait (ce qui est fort improbable) un « retour à Keynes », on se heurterait à des problèmes.

     

    Et d’abord à des problèmes théoriques. Il n’y a pas chez Keynes de théorie « générale » de la crise ; il y a de nombreux éléments théoriques éparpillés, partiels, parfois opposés et qui ont souvent donné lieu à des confusions et des malentendus de la part de certains commentateurs ou de ses propres disciples – à commencer par le concept, complexe, de « demande effective » (qu’il faut plutôt comprendre comme une offre en tant que valeur anticipée des ventes). Keynes a surtout cherché une stratégie de sortie de crise pour tenter de sauver le capitalisme, en trouvant le secret d’un « capitalisme sans crise », régulé, où la solution est la création d’une demande effective à travers un facteur exogène, l’État, dont l’intervention pourrait, dans les phases de contraction des cycles, minimiser l’impact des crises. Il avait compris, comme d’autres, notamment Schumpeter, que le cours de l’histoire allait dans le sens d’un dépassement du capitalisme. Mais sa théorie est confrontée à des difficultés dans le traitement de la monnaie en général, et du système financier en particulier.

     

    Ces limites de Keynes, pour comprendre la crise, limites par rapport à Marx je veux dire, certains keynésiens lucides et honnêtes les ont vues et dites, comme la géniale Joan Robinson ; que je cite ici : « La théorie keynésienne élabore nombre de raffinements et de complications négligés par Marx, mais on trouve l’essentiel dans l’analyse de Marx de l’investissement comme “un achat sans vente” et de l’épargne comme “une vente sans achat” ». Ce à quoi Keynes avait rétorqué, à Joan Robinson qui tentait de le rapprocher de Marx dans un essai publié en 1942 : il était vain de « vouloir donner un sens à ce qui n’en a pas ».

     

    Mais c’est surtout la propriété fondamentale de la monnaie de fonctionner comme capital, analysée par Marx, qui ne figure pas de façon développée, ni même claire, chez Keynes – et moins encore évidemment dans la théorie quantitative de l’orthodoxie.

     

    3. Cette analyse limitée du système de crédit chez Keynes, et le manque de différenciation entre monnaie étatique et monnaie de crédit, l’ont conduit logiquement – mais abusivement – à attribuer trop d’importance à la monnaie, mais surtout une responsabilité excessive à l’État dans la détermination des taux d’intérêt. Selon lui, la Banque centrale pousse le taux d’intérêt à la baisse grâce à l’essor de l’offre de monnaie, par le biais de la création « primaire » de monnaie, pour stimuler l’investissement dans les actifs où l’efficacité marginale du capital est plus élevée – et ce, jusqu’à ce que, in fine, disparaissent ce qu’il appelle les « aspects choquants du capitalisme » (le chômage, les inégalités…). Or on sait que la politique monétaire mise en œuvre par les Banques centrales, dont les objectifs sont la stabilisation de la monnaie et la lutte contre l’inflation, a complètement renversé le processus par lequel le taux d’intérêt est déterminé sur le marché. Elles utilisent le taux d’intérêt comme instrument principal, avec des effets financiers et réels sur toute l’économie. Et nous savons que le taux d’intérêt de la Banque centrale est surtout influencé par les taux fixés par les grands oligopoles financiers sur chacun des segments de marchés sur lesquels ils se comportent en position dominante.

     

    D’où des problèmes ou des illusions politiques véhiculés par la conception de l’État chez Keynes – la croyance keynésienne en une capacité toute-puissante de l’État, très différente de Marx. Car, malgré les limites de la théorie marxienne de l’État, même là, il est supérieur à Keynes.

     

    Qu’en est-il aujourd’hui ? L’État n’est-il pas tenu par le capital, à travers la dette publique, par exemple ? La création monétaire n’est-elle pas essentiellement d’origine privée ? Le taux d’intérêt de la Fed ne dépend-il pas dans une large mesure de ceux fixés par les oligopoles ? La Fed elle-même n’est-elle pas largement pénétrée par les intérêts privés des oligopoles ? L’État n’alloue-t-il pas les contrats militaires à des firmes qui sont contrôlés par la finance ? L’État néo-libéral n’est-il pas d’autant plus actif qu’il est soumis à la haute finance ?

     

    En bref, l’État keynésien est une fiction ! Et son « réformisme » ne fait que répandre des illusions, et de faux espoirs.

     

    Alors quelles alternatives ?

    Conclusion

     

    La probabilité d’aggravation de la crise actuelle, en tant que crise systémique du capital, est aujourd’hui extrêmement élevée, car toutes les conditions sont réunies pour que ça arrive. La finance a récemment inventé les CDO de CDO de CDO ou CDO3 – mais ce jeu de cubes s’effondrera. On a vu que l’unité de mesure, ici, c’est le million de million de dollars, ou le téradollar (à 1012) ; je pense que « ça va péter », avant que l’on arrive au pétadollar (à 1015 !) !

     

    Le capitalisme est en péril, et surtout au centre du système. Vous me direz : il y en a eu d’autres, d’autres crises capitalistes, beaucoup d’autres, et il s’en est toujours sorti, plus fort, plus monstrueux, plus monstrueusement concentré. Oui, et il y a même eu, avant lui, des crises pré-capitalistes. Je ne suis pas en train d’annoncer la fin du monde (en 2012 ?). C’est une illusion, une autre, peut-être due à de l’impatience, que de croire que le capitalisme va s’effondrer sous l’effet de la crise actuelle : le monstre va survivre, et va tuer encore.

     

    Au long de l’histoire, spécialement depuis la grande dépression des années 1930, le capital a su se forger des institutions et des instruments d’intervention publique, liés pour l’essentiel aux politiques des Banques centrales, permettant de « gérer » les crises, dans une certaine mesure, et d’amortir leurs effets les plus dévastateurs, au moins au Nord, au centre du système mondial ; mais sans jamais que ces réorganisations de la domination du capital ne suppriment ses contradictions. Nous allons donc encore souffrir longtemps les maux du capitalisme vieillissant et, au Sud, le « génocide silencieux des plus pauvres » dont il est responsable...

     

    Je dirais plutôt que la situation actuelle ressemble non pas au début de la fin de la crise, mais au début d’un processus de longue période d’effondrement du stade actuel du capitalisme, oligopolistique et financiarisé. Et ce processus d’effondrement ouvre larges des perspectives de transition, où la lutte des classes va se durcir et se complexifier ; ce qui nous oblige à reconsidérer des alternatives de transformations sociales post-capitalistes – que nous sommes de plus en plus nombreux, par delà nos différences, à vouloir socialistes (voire plus, si affinités).

     

    Or, si le problème structurel pour la survie du capitalisme est bien celui d’une pression à la baisse du taux de profit, et si la financiarisation n’est pas une solution durable pour lui, la seule chose que ce système offrira, jusqu’à son agonie, c’est l’aggravation de l’exploitation du travail. Car le capital fictif exige d’être rémunéré, et il obtient sa rémunération par le transfert d’excédent du capital productif et par une pression incessante à l’accroissement de l’exploitation de la force de travail.

     

    Pour parvenir à relancer un cycle d’expansion au centre du système mondial, la crise que nous vivons actuellement devrait détruire des montants absolument gigantesques de capital fictif, largement parasitaire ; mais les contradictions du système mondial capitaliste sont désormais devenues si profondes et si difficiles à résoudre qu’une telle dévalorisation risquerait de le pousser vers un effondrement.

     

    Certains orthodoxes croient d’ailleurs que la crise actuelle va conduire à l’effondrement du capitalisme ; comme, par exemple, les analystes de conjoncture du GEAB ou Global Europe Anticipation Bulletin, dont les prévisions d’aggravation de la situation débouchent sur la dislocation géopolitique totale du système, l’effondrement du dollar, la disparition des bases du système financier globalisé ; ou ceux de Money&Markets aux États-Unis, qui prévoient eux l’aggravation prochaine de la crise par des enchaînements beaucoup plus traditionnels : le creusement du déficit budgétaire, le gonflement de la dette publique, une défense insuffisante du dollar par les autorités monétaires, etc.

     

    Pour nous, l’heure est donc à la reconstruction d’alternatives et de propositions radicales – à gauche. Et parmi les questions les plus difficiles à traiter, il y a celles relatives à la monnaie et à la finance. Celles relatives à la composante externe de la politique monétaire (aux systèmes de change, avec un débat à ouvrir entre nous sur la question de la sortie de l’euro, sur sa pertinence ou non, sur sa faisabilité ou non, pour se réapproprier les marges de manœuvre) ou à propos de la composante interne de cette politique (quel contrôle politique de la Banque centrale ?). Celles du financement de l’économie (comment réglementer les oligopoles financiers ? ou mieux : comment les nationaliser et les contrôler démocratiquement ?). Celles du contrôle du capital étranger, en lien avec la balance des paiements. Celles de stratégies communes face à la dette extérieure. Celles de la construction de régionalisations alternatives (avec nationalisations continentales, pour rompre avec la logique du système et répondre aux besoins sociaux des peuples – ce qui devrait être en réalité l’objectif même de la science économique –). Celles, enfin, des nouvelles formes de planification dans les transitions socialistes en cours ou à venir – sous l’angle de la théorie (jusqu’à la suppression de la monnaie ?), mais surtout de la participation démocratique des peuples à tous les processus de décision concernant leur devenir collectif.

     

    Assurément, les difficultés qui sont devant nous sont très sérieuses, mais – nous n’avons pas le choix –, il faut garder espoir…

     

    Références bibliographiques :

    Herrera, Rémy (2010), Un Autre Capitalisme n’est pas possible, 202 p., Syllepse, Paris.

    — (2010), Dépenses publiques et croissance économique – Pour sortir de la science (-fiction) néo-classique, 275 p., L’Harmattan, Paris.

    — (2010), Les Avancées révolutionnaires en Amérique latine – Des Transitions socialistes au XXIe siècle ?, 175 p., Parangon, Lyon.

     

    Ce texte est une retranscription de la séance du séminaire « Marx au XXIe siècle » animée par Rémy Herrera le samedi 12 mars 2011 à la Sorbonne.


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