• Economie

    Jacques Gouverneur : les fondements de l'économie capitaliste

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    Le crash boursier est à nos portes et les experts radotent

    Robert BIBEAU

    Aujourd’hui, travail d’apprentissage ardu. Il s’agit de lire à l’endroit un texte écrit à l’envers, aporie d’une star de l’économie qui pollue les ondes télé et radio, tout comme ses collègues encombrent les cahiers économiques des journaux qui chaque semaine vous abreuvent de leurs inepties alambiquées.


    Analysons l’économie politique contemporaine

    Aujourd’hui, travail d’apprentissage ardu. Il s’agit de lire à l’endroit un texte écrit à l’envers, aporie d’une star de l’économie qui pollue les ondes télé et radio, tout comme ses collègues encombrent les cahiers économiques des journaux qui chaque semaine vous abreuvent de leurs inepties alambiquées (1) [Le blogue d’Olivier Berruyer http://www.les-crises.fr/]. Commençons notre décomposition analytique par le Tableau 1, explicite.

    « Cinq ans après la faillite de Lehman Brothers, le capitalisme de connivence (sic) se porte comme un charme. Le 15 septembre 2008, faillite de Lehman Brothers, stupeur et tremblements. Gouvernements et banques centrales se précipitent pour sauver la finance et donc l’économie (sic). Le terme d’"économie irréelle", popularisé par le philosophe altermondialiste Patrick Viveret, se répand. ».

    TABLEAU 1

    2008 2012
    Volume des produits dérivés négociés hors cote $516 000 MM $708 000 MM$
    Endettement des pays de l’OCDE (les riches) 75% 105%
    Déficit des pays de l’OCDE en % de leur PIB 3,5% 5,5%
    Effet de levier des banques "too big to fail" 31 Lehman B. De 13 à85
    Bilans des banques centrales Fed et BCE (créances pourries échangées contre de l’argent du néant) 900 MM$
    1400 MM € 3 000 MM$ 3 000 MM €
    Taux de croissance des pays de l’OCDE 0,5 % -,1 %
    Taux de croissance mondiale 2,7 % 3,2 %
    Taux de chômage des pays de l’OCDE 5,9 % 8 %
    Réserves de change mondiales 4 000 MM $ 11 200 MM $
    Réserves de change de la Chine 1 900 MM $ 3 500 MM $
    MM = MILLIARDS

    Que signifient ces chiffres, demande l’expert ?

    « Tous ces chiffres -(Tableau 1)- ces milliards et ces pourcentages - représentent-ils l’économie réelle ou l’économie irréelle ? La seule évolution positive serait la croissance mondiale, mais on sait que dans les chiffres du PIB rentre la dette. Cette croissance du PIB est-elle donc réelle ou illusoire ? »

    Où est l’erreur commise par l’économiste en herbe ? Simple, l’économie « irréelle » ça n’existe pas. C’est une métaphore colportée par les papagayos. Toute opération industrielle-commerciale-boursière-économique est réelle ou elle n’est pas. Pire, toute action-transaction est comptabilisée – créditée au vendeur et débitée à l’acheteur –. La marchandise quitte réellement le port de Shanghai et entre réellement au port de Los Angeles. Si l’économiste veut indiquer que le dollar américain, qui sert à payer cette transaction, ne vaut rien (dans le sens d’une monnaie de singe) alors qu’il le dise ainsi – ça ne constitue pas de l’économie « irréelle » mais du commerce frauduleusement réel, une arnaque, dont nous verrons tantôt l’inévitable conséquence.

    Monsieur l’expert a tout faux. Les politiciens et les technocrates sont totalement incapables d’influencer ce qu’il appelle l’économie réelle. Ils sont des pions entraînés malgré eux par les lois nécessaires du développement impérialiste. Sur ces lois personne n’a aucun pouvoir – le mode de production et les rapports de production capitalistes fonctionnent ainsi et dans leur course au profit maximum ils entrainent le système à sa perte inexorable. L’expert économiste poursuit…

    « Depuis des années les pays développés importent des biens et services en provenance des pays dits émergents et exportent de la dette libellée dans leur monnaie. Ainsi le monde s’est divisé en pays chroniquement exportateurs qui détiennent des "réserves de change" en dollars et en euros et en pays chroniquement importateurs qui exportent de la dette. Les réserves de change des banquiers centraux ne sont pas des liasses de billets. Ce sont bien des titres de dettes libellées en dollars et en euros. ».

    Que voilà un récit précis ! Vous voyez bien que l’on traite d’économie réelle – l’expert est assez lucide pour convenir que le créditeur se retrouve avec des obligations, des lettres de change n’ayant aucune valeur car le débiteur le paie en monnaie de singe – qu’il n’honorera jamais puisqu’il est virtuellement déjà en faillite. Les États-Unis avec leur immense dette (16 400 milliards seulement pour le gouvernement fédéral) ne pourront jamais rembourser car ils ne produisent pas suffisamment de marchandises ayant une valeur marchande (du temps de travail et de la plus-value cristallisée). Ce n’est pas de l’économie irréelle, c’est une arnaque bien réelle que de voir un emprunteur qui inonde ses créanciers de papier monnaie dévalué.

    « Nous avons donc d’un côté des pays émergents et des pays producteurs de pétrole. Ce côté a accumulé des créances = de l’argent en devenir si toutefois les crédits sont remboursés par leurs réputés riches clients. Nous avons de l’autre côté des pays réputés riches. Ce côté a accumulé des dettes - une promesse de payer un jour - contre de la consommation = du pétrole déjà brûlé, (…) ».

    Encore une fois l’expert désigne le monstre mais il ne le démasque pas. Quelle sera la résultante de cet immense vol international ? La Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, les poches pleines de monnaie américaine et européenne sans valeur face aux États-Unis, l’Europe occidentale, le Japon redemandant sans cesse d’autres marchandises que ces anciennes puissances coloniales ne savent plus elles-mêmes produire, ayant délocalisé leur production vers les pays ateliers. Admirez le rire jaune de leurs créanciers nouveaux impérialistes floués, mais enchaînés au char des débiteurs endettés ? Il y a péril en la demeure.

    A qui profite ce système moribond ?

    « Depuis 2008, le système s’est emballé. Mais dans ces échanges qui s’est enrichi ? Qui est le plus prospère ? Celui qui doit de l’argent, le débiteur ou au contraire celui à qui on en doit, le créancier ? Personne ne peut dire à qui ce système profite. Le débiteur a consommé mais le créancier verra-t-il son argent ? ».

    Le lâche petit boursicoteur – assez prétentieux pour décrire le coup fourré mais trop lâche pour l’expliquer. À l’évidence les pays qui prêtent des milliards à des mendiants sont déjà floués. Quand pourront-ils recouvrer leurs deniers ? Jamais ! Personne ne profite de ce système financier-boursier-flibustier. Le créditeur et l’emprunteur sont filoutés. La seule différence étant que le débiteur (le pays impérialiste en déclin) consomment des marchandises qu’il ne paiera jamais, et les monopoles occidentaux empochent des profits (car 50% des exportations chinoises sont le fait d’entreprises occidentales installées en Chine) en monnaie de pacotille qu’ils ne verront jamais. Idem pour les pays impérialistes ascendants.

    Mais le pire dans tout ce processus où le voleur se dupe lui-même, c’est que nul n’y peut rien. C’est le mode de production capitaliste qui fonctionne ainsi et de plus on peut déjà percevoir le moment où cette non valorisation du capital – le capital devant impérativement s’investir pour se reproduire de manière élargie, c’est-à-dire produisant de la plus-value – la machine économique s’enrayera durablement parce qu’incapable de s’oxygéner de nouveaux capitaux valorisés.

    La mystification ultime, « La cause profonde » de cette crise !!!

    « La cause profonde de cette crise n’est pas à chercher dans des taux d’intérêt inadaptés ou une question de masse monétaire. Nous pensons que la cause profonde de cette crise est la "monnaie-dette" manipulée par les banques centrales. Si toutes les transactions passées avaient été effectuées avec de la "monnaie-marchandise", la réponse à ma question "qui est riche ?" serait simplissime. Ce serait sans hésitation celui qui détient la "monnaie-marchandise" car il aurait un stock de quelque chose qu’il serait certain de pouvoir utiliser un jour. Inversement, les pays de l’OCDE auraient eu à se préoccuper de se procurer de la "monnaie-marchandise" nécessaire aux échanges et pour cela se livrer à une activité véritablement productive. Mais qu’est-ce qu’une "monnaie-marchandise", vous demandez-vous ? L’or, l’argent, l’ambre, l’huile de baleine, le sel, choisissez... Tout ce qui possède une valeur intrinsèque et est facilement reconnaissable, fractionnable et échangeable. Les gens se sont assez souvent mis d’accord sur l’or et l’argent (…). ».

    Voici étalée dans toute sa vacuité, à travers une dense allégorie, toute la flagornerie de ces experts ignares en qui chaque lecteur du cahier économique de La Presse place sa complaisance. La « valeur intrinsèque » ça n’existe pas. En 1864, Marx, que d’aucuns disent dépassé, et que seul un dogmatique oserait encore évoquer, a démonté cette fourberie, bien avant que les pseudos-experts qui veulent l’enterrer ne soient nés. Le trader resquilleur propose tout simplement de revenir au troc – à l’échange de monnaie-marchandise contre de la monnaie-marchandise (du pain, des souliers, des automobiles, des haches, de l’essence). Ce fut le premier artefact du féodalisme dont se débarrassa le système mercantiliste précapitaliste que cette « monnaie-marchandise » impraticable.

    Vous vous voyez au dépanneur, quatre poulets à la ceinture, troquant une bouteille de liqueur et un sac de croustilles. Devant vous un homme portant un lot de planches négociant l’achat d’un carton de bière. Le système capitaliste a inventé UNE marchandise universelle – la péripatéticienne financière – la monnaie par excellence or, argent et papier, afin de faciliter les transactions commerciales et l’échange de toutes marchandises contre toute autre marchandise. La monnaie reconnaissable, fractionnable et échangeable, cette marchandise unique – étalon et entremetteuse – représentante de la valeur marchande. La monnaie marchandise existe déjà, monsieur l’analyste, et c’est elle qui sans le vouloir vous entraine vers le mouroir. Le manant ignorant poursuit son galimatias :

    « Inversement, vous avez remarqué que la "monnaie-dette" doit avoir "cours légal". On vous force à accepter un bout de papier avec une marque d’un Etat dans un périmètre donné. Hélas pour nous, la "monnaie-marchandise" ne convient pas à un système capitaliste dévoyé, un capitalisme de copinage, de connivence, de manipulation ou d’Etat. La "monnaie-marchandise" pourrait appartenir à tout le monde, serait trop démocratique, pas facilement manipulable (…) ».

    C’est qu’il est en colère le compère. La monnaie dette ça n’existe évidemment pas. Il y a la dette, libellée en devise, et la bonne fortune consiste à savoir quel est l’état de santé de l’économie qui est derrière cette monnaie (c’est-à-dire de savoir si dans cette économie les profits sont « valorisés » ou s’ils sont dilapidés ou encore thésaurisés, ce qui revient au même car du capital qui ne rapporte pas de profit est du capital mort, en putréfaction.

    Le voilà s’approchant de son objectif ultime, à pas comptés le petit commis – l’air effrayé d’imaginer la vérité dont il s’apprête à vous révéler la complexité. Si « L’économie » capitaliste ne fonctionne pas c’est la faute aux capitalistes roublards, filous, malhonnêtes, dévoyés et de connivence, rage-t-il. C’était donc là son secret de polichinelle ?

    L’Hypocrite petit complice. Le capitalisme ne peut fonctionner différemment que de la manière qu’il fonctionne. La finalité de ce mode de production n’est pas de distribuer de la richesse à tout vent et à tout venant et de provisionner chaque être humain des biens que ses besoins réclament. La finalité de ce système économique est de reproduire le capital enrichi – surmultiplié – riche – de nouvelles plus-values à faire fructifier, et la roue sempiternelle recommence. Elle fonctionne l’économie impérialiste, maître corsaire, cessez de la vilipender ; elle fonctionne très bien mais sa marche funèbre la dirige droit vers le cimetière. Ce système économique en crise systémique a livré ce qu’il pouvait en productivité et en marchandises dévaluées et aujourd’hui il est impératif, non pas de le RÉFORMER, ce qui est un vœu futile mais de le renverser.

    Un autre système économique ?

    « Revenons donc à notre triste sort. Le pays qui a le plus à perdre avec l’aggravation de la crise est évidemment la Chine avec ses 3 500 milliards de dollars de réserves de change au 30 juin 2013. Ce n’est jamais plaisant de savoir qu’on s’est fait rouler pour une grande puissance armée. Au dernier G20, la Chine a lancé l’idée d’un fonds de réserve monétaire commun aux BRIC, pendant que les lobbyistes va-t-en-guerre contre la Syrie s’affairaient en espérant plus de déficits et de "monnaie-dette" pour faire tourner des usines d’armement et l’industrie bancaire. Brésil, Russie, Inde et Chine… Serait-ce le début d’un autre système ? »

    Non ! Oh que non ! Ce n’est pas le début d’un « autre » système. La panacée a déjà été essayée et elle n’a jamais fonctionné (Banque Mondiale, FMI ça vous dit quelque chose monsieur l’économiste ?). Plus de crédit en monnaie frauduleuse et sans valeur, plus de mesures d’assouplissement quantitatif (QE) étasuniennes et européennes pour renflouer le bateau ivre de l’impérialisme donnera exactement le même résultat que précédemment. C’est-à-dire plus d’inflation monétaire et davantage de dévaluation des monnaies par lesquelles tous les petits épargnants, les retraités, et les ouvriers salariés sont floués chaque année, leur pouvoir d’achat s’asséchant comme du parmesan !

    L’affrontement inter impérialiste pendant le G20 paralysé

    De fait, ce G-20 (2013) fut effectivement fort intéressant mais pour des raisons très différentes que votre appétence pour les recettes économiques magiques, monsieur le gigolo. Ce G-20 fut le tout premier où l’alliance des puissances déclinantes (États-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne, Japon, Canada, Italie) de la face moribonde de l’impérialisme international s’est vue mettre en échec par l’alliance des puissances montantes (Chine, Russie, Brésil, Inde) et leurs affidés ? Ceux qui espèrent encore tirer leur épingle de ce jeu de poker menteur financier se leurres. Les États-Unis, le quêteux de service, mis hors service sur le plan économique, ne s‘intéressait pas aux propositions économiques avancées par la Chine, et jouait le matamore militaire – menaçant ignoblement de bombarder le peuple d’une néo-colonie de la Russie (Syrie) afin de bien démontrer à tous ses créanciers de quelle façon allait se terminer cette épopée de la ‘dette souveraine’ américaine que ces gueux de Wall Street ne veulent ni ne peuvent rembourser.

    Quelle décision a fait tourner court aux menaces de bombardements ? Cette décision financière-boursière-monétaire s’est prise loin des caméras, à votre insu, mais elle a fait reculer le monstre étasunien et la France impudente.

    Concluons ce drame shakespearien. Le dernier G-20 (2013) nous fournit matière à réflexion. Les pays débiteurs ne peuvent rembourser. Les pays créanciers ne peuvent bombarder ces pays endettés pour les forcer à payer. Comme les États-Unis et la France et le Royaume-Uni l’ont démontré, ils sont déterminés à faire usage de la force (pour l’instant contre des tiers-parties comme la Syrie, mais demain ce sera directement contre les pays du BRICS) si ces pays tentent de les forcer à rembourser.

    Cependant, les endettés hésitent entre deux solutions drastiques. La première : lancer une offensive militaire après l’autre jusqu’à ce que la Chine, leur cible ultime, ait renoncé à son dû, ce qui de toute façon n’arrangera rien. De quoi sera fait le lendemain du Canossa chinois ?

    La seconde solution : chacune de ces jadis grande puissance se partage les activités économiques que les monopoles chinois accepteront de leur sous-traiter, tandis que les richesses immobilières étasuniennes, françaises, britanniques, italiennes, espagnoles, canadiennes, changeront de main, prochainement administrés par leurs nouveaux propriétaires chinois, indiens, iraniens et même qataris et saoudiens. Je ne saurais vous dire quelle option qu’ils choisiront.

    À Moscou en septembre 2013 le monde est entré dans une nouvelle période d’équilibre de la terreur. Non pas la terreur nucléaire, mais la terreur financière ou deux camps impérialistes dits « néo-libéraux », l’un endetté, désindustrialisé, décadent, armé jusqu’aux dents. Face à un monde impérialiste ascendant, créancier, où le capital produit de la plus-value ouvrière expropriée en grande quantité et qui entretient son ex- suzerain sous peine de s’effondrer avec lui.

    (1) http://www.les-crises.fr/
    (2) http://www.les-crises.fr/les-cinq-stades-de-l-effondrement/



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  • Consultation

    OGM : les citoyens européens invités à se prononcer

    Par Sophie Chapelle (24 janvier 2013)

    Marche arrière toute. La commission européenne vient de démentir sa volonté de geler les procédures d’autorisation de cultures de nouveaux OGM, contrairement à ce qu’affirmait le titre d’une dépêche AFP largement reprise telle quelle dans les médias. Deux OGM sont actuellement autorisés à la culture dans l’Union européenne, la pomme de terre Amflora de BASF et le maïs Mon810 de Monsanto. Sept demandes d’autorisations à la culture sont en attente : six pour du maïs et une pour du soja.

    Loin de geler ces demandes de mise en culture, la Commission n’a en fait pas encore décidé les procédures d’autorisation qu’elle allait mettre en œuvre, en lien avec les États membres. « Notre priorité est de nous mettre d’accord sur de nouvelles règles »précise le porte-parole de Tonio Borg, le nouveau commissaire de la Santé et des Consommateurs. Jusqu’à présent, seuls des arguments scientifiques, prouvant un danger manifeste pour l’environnement ou la santé, pouvaient justifier « une clause de sauvegarde », adoptée par huit pays : la France, l’Allemagne, le Luxembourg, l’Autriche, la Hongrie, la Grèce, la Bulgarie et la Pologne.

    Imbroglio européen

    Le nouveau commissaire souhaite relancer les discussions en laissant aux États-membres la possibilité de s’opposer à des cultures d’OGM sur la base d’arguments « socio-économiques », comme par exemple la disparition d’une agriculture paysanne au profit d’une agriculture industrielle. Mais plusieurs pays, dont la France, bloquent cette proposition. Ils considèrent que ces règles pourraient être rejetées par l’Organisation mondiale du commerce et plaident pour le renforcement des évaluations au niveau européen [1].

    Illustration supplémentaire des divisions européennes sur les OGM : le Commissaire européen à l’Agriculture, Dacian Ciolos, a lancé le 15 janvier une offensive contre les plantes génétiquement modifiées avec l’ouverture d’une consultation pour demander aux Européens s’ils veulent le développement d’une agriculture biologique sans OGM. La consultation est ouverte jusqu’au 10 avril 2013.


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  •  Á qui profite le déclassement de l’économie française par Standard & Poor's ?

    Crise et licenciementsL’usure internationale ne désarme pas, et c’est désormais au tour de la France, deuxième économie européenne, d’en faire les frais. L'agence privée étasunienne Standard Poor's a ainsi confirmé la dégradation des notes à long terme AA+ et à court terme A-1+ de la France. Cette décision intervient quatre jours à peine après le déclassement opéré par Moddy’s, une autre agence de notation. « Après la stagnation de 2012, a déclaré Standard Poor's, nous nous attendons à ce que la croissance de l'économie française ne dépasse pas 0,4% en 2013 ».

     

    Après avoir durement frappé les économies de la Grèce, de l’Espagne, de l’Italie, de l’Irlande et du Portugal, les financiers britanniques et étasuniens s’en prennent aujourd’hui à la France. Et ce, dans la continuité de la une de l’hebdomadaire The Economist du samedi 17 novembre (sept baguettes de pain entourées d’un ruban tricolore, reliées à une mèche allumée telles des bâtons de dynamite), pour lequel « la France pourrait devenir le plus grand danger pour la monnaie unique européenne »… La « perfide Albion » aura pour le coup été parfaite dans son rôle de soutien à l’Oncle Sam, toujours ravi de voir les ennemis du dollar se prendre les pieds dans le tapis.

     

    La première des conséquences de la parte du triple A, c’est l’augmentation du taux d’intérêt exigé par les créanciers. Dans le contexte actuel, la France sera ainsi obligée d’emprunter moyennant des taux d’intérêt encore plus élevés. Quand on sait qu’environ 70 % des créances sur les dettes publiques sont possédés par les 10 % les plus riches de la population (qui touchent de facto 70 % des intérêts), on comprend aisément que le système de la dette publique enrichit les plus riches au détriment des plus pauvres.

     

    Par effet domino, la note des entreprises nationales, des banques et surtout des collectivités territoriales sera remise en cause. Les collectivités dépendant en grande partie des transferts financiers de l'État, elles ne peuvent pas bénéficier d'une meilleure note que lui. Or, une fois leur note dégradée, elles devraient faire face à des créanciers plus méfiants, qui leur réclameraient des taux d'intérêt plus élevés. Cela alourdirait le coût de leur dette et apporterait  fort opportunément de l’eau au moulin des thuriféraires du démantèlement des  politiques publiques.

     

    Enfin, si les marchés continuent à imposer à la France des taux d'intérêt toujours plus élevés, alors des répercussions en chaîne sont à redouter, des finances de l'État jusqu'au porte-monnaie du consommateur.

     

    Au moment où notre ministre de l’économie et des finances se transforme en VRP du pacte de compétitivité devant des chefs d’entreprises, il est probable qu’un nouveau tour de vis fiscal, voire une baisse sensible des dépenses de l’État, soit nécessaire afin de rassurer les marchés et les emprunteurs. 

     

    Vous l’aurez compris, nous ne sommes pas prêts de voir le bout du tunnel. La crise semble totale et s’accompagne d’une exigence de destruction de tout ce qui entrave la concentration des richesses par les grands possédants. Ils appellent cela « déréglementation », « privatisation » ou « libéralisation ».

     

    L’idée selon laquelle il pourrait y avoir sortie de crise sans sortie du système qui l’engendre est une hérésie. Autant vouloir soigner une grippe sans tuer son virus. Cette chimère ne vise, une nouvelle fois, qu’à berner le peuple en lui faisant croire que l’avenir sera meilleur s’il accepte de nouvelles mesures antisociales. Souvenons-nous toutefois que l’histoire a montré que les révolutions ne sont pas prévues dans les calendriers électoraux de la bourgeoisie.

     

    Capitaine Martin

    http://www.resistance-politique.fr


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  • Le complot Goldman Sachs 
     
    Et beh   

    C'est pas sur la pravda française et les émissions faussement impertinentes de Canal + qu'on verra un truc comme ça...

    Et là, on parle de la ZDF, pas d'une chaine inconnue du câble...

    Le complot Goldman Sachs
    ZDF via Olivier Demeulenaere – Regards sur l'économie, 19/11/2012 (en Français texte en français )
    → lien
    Ou, plus exactement, la pieuvre Goldman Sachs… Un extrait plein d’humour de « Neues an der Anstalt » (Nouveautés de l’asile de fous) de la chaîne de télévision allemande ZDF. Il ne manque plus que le groupe Bilderberg pour que le tableau soit complet…


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  • Monde Diplo

     

    Pour en finir avec la crise

    Peugeot, choc social et point de bascule

     

    Plusieurs centaines de milliers de manifestants ont défilé dans toute l’Espagne, en juillet, pour dénoncer le durcissement de l’austérité. Au point d’inquiéter le président du Parlement européen, M. Martin Schulz. « Une explosion sociale menace », a-t-il prévenu. En France, la crise se rappelle brutalement au bon souvenir du monde politique, jusqu’ici accaparé par les échéances électorales, avec une vague de fermetures d’usines. Le gouvernement, qui a fait de la réindustrialisation l’une de ses priorités, se trouve désormais dos au mur.

     

    Par Frédéric Lordon, août 2012 Le Monde Diplomatique Aout 2012

     

    Dès l’annonce de son portefeuille à l’intitulé ronflant, il faut bien le dire, on souffrait par anticipation pour ce pauvre M. Arnaud Montebourg. On ne sait s’il faut le mettre sur le compte de sa naïveté personnelle ou d’une redoutable perversité de M. François Hollande, ou encore d’un radieux accord des deux sur le pouvoir magique des mots, mais rarement on aura vu ministère proclamant, par son nom même, des ambitions si impressionnantes et par ailleurs doté de ressources si indigentes. Il ne faut pas se tromper sur le sens des ressources en question, qui demandent ici moins à être mesurées en milliards d’euros qu’en volonté politique matière en laquelle les déficits ne sont pas moins voyants. C’est que l’infortuné « ministère du redressement productif » se trouve de fait établi comme le lieu de totalisation de toutes les tensions du capitalisme mondialisé… mais sans aucun moyen — structurel — d’y apporter la moindre réponse. Si c’était une vilénie de M. Hollande destinée à faire de la guipure d’un rival politique encombrant, autant l’en avertir tout de suite : il finira happé par sa propre machine et en sortira lui aussi en guenilles. Car le ministère de la transformation du capitalisme mondialisé sans aucun désir de transformation du capitalisme mondialisé fait partie de ces turbines à claques qui promettent de laisser les joues rouges à leurs malheureux ingénieurs.

     

    Entre plans sociaux électoralement cadenassés par le sarkozysme finissant et déchaînement des forces de la récession, M. Montebourg, cilice bien serré et couronne d’épines à peine de travers, s’apprêtait à enquiller la série des plans sociaux comme autant d’étapes d’un calvaire annoncé : Doux, Technicolor, Arcelor, Fralib, LyondellBasell… Arrive Peugeot société anonyme (PSA). Mystère de la politique comprise comme vie passionnelle collective : survient un jour un événement qui ne fait en apparence que prolonger une série, et qui pourtant la précipite dans une rupture qualitative où rien n’est plus perçu comme avant.

     

    PSA pourrait bien être ce cas de trop, celui qui condense toute une situation et précipite un point critique. Sans doute y a-t-il l'effet du nombre : huit mille emplois directs, plusieurs dizaines de milliers de salariés concernés en incluant la sous-traitance et les services... On reste abasourdi. Ajoutons-y celui du nom et d'une histoire industrielle, et l'on aura tous les ingrédients du choc symbolique parfait. En vérité, le choc n'est si grand que pour survenir dans un climat de crise extrême du capitalisme, dont il réalise en quelque sorte une synthèse complète. PSA peut alors devenir à lui seul l'em­blème de tout un monde et, par le traite­ment haïssable qui est infligé à ses ouvriers, signifier en une seule circons­tance que ce monde est haïssable.

     

    L'effet de taille en tout cas promet d'être d'une terrible cruauté pour le gouvernement de M. Hollande, en venant souligner tout ce qui se joue dans le cas PSA — comme d'ailleurs dans tous les plans sociaux en cours et à venir —, c'est-à-dire en venant exposer à la face du public et les forces réelles qui produisent ce désastre et le renoncement de la poli­tique actuelle à s'y opposer vraiment. Car c'est la mondialisation tout entière qui est à l'œuvre, c'est-à-dire la configura­tion même du capitalisme présent, contre laquelle on n'a jamais vu M. Hollande se révolter — les socialistes modernes ne revendiquent-ils pas comme un signe, donc, de modernité de prendre le monde tel qu'il est? « C'est une illusion de penser que l'on peut échapper à la compétition où il faut nécessairement rester, il faut se dire que nous appartenons à ce monde-là », s'enfonce M. Alain Bergounioux, membre du secrétariat national du Parti socialiste (PS) (1). Précisément : ce que vient signifier PSA à la face de ces socia­listes-là, c'est que ce monde, ils seront bientôt les derniers à en vouloir encore.

     

    Enfermement austéritaire des poli­tiques économiques sous la surveillance des marchés financiers; « libre-échange » — disons plutôt concurrence terriblement distordue avec des pays à standards socio­ environnementaux inexistants, prolongée en libéralisation extrême des déloca­lisations ; contrainte actionnariale : voilà le cadre triangulaire du capitalisme mondialisé, dont PSA occupe le bary­centre. C'est pourquoi la dénonciation des patrons voyous de Peugeot fait proba­blement fausse route. PSA n'est pas Kohlberg Kravis Roberts & Co (KKR), fonds de private equity (2) d'une rapa­cité légendaire, mais un capitaliste assez ordinaire, broyé par les forces du capita­lisme même — quoique, comme capita­liste, il en fasse supporter les consé­quences aux seuls salariés !

     

    C'est dire, dans un premier temps, que la colère doit moins être dirigée vers M. Philippe Varin et la famille Peugeot que vers ces choses plus lointaines, plus abstraites et moins tangibles que sont les structures du capitalisme mondialisé, entités imperceptibles et impersonnelles mais vraies causes de la condition sala­riale présente, qui réunissent pour leur infortune les PSA comme les Doux, les Technicolor ou hier les Conti, et aux­quelles il faut maintenant contraindre le gouvernement à s'en prendre, pour mettre enfin un terme à la série.

     

    Sans doute ces causes sont-elles à l'œuvre depuis longtemps, disons depuis deux décennies. Mais c'est leur intersec­tion avec la crise financière de 2008, aggravée depuis 2010 en crise euro­péenne, qui produit cette déflagration.

     

    M. Hollande ne devrait donc pas tarder à s'apercevoir que dire « croissance » et obtenir des cacahuètes au dernier sommet européen (un plan grandiose de relance de... 1 % du produit intérieur brut [NB]) pouvait faire illusion cosmétique par beau temps, mais pas en pleine décapilo­tade — évidemment aggravée par toutes les mesures qu'il a par ailleurs avalées d'un maître coup de jabot : le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) (3), qu'il se gardera bien de soumettre à référendum, est par excel­lence la machine à produire de la réces­sion, qui fait les avalanches de plans sociaux. On voudrait beaucoup être neurone espion pour voir ce qui va se passer dans les cervelles « socialistes » au moment où se fera la conscience que l'Europe libérale, l'Europe sacrée, l'Eu­rope à tout prix, va leur coûter des vagues de chômeurs par paquets de cent mille... Ce n'est pas que l'Europe ne produisait pas déjà du chômage, à coups de con­currence libre et non faussée et de libé­ralisation des mouvements de capitaux, mais la baignoire se remplissait lente­ment ; pas de quoi émouvoir un éditoria­liste. Or voilà que toutes les canalisations viennent de sauter d'un coup, et le dégât des eaux devrait devenir visible même des plus obtus.

     

    PSA, comme tout le cortège des entre­prises en perdition, crève de l'effondre­ment de ses marchés dans un univers ultra-concurrentiel, c'est-à-dire d'abord de l'austérité généralisée et de la politique insensée qui prétend avoir trouvé le secret de la croissance au fond de la rigueur. On pouvait hélas annoncer de longue date (4) que la stupide fatalité des règles européennes conduirait nécessai­rement à des politiques économiques de restriction, soit l'exact contraire de ce qu'appelle la situation présente. Le Graal de la coordination européenne enfin découvert... mais pour le pire.

     

    Stupide fatalité des règles européennes

    L'ALLEMAGNE, au premier chef, a voulu ces règles et les a imposées. L'Allemagne a voulu la surveillance constante des poli­tiques économiques par les marchés financiers, les marchés financiers et l'Allemagne veulent l'ajustement immé­diat des finances publiques, l'Allemagne refuse toute solution ne satisfaisant pas à ses orthodoxies (budgétaire et moné­taire) ; la France veut le couple franco-allemand, donc elle consent implicitement à l'Europe de l'Allemagne. Tout cela est très bien ; maintenant, il faut vouloir les conséquences de ce qu'on veut. Ou bien changer un grand coup.

     

    Sur ce front-là, le changement consiste d'abord à enfin ouvrir les yeux, pour au moins accéder à ce réflexe élémentaire de survie qui consiste à réaliser que, si l'Allemagne impose à l'Europe un modèle conduisant toute l'Union sauf elle (et quelques-uns de ses voisins) dans la « grande dépression », alors le couple franco-allemand est une illusion toxique dont il est urgent de s'extraire par le rapport de forces, voire l'ultimatum. Soit l'Alle­magne s'engage dans une révision profonde de ses principes fondamentaux de politique économique, soit il faudra tirer l'échelle, constater l'impossibilité de faire union monétaire avec elle et consentir à des destins séparés : fracture en sous-blocs de la zone euro ou retour aux monnaies nationales. Et cela pour pouvoir enfin s'au­toriser quelques-uns des gestes qui sauvent, à choisir entre mobilisation intensive de la Banque centrale pour écrabouiller la spécu­lation et financer les déficits publics, orga­nisation de circuits hors marché de recy­clage des épargnes nationales vers les emprunts publics, défaut total ou partiel sur les dettes souveraines — au moins sur la part d'entre elles qui revient à l'évidence aux désastres de la finance privée, soit tout ce qui s'est accumulé depuis 2008 par la contraction du crédit consécutive à la crise des subprime —, puis transformation radi­cale des structures bancaires à cette occa­sion, etc. (5).

     

    Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que la crise ne fait qu'amplifier les tendances de fond du capitalisme mondialisé, aimablement relayées par la construction européenne — et PSA reçoit le tout de plein fouet. Avec l'aimable concours des socialistes français, MM. Jacques Delors et Pascal Lamy en tête, l'Acte unique européen de 1984, puis les remarquables avancées de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ont eu l'heureux effet de mettre en concurrence salariés et territoires du monde entier sous un régime qui n'a de « non faussé » que le nom, puisqu'on imaginerait à peine concurrence plus faussée que celle qui oppose, dans un parfait plain-pied, des modèles sociaux si radicalement différents.

     

    Il en a résulté un mouvement extrême­ment profond de restructuration de la divi­sion internationale du travail qui a quasi­ment mondialisé les chaînes de valeur. Les grandes entreprises capitalistes opti­misent désormais leur sous-traitance à l'échelle globale, et parfois jusqu'à l'as­semblage, à l'image du rêve éveillé de M. Serge Tchuruk qui, en 2001, alors qu'il était patron d'Alcatel, avait fantasmé à voix haute le point ultime d'une entre­prise sans usine (6).

     

    Le capitalisme néolibéral mise beau­coup sur les effets d'irréversibilité de cette gigantesque transformation. Il a tort. Le mouvement est plus symétrique qu'il ne croit, et les restructurations peuvent procéder dans les deux sens, conduites toujours par le même paramètre directeur, à savoir les incitations inscrites dans les coûts. Une autre structure de coûts déter­minerait donc à nouveau un réaménage­ment de la division internationale du travail, et ce sont les Etats qui en détien­nent le levier : la fiscalité. Puisque les capitalistes ne connaissent que le langage des incitations, on va donc le leur parler. Une taxe kilométrique bien appuyée aurait ainsi la vertu de modifier sensi­blement les optimisations qui, en ce moment, envoient chercher les consom­mations intermédiaires (7) aux quatre coins du monde... pour les rapatrier en bateau. Pendant un moment encore, on n'enverra pas des carburateurs ou des pneus par courriel : c'est là qu'il faut taper.

    De rustiques droits de douane compléteront opportunément le dispositif — et tant pis pour les âmes sensibles qui s'effrayent du mot « protectionnisme » (8).

     

    Dans l'un et l'autre cas, il y a à l'évi­dence un avantage à procéder à une échelle régionale... même s'il n'est pas moins évident que cette échelle ne sera pas celle de l'Europe actuelle ! Mais qui peut dire ce que sera cette Europe d'ici douze mois? Ou plutôt, pourquoi ne pas envisager qu'une nouvelle union, entre un nombre plus petit de pays plus homo­gènes, d'accord pour rompre avec les excès les plus manifestes du néolibéra­lisme européen d'aujourd'hui, ne se pose comme une solution de sortie groupée d'une monnaie unique aussi néfaste qu'elle est proche d'éclater?

     

    La contrainte actionnariale est le dernier côté du triangle. Sans doute PSA n'est-il pas exactement le parangon de l'avidité dans ce domaine, et n'offre-t-il pas le plus beau des cas repoussoirs pour en instruire le procès : sous contrôle de la famille Peugeot (9), donc dans un environnement capitalistique plutôt stabilisateur, le groupe ne verse pas de dividendes en 2010 au titre de l'exercice 2009; son retour sur capi­taux propres (return on equity, ROE) est de 8 % cette même année, assez loin donc des fameux 15 % (10); il tombe même à 4 % pour 2011.

     

    Un « ébranlement ininterrompu »

    PAS D'ILLUSIONS, cependant : pour être, en termes tout à fait relatifs, moins fréné­tique que le reste du CAC 40, le groupe n'en exécute pas moins consciencieuse­ment quelques-unes des figures imposées du capitalisme actionnarial, car il faut bien lâcher quelques billes à la « famille ». Ainsi l'année 2011 voit-elle le versement d'un dividende de 287 millions d'euros, et surtout l'une de ces opérations aber­rantes de rachat par l'entreprise de ses propres actions (buy-back), pour 200 mil­lions d'euros tout de même, présentée ici à des fins d' autocontrôle, mais en fait destinée à augmenter le bénéfice par action et à soutenir les cours. Soit près de 500 millions d'euros par la fenêtre...

     

    PSA n'est certes pas l'illustration la plus gratinée du capitalisme actionnarial, mais celle-ci se trouve aisément ailleurs. Ainsi, par exemple, Sanofi s'apprêterait-il à supprimer entre mille deux cents et deux mille cinq cents postes, alors qu'il a fait quasiment 6 milliards d'euros de profits en 2011, versé 1,3 milliard aux actionnaires (3,1 milliards l'année précé­dente) et racheté pour 1 milliard de ses propres actions (11); et nous sommes heureux d'apprendre que le premier trimestre 2012 s'est déjà montré très prometteur. De ce que tout va bien Sanofi n'omet pas de conclure que tout pourrait aller encore mieux. Et que les salariés feront l'appoint.

     

    C'est ce genre de chose, modéré parfois, déboutonné le plus souvent, auquel il faut mettre un terme. Dans une panoplie bien étagée de contre-mesures actionnariales qui vont de la cessation de la cotation en continu (12) à la fermeture pure et simple de la Bourse (13), on pour­rait recommander ici le shareholder limited authorized margin (SLAM), gentille guillotine fiscale qui fixe (par secteur) une rémunération actionnariale limite autorisée et prélève à 100 % tout ce qui dépasse (14) — avec pour effet bien net de cisailler à la base toutes les incita­tions des actionnaires à pressurer les entreprises pour leur faire cracher un surplus de rentabilité, puisqu'il le leur sera immanquablement confisqué !

     

    Mais peut-être la mesure la plus urgente, et la plus accessible, consisterait-elle, en attendant, à faire enfin payer au capital le prix des désordres qu'il recrée indéfiniment dans la société par le travail sans fin de ses déplacements et de ses restructurations. Karl Marx et Friedrich Engels avaient de longue date noté — dans le Manifeste du parti communiste, en 1848 — que le capitalisme « ne peut exister sans révolutionner toujours plus avant les instruments de production (...). Le boule­versement continuel de la production, l'ébranlement ininterrompu de toutes les catégories sociales, l'insécurité et le mouvement éternel distinguent l'époque bourgeoise de toutes celles qui l'ont précédée ».

    Que ce soit la logique même du capital, et que nous ayons à la souffrir pour n’avoir pas trouvé encore le moyen de sortir de son ordre, c’est notre lot.

    Mais il n’entre pas nécessairement dans celui-ci que la société doive subir sans mot dire les catastrophes sociales et humaines permanentes que le jeu des capitalistes réengendre continûment.

    Si donc nous ne savons pas encore comment arrêter le mouvement infernal, nous pouvons au moins d'abord songer aux moyens de le ralentir, et ensuite remettre à qui les causes l'obligation de réparer les dégâts.

     

    Tels pourraient donc être les termes d'un grand compromis politique, le seul qui puisse rendre le capitalisme tempo­rairement admissible, en fait le minimum que devrait revendiquer une ligne sociale-démocrate un peu sérieuse : « Nous prenons acte qu'il entre dans la logique de l'accumulation du capital de tout désta­biliser uns cesse; pour l'heure, nous ne pouvons pas faire autrement que de l'ac­cepter à un certain degré ; vous êtes donc encore libres pour un moment de vous adonner à votre jeu. Mais sous certaines conditions structurelles seulement. Et sous l'impératif sine qua non que, de votre mouvement perpétuel, vous assumiez tous les dommages collatéraux. »

     

    Que la division du travail soit soumise à un processus incessant de restructuration — par l'arrivée constante de nouveaux produits, de nouveaux procédés et de nouveaux concurrents —, soit ! Mais c'est au capital lui-même que revient d'en supporter les coûts sociaux, par exemple en finançant seul un fonds de restructu­ration ayant à charge de satisfaire les obli­gations légales réelles qui accompagne­raient tout plan social :

     

    • Retrouver un emploi à chacune des victimes (sous des critères exigeants d'adéquation géogra­phique et professionnelle);
       
    • Financer les mobilités volontaires;
       
    • Prendre à sa charge des programmes de formation étendus pendant toute la durée du retour à l'emploi.

     

     

    Il n'est évidemment pas question que ce fonds de restructuration, financé exclusivement par le capital — puisqu'il s'agit de ses propres nuisances —, soit sous son seul contrôle — puisqu'il s'agit de la vie des salariés. Ce sont donc ces derniers, et leurs représentants, qui en géreront les allocations, et notamment qui définiront les critères de l'emploi admissible ; eux encore qui décideront de ce qui meublera le temps du retour à l'emploi, à propos de quoi on leur sug­gère de ne pas manquer d'imagination : loin de s'arrêter aux formations profes­sionnelles, ces programmes pourraient tout aussi bien valider des enseignements très généralistes, passages à l'université ou dans des institutions ad hoc, telles que le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), à multiplier, consacrées à la reprise d'études, à tous niveaux, des adultes « non-étudiants », ou encore, pourquoi pas, des moments d'investisse­ment dans des associations militantes ou des causes collectives.

     

    Il y a quelque chose de réjouissant à l'idée que des salariés en transition pour cause de plans sociaux pourraient se retrouver à étudier l'histoire politique et celle des mouvements sociaux, ou bien l'économie critique (ou ce qu'ils veulent, d'ailleurs), perspective qui, en soi, et en plus du prélèvement obligatoire spécial destiné au fonds, pourrait décider les entre­prises à y regarder à deux fois avant de licencier, une opération aussi coûteuse, et à tous les titres, devenant la solution de tout dernier ressort. Le capitalisme, dit-on, n'est qu'inventivité. Gageons donc qu'il saura déployer toute sa créativité pour faire son chemin parmi les obstacles d'un coût du licenciement rendu prohibitif, exactement comme il a su le faire parmi ceux du renchérissement des matières premières, ou jadis des taux d'intérêt.

     

    Sans doute ce fonds, comme tout fonds de mutualisation, -créera-t-il à court terme des inégalités... au sein du capital, entre les entreprises durablement créatrices d'emplois et celles qui en détruisent régu­lièrement, les premières payant pour les secondes. Mais, à long terme, toutes les entreprises finissent par passer de la première dans la deuxième catégorie, et deviendront donc bénéficiaires du système. Entre-temps, on pourra laisser au groupe du capital le soin de régler lui‑même ses petits problèmes de coordina­tion interne et de définir pour son propre compte ses critères à lui de l'équité ; du moment que l'enveloppe globale du fonds est acquittée, le reste ne nous intéresse pas.


     

    On pourrait également ajouter ceci : a fortiori quand l'entreprise est conduite à la faillite, mais avant même, une décision de licenciement collectif est une atteinte suffisamment rude à la vie des salariés pour justifier qu'ils se réapproprient leur destin commun de producteurs. Un plan social pourrait donc ouvrir des préroga­tives élargies aux représentants des sala­riés, comme l'octroi d'une majorité au conseil d'administration et la pleine parti­cipation aux organes de direction. Si le capitalisme est la soumission du travail, celle-ci n'aura de légitimité que tant que le capital... créera du travail. Cette condi­tion s'entend évidemment localement, à la différence des idéologues libéraux qui se gargarisent de ce que la mondialisation a si bien fait croître le monde « globale­ment », par pays émergents interposés, résultat sans doute admirable, mais qui fait une belle jambe aux licenciés européens.

     

    Il s'agit donc de soumettre la soumis­sion ! En tout cas de lui demander ses titres, c'est-à-dire de faire ses preuves. Les capitalistes aiment à rappeler qu'ils sont « ceux qui créent les emplois » : on va les prendre au mot. Ils se targuent également sans cesse d'aimer les aiguillons et les défis à relever : on va leur en donner. Toute incapacité collective à créer de l'emploi finira en cotisations accrues au fonds de restructuration; toute incapacité individuelle, en abandon du pouvoir patronal.

     

    On le voit, il s'agit ici d'esquisser tout un camaïeu de transition vers une sortie du capitalisme, dont l'étape principale résiderait dans la réappropriation par les salariés de leur souveraineté de produc­teurs — soit l'abolition de la propriété financière comme principe de la dévolu­tion du pouvoir et la pleine association politique des salariés à la détermination de leur destin commun.

    L'instrument de ce glissement progressif pourrait là encore. si l'on ose dire, capitaliser... sur les échecs du capital. Toute situation de redressement judiciaire ouvrirait au collectif des sala­riés un droit de préemption pour 1 euro symbolique, à charge pour eux de s'orga­niser en communauté politique de produc­tion — ce que j'ai appelé ailleurs une « récommune » (15). Si, comme on peut l'imaginer, le capital ne souhaite rien tant que conserver son pouvoir, gageons que les plans sociaux et les dépôts de bilan vont rapidement passer de la catégorie « procédé ordinaire de gestion » à celle de « phobie cauchemardesque ».

     

    Le socialisme de nettoyage, ça suffit

    C'EST tout cela que font revenir d'un coup le choc PSA et l'inénarrable minis­tère du passage de la serpillière ; tout cela qui dessine le vrai paysage de la bataille, celle qui ne peut jamais avoir lieu là où elle devrait censément, c'est-à-dire dans le débat électoral, et qui prend forcément place ailleurs, en l'occurrence sur le front des luttes sociales. Par une sorte de malé­diction historique, c'est de nouveau le PS qui s'y colle. Après Talbot 1983 et Vilvorde 1997, PSA 2012. Mais, depuis si longtemps, de l'eau coléreuse a coulé sous les ponts, et il se pourrait que, cette fois, le socialisme du passage entre les gouttes finisse rincé.

     

    Rarement un événement a eu, sans doute par son ampleur, le don de concen­trer à ce point les enjeux les plus fonda­mentaux d'une époque. M. Tchuruk a eu ses rêves éveillés ; nous pouvons aussi avoir les nôtres. Nous pourrions rêver éveillés que PSA deviendrait un emblème et un point de ralliement politique, mais de la politique du mouvement social, qui saurait reconnaître dans ce tragique cas particulier l'universel du combat contre le capitalisme mondialisé.

     

    Visiblement, les syndicats et les salariés de PSA sont remontés comme des coucous. Il ne faut pas les laisser seuls. Un mouvement social «PSA » ne serait pas simplement PSA : il serait Technicolor, Air France, Fralib, Conti ; il serait le mouvement social des salariés présents, hélas voués à être rejoints bientôt par de nombreux autres, que la crise européenne et le capi­talisme néolibéral s'apprêtent à jeter comme des malpropres. Un mouvement social qui dirait que le socialisme de nettoyage, ça suffit, qu'après avoir soigneusement évité pendant tant d'an­nées de déranger tout ce qui agresse le salariat, il va falloir revenir à quelques résolutions fondamentales. Et que le vrai changement, c'est maintenant.

     

    FRÉDÉRIC LORDON.

     

    1. Débat avec Jacques Généreux, 3 juillet 2012, www.lemonde.fr
    2. Fonds d'investissement dans des sociétés non cotées en Bourse, notamment au moyen du fameux rachat par endettement (leverage buy-out ou LBO). 
    3. Lire Raoul Marc Jennar, « Deux traités pour un coup d'Etat européen », Le Monde diplomatique, juin 2012. 
    4. Lire « En route vers la Grande Dépression? », La pompe à phynance, 18 mai 2010, http://blog.monde­diplo.net  
    5. Toutes choses qu'il faudrait accompagner de leurs détails techniques. Cf. Les économistes atterrés, Changer d'économie et L'Europe maltraitée, Les liens qui libèrent, Paris, respectivement 2011 et 2012; ou encore « Sauver les banques jusqu'à quand ? », «Le commencement de la fin », « Euro, terminus ? », « La fausse solution des eurobonds », La pompe à phynance, 11 mai 2010, 11 août 2011, 24 mai et 1" juin 2012. 
    6. Un rêve au demeurant fort proche d'être réalisé par Apple... 
    7. Biens et services entrant dans la production de marchandises (matières premières, énergie, pièces détachées...).
    8. Lire le dossier sur le protectionnisme dans Le Monde diplomatique de mars 2009.
    9. Qui détient 31 % des parts mais 48 % des droits de vote, auxquels s'ajoutent les 4,5 % des salariés. 
    10. Lire Isabelle Pivert, « La religion des quinze pour cent », Le Monde diplomatique, mars 2009. 
    11. Sanofi, rapport annuel 2011. 
    12. Lire « Instabilité boursière : le fléau de la cotation en continu », La pompe à phynance, 20 janvier 2010. 
    13. Lire « Et si on fermait la Bourse ? », Le Monde diplomatique, février 2010. 
    14. Lire « Enfin une mesure contre la démesure de la finance, le SLAM ! », Le Monde diplomatique, février 2007.
    15. La Crise de trop. Reconstruction d'un monde failli, Fayard, Paris, 2009.

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  • L’OCDE, nouveau partisan des euro-obligations

    Le Monde.fr avec AFP | 22.05.2012 à 15h15 • Mis à jour le 22.05.2012 à 15h15  -

    Pier Carlo Padoan, économiste en chef de l’OCDE, a pris parti en faveur des euro-obligations, mardi 22 mai.

    | Andrew Wheeler


    Dernier soutien en date des euro-obligations, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui présentait mardi 22 mai ses perspectives pour 2012 et 2013, a pris parti dans le vif débat sur les euro-obligations.
    C’est le Financial Times qui rapporte que Pier Carlo Padoan, chef économiste de l’institution, a expliqué que « la consolidation budgétaire seule, sans autre élément de croissance, pourrait réduire à néant les chances d’union économique viable à long terme ».
    « Nous devons nous engager sur le chemin de l’émission des euro-obligations, et le plus tôt sera le mieux », a-t-il déclaré. Tout soutien à la croissance est le bienvenu, en somme, un discours qui rejoint celui de François Hollande. « Un ensemble de mesures à l’échelle de l’Union européenne renforcerait l’activité en Europe, directement et indirectement, en boostant la confiance et en rééquilibrant les efforts budgétaires au sein de la zone », peut-on également lire dans le rapport.
    L’OCDE juge qu’en plus des réformes entreprises par les Etats, la Banque centrale européenne pourrait poursuivre une politique d’assouplissement monétaire, par le biais de son programme de rachat d’obligations souveraines (SMP).

    Pierre Moscovici a concédé mardi matin qu’il existait encore un « désaccord majeur » avec l’Allemagne sur les eurobonds. Le ministre de l’économie et des finances et son homologue allemand ont fait connaissance avant la réunion informelle des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne mercredi à Bruxelles.

    Berlin a redit, de son côté, son opposition aux euro-obligations, et confirmé que son opposition sera valable « aussi en juin », lors d’un prochain sommet européen, selon l’AFP, qui rapporte les propos d’un responsable du gouvernement allemand.

    Les euro-obligations sont-elles une solution au problème de la dette publique ?

    Les « euro-obligations » ont le même objectif que les plans d’austérité, la réforme de la gouvernance européenne ou la « règle d’or » : « rassurer les marchés financiers ». Mais cet objectif reste, là encore, hors d’atteinte.

    La création d’« euro-bonds » ou d’euro-obligations est, à l’origine, une proposition du président de l’eurogroupe, Jean-Claude Junker, et du ministre de l’Economie et des Finances italien, Giulio Tremonti. Cette proposition avait été rendue publique dans une tribune du Financial Time, le 5 décembre 2010 où ils affirmaient que l’Europe devait apporter la preuve « de son engagement politique en faveur de l’union monétaire et économique et de l’irréversibilité de l’euro ». Cette proposition avaient été rangée dans les tiroirs européens pendant plus de six mois avant que le rebond de la crise de la dette au cours de l’été 2011 n’amènent Junker et Tremonti à relancer leur projet dans une tribune du même Financial Time, le 1er août 2011. Poussée par la crise de l’été 2011, la Commission européenne annonce qu’elle présentera un rapport sur le sujet « après l’été ».

    La proposition de Junker et Tremonti consiste à opérer une mutualisation partielle des dettes publiques européennes

    La création du Fonds européen de stabilité financière (FESF) en juin 2010 était déjà un pas en ce sens puisque ce fonds permet de prêter aux pays qui ne pouvaient pas refinancer leur dette publique sur les marchés financiers à des « taux raisonnables ». Les prêts de ce fonds, réservés aux  pays membres de la zone euro, sont garantis par les gouvernements de la zone euro en fonction de leur part dans le capital de la BCE.

    La création d’euro-obligations, émises par une Agence européenne de financement, constituerait cependant un pas beaucoup plus important puisqu’il s’agirait de regrouper les émissions de titres de la dette publique des Etats de la zone euro. Ces émissions, garanties par l’ensemble des Etats de la zone euro devraient permettre d’obtenir des taux d’intérêt beaucoup plus bas auprès des marchés financiers pour les Etats-membres en difficulté. Les Etats de la zone euro devraient, en effet, bénéficier – c’est ce qui est souhaité – de la crédibilité allemande.

    Ces euro-obligations devraient permettre de faire face aux attaques spéculatives menées contre les dettes souveraines en « rassurant les marchés financiers ».
    Seules seraient, cependant, concernées les émissions de titres ne dépassant pas 40 % du PIB d’un pays. Au-delà de ces 40 %, les Etats devraient payer un taux plus élevé (fixé par les marchés) pour leurs propres émissions de titres de la dette publique. Les euro-obligations n’auraient donc pas vocation à se substituer aux dettes publiques des Etats-membres.

    Le premier emprunt obligataire du FESF, émis pour financer le prêt à l’Irlande en janvier 2011, avait rencontré un important succès et avait renforcé la proposition de Jean-Claude Junker et de Giulio Tremonti. Alors que le FESF ne souhaitait lever que 5 milliards d’euros, l’émission avait attiré prés de 500 investisseurs internationaux (38 % venaient d’Asie) et leur demande globale atteignait 44,5 milliards d’euros. Cet emprunt était garanti par 14 pays de la zone euro. Il avait obtenu la note AAA des agences de notation. Son taux d’émission de 2,9 % était bas, supérieur de 0,5 point, cependant, au taux des obligations allemandes de même durée. Ce qui expliquait en partie son succès.

    Les dirigeants politiques européens sont partagés

    Le SPD, le Parti social-démocrate allemand, est pour l’adoption d’un tel système.
    La CDU, le parti au pouvoir d’Angela Merkel refuse, à la fin de l’été 2011, cette perspective. Jens Weideman, le dirigeant de la banque centrale allemande (la Bundesbank) n’a pas hésité à déclarer, quant à lui, qu’il n’y avait « rien de mieux pour détruire rapidement et durablement une solide politique budgétaire qu’une prise de responsabilité commune des dettes des Etats… »[1] <#_ftn1> Il est vrai que le système des euro-obligations devrait avantager les pays qui ne peuvent emprunter sur les marchés qu’à des taux élevés mais désavantager un pays comme l’Allemagne qui emprunte à 10 ans, en août 2011, au taux de 2,40 %.
    Pour Angela Merkel, les « eurobonds » seraient « une erreur absolue »[2] <#_ftn2> .

    Le Parti Socialiste Européen qui regroupe l’ensemble des partis socialistes et sociaux-démocrates européens a pris position « pour » un système d’euro-obligations mais le parti socialiste espagnol s’est prononcé « contre », à la différence du PASOK, le parti socialiste grec.

    La solution de Junker et Tremonti présente, cependant, deux inconvénients majeurs

    Elle ne changerait rien au montant des dettes publiques actuelles

    Les nouvelles dettes publiques seraient en partie « européanisées » mais les dettes publiques actuelles n’auront pas disparu pour autant. Il faudra toujours continuer à payer les intérêts annuels de la dette et rembourser les titres de cette dette qui arriveront à échéance. La France devra toujours continuer à débourser plus de 130 milliards d’euros par an pour le service de sa dette publique : le remboursement du capital (83 milliards d’euros en 2010) et le paiement des intérêts (50,5 milliards d’euros). L’actuelle dette publique grecque sera toujours là et la Grèce aura toujours un problème de solvabilité et non un simple problème de liquidité : la Grèce ne peut pas rembourser sa dette, elle ne dispose pas des ressources suffisantes pour le faire. Les euro-obligations ne changeront rien à cet état de fait. Les plans d’austérité continueraient à fleurir dans tous les pays européens pour payer les intérêts de cette dette et diminuer le montant de la dette publique elle-même, même si l’émission d’« euro-obligations » pouvait permettre (ce qui n’est pas du tout sûr) de baisser le taux de ces intérêts, pour les dettes nouvellement émises au profit des pays les plus fragilisés.

    On ne voit pas comment les spéculateurs pourraient être «rassurés»

    En effet, la dette publique d’un Etat ne serait garantie que jusqu’à 40 % de son PIB (ou 60 % selon la proposition de l’économiste Jacques Delpla). Or, toutes les dettes publiques européennes dépassent ces 40 % et la plupart se rapprochent dangereusement des 100 %. Les marchés financiers ne seraient donc en aucune façon « rassurés » sur la part de la dette dépassant ces 40 %, qui ne serait garantie que par les Etats emprunteurs. Or, c’est bien la crainte d’un défaut de certains de ces Etats qui pose problème aux spéculateurs.

    Pire, la priorité du remboursement accordée (dans la proposition de Junker et Tremonti) aux « euro-bonds », rendrait encore plus aléatoire qu’aujourd’hui le remboursement des dettes au-delà de 40 % (ou de 60 %). Certes, Junker et Tremonti précisent que l’agence qui émettrait ces obligations pourrait même financer la totalité des émissions des pays ayant de grandes difficultés à accéder au marché. Mais cela deviendrait impossible en cas d’extension de la crise de la dette à l’Espagne et à l’Italie.

    De toute façon, l’idée que les obligations émises par une agence de financement européenne pourraient bénéficier de taux identiques ou peu éloignés des taux allemands a maintenant du plomb dans l’aile. En l’absence d’un véritable budget européen, en effet, la confiance attribuée à ces euro-obligations dépendrait de la confiance accordée à ses Etats-membres puisque ce sont eux qui garantiraient le paiement de la dette européenne. Il n’est donc pas du tout indifférent d’observer que la situation a bien changé depuis le début de l’année 2011. Les marchés financiers n’ont plus aujourd’hui seulement des doutes sur la Grèce et l’Irlande. Ils en ont aussi, maintenant, sur les dettes publiques portugaise, espagnole et italienne. Les taux, supérieurs à 6 % (3,5 points de plus que les taux allemands) demandés lors des émissions de titres des dettes publiques espagnoles et italiennes en témoignent. Sans parler des taux portugais qui, durant l’été 2011, ont dépassé les 12 %.

    Avec un système de garantie des émissions d’euro-obligations de l’agence européenne identique à celui utilisé pour le FESF, nous l’avons vu dans la réponse à la question précédente, près de 37 % du total des garanties de cette agence proviendraient d’Etats en difficulté. L’Italie apporte, en effet, une garantie de 17,91 % au FESF ; l’Espagne une garantie de 11,90 % ; la Grèce 2,82 % ; le Portugal 2,51 % ; l’Irlande 1,59 %. Il n’est pas sûr que cela « rassure » vraiment les spéculateurs et que derrière la façade des euro-obligations ils n’aient pas la curiosité de s’intéresser à la santé financière des Etats-membres censés garantir leurs créances. Aller voir derrière la façade, c’est bien ce qu’a fait Standard and Poor’s qui affirmait lundi 4 septembre 2011 « Si nous avions une obligation européenne garantie à 27 % par l’Allemagne, 20 % par la France et 2 % par la Grèce, la note serait alors « C », soit celle de la Grèce [3] <#_ftn3>  ». Standard & Poors’s prévient qu’elle ne tiendra aucun compte des notes AAA de l’Allemagne et de la France mais que seule comptera pour elle la note « C » de la Grèce.
    Les euro-obligations n’auraient de sens que si elles pouvaient permettre de prêter à la Grèce (ou à un autre pays en difficulté) en bénéficiant de taux proches des taux allemands. Comment croire, après cette déclaration de Standard & Poor’s qui ne fait qu’exprimer les craintes des opérateurs financiers, que ce vœux puisse se réaliser ?

    Il faut bien le constater, la volonté de « rassurer » les marchés financiers mène à chaque fois à l’impasse.

    La valeur  des  titres  des  dettes  publiques  serait-elle  modifiée  en cas  d’échange ?

    Jean-Claude Junker et Giulio Tremonti proposent que l’Agence européenne de la dette puisse échanger des obligations publiques d’un pays membre de la zone euro contre des euro-obligations. Ils précisent que le change se ferait selon une option « discount » et que les titres des dettes publiques des Etats-membres, (détenus le plus souvent par les banques et les assurances) se verraient infliger, lors de cet échange, un rabais lié à la pression qu’ils subissent de la part des marchés financiers.

    Il est, cependant, possible de s’interroger sur l’importance d’un rabais qui toucherait directement les banques et les assurances, principales détentrices des titres des dettes publiques des cinq pays actuellement dans le collimateur des spéculateurs : la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie. Surtout quand on constate comment la participation de ces mêmes banques et assurances au financement de la dette grecque, annoncée à grands coups de tambour en juillet 2011, se réduit comme peau de chagrin quand il s’agit de la concrétiser.

    Le communiqué du G7 du 8 août 2011, publié à la suite de la chute des cours boursiers durant la semaine précédente ne laisse quant à lui guère de doute sur ce que serait un tel « rabais ». Dans ce communiqué, en effet, les ministres des Finances et banquiers centraux du G7 assurent que « l’implication du secteur privé dans le cas du règlement des problèmes de dette publique de la Grèce est une mesure exceptionnelle et ne sera en aucun cas appliquée à un autre membre de la zone euro ».

    Sans ce « rabais », l’opération d’échange reviendrait à refuser d’entériner la perte de valeur des titres des dettes publiques constatée par les marchés financiers eux-mêmes sur le marché secondaire, le marché boursier qui est un marché de l’occasion où sont achetés et vendus les titres déjà émis par les Etats. Cela reviendrait à considérer que la valeur nominale des titres de la dette publique doit être garantie quoi qu’il arrive pour permettre aux banques et aux compagnies d’assurance de ne pas subir la moindre perte. Dans cette optique, les euro-obligations seraient une nouvelle forme de transfert de la dette privée des banques et des compagnies d’assurance vers une dette publique européenne. Une sorte d’«  européanisation » de ces dettes privées.

    L’émission d’euro-obligations pourrait être positive

    Dans le cadre d’une annulation partielle des dettes publiques à l’initiative des Etats-débiteurs, après qu’un audit public aurait permis de décider démocratiquement quelle part de la dette devait être remboursé et quelle part était illégitime et ne devait pas l’être, une émission d’euro-obligations pourrait apporter un complément utile à la solution du problème posé par les dettes publiques. Mais, en aucun cas, ces euro-obligations ne doivent se substituer au droit démocratique des peuples européens concernés d’annuler totalement ou partiellement une dette publique qu’ils jugeraient illégitime. Les euro-obligations pourraient, enfin, avoir une tout autre utilité que celle de tenter vainement de « rassurer les marchés ». Elles pourraient être utilisées à financer des grands projets d’avenir pour l’Union européenne. Cela serait un progrès considérable mais il se heurterait aux traités européens en vigueur.

    Extrait de “Dette indigne” chapitre 6  Chavigné/Filoche -  Ed JC Gawsewitch, 14,9 euros, 240 p


    [1] <#_ftnref1>  « Mobilisation politique contre la chute des bourses en Europe » – Le Figaro – 05/08/2011.

    [2] <#_ftnref2>  Marina Torre « Le débat se radicalise sur les « eurobonds » – La Tribune – 15/09/2011.

    [3] <#_ftnref3>  Le Monde.fr avec AFP et Reuters : « Les Bourses européennes décrochent, le CAC 40 passe sous les 3 000 points » – 05/09/2011.

    Cet article a été écrit par Gérard Filoche


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  • La Banque centrale, actrice et arbitre de la débâcle financière

    Enquête dans le temple de l’euro

    Indépendante des délibérations démocratiques, la Banque centrale européenne devait incarner la stabilité monétaire. Elle a conduit la zone euro au bord de l’éclatement. Pourtant, la crise a renforcé son pouvoir au point que le sort des salariés du Vieux Continent semble parfois se jouer à Francfort.

     

    Au premier étage de la Banque centrale européenne (BCE), lors de sa dernière conférence de presse à Francfort, M. Jean-Claude Trichet entonne — en anglais — son couplet sur les « réformes structurelles ». Il le récite par cœur, sans doute : il y a huit ans, déjà, lors de sa première intervention en tant que président de la BCE devant les médias, il plaidait pour des « réformes structurelles sur le marché du travail ». Cette rengaine n’a (presque) rien de personnel. Son prédécesseur, M. Wim Duisenberg, la psalmodiait déjà chaque mois. Et ce dès le lancement de l’euro…

    Mais ce jeudi 8 septembre 2011, la ritournelle se fait plus précise — malgré un langage parfois abscons : « Nous devons aller vers l’élimination des clauses d’indexation automatique des salaires et un renforcement des accords entreprise par entreprise, de manière à ce que les salaires et les conditions de travail puissent s’adapter aux besoins spécifiques des entreprises. Ces mesures doivent s’accompagner de réformes structurelles, en particulier dans les services — dont la libéralisation des professions fermées —, et, quand c’est approprié, de la privatisation de services aujourd’hui fournis par le secteur public, de manière à faciliter les gains de productivité et à soutenir la compétitivité. »

    « On se croirait au Politburo de l’Union soviétique quelques mois avant sa chute, chuchote le député Vert européen Pascal Canfin, présent dans l’assistance. C’est la répétition d’un même discours, du même jargon, déconnecté de la réalité. » Le vice-président de la commission spéciale sur la crise financière, économique et sociale au Parlement de Strasbourg poursuit : « Il s’agit d’un projet idéologique, sans rapport avec les causes de la crise. Je ne vois pas en quoi flexibiliser le marché du travail, casser les services publics ou faire primer les accords d’entreprise sur le droit du travail répondrait à la déréglementation financière. Les dirigeants de la BCE déroulent le programme du Fonds monétaire international (FMI), avec ses plans d’ajustement structurel, lesquels ont largement échoué. Mais peu importe, on recommence. »

    Eternel discours… Rien de neuf sous le soleil de Francfort, donc ? Si. Mais pas dans les mots, dans les faits. Car la BCE dispose désormais des moyens de transformer ses idées en réalité, bien au-delà de la politique monétaire. Ses experts — aux côtés des autres missionnaires de la bien-aimée « troïka », ceux du FMI et de la Commission européenne — s’imposent comme des gouvernements bis à Athènes, Dublin, Lisbonne. Ils mettent les ministères sous tutelle, énoncent leur « quinze commandements » : étendre le chômage technique, réduire les retraites agricoles, diminuer les dépenses publiques, etc. Jusqu’à cette lettre, adressée par M. Trichet et son successeur, M. Mario Draghi, au président du conseil italien, M. Silvio Berlusconi, dans laquelle, selon Le Figaro, « la BCE demande de rendre plus flexibles les procédures de licenciement » mais aussi « de privilégier les accords au sein des entreprises aux conventions sectorielles négociées à l’échelon national », de « privatiser les sociétés municipales (transports publics, voirie, fourniture d’électricité) ». Pour marquer leur préoccupation démocratique, les deux banquiers centraux recommandaient « de procéder par décret, d’application immédiate, et non par projet de loi, que le Parlement met toujours du temps à approuver ». « La BCE met de facto l’Italie sous tutelle », titrait le quotidien français — tandis que l’ancien commissaire européen Mario Monti dénonçait un « podestat étranger » (1).

    Il ne s’agit plus ici de « conseils », même appuyés, ni d’un simple « message » — comme le prétendent les dirigeants de la Banque, en professionnels des euphémismes. Mais peut-on, pour autant, parler d’« ordres » ou de « diktats » ? Ce sont, plus exactement, des conditions.

    « Jusqu’ici, la BCE n’avait aucun pouvoir pour peser véritablement, analyse Clément Fontan, chercheur en science politique. En gros, la banque parlait, les dirigeants politiques l’écoutaient d’une oreille plus ou moins distraite, en se disant : “Bon, c’est normal, c’est la BCE, ils sont conservateurs, on les écoute, on leur fait plaisir.” Arrive la crise : des pays de la zone euro sont attaqués par les marchés financiers. Au début, la BCE refuse de les aider, arc-boutée sur son dogme d’indépendance et de non-intervention. Devant la pression des gouvernements et des banques, dans la panique générale des marchés, elle cède finalement. » Elle se voit donc contrainte de racheter les bons du Trésor des Etats en difficulté. Mais elle pose ses conditions : les pays concernés vont être obligés d’appliquer les « réformes structurelles » que la BCE a toujours prônées. « On est dans une situation type Argentine-FMI à la fin des années 1990, où le prêteur exerce une forte pression sur l’emprunteur pour être sûr qu’il applique les réformes considérées comme “bonnes et nécessaires”. Finalement, la crise a été une fenêtre d’opportunité pour la BCE », conclut Fontan.

    « Fenêtre d’opportunité » : l’expression revient chez les observateurs de la banque centrale. Et tous, même les plus critiques, voient en M. Trichet « un grand politique ». Ses opposants le désignent d’ailleurs comme « le seul vrai dirigeant européen » : il a su saisir cette « opportunité », se glisser dans cette « fenêtre » ouverte par l’histoire, pour étendre son pouvoir personnel et celui de son institution.

    Quand M. Trichet fait tinter sa clochette

    On attend le grand argentier au sommet de l’Eurotower, avec vue panoramique sur les immeubles alentour — la Commerzbank Tower, la Dresdner Bank Tower, les tours jumelles de la Deutsche Bank —, dans cette capitale du capital allemand, la « cité des banques », aussi surnommée « Bankfurt ». Où la BCE ne s’est pas installée par hasard. C’est ici, derrière cette table ronde, dans cette salle du trente-sixième étage, que les dix-sept gouverneurs des banques centrales nationales — française, allemande, slovaque, etc. — se sont réunis ce matin et ont décidé de « maintenir les taux inchangés ». Le président s’assied sur le fauteuil qu’il quittera bientôt. Comme pour ouvrir un conseil, il fait résonner la clochette devant lui.

    « Vous teniez tout à l’heure une conférence de presse, et vous avez réclamé des accords entreprise par entreprise, la privatisation de services publics, la flexibilité des salaires… C’est un vrai programme de gouvernement !, lui fait-on remarquer. Vous êtes candidat à la présidentielle ?

    — Non, certainement pas, susurre M. Trichet. Ce sont simplement les moyens que mes collègues et moi-même croyons importants pour croître plus vite en Europe et créer plus d’emplois.

    — Mais quand on parle de “réformes structurelles”, le relance-t-on, ça ressemble aux plans d’ajustement structurel du FMI dans les années 1980 : libéralisation, déréglementation… Ce programme n’a fonctionné ni en Amérique latine ni en Afrique. Pourquoi est-ce qu’il marcherait aujourd’hui en Grèce, en Espagne, en Italie, en France ? »

    Loin de récuser le rapprochement, le président offre une argumentation pour le moins inattendue : les programmes du FMI auraient, au contraire, bien marché. « Quels sont les pays qui ont remarquablement résisté à la crise ?, objecte M. Trichet. Ce sont les pays émergents, ce sont les pays d’Amérique latine qui, grâce à leurs réformes structurelles, se sont retrouvés dans une situation de résistance beaucoup plus forte. Nous observons un remarquable comportement de l’Afrique. Il y a des réformes qui permettent aux forces productives de se libérer… » Même l’économiste Milton Friedman, avant son décès, n’osait plus se tenir aussi droit dans ses bottes. En 2003, le maître à penser des libéraux concédait, à propos de la crise argentine : « La responsabilité des hommes du Fonds monétaire est indéniable (2). » Et si ce pays s’en tire mieux aujourd’hui, c’est notamment parce qu’il s’est écarté des recommandations du FMI (3).

    « Mais pourquoi, interroge-t-on encore M. Trichet, ne réclamez-vous pas un relèvement de l’impôt sur les sociétés — qui était de 50 % dans les années 1980, dont le taux affiché est aujourd’hui de 33,3 %, mais qui est en vérité de 7 % pour les entreprises du CAC 40 ?

    — Il faut toujours voir l’intérêt supérieur, répond-il, un peu lassé par notre candeur. Si on a une taxation plus élevée des activités en France, qu’est-ce qui se passe ? Les investissements partent à l’étranger et on n’a pas d’emplois en France. La justice sociale est essentielle, mais ce n’est pas en taxant les sociétés plus que dans les autres pays, plus que dans les pays émergents, qu’on va avoir de l’emploi en France. » Et lui n’y peut rien si — heureux hasard — l’« intérêt supérieur » coïncide avec celui des classes supérieures…

    Aussi est-ce par simple bon sens qu’il s’emportait sur Europe 1 le 20 février dernier : « Augmenter les salaires en Europe serait la dernière bêtise à faire » — tandis que la hausse des dividendes de 13 %, au même moment, dépassant les 40 milliards d’euros, ne soulevait pas sa juste colère. C’est par souci d’équité qu’il défendait, en 2006, malgré les protestations de la jeunesse, le contrat première embauche (CPE) du gouvernement Villepin (4) — et qu’il se fait partout en Europe le chantre de la « souplesse sur le marché du travail » — tandis que, pour les bonus, il juge « normal » qu’il y ait une part variable « plus importante lorsqu’on pratique des métiers terriblement volatils » (ah ! la « terrible » précarité des traders !). C’est son sens de la justice sociale qui le conduisait à soutenir le recul de l’âge de la retraite instauré en France, en Irlande, au Portugal, etc. — tandis qu’il n’estime « pas souhaitable » une taxe sur les transactions financières.

    Mais de telles comparaisons relèvent d’une « grille entièrement politique », se plaint-il. Et notre dirigeant de protester : « Je ne suis pas un homme politique. » Lui revendique l’« apolitisme » de la BCE, institution placée au service des « dix-sept gouvernements, des trois cent trente-deux millions de citoyens, de toutes sensibilités ». D’ailleurs, insiste-t-il, « je ne souhaite pas qu’on m’interroge sur des sujets politiques ».

    Si M. Trichet était resté conseiller de l’Elysée, après l’avoir été auprès de M. Valéry Giscard d’Estaing (en 1978), ou directeur du cabinet du ministère de l’économie et des privatisations, poste auquel l’avait nommé M. Edouard Balladur (en 1986), on le classerait volontiers à droite. Mais, élevé par son « indépendance », drapant ses verdicts des vertus de la « science », le discours de la BCE échappe le plus souvent à la critique publique. Jusqu’à la manifestation internationale contre le pouvoir de la finance, le 15 octobre dernier, qui vit le groupe Occuper Francfort rassembler plusieurs milliers de protestataires devant l’Eurotower, rares étaient les cortèges à défiler sous les fenêtres du 29 Kaiserstrasse. Comme l’énonce le sociologue Frédéric Lebaron, « la BCE a construit son invisibilité. Elle s’est placée dans une position d’expertise, au-dessus des partis et des Etats (5) ». Et son éloignement géographique, la complexité apparente — et entretenue — des sujets qu’elle traite la mettent à l’abri des citoyens.

    C’est ainsi : les orientations monétaires — un euro fort, la lutte contre l’inflation — ne relevaient déjà plus de la politique. Voici que, à leur tour, les décisions budgétaires, fiscales, sociales rejoignent la monnaie entre les mains de techniciens, à Francfort notamment, qui effectuent ces choix en nous assurant justement que « nous n’avons pas le choix ».

    M. Trichet doit pourtant affronter une « opposition ». Celle-ci ne vient pas des travailleurs ; elle est interne à la finance. Assemblés devant lui, les journalistes économiques portent le même uniforme que les traders, et ils n’importunent personne avec le taux de chômage au Portugal, les médicaments contre le diabète qui ne seront plus remboursés en Grèce, les pensions qui diminuent en Irlande, etc. Non, la question qui fâche le président, c’est l’envoyé du quotidien économique allemand Börsen-Zeitung qui la pose, le 8 septembre : en rachetant des obligations d’Etats en difficulté, la BCE ne troque-t-elle pas son statut d’« ancre de stabilité » pour celui de bad bank ? Le lendemain de cet échange, l’Allemand Jürgen Stark, économiste en chef de la BCE et porte-parole des orthodoxes, annonçait sa démission du directoire. En février dernier, M. Axel Weber avait déclaré qu’il quittait son poste de président de la Bundesbank (banque centrale allemande), et donc son siège au conseil des gouverneurs de la BCE, pour manifester son désaccord avec la stratégie — jugée laxiste — de l’institution de Francfort. Il refusait également de prendre la succession de M. Trichet, dont le mandat arrivait à terme le 31 octobre. Pour cocasse que cela puisse paraître, il est ainsi reproché au banquier central européen son manque… d’orthodoxie !

    « Jusqu’à plus soif »

    Un badge scanné et, au premier étage de l’Eurotower, s’ouvre devant nous la salle des marchés. Rien de prestigieux, un banal plateau avec une centaine d’ordinateurs. Derrière les claviers, des hommes en costume et des femmes en tailleur. Un téléviseur où défilent les cours de la Bourse. C’est ici que sont « organisés les octrois de crédit aux banques commerciales », explique M. Paul Mercier, conseiller principal aux opérations de marché. C’est ici — en clair — qu’on émet la monnaie en Europe. « Tous les mardis, nous avons une grosse adjudication de crédit. Le board [conseil des gouverneurs] décide combien on va mettre sur le marché. » (Lire « BCE, mode d’emploi ».)

    Et le responsable de préciser aussitôt : « Quoique... dans les circonstances actuelles, nous avons décidé de permettre aux banques de déterminer elles-mêmes combien elles veulent emprunter. Ce sont des mesures un peu spéciales que nous avons dû prendre à cause de la crise financière. » « En ce moment, renchérit M. Ivan Fréchard, expert des marchés de change, c’est assez simple : nous pourvoyons toutes les liquidités que les banques nous demandent. C’est la politique du full allotment. » Full allotment ? On pourrait traduire par « jusqu’à plus soif ». Car si, pour les Etats, les prêts se font sous conditions — et les plus rudes —, en ce qui concerne les banques, en revanche, le crédit s’écoule en libre-service.

    MM. Trichet et Draghi n’ont adressé aucune lettre aux patrons de la Société générale, de HSBC, de BNP Paribas exigeant, puisque la BCE vole à leur secours, que leurs établissements se retirent des paradis fiscaux, cessent de spéculer sur les dettes souveraines, financent l’économie réelle. Nul « homme en noir » de la BCE n’est descendu au siège du Crédit agricole ou de la Commerzbank pour éplucher leurs comptes — avec la même ardeur que ceux du ministère de la santé à Athènes — et proférer des sommations avec une égale arrogance.

    Assis sur un banc devant l’« euroboutique » — qui vend mouchoirs, parapluies, tasses, chocolats, etc. —, le député Canfin résume : « Pour sauver le système, la BCE a ouvert le robinet à liquidités. Mais le problème, c’est que le tuyau est percé : l’argent qui coule d’ici ne parvient pas dans l’économie réelle. Parce que, entre les deux, il y a les banques commerciales, qui préfèrent, aujourd’hui encore, la spéculation à l’investissement. Le rôle de la BCE, c’est de faire que l’eau coule dans la bonne direction — et depuis deux ans, ils n’ont pris aucune mesure pour ça. »

    Ce parti pris de la Banque centrale européenne, le député Miguel Portas (Gauche unitaire européenne, GUE) l’observe en première ligne. « On a imposé un plan de sauvetage au Portugal. Mais sur les 78 milliards d’euros prêtés par la BCE, 54 partent directement aux créanciers. On nous a dit : “Priorité aux banques qui détiennent les dettes souveraines.” Et pour financer ça, on coupe dans les salaires — alors que le smic s’élève chez nous à 485 euros —, dans les pensions — alors que la retraite moyenne ne dépasse pas 300 euros. On a augmenté de 17, 18 et 20 % l’eau, le gaz et l’électricité. La TVA [taxe sur la valeur ajoutée] atteint maintenant 23 %. Et tout ça, pendant que le grand capital est complètement sauvegardé — au nom de la nécessité d’attirer les investisseurs. »

    En Irlande, la BCE est sortie du bois. « Pendant les élections qui se sont déroulées au printemps, le Parti travailliste a répété le slogan “It will be Labour’s way, or Frankfurt’s way” [“Ce sera notre voie, ou la voie de Francfort”], raconte le député européen Paul Murphy (du groupe GUE également). Ils promettaient que les banques, les créanciers privés seraient mis à contribution — et pas seulement les citoyens. Mais la Banque centrale européenne a insisté pour qu’aucun créancier ne soit pénalisé. Et peu après le scrutin, la prétendue social-démocratie irlandaise, tout comme la social-démocratie à travers l’Europe, a capitulé. Elle fait des génuflexions devant les marchés, devant la BCE, devant la troïka. »

    Pantouflage douillet

    Dans sa communication, la Banque centrale européenne ne cesse de se prévaloir de son « indépendance ». Elle rappelle volontiers l’article 107 du traité de Maastricht : « Ni la BCE, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peut solliciter ni accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements, des Etats membres ou de tout autre organisme. » Une indépendance totale, donc, à l’égard du pouvoir politique. Le nouveau président de la BCE, M. Draghi, ne devrait pas plus effrayer le pouvoir financier que M. Trichet : il exerçait comme vice-président de la branche européenne de Goldman Sachs, chargé notamment des dettes souveraines au moment où la banque d’affaires maquillait les comptes de la Grèce.

    M. Otmar Issing, économiste en chef de la BCE de 1998 à 2006 et père spirituel de l’euro, avait parcouru le chemin inverse, devenant conseiller international de Goldman Sachs. M. Weber, ancien président de la Bundesbank et représentant de l’Allemagne au conseil des gouverneurs de la BCE, a lui aussi fait son choix. Plutôt que de retourner à l’université, il a accepté la vice-présidence de la banque suisse UBS — soupçonnée de favoriser les évasions fiscales — contre 1,7 million d’euros et des stock-options.

    Aucun des gardiens du temple de l’euro, en revanche, n’a pour l’instant décidé de rejoindre un syndicat français, allemand, italien. Cette « indépendance »-là est sauve.

    Antoine Dumini et François Ruffin http://www.monde-diplomatique.fr/2011/11/DUMINI/46897

    Journalistes.

    (1) Richard Heuzé, «  La BCE met de facto l’Italie sous tutelle  », Le Figaro, Paris, 8 août 2011.

    (2) «  Le triomphe du libéralisme  », Politique internationale, n° 100, Paris, été 2003.

    (3) Cécile Raimbeau, «  En Argentine, les “piqueteros” s’impatientent  », Le Monde diplomatique, octobre 2011.

    (4) Créé en mars 2006 dans le cadre de la loi pour l’égalité des chances, et supprimé le mois suivant à l’issue d’une contestation sociale de grande ampleur, le contrat première embauche destiné aux moins de 26 ans instaurait notamment une période de deux ans pendant laquelle le salarié pouvait être licencié sans motif.

    (5) Frédéric Lebaron, Ordre monétaire ou chaos social  ? La BCE et la révolution néolibérale, Editions du Croquant, coll. «  Savoir - Agir  », Bellecombe-en-Bauges, 2006.


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  • Livret A : Banques et assurances bataillent contre un engagement de François HollandeLe patronat des banques et des compagnies d’assurances mène une offensive contre l’engagement présidentiel du doublement du plafond du Livret A, une mesure phare qui devrait être prise par décret prochainement. François Hollande et le gouvernement tiendront-ils face à cet intense lobbying ?

    A peine élu président de la République, François Hollande doit subir les assauts des grands patrons des groupes bancaires et des compagnies d’assurance contre un engagement ignoré des débats pendant la campagne présidentielle. Dès le lendemain du 6 mai, une attaque en règle a été lancée contre la volonté du nouveau Président d’agir pour que « soient construits au cours du quinquennat 2,5 millions de logements intermédiaires, sociaux et étudiants, soit 300 000 de plus que lors du quinquennat précédent, dont 150 000 logements très sociaux, grâce au doublement du plafond du Livret A ». Une mesure qui fait l’objet de toutes les attentions car un décret devrait en effet être pris prochainement.

    Le lobby bancaire ainsi que celui des compagnies d’assurance n’ont retenu de cette mesure que la dernière partie : le doublement du plafond du Livret A, qui passerait de 15 300 à 30 600 euros, une proposition soutenue notamment par le Collectif « Pour un pôle public financier au service des Droits ! », qui regroupe des organisations syndicales du secteur bancaire public et des associations pour le droit au logement.

    Dès le 10 mai, le patron du groupe Banque populaire-Caisses d’épargne (BPCE), François Pérol, ex conseiller de Nicolas Sarkozy et patron de la Fédération bancaire française (FBF), lobby du patronat bancaire, lance une première charge contre la proposition de doubler le plafond du Livret A : « Je ne suis pas sûr que ce soit une mesure très utile », a-t-il déclaré ajoutant que « C’est une mesure qui sera coûteuse pour les finances publiques puisque cela ne va pas générer d’épargne supplémentaire, cela va simplement faire que les Français vont transférer de l’épargne qui, aujourd’hui, est fiscalisée sur un produit qui ne l’est pas, le Livret A. (...) Ceux qui sont au plafond, il n’y en a pas beaucoup – il y a 9 % de nos clients qui sont au plafond, ces 9 % ont 50 % des encours. Ceux qui ont 15 000 euros d’épargne ailleurs, ils vont la prendre et la mettre sur leur Livret A ».

    Le 15 mai, c’est au tour de la FBF de monter au créneau dans un communiqué indiquant que cette mesure de François Hollande est « inadaptée », accompagné d’un argumentaire très détaillé :

    « Le problème du logement social ne relève pas d’une insuffisance de financement – ce qu’une augmentation du plafond du Livret A chercherait à corriger – mais tient davantage de la rareté du foncier, des prix élevés et de la capacité à construire.
    - Les organismes de construction de logements sociaux n’ont pas une capacité d’endettement infinie et celle-ci est déjà couverte par les montants Livret A existants. De plus, une grande partie des fonds est inutilisée.
    - Les fonds centralisés à la Caisse des dépôts permettent aujourd’hui d’assurer le financement du logement social Le doublement du plafond du Livret A représentera un coût supplémentaire pour les finances publiques. En effet, la défiscalisation du Livret A représente une dépense fiscale de 220 M€ en 2011 et 300 M€ en 2012 (source : Projet de loi de finances pour 2012, annexe Voies et Moyens, tome II, p. 100). Les Français vont transférer de l’épargne qui est aujourd’hui fiscalisée sur un produit qui ne l’est pas : le doublement du plafond ne fera donc que renchérir ce coût pour les finances publiques ».

    Pour conclure son communiqué, le patronat bancaire de la FBF n’a pas hésité à adopter un ton très gauchiste : « Le doublement du plafond du Livret A avantage les épargnants les plus aisés. En effet, le Livret A ne compte qu’une minorité seulement de détenteurs ayant atteint le plafond de 15 300 euros : 9 % des Livrets A atteignaient le plafond au 31 décembre 2010 (source : Rapport de l’Observatoire de l’épargne réglementée, juin 2011). A l’inverse, près de la moitié des Livrets A ont un solde inférieur à 150 euros ».

    Le ton est aussi menaçant : Le doublement du Livret A aurait surtout pour effet « de réduire la capacité des banques à financer l’économie française, c’est-à-dire à prêter aux ménages et aux entreprises. En effet, un doublement du plafond risque d’entrainer des arbitrages des livrets bancaires vers le Livret A ». Banques et compagnies d’assurance craignent avant tout qu’une partie de la manne de l’épargne des Français se déplace vers le Livret A, dont l’encours (224 milliards d’euros à fin mars) est centralisé par la Caisse des dépôts et est utilisé pour financer le logement social.

    En pleine crise financière et du système bancaire, la mesure de François Hollande avantagerait une épargne défiscalisée, actuellement rémunérée à hauteur de 2,25 %. Elle aurait aussi pour effet de réduire les dépôts bancaires et les bénéfices tirés d’une épargne logée dans des fonds, dont les assurances vie. Le risque étant de provoquer des transferts d’épargne massif de l’assurance vie vers les Livret A et les livret développement durable (LDD), en grande partie gérée par la Caisse des dépôts. Même si elles disposent d’une partie de l’épargne du Livret A (35 à 40 %, environ 40 milliards sans contrepartie et utilisée à des fins spéculatives) et du LDD, les banques seraient ainsi privées d’une partie de leurs ressources, tandis que les assureurs pourraient être déstabilisés par une baisse de leurs encours d’assurance-vie et se voir contraints de vendre des actifs dans de mauvaises conditions. Une mauvaise nouvelle pour les marchés financiers qui vendront moins de produits d’épargne et de prévoyance, dont certains sont des fonds de pension qui affaiblissent un système de retraite par répartition hors des marchés.

    L’enjeu est donc important pour le lobby bancaire et des compagnies d’assurance, de plus opposé au retour à la centralisation de cette gigantesque épargne gérée la Caisse des dépôts. Ainsi, le patron du groupe BPCE n’est pas le seul à vouloir mettre un bémol à la proposition économique de François Hollande. Il est rejoint par le gouverneur de la Banque de France et président de l’Autorité de contrôle prudentiel, Christian Noyer, qui a averti le président de la République que le doublement du plafond du Livret a risquerait de provoquer des transferts d’épargne massif de l’assurance vie vers les banques.

    Il préconise, dans La Tribune du 14 mai, le recours à une période de transition pour laisser le temps aux établissements de s’adapter. A mots couverts, Noyer est plutôt réservé et soutient l’idée que le logement n’a pas de problème de financement. Le même gouverneur avait préconisé de ne pas relever le taux de rémunération du Livret A ni du Livret de développement durable en février, alors que l’évolution des prix à la consommation aurait dû le faire grimper à 2,5 %. On voit de quel côté se situe les recommandations de Christian Noyer, lequel préfère soutenir les marchés financiers.

    Peu importe que la France compte plus de 3,6 millions de mal logés ou sans logis, comme le souligne les associations de lutte contre le mal logement. Peu importe que la « crise immobilière » marquée par la cherté du logement, à la location comme à l’accession, n’a cessé de s’aggraver et génère une hausse considérable du taux d’effort (part des dépenses liées au logement dans le revenu des ménages), qui frôle aujourd’hui en moyenne les 40 % pour le quart des ménages les plus modestes et dépasse les 25 % pour l’ensemble. Pau importe que plus de 10 millions de personnes éprouvent de graves difficultés à faire face aux dépenses de logement et craignent de le perdre, qu’elles soient accédantes ou locataires.

    De quel côté penchera François Hollande et le gouvernement ?

    http://www.politis.fr/Livret-A-Banques-et-assurances,18390.html


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  • Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains

    Le « Mécanisme européen de stabilité »

    ou comment Goldman Sachs

    a fait main basse sur l’Europe

    par Ellen Brown*

     

    Le coup de Goldman Sachs, qui a échoué aux Etats-Unis, a presque réussi en Europe: un renflouement (bailout) permanent, irrévocable, inattaquable des banques, garanti par les contribuables.

    En septembre 2008, Henry Paulson, ancien ­P.-D.G. de Goldman Sachs, a réussi à extorquer au Congrès un plan de sauvetage de 700 milliards de dollars. Mais pour y arriver, il a dû se mettre à genoux et brandir la menace d’un effondrement du système financier mondial tout entier ainsi que de l’imposition de la loi martiale. L’appel de Paulson en faveur d’un fonds de sauvetage permanent – le Troubled Asset Relief Program ou TARP – a été repoussé par le Congrès.
     

    Jusqu’en décembre 2011, le chef de la Banque centrale européenne Mario Draghi, ancien vice-président de Goldman Sachs Europe, a été capable d’accorder un plan de sauvetage de 500 milliards d’euros aux banques européennes sans demander l’autorisation à personne. Et en janvier 2012, un fonds de sauvetage permanent, le Mécanisme européen de stabilité (MES), a été voté en pleine nuit, sans être guère mentionné dans la presse. Le MES impose aux gouvernements de l’UE une dette illimitée et met à contribution les contribuables pour tout ce qu’exigeront les superviseurs eurocrates.
     

    En Europe, le coup des banquiers a apparemment réussi sans rencontrer de résistance. Le MES est applaudi à la fois par les gouvernements de la zone euro, ses créanciers et le «marché» car ses investisseurs continueront d’acheter de la dette souveraine. Tout est sacrifié aux exigences des créanciers, car sinon d’où pourrait venir l’argent nécessaire à renflouer les dettes colossales des gouvernements de la zone euro?
     

    Or il y a une alternative à l’asservissement aux banques en raison de la dette. Mais jetons d’abord un regard sur l’ignoble face obscure du MES et la reprise silencieuse de la Banque centrale européenne par Goldman Sachs.

    La face obscure du MES

    Le MES est un instrument d’aide permanent destiné à remplacer les instruments provisoires que sont le Fonds européen de stabilisation financière (FESF) et le Mécanisme européen de stabilisation financière (MESF) dès qu’il sera ratifié par les Etats membres qui représentent 90% des dettes, sa ratification étant attendue en juillet 2012.

    Une vidéo de YouTube de décembre 2011 intitulée «The shocking truth of the pending EU collapse!». postée en août 2011 en allemand («Stoppt EU-Schuldenunion (ESM-Vertrag)», démasque le MES, qu’il vaut la peine d’examiner de près:
     

    «L’UE prépare un nouveau traité, le Traité instituant le Mécanisme de stabilité européen. Le capital autorisé s’élèvera à 700 milliards d’euros. Pourquoi 700 milliards d’euros?»

    (Probablement parce que ce montant rappelle les 700 milliards de dollars de parts achetées par le Congrès en 2008).
     

    «Article 9: Lorsqu’un manque de fonds potentiel du MES est décelé, le directeur général lance un appel de capital dès que possible, afin que le MES dispose de fonds suffisants pour rembourser intégralement ses créanciers aux échéances prévues. Les membres du MES s’engagent de manière irrévocable et inconditionnelle à verser sur demande les fonds demandés par le directeur général en vertu du présent paragraphe dans les sept (7) jours suivant la réception de ladite demande.

    Si le MES a besoin d’argent, les membres ont 7 jours pour payer, mais que signifie ‹de manière irrévocable et inconditionnelle›? Que va-t-il se passer si nous avons un nouveau parlement, un parlement qui ne veut pas transférer d’argent au MES?»
     

    «Article 10: Le conseil des gouverneurs réexamine régulièrement et au moins tous les cinq ans la capacité de prêt maximale et l’adéquation du capital autorisé du MES. Il peut décider de modifier le montant du capital autorisé et de modifier l’article 8 et l’annexe II en conséquence."

    Alors les 700 milliards ne sont-ils qu’un début? Le MES a-t-il le droit d’augmenter le capital en tout temps et de manière illimitée? Et nous sommes, selon l’article 9, forcés de payer ‹de manière irrévocable et inconditionnelle›»?
     

    «Article 32-2: Le MES possède la pleine personnalité juridique et la pleine capacité juridique pour:
     

    a) acquérir et aliéner des biens meubles et immeubles;
     

    b) conclure des contrats;
     

    c) ester en justice, et
     

    d) conclure un accord de siège et/ou un protocole en vue, le cas échéant, de faire reconnaître son statut juridique, ses privilèges et ses immunités, ou leur donner effet

    Le MES a-t-il le droit d’entamer une procédure juridique contre nous alors que nous ne pouvons pas le poursuivre en justice?
     

    «Article 32-3: Le MES et ses biens, ses financements et ses avoirs, où qu’ils soient situés et quel qu’en soit le détenteur, jouissent de l’immunité de juridiction sous tous ses aspects, sauf dans la mesure où le MES y renonce expressément en vue d’une procédure déterminée ou en vertu d’un contrat, en ce compris la documentation relative aux instruments de financement
     

    «Article 32-4: Les biens, les financements et les avoirs du MES, où qu’ils soient situés et quel qu’en soit le détenteur, ne peuvent faire l’objet de perquisitions, de réquisitions, de confiscations, d’expropriations ou de toute autre forme de saisie ou de mainmise de la part du pouvoir exécutif, judiciaire, administratif ou législatif".

    Cela signifie donc que ni nos gouvernements ni nos parlements ni nos lois démocratiques n’ont de prise sur l’organisation du MES? Ce Traité est sacrément puissant!»

    «Article 35-1: Dans l’intérêt du MES, le président du conseil des gouverneurs, les gouverneurs, les gouverneurs suppléants, les administrateurs, les administrateurs suppléants ainsi que le directeur général et les autres agents du MES ne peuvent faire l’objet de poursuites à raison des actes accomplis dans l’exercice officiel de leurs fonctions et bénéficient de l’inviolabilité de leurs papiers et documents officiels.

    Ainsi donc toute personne impliquée dans le MES se tirera toujours d’affaire? Elle n’aura de comptes à rendre à personne?

    Le Traité crée un organisme intergouvernemental auquel nous devrons transférer des sommes illimitées dans un délai de sept jours, un organisme qui peut nous poursuivre en justice mais contre lequel nous ne pouvons pas porter plainte, un organisme dont tous les administrateurs jouissent de l’immunité, un organisme soumis à aucune surveillance indépendante, à aucune loi existante?

    Aucun gouvernement ne peut faire quelque chose? Les budgets des Etats européens vont être entre les mains d’un organisme unique qui n’a pas été élu? C’est cela, l’avenir de l’Europe? C’est cela, la nouvelle UE, une Europe sans démocraties souveraines?»

    Le vampire1 Goldman Sachs fait main basse sur l’Europe

    En novembre dernier, Mario Draghi, ancien ­P.-D.G. de Goldman Sachs Europe, a succédé à Jean-Claude Trichet à la tête de la Banque centrale européenne sans fanfare ni trompette et dans l’indifférence presque totale de la presse. Draghi s’est empressé de faire pour les banques exactement ce que la BCE refusait aux gouvernements des pays membres: leur accorder généreusement des prêts à des taux très bas.

    Le bloggeur français Simon Thorpe [directeur de recherches au CNRS]2

    écrit ce qui suit:

    «Le 21 décembre, la BCE a prêté 489 milliards d’euros aux banques européennes au taux extrêmement généreux de 1% à trois ans. Je dis «prêté» mais en réalité, elle s’est contentée de faire fonctionner la planche à billets, car la BCE n’a pas d’argent à prêter. Il s’agit de nouveau de 'quantitative easing' ».

    Cet argent a été immédiatement englouti par 523 banques. C’est de la folie pure. La BCE espère que les banques vont en faire quelque chose d’utile, par exemple prêter de l’argent aux Grecs, qui payent, en ce moment, 18% d’intérêts sur les marchés obligataires pour obtenir de l’argent. Mais il n’y a absolument pas d’autres conditions: Si les banques décident de verser des bonus avec cet argent, c’est bien. Ou encore elles pourraient transférer tout cet argent dans des paradis fiscaux.

    Avec un taux d’intérêts de 18%, la dette double en quatre ans seulement.

    C’est cette lourde charge, et non la dette en soi qui paralyse la Grèce et d’autres pays endettés.

    Thorpe propose la solution évidente suivante: Pourquoi ne pas prêter l’argent directement au gouvernement grec? Ou au gouvernement portugais qui doit emprunter, en ce moment, à un taux de 11,9%? Ou au gouvernement hongrois qui paie en ce moment 8,53%? Ou au gouvernement irlandais qui paie 8,51%? Ou au gouvernement italien qui paie 7,06%?

    L’objection standard à cette solution est toujours que l’article 123 du Traité de Lisbonne empêche la BCE de prêter de l’argent aux gouvernements. Mais l’argumentation de Thorpe est la suivante:

    «A mon avis, l’article 123 doit empêcher des gouvernements élus d’abuser des banques centrales en leur demandant d’imprimer de la monnaie pour financer des dépenses excessives. On nous fait croire que c’est pour cela que la BCE devrait être indépendante des gouvernements. Soit. Mais ce que nous vivons en ce moment est beaucoup plus grave. Aujourd’hui, la BCE est complètement entre les mains du secteur bancaire. ‹Nous voulons un demi-milliard d’argent vraiment bon marché› disent-elles. D’accord, pas de problème. Mario est là pour tout arranger. Et il n’a pas besoin de consulter qui que ce soit. Au moment même où la BCE fait son annonce, l’argent a déjà disparu.

    Si au moins la BCE travaillait sous le contrôle de gouvernements élus, nous pourrions exercer une certaine influence en élisant ces gouvernements. Mais l’équipe qui, en ce moment, détient le pouvoir dans ses mains sales échappe à tout contrôle

    Goldman Sachs et les technocrates de la finance ont fait main basse sur la barque européenne. La démocratie est mise à mal afin de protéger la Banque centrale européenne des «abus» des gouvernements. Mais le gouvernement, c’est le peuple, ou il devrait l’être. Un gouvernement démocratiquement élu représente le peuple. On incite les Européens à abandonner leur chère démocratie aux fripouilles de la finance, et le reste du monde suit de près.

    Plutôt que de ratifier le Traité draconien du MES, les Européens feraient mieux d’amender l’article 123 du Traité de Lisbonne. La BCE pourrait alors accorder des crédits directement aux gouvernements de ses Etats membres. Ou bien les gouvernements de la zone euro pourraient restaurer leur souveraineté économique en réactivant leurs banques centrales publiques afin qu’elles accordent des crédits au profit du pays et cela sans intérêts. Ce n’est pas une idée nouvelle; elle a été appliquée avec succès par exemple en Australie par la Commonwealth Bank of Australia et au Canada par la Bank of Canada.

    Aujourd’hui, l’émission de monnaie et l’octroi de crédits sont devenus un droit pour des vampires qui s’en servent pour saigner à blanc l’élément vital de nos économies. Il faut rendre ce droit aux gouvernements souverains. Le crédit devrait être un service public accordé et administré au profit du peuple.    •

    Source: Global Research

    du 9/4/12. 

    www.globalresearch.caindexphp?context=va&aid=30403 

    (Traduction Horizons et débats)

    1    Vampire Squid, vampire des abysses: désignation donnée à Goldman Sachs.
    2     http://simonthorpesideas.blogspot.com/

    *    Ellen Brown est avocate et présidente du Public Banking Institute. Dans le dernier de ses 11 ouv-rages, «Web of Debt», elle montre comment un cartel privé a arraché au peuple le pouvoir de créer de la monnaie et comment nous, le peuple, pouvons le reprendre.

      (http://ellenbrown.comhttp://webofdept.com et http://publicbankinginstitute.org)

    http://canempechepasnicolas.over-blog.com


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  • Le président de la banque centrale allemande Jens Weidmann a jugé dangereux, à l'adresse du président élu français François Hollande, de vouloir toucher au statut de la BCE, au pacte budgétaire européen, ou de créer de la dette, dans une interview samedi au quotidien Süddeutsche Zeitung. Il a également rappelé la Grèce à ses obligations, faute de suspension des aides financières.

    « Une modification des statuts (de la Banque centrale européenne) serait dangereuse », a lancé M. Weidmann, interrogé sur les proposition de M. Hollande durant sa campagne de laisser la BCE prendre des mesures de soutien à l'économie ou prêter directement aux Etats. « Les emplois et la croissance économique sont le fruit des échanges commerciaux. La banque centrale est la mieux placée pour contribuer à la stabilité de la monnaie » européenne, a-t-il dit.

    « Il faut attendre le programme final du gouvernement » de François Hollande, attendu dès mardi à Berlin, déclare M. Weidman. Mais « il est clair qu'il faut refuser sa revendication de campagne, de détricoter le pacte budgétaire européen ». « Il existe une coutume européenne qui veut qu'on s'en tienne aux accords signés », souligne-t-il.

    Concernant les projets de relance de la croissance même au prix d'un endettement, il affirme: « Le nouveau mot-clé est +croissance+ oui je sais (...) Mais chacun comprend autre chose sous ce terme.(...) Toutes les expériences prouvent qu'un endettement trop important handicape la croissance ». « Combattre les dettes avec les dettes, cela ne fonctionnera pas », dit-il.

    Et à propos de l'inflation en Allemagne, face à laquelle certains ont pensé cette semaine que la Bundesbank donnait du mou, M. Weidmann réaffirme: « C'est un chemin dangereux, nous ne devrions pas répéter les erreurs des années 1970. L'inflation est socialement injuste, (et) ne permet pas de sortir de la crise ».

    Enfin concernant les aides à la Grèce, il assure qu'il n'y a « pas de diktat économique allemand ». Mais « si Athènes ne tient pas parole, ce sera un choix démocratique. La conséquence sera que la base pour de nouvelles aides disparaîtra ».

    (avec AFP) http://www.lesechos.fr/economie-politique


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