• Les semences en voie de privatisation

    La négociation de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis inclut le droit de propriété intellectuelle, qui offrirait aux multinationales de l’agrochimie le monopole de la vente des semences. Les agriculteurs redoutent de perdre le droit de semer leurs propres graines.

     

    Les multinationales à l’assaut des semences non OGM

    MARIE-NOËLLE BERTRAND

    La tendance européenne à accorder des brevets sur des fruits et légumes conventionnels met en alerte agriculteurs, scientifiques et petits semenciers, qui craignent un hold-up des industriels de l’agrochimie sur les graines.

     C’est un nouveau piment qui met le feu aux bouches. Un concombre, une roquette, un melon enflamment eux aussi les débats : tous ont déjà récolté plus de 2 millions de voix contre eux, via une pétition mise en ligne, début avril, sur le site Avaaz (1). En France, le Comité économique, éthique et social (CEES) du Haut Conseil des biotechnologies (HCB) a rendu, le 12 juin, un avis qui ne plaide résolument pas pour leur pomme. Non, il ne s’agit pas de nouveaux légumes génétiquement modifiés : une fois n’est pas coutume, c’est même là le problème. Car tous, aussi classiques qu’ils soient, viennent d’être très récemment brevetés, s’affichant comme la propriété exclusive d’un industriel, spécificité que l’on avait pris l’habitude de croire réservée aux OGM.

     

    Depuis décembre dernier, l’Office européen des brevets (OEB) a ainsi accordé plus d’une douzaine de brevets portant sur des végétaux conventionnels. Pas une première en tant que telle – le brevetage de végétaux « normaux » a démarré au début des années 2000. Mais la pratique, très limitée, marquait le pas depuis quelques années. Sa résurgence vient souligner une nouvelle étape dans l’histoire européenne de la propriété intellectuelle, laquelle entérine la « brevetabilité de gènes ou de caractères “natifs” », autrement dit parfaitement naturels, note le CEES.

     

    PROTÉGER LES INVENTIONS HUMAINES

    Sans que l’on puisse encore parler de vague, la tendance met en alerte agriculteurs, scientifiques et petits et moyens semenciers, lesquels redoutent de perdre tout à la fois le droit de semer, de chercher, d’innover (lire ci-après). « Breveter les ressources génétiques revient à en interdire l’accès libre », résume François Meienberg, porte-parole de la coalition internationale No Patents on Seeds (Pas de brevets sur les semences). Alors que les OGM sont peu présents en Europe, le brevetage de gènes natifs « ouvre une porte d’entrée géante aux multinationales de l’agrochimie, qui fonctionnent sur ce système », poursuit-il. Visées, singulièrement, Monsanto, Syngenta et DuPont-Pioneer. En 2009, les trois compagnies détenaient, à elles seules, 35 % des semences commercialisées mondialement. « La brevetabilité va accentuer cette concentration du marché, en empêchant les semenciers moyens d’accéder à l’innovation », conclut François Meienberg.

     

    La bataille se joue donc là, qui voit s’opposer, depuis des années, les grandes compagnies de l’agrochimie aux autres acteurs du secteur. Il faut, pour la comprendre, remonter brièvement dans l’histoire. Importés du modèle américain dans les années 1980, les brevets sur les végétaux visent, comme tous les autres, à protéger les inventions humaines, soit, dans le cas présent, les biotechnologies. Concernées : les opérations de transgenèse. En 1998, une directive européenne était adoptée pour en renforcer la portée. Elle consacrait ainsi la brevetabilité de toute une série d’innovations relevant de la sélection végétale. Le nouveau règlement stipulait, toutefois, que « les variétés végétales ou les races animales, ainsi que les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux », restaient exclus du système de brevetage. Tout le débat se joue, depuis, sur ces mots. L’industrie de l’agrochimie plaide pour que soient reconnus les procédés de sélections assistées, par exemple, par marqueurs génétiques. Ce à quoi agriculteurs, semenciers et scientifiques rétorquent que, pour être plus précises que les méthodes de sélections traditionnelles, ces techniques n’en restent pas moins « essentiellement biologiques » : le produit obtenu résulte de croisements entre plusieurs gènes natifs, présents depuis toujours dans la nature. En 2010, la Grande Chambre des recours de l’OEB leur donnait raison. L’office mettait un terme à tout octroi de brevets ne portant pas sur un OGM. Mais la bataille juridique a repris, depuis, non plus sur le procédé d’obtention, mais sur le produit issu de ce procédé, ou plus précisément sur leur caractère propre : ici, une résistance accrue au froid ou à la chaleur, là, un goût plus sucré. et pour le coup, l’OEB se montre assez souple. « La directive européenne empêche de breveter une variété, mais pas un fruit ou un légume », explique Rainer Osterwalder, directeur des relations médias, « dès lors qu’une solution technique est apportée à un problème technique, alors elle peut être protégée par brevet ». La Grande Chambre des recours a de nouveau été saisie et devrait rendre un avis avant la fin de l’année. L’OEB, lui, a décidé de ne pas attendre. C’est ainsi que le 13 juin, elle accordait un nouveau brevet portant sur le brocoli conventionnel. Seminis, filiale de Monsanto, en est l’heureuse propriétaire.

    « Le Parlement européen invite l’OEB à exclure de la brevetabilité les produits dérivés de l’obtention classique. »

    Formulée en 2012, cette résolution n’a pas eu prise sur l’Office européen des brevets, lequel regroupe 38 États et ne dépend pas directement de l’UE.

    77 C’est le nombre de brevets accordés, à ce jour, sur des fruits et légumes non oGM, selon l’Office européen des brevets.

    Le brevetage permet aux industriels de mettre la main sur les graines des fruits et légumes ordinaires. Alain Guillot 

     

    La guerre des graines

    PAULE MASSON

    C’est une tendance lourde.

     

    L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis promet d’inclure dans les négociations l’accès au marché de tout ce que le mouvement social a plus ou moins réussi à contenir jusque-là. Investissements, services, propriété intellectuelle, domaines retoqués par la mise en échec de l’AMI, accord multilatéral sur l’investissement, et contestés à l’échelle mondiale par la vague de protestations contre l’accord général sur le commerce et les services (AGCS) sont à l’ordre du jour de ce nouveau cycle de libéralisation des échanges.

     

    Tipp, voilà le nouveau sigle à retenir, car l’ampleur de ce tsunami économique semble sans égale depuis la création de l’Europe. Et si, pour l’heure, au nom de l’exception culturelle, l’audiovisuel est exclu des échanges, cela n’est pas le cas des droits de propriété intellectuelle, embarqués dans la partie « investissements » et dont l’objectif est clairement affiché : supprimer toute entrave à la concurrence et protéger les investisseurs. Les agriculteurs du monde ne savent que trop de quoi il retourne, car la propriété intellectuelle s’applique à la question des semences. Chaque nouvelle réglementation commerciale les prive un peu plus du droit ancestral de planter leurs propres graines. Ils traînent déjà aux pieds le boulet des semences Terminator, issues des plantes génétiquement modifiées pour que le grain devienne stérile. Contraints d’acheter les semailles OGM qui ensemencent la terre aux multinationales de l’agrochimie, ils risquent maintenant d’être privés du droit séculaire de recueillir le fruit, le noyau, le pépin de la plante ordinaire. Ou alors d’en payer le droit.

     

    Tipp, voilà le nouveau sigle à retenir, car l’ampleur de ce tsunami économique semble sans égale depuis la création de l’europe.

     

    Depuis quelques années, les firmes richissimes telles l’américaine Mosanto, la suisse Syngenta ou la française Limagrain se livrent à un puissant lobbying pour s’accaparer ce bien collectif. Elles militent à coups de millions de dollars pour obtenir le droit de breveter des innovations ou de délivrer des certificats d’obtention végétale (COV), droit de propriété intellectuelle qui offre aux entreprises le monopole de la vente de semences avant qu’elle ne tombe dans le domaine public. Une privatisation en bonne et due forme qui a franchi un pas de géant en France sous l’ère Sarkozy, avec la loi votée fin 2011 transposant un règlement européen qui légalise les semences de ferme à condition de rémunérer les titulaires de COV, soit les grands semenciers. Cet étau qui se resserre dangereusement menace la souveraineté alimentaire. Il dit à quel point le capitalisme n’a aucune morale, ne pense qu’en termes de marchandisation, même quand il s’agit de la vie, du vivant.

     

    Le marché des semences est évalué à quelque 200 milliards de dollars dans le monde. À les laisser faire, les multinationales n’hésiteront pas un instant à mettre la main sur cette manne. Surtout si, en plus, elle leur permet de soumettre les paysans, de contrôler l’alimentation et d’exercer une domination sans partage. Rien n’est joué, évidemment. La négociation vient à peine de s’ouvrir. Elle va durer, sans doute au delà des élections européennes et pourrait s’inviter dans la confrontation électorale. Si l’information circule, le débat s’instaure, les citoyens s’en mêlent, alors, les jeux ne sont pas faits. En 1998, la France a fini par dir non à l’AMI. Le mouvement social était puissant, le débat politique enfflamé. La gauche était alors au pouvoir.

     

    Libre-échange : les compagnies guettent le brevet

    M.-N. B.

    Les négociations de l’accord transatlantique réserveront une large place à la protection de la propriété intellectuelle.

    L’accord de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis influencerat-il les futures décisions européennes en matière de brevetage ? L’histoire, évidemment, n’est pas encore écrite. On peut, toutefois, en deviner les grandes lignes au vu du mandat que s’est fixé l’Europe. Révélé la semaine dernière (lire notre édition du 17 juin), le mandat de négociation fixé pour l’Europe consacre tout un chapitre au sujet. L’accord final, est-il indiqué, « devra refléter les principales valeurs des deux parties concernant la protection de la propriété intellectuelle et se fonder » sur leur dialogue « dans ce domaine ». Alors que l’objectif global de ce même accord vise à éliminer tout obstacle au commerce, entre autres réglementaire, beaucoup redoutent qu’en matière végétale l’alignement ne se fasse à la faveur du système américain, à savoir le brevet. Monsanto et Syngenta, plus grosses compagnies mondiales de l’agrochimie, y ont tout intérêt. Les majors européennes aussi, qui mettent déjà en oeuvre les stratégies ad hoc. Ainsi l’allemande BASF est-elle titulaire d’un brevet européen qui couvre des séquences génétiques codant des protéines conférant aux plantes une résistance à la sécheresse, à la chaleur, au froid ou à la salinité. Lesdites séquences sont susceptibles d’être introduites dans de nombreuses plantes – citons le maïs, le seigle, l’avoine, le blé, le riz, l’orge ou encore le soja. On appelle cela un enchevêtrement de brevets, et il en existe plusieurs. Les industriels, toutefois, ne les font pas encore valoir pour droit. D’aucuns y voient une façon de se garder sous le coude les gènes nécessaires au verrouillage du marché. Et de les sortir le moment venu.

     

    « Le brevet sur les gènes natifs est un frein au progrès »

     

    POINT DE VUE

    CHRISTIAN HUYGHE, DIRECTEUR SCIENTIFIQUE ADJOINT AGRICULTURE DE L’INRA.

    « L’Inra a adopté une position claire sur le brevetage des gènes natifs : nous y sommes opposés. À l’inverse, nous soutenons le certificat d’obtention végétale (COV, lire ci-contre). Ce dernier, même s’il a des défauts, favorise un travail d’amélioration continue des variétés végétales. Il autorise, par exemple, un sélectionneur à croiser deux variétés de blé inscrites pour en créer une troisième, répondant à un besoin nouveau, sans rien avoir à payer aux détenteurs des variétés originales. Cela encourage le progrès. Le brevet, non : il oblige à verser une redevance aux propriétaires des semences. Or, si vous devez payer à chaque fois que vous croisez des semences, vous finissez tout simplement par ne plus le faire. De fait, le brevet sur les gènes natifs est un frein net au progrès. Les États qui ont opté pour le COV affichent des progrès génétiques considérables, d’autant que ce système s’accompagne, via les processus d’inscription au catalogue officiel, d’un travail en amont permettant à la recherche, aux pouvoirs publics, aux utilisateurs d’orienter les améliorations visées. Nous définissons des objectifs pouvant porter sur la valeur alimentaire d’un produit répondant, par exemple, à un besoin de l’utilisateur – l’agriculteur – et nous demandons à l’obtenteur – le semencier – d’y répondre. Cela permet une forte régulation par l’État. En France, dans les années soixante-dix, presque toutes les variétés de blé étaient fourragères. Nous affichions une forte production, mais elle restait très peu planifiable. Aujourd’hui, 75 % de notre blé est de qualité boulangère supérieure. Avec un système de brevet, cela n’aurait pas été possible : nous aurions réagi en fonction de la puissance du marché. Pour finir, le système de brevetage revient à s’approprier des gènes natifs sur lesquels la recherche aurait potentiellement pu travailler. »

    http://www.humanite.fr/environnement/dans-lhumanite-ce-lundi-libre-echange-et-privatisa-54499

     


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  • dimanche 14 avril 2013

    Même le lait est coté en bourse : Flambée du prix du lait en poudre

     
      il va manquer entre 3 et 5 millions de tonnes de lait" cette année dans le monde
    "Au-delà de 3.000 euros la tonne, on rentre dans une zone problématique". Certains pays comme le Nigeria ou l'Algérie, risquent ne pas pouvoir suivre. Et dans toute l'Asie, on peut craindre de se mettre à manquer.

    Quand mettrons nous fin à la spéculation sur l'alimentation... et au gaspillage des terres cultivables. Les marchés affament la planètes.

    Entre sécheresses et scandales, razzia mondiale sur les laits en poudre
     
    Le prix du lait repart à la hausse sur le marché mondial suite à une forte sécheresse chez les principaux exportateurs. Au point d'inquiéter l'Asie et surtout la Chine et d'alimenter de petits trafics de boîtes de lait pour bébé.
     
    Le manque d'herbe pour alimenter les vaches néo-zélandaises va se payer cher dans le biberon car les vertes collines australes exportent 90% de leur production.
     
    Or à ce stade, la collecte de lait est en baisse de 7% environ depuis le début de l'année, indique l'économiste Gérard You, spécialiste des marchés laitiers à l'Institut de l'élevage à Paris: à la louche, estime-t-il, "il va manquer entre 3 et 5 millions de tonnes de lait" cette année dans le monde.
     
    "Cinq pays ou régions assurent 80 à 85% des ventes mondiales: dans l'ordre, Nouvelle-Zélande, Union européenne, Etats-Unis, Australie et Argentine" explique l'expert. Or tous, pour des raisons climatiques ou de choix, connaissent des situations difficiles sur le premier trimestre 2013.
     
    L'Argentine cumule des excès climatiques (sécheresse et pluies) alors qu'elle a converti certaines prairies à la culture, juteuse, du soja. L'UE aussi voit sa collecte baisser - malgré les difficultés des éleveurs français à obtenir des hausses de prix.
     
    "Parler de pénurie, c'est un peu fort, mais l'effet sur les cours est certain" ajoute M. You, qui envisage une hausse de "25% voire davantage" sur l'année.
     
    Déjà, les volumes d'enchères sur la plateforme internationale GlobalDairyTrade, lancée par le géant néo-zélandais Fonterra, ont augmenté de 33% en six semaines, prévient-il.
     
    La poudre de lait maigre en provenance de Nouvelle-Zélande se vendait vendredi autour de 4.000 euros [la tonne ](5.100 dollars), en hausse de 60% depuis le début de l'année: de quoi inquiéter l'Asie qu'elle ravitaille, en particulier la Chine traumatisée par les fraudes alimentaires depuis le scandale du lait à la mélamine, en 2008, qui avait tué six bébés et affecté 300.000 autres.
     
    Nouveau scandale fin mars, avec près de 25 tonnes de lait en poudre frelaté saisies dans l'est du pays.
     
    "2008 a constitué un tournant. Les importations de poudre de lait ont été multipliées par 4 depuis: les marques étrangères, c'est une garantie de sécurité malgré un prix supérieur d'un tiers à l'équivalent local", indique Jean-Marc Chaulet à l'Institut de l'élevage, spécialiste de la Chine et éditeur d'une lettre spécialisée, Idele-Chine.
     
    La Chine est devenue en quelques années le premier marché mondial du lait manufacturé, qui tournait en 2012 autour du million de tonnes en poudre, entres les poudres et le lactosérum.
     
    Entre la peur de manquer et celle des contrefaçons, les touristes chinois en Europe se sont mis à dévaliser les rayons pour rapporter des boîtes de lait infantile: le phénomène, observé ces jours-ci à Londres, semble toucher désormais Paris, surtout les quartiers proches des Grands magasins.
     
    "Les Chinois cherchent à s'approvisionner directement dans les pays occidentaux via les voyageurs, chinois ou étrangers", rapporte Gérard Calbrix, économiste de l'ATLA, l'association des industries laitières françaises.
     
    Mais les familles s'approvisionnent aussi par internet, auprès de sites, australiens notamment, qui se chargent également d'expédier le lait par colis postaux en Chine. Et le trafic passe aussi par les voyageurs du train entre Hong Kong et la Chine continentale. "Au point que les autorités chinoises ont limité les quantités de lait qu'ils peuvent rapporter et les fouillent dans les trains".
     
    Cette razzia sur le lait disponible, sur fond réel de baisse de la collecte mondiale, va finir par poser problème.
     
    "Au-delà de 3.000 euros la tonne, on rentre dans une zone problématique", prévient Gérard You. Certains pays comme le Nigeria ou l'Algérie, risquent ne pas pouvoir suivre. Et dans toute l'Asie, on peut craindre de se mettre à manquer.
     
    Science et Avenir


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  •   Agriculture - OGM | le 9 avril 2013

    Ces précieux pollinisateurs que l’on éradique

    Les abeilles domestiques ou mellifères et les abeilles sauvages exercent un rôle majeur dans la production de notre nourriture. D’autres insectes tels que les papillons et les mouches font aussi un précieux travail de pollinisation.

    Bees on a Honeycomb in the Netherlands<br />
Bijen op een Honingraat

     

    Sans eux, les hommes et de nombreuses espèces animales seraient privés d’une partie des aliments constitutifs de leur régime de base. La production mondiale de nourriture dépend à 35% des insectes pollinisateurs. Sur les 100 espèces végétales qui fournissent 90% de la nourriture dans le monde, 71 dépendent des abeilles pour leur pollinisation. 4000 variétés de légumes cultivés en Europe n’existeraient pas sans le travail assidu des abeilles.

    Depuis quelques années, on observe dans le monde entier un déclin massif des abeilles

    Les principales raisons du déclin des abeilles sont multiples : des parasites et maladies comme l’acarien Varroa ou le champignon Nosema ceranae, la disparition des biotopes, les dommages liés aux insecticides et de manière générale, une diminution des résistances immunitaires.

    Un focus particulier doit être fait sur les pesticides

    Greenpeace publie aujourd’hui un rapport intitulé Le déclin des abeilles qui propose une analyse des facteurs mettant en péril les pollinisateurs et l’agriculture en Europe.

    Les pesticides employés principalement dans l’agriculture mais aussi dans les jardins et les parcs affectent les abeilles.
    Les fabricants eux-mêmes ne nient pas qu’un contact direct avec ces produits est extrêmement toxique pour les abeilles. Même exposées à de faibles doses mais de manière constante, les effets sont ravageurs. C’est-à-dire que les abeilles sont non seulement affectées lorsqu’elles sont exposées régulièrement à de faibles doses de pesticides, mais aussi lorsqu’elles sont en contact avec leurs résidus dans le nectar, le pollen et l’eau des plantes de cultures et autres végétaux.

    Les pesticides dits systémiques sont particulièrement dangereux pour les abeilles, car ils ne sont pas seulement pulvérisés sur les végétaux mais pénètrent dans toute la plante. En font partie les insecticides de la classe des néonicotinoïdes utilisés depuis le milieu des années 90 en traitement prophylactique sur les semences ou les sols ou pulvérisés directement sur les cultures. Les néonicotinoïdes sont cent fois plus toxiques que d’autres insecticides. Un seul grain de maïs enduit de 0,5 mg de clothianidine peut tuer 80 000 abeilles.

    Greenpeace révèle dans ce rapport les sept pesticides tueurs d’abeilles qui devraient être interdits en priorité en Europe en raison de leur extrême toxicité pour les abeilles. Il s’agit de l’imidaclopride, du thiaméthoxame, de la clothianidine, du fipronil, du chlorpyriphos, de la cyperméthrine et la deltaméthrine.

    Il faut agir : dès maintenant et sur le long terme !

    Les abeilles sont beaucoup trop précieuses pour que les responsables politiques continuent à rester passifs face à leur déclin spectaculaire. Des mesures doivent être prises !
    D’abord, l’Union européenne doit agir immédiatement afin d’interdire durablement l’ensemble des pesticides les plus destructeurs pour les abeilles.

    L’interdiction des pesticides chimiques doit devenir la norme. Contrairement à l’agriculture conventionnelle, l’agriculture écologique n’utilise aucun insecticide chimique. L’élimination des mauvaises herbes se fait mécaniquement, la biodiversité est la norme. L’agriculture écologique utilise la diversification des cultures comme un outil pour combattre les dégâts des insectes nuisibles dans les champs.

    Il est également nécessaire de mettre en œuvre des mesures de promotion de la biodiversité sur les terres agricoles et de protection et de restauration des écosystèmes pour préserver l’environnement dont les abeilles et autres pollinisateur ont besoin pour vivre. En font partie: les haies, les jachères florales et les réseaux de biotopes.

    Les jardins et parcs naturels où poussent des espèces indigènes sont d’autres atouts. Il faut aussi renoncer aux pesticides chimiques dans ces espaces et favoriser une large biodiversité.

    http://agriculture.greenpeace.fr/ces-precieux-pollinisateurs-que-lon-eradique


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  • Requiem pour une lutte paysanne

    jeudi 21 mars 2013, par Bertrand Tappolet

    Dans « L’Hiver dernier », drame humain signé John Shank, résister, c’est d’abord un état d’esprit. Une manière de ne pas se soumettre, de refuser d’être assujetti à un ordre dont on ne veut pas, batailler pour la dignité et la fidélité à des valeurs, quitte à tout perdre.

    Johann (minéral et vibratile Vincent Rottiers) est éleveur de bovins dans l’Aveyron. Le visage indéchiffrable du jeune homme est une synthèse parfaite de l’ambition propre à la réalisation, à la fois pure surface de projection et vrai bloc d’étrangeté, tenant d’un équilibre incertain entre abstraction et ambition documentaire. Face à des collègues désireux de délocaliser une part de leur cycle productif en Italie et prompts à délaisser des approches de travail autonomes mais couteuses, il opte, seul contre tous, pour un idéal qu’il ne peut lui-même plus réaliser, faute de crédit bancaire notamment.

    Résister et attester de sa disparition

    Résister à l’apparente fatalité d’un exode rural, d’une délocalisation, reviendra alors à rencontrer, la tête haute, une fuite. Pour remettre en jeu sa propre existence. Il y a plus qu’une simple parade vitale en ce geste. Sean Penn dans son film Into the Wild, suggérait que le goût immodéré de la nature vierge et de l’isolement revient parfois à un désir de néant. C’est contre cette néantisation que lutte Johann avant de se retrancher en lui et s’évanouir au cœur du paysage. Eleveur dans la région et principal conseiller du tournage, Henri Mouret subsume le concret auquel il est confronté : « J’ai refusé l’outillage et les bâtiments modernes pour fuir les charges. Si j’avais marché dans le système, je serai obligé aujourd’hui de me séparer de la terre de mes ancêtres. Désormais, on ne rémunère plus les gens par rapport au travail fourni mais plutôt par rapport au capital qu’ils détiennent. »

    « J’appartenais à cette terre comme mon père à moi et son père avant. Elle m’a tout donné, elle m’a porté jusqu’ici », lâche le héros, en voix off, au cœur d’une pénombre amniotique. Résister comme on respire, car de souffles mêlés comme horizons intérieurs et rythmiques, le film n’en manque pas. Résister revient à défendre non plus simplement sa vie mais les valeurs sans lesquelles celle-ci ne mérite plus d’être vécue. « Au cours du récit, le personnage devient toujours davantage un objet, être matière, pareil aux autres éléments naturels, s’y fondant littéralement », relève le réalisateur. Davantage que des univers filmiques parfois primitivistes croisés chez Robert Bresson, Ermanno Olmi, Bela Tarr, ou au gré du Jeremiah Johnson signé Sydney Pollack, on se souvient alors du cinéaste belge Bruno Dumont. Qui a construit son opus, L’Humanité, autour d’un « corps pensant », dont les actes et paroles se réduisent à l’essentiel, au prosaïque, mais dont le corps et les yeux ne cessent de crier, de supplier.

    Le réalisateur est un arpenteur du « drame rural », dès ses courts-métrages, Les Mains froides (un bambin se confronte à la mort par le cadavre d’un agnelet), Un Veau pleurait la nuit (un fils fermier et son père agonisant). L’Hiver dernier voit un homme âgé (prodigieux Michel Subor), qui bénissait jadis la nature et les êtres vivants lors d’une fête orageuse. Il voulait faire évoluer la coopérative, pour assurer la survie de tous. Assis aujourd’hui sur son lit et condamné à une fin rapide, il confie à Johann : « Tout est pourri de l’intérieur. Où ils sont mes fils ? Moi aussi j’ai donné toute ma vie, comme mon père. Je voulais aider, c’est tout. Pourquoi tu te poses comme un roc ? Pourquoi tu laisses pas aller le monde à son rythme ? » De manière étonnante, le cinéaste fait de l’émotion dans la souffrance un point de rencontre où exigence et responsabilité s’inscrivent à même le corps. Il y a dans cette séquence, qui réunit les deux hommes de générations et projets de production contrastés, un lien éthique profond dans la proximité des corps, dans le souci commun d’avoir à vivre et à mourir sous la menace de périr. Cette dimension interroge à l’heure des délocalisations et fermetures de sites productifs partout en Europe. Cinéaste humaniste au même titre que Jean Renoir et Laurent Cantet (Ressources humaines), il n’est pas question pour John Shank de proposer une vision duale, manichéenne de l’Homme. Montrer l’humain, c’est aussi parler de ses nuances, exposer les incohérences de chacun.

    Sens en éveil

    Le réalisateur invente des ilots de sensorialité où le tumulte du monde cesse un instant pour laisser pénétrer le plein jour de la vie. Face au monde trop lisse de la globalisation, qui se dérobe à sa prise, Yohann éprouve le désir de renouer étroitement le contact avec ses bêtes. En témoigne la scène élégiaque en pleine nature illuminée comme une toile de peintres paysagistes américains du 19e s., où il écoute l’animal qui va mettre bas, sent ses sabots. Plus loin, il y a cette sœur (Florence Loiret Caille, impressionnante d’hébétude) que l’on dirait autiste. Et dont il va vouloir, un temps, s’occuper du corps en catatonie alors que tout semble se déliter et se perdre pour lui. Au-delà de ce refus déroutant de l’irréversibilité du temps, on songe à ces mots du poète activement engagé au sein de la Résistance, « école de douleur et d’espérance » pendant l’Occupation, René Char : « J’aime qui m’éblouit puis accentue l’obscur à l’intérieur de moi ».

    Fermez les yeux, imaginez une vaste lande neigeuse battue par les vents tour à tour virevoltants, lointains puis terriblement proches. Et au milieu de ce paysage neigeux trempé d’une atmosphère bleue pétrole, un homme se détache lentement de la matière de l’image, et sur cette colline si large que seule une voix off bien distincte peut y tenir, on entend le protagoniste principal, un fermier, Yohann. « Dormir. Dormir. Puis me réveiller au matin avec les premiers rayons du soleil. Comme quand j’étais petit. » Aux yeux du réalisateur, « l’idée du sommeil et de l’enfance sont clairement reliées. C’est l’aspiration à pouvoir être bercé, tenu, contenu dans quelque chose qui apaise. Au début, le personnage met en exergue une dimension qui participe de la nécessité de sortir de l’enfance, devoir naître et partant de disparaître, ce qui est l’un des conflits premiers de tout humain. Biologiquement il est né au monde et aimerait peut-être quelque part, même en sachant que ce n’est plus possible être un enfant et dormir paisiblement. »

    Enfance perdue

    Tout au long de L’Hiver dernier, l’enfant est peut-être ce compagnon, visible ou invisible, dont les signes de reconnaissance et ne réduisent pas l’enfant à un souvenir. Ils n’empêchent ni la part de l’ombre ni le sentiment de la solitude, ni la certitude de la séparation. Sa présence en lui et à côté de lui est vécue par le jeune comme une énigme et une réalité qu’il laissera à la fin sur une route empaumée dans un voyage sans retour. Qu’il se cache de celle qui l’aime avant d’observer de loin ceux qui enlèvent ces bêtes et de se recroqueviller dans l’étable désertée, Johann n’aura de cesse de vérifier cette pensée de Hegel : « les enfants sont la mort des parents. » A la fois démiurge au sein d’une économie globalisée où tous vont le lâcher au sein de la coopérative, celle des idéaux paternels mis en brèche par une paysannerie laminée par l’impossibilité de vivre de ses élevages et de payer leurs cotisations.

    Rien n’à avoir ici avec les souvenirs des terres de l’enfance. La trajectoire du personnage principal ne se réduit pas à la quête volontaire d’une survie, à la songerie nostalgique d’un vécu ancien. Mais il se vit plutôt comme un surgissement de « blocs perceptifs » où le passé mort et « l’enfantôme » qui nous habite trouvent une autre expérimentation et même un avenir. Ainsi la scène dans le lit où un enfant demandant à l’autre plus âgé de lui raconter une histoire se voit rétorquer simplement : Dors. « Autre élément qui rapporte à ce désir. Non de félicité absolue, mais de soif d’enfance encore présent chez un adulte », souligne John Shank.

    On retient la façon de filmer des gestes, les respirations nocturnes, les souffles diurnes, le lien entre l’homme et ses bêtes. Ancré dans le réel et l’actualité sociale contemporaine, le travail de John Shank, 27 ans, revêt néanmoins une forme poétique, opaque. Malgré la rude et abstraite existence des personnages, le film atteint une forme de sérénité, de plénitude, mais aussi de souffrance et de désespérance, butée. Fruste et parcellaire. Un film doux et puissant, tellurique, charnel, cosmique, où le moindre éclat de réel est magnifié par l’image du chef opérateur, Hichame Alaouié. On peut comparer L’Hiver dernier à Sokourov, qui a une manière singulière de distendre la réalité pour mieux la voir. Le cinéaste rejoint aussi les poètes français de l’image sensorielle, parmi lesquelles Claire Denis (L’Intrus) Philippe Grandrieux (Sombre) et Fabrice Gobert (série Les Revenants), tout en gardant un œil du côté des premiers Terrence Malick (La Ballade sauvage, Les Moissons du ciel). Il développe aussi un lien puissant à l’étrangeté atmosphérique soutenue par le groupe anversois Daau, aux compositions alambiquées et inquiétantes, et dont le nom fait référence au Loup des steppes de Hesse. On est parfois proche de la pose iconique du western, comme dans la scène du fusil tenu sur les épaules par Johann. Et le film de placer sa splendeur désolée, volontairement assombrie par intermittence, au service d’un témoignage infini de l’humain qui résiste.

    Bertrand Tappolet

    L’IMAGE ET LE SON EN VIBRATIONS

    Entretien avec le cinéaste John Shank.

    Dans la manière qu’a votre film de travailler la pénombre, les images émergeant lentement de l’obscurité, se déployant parfois aux lisières du visibles, rappellent l’approche sensoriel d’un cinéaste Philippe Grandrieux (Sombre, La Vie nouvelle, Un Lac). Pour ce dernier, qui n’hésite pas à tourner plusieurs dioptries en dessous de la normale ou à évoluer dans le flou amniotique, pour mieux voir, il faut moins voir.

    John Shank  : Comme spectateur, afin de mieux percevoir, j’ai besoin d’épurer l’image, d’en retirer des éléments. Aborder ici les paysages physiques, humains et réalités d’un point de vue sensoriel est une nécessité. Afin de sentir, l’on ne peut tout voir. Lorsque l’on voit tout, on perd une part de ses sens. Enlever pour mieux voir, c’est focaliser le regard sur quelque chose. Il faut aussi demander au spectateur d’aller chercher dans l’image. Ainsi ne pas lui donner l’ensemble du visible et du perceptible immédiatement.

    De la première à la quasi dernière scène, Johann, le protagoniste principal, a une manière singulière de surgir puis de se fondre dans la matérialité du décor environnant.

    Ce sont des moments à la fois très écrits et dépendants des conditions de tournage. La dramaturgie de ce personnage apparaissant lentement de la brume est une manière d’emmener le spectateur, de lui dire : Faisons un pacte. Nous entrons dans un monde avec lui avant de se retrouver face à face, en espérant que le regardeur se trouve confronté à lui-même. Ou comment amener le spectateur vers le personnage dans une démarche physique de déplacement, de souffle réalisé à ses côtés. Par cet artifice, se dégage une manière de renouer le lien avec le spectateur.

    Dès le début, le sensorium mêle le vent et le souffle. La bande son mêle ainsi le microcosme et le macrocosme au cœur d’une plurisensorialité.

    Le long métrage a été réalisé grâce à des prises de sons en direct qui ont été par la suite reconstruits. Le début voit quatre plans successifs se déployer sur une construction sonore complexe et recherchée. On arrive ainsi dans espace baigné d’un grand souffle. Subitement, on se rapproche intensément de la respiration de Johann, le large soufflant mourant au cœur d’un plan large. C’est une question d’énergie et de sens.

    D’où l’essai d’emmener le spectateur avant tout par les sens, l’oreille, en particulier dans cette séquence d’ouverture. C’est la première manière de demander au spectateur de lâcher prise et d’aller juste sentir avec le rythme intime du film. Le vent final est le fruit du mixage de plusieurs en répondant ici au souhait d’une amplitude renforcée, là il est agressif, ailleurs plus doux. Partant, se dessine une dynamique qui, je l’espère, reflète la trajectoire intérieure du personnage. L’idée du vent correspond au spectateur qui est peut-être dans un processus d’identification avec le héros.

    Ainsi le vent raconte une histoire, tout comme les souffles des protagonistes excessivement présents. Nombre de respirations sont d’ailleurs refaites en postsynchronisation, variant de l’apaisement à l’affirmation. De fait, ce qui domine, c’est l’envie que le regardeur soit en contact avec le souffle, le vent.

    Les premiers mots en voix off du héros sont : « Dormir. Dormir. Puis me réveiller au matin avec le premiers rayons du soleil » Cela fait théâtral, dans le bon sens du terme. Comme quand j’étais petit ». Qu’en est-il de ce rapport au sommeil et à l’enfance.

    Un écrivain avançait en substance : « Si seulement la vie pouvait être comme le sommeil, faite de plaisirs simples ». Ou le sommeil associé à un plaisir simple alors que la vie n’est pas cet ordre. L’idée du sommeil et de l’enfance sont clairement reliées dans le film. C’est l’idée de pouvoir être bercé, tenu, contenu dans quelque chose qui apaise et permet un sommeil apaisant.

    Au début, le personnage met en exergue une dimension qui participe de la nécessité de sortir de l’enfance, devoir naître et partant de disparaître, ce qui est l’un de ces conflits premiers de Johann. Biologiquement il est né au monde et aimerait peut-être quelque part, même en sachant que ce n’est plus possible être un enfant et dormir paisiblement. En témoigne ailleurs la scène dans le lit où un enfant demandant à l’autre plus âgé de lui raconter une histoire se voit rétorquer simplement : Dors. Autre élément qui rapporte à ce désir. Non de félicité absolue, mais de soif d’enfance encore présente chez un adulte.

    Propos recueillis par Bertrand Tappolet

    L’Hiver dernier. Cinéma d’Oron, Oron-La-Ville. Jusqu’au 26 mars. Et sortie en DVD. Site : www.cccke.be/lhiverdernier

    http://www.gauchebdo.ch/?Requiem-pour-une-lutte-paysanne


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  • Agriculture

    La nouvelle politique agricole européenne sera-t-elle plus verte et plus juste ?

    Par Nolwenn Weiler (13 mars 2013)

    A quoi ressemblera la nouvelle politique agricole commune ? Votée par les députés ce mercredi 13 mars au Parlement européen, la nouvelle PAC va-t-elle rompre avec le modèle agricole actuel ? Instaurée en 1962, cette politique fondatrice de l’Union européenne s’est illustrée par des inégalités dans la répartition des aides, des encouragements à une agriculture polluante et coûteuse, ainsi que des primes à la concentration des exploitations. Les députés européens sont-ils prêts à changer la donne ?

    Ambiance électrique, ces derniers jours, au Parlement européen. Les députés doivent se prononcer ce mercredi 13 mars sur la réforme de la Politique agricole commune (PAC), premier budget de l’Union européenne, avec 55 milliards d’euros dépensés chaque année. Sera-t-elle plus verte et plus juste qu’avant ? C’est ce que réclament les membres d’Arc 2020, qui regroupe 120 associations et syndicats. Car la PAC, instaurée en 1962 pour sécuriser l’approvisionnement alimentaire du vieux continent tout en assurant un niveau de vie équitable à ses agriculteurs, n’a pas tenu ses promesses.

    Précarité et inégalités

    « Si, à un moment donné, en France au moins, on a dépassé le revenu moyen des salariés, on est aujourd’hui largement en dessous », rappelle Régis Hochart, mandaté par la Confédération paysanne au Conseil économique, social et environnemental (CESE), et auteur d’un rapport sur la future PAC. Les agriculteurs sont aujourd’hui davantage précarisés que les autres professions : 21 % d’entre eux sont pauvres, et vivent avec environ 800 euros par mois.

    La publication, à partir d’avril 2009, de la liste des bénéficiaires des aides PAC a par ailleurs mis en évidence que ceux qui touchaient les plus grosses sommes n’étaient pas des agriculteurs mais des coopératives ou entreprises du secteur agroalimentaire. La coopérative sucrière Tereos est ainsi la plus grosse bénéficiaire de subventions de la PAC en 2011, avec 178 millions d’euros, suivie par l’entreprise Saint Louis Sucre (144 millions d’euros), et le volailler Doux (56 millions d’euros), spécialiste de l’exportation de poulets congelés. Est-il pertinent que les aides de la PAC financent une entreprise actuellement en redressement judiciaire, avec une dette de 270 millions d’euros, et qui licencie des centaines de salariés ?

    Gérer les excédents

    La PAC de 1962 visait à « nourrir l’Europe ». Côté quantités, la politique agricole a plutôt bien réussi. Trop bien même. En assurant aux producteurs un prix d’achat garanti, la PAC a boosté en quelques années la productivité agricole, surtout pour le lait et les céréales. Dès le milieu des années 60, Sicco Mansholt, premier commissaire européen chargé de l’agriculture, a alerté les États-membres sur les risques de surproduction. En 1968, la Communauté économique européenne connait un surplus de lait et de viande bovine. Elle achète aux producteurs les excédents, et les stocke ou les transforme pour l’aide humanitaire.

    Nous sommes dans les années 1970, c’est la grande époque des montagnes de beurre et des carcasses jetées à la mer... Les partenaires commerciaux de l’Union Européenne se plaignent déjà de voir les produits excédentaires s’écouler à des prix bradés, perturbant les marchés mondiaux. En 1983, l’Union européenne (UE) décide de limiter les excédents en imposant les quotas laitiers et le gel d’une partie des terres cultivées.

    Des aides déconnectées de la production

    Dans les années 1990, avec les négociations du Gatt (préfiguration de l’Organisation mondiale du commerce), s’en est fini des prix garantis. Pour mettre fin aux « distorsions de concurrence », l’UE est tenue de modifier le système de la PAC. « Toutes les réformes se font sous pression internationale. Il n’y a pas de vision sur le projet du modèle agricole européen », précise Régis Hochart. Ces modifications se font aussi sous l’œil vigilant des Organisations professionnelles agricoles (OPA) : syndicats majoritaires, fabricants de matériel, vendeurs de produits phytosanitaires ou puissants groupements de gros exploitants… Tous se sont beaucoup enrichis grâce à la PAC et entendent bien continuer.

    Pour calculer le montant des aides, la France choisit la « référence historique ». Cumulée au principe du « découplage », qui déconnecte les aides versées aux agriculteurs du volume de la production, cette référence historique signe pour la France la mise en place (ou réintroduction) d’une véritable rente agricole. Éleveur dans les côtes d’Armor et pionnier de l’agriculture durable, André Pochon en explique le mécanisme : « Vous prenez les aides reçues en 2000, 2001 et 2002. Vous faites l’addition et vous divisez par trois. Cela vous donne le montant du droit à paiement unique (DPU)[des aides versées directement aux agriculteurs, ndlr] auquel vous avez droit. Ensuite, c’est ramené à l’hectare. Celui qui aura eu un bon pactole d’aides entre 2000 et 2002 pourra continuer à le toucher tranquillement. »

    300 000 euros d’aides pour certaines exploitations

    Les laitiers qui ont intensifié leur production, avec culture de maïs fourrager pour nourrir le bétail, se retrouvent très favorisés : les montants d’aide à l’hectare peuvent atteindre 800 euros. Ceux qui ont décidé de privilégier une production plus extensive, plus respectueuse de l’environnement, comme le maintien de surfaces en herbe par exemple, touchent 80 euros par hectare. Que faire pour remédier à ces inégalités ? « Il faut recoupler au maximum les paiements directs à la production, en y associant une régulation de la production et des mesures empêchant la sur-intensification », souligne ECVC, la coordination européenne de Via Campesina. « Il ne sera pas possible de maintenir un budget PAC important sans légitimité sociale. »

    Autre problème : le montant de ces aides n’est pas indexé sur les cours mondiaux. Résultat ? En 2010 et 2011, les prix des céréales se sont envolés (+ 30 % par an), alors que les céréaliers continuaient de recevoir d’importantes aides de la PAC. « On prévoit des revenus à l’hectare sans doute compris entre 500 et 700 euros en 2012 », relate Philippe Collin. Soit entre 100 000 et 140 000 euros par an, pour une exploitation. Une petite vingtaine d’exploitations touchent, chacune, plus de 300 000 euros d’aides PAC par an ! Plusieurs organisations françaises réclament un plafonnement des aides par exploitation à 100 000 euros pour tous les Etats-membres.

    Concentration des exploitations

    Il est possible de percevoir un énorme pactole sans rien produire, puisque les aides sont, avec le découplage, totalement déconnectées de la production. Seule obligation : ne pas laisser en jachère ses surfaces agricoles plus de deux ans. Ce système de paiement directement lié au foncier a accéléré le rythme de concentration et d’agrandissement des fermes : plus la surface d’une exploitation est importante, plus l’agriculteur reçoit des aides ! Ces dix dernières années, en France, le nombre d’exploitations a diminué de 25 %, tandis leur surface augmentait de 13 hectares en moyenne.

    Si la promesse de la PAC a été tenue pour la quantité de production, ce n’est pas le cas pour la qualité. 90 % des cours d’eau français sont pollués aux pesticides, en grande partie à cause de l’agriculture. Et d’importantes crises sanitaires ont eu lieu ces dernières années (crise de la vache folle, grippe aviaire), plutôt embarrassantes pour la crédibilité de la PAC. Les membres d’Arc 2020 militent pour que la PAC dispose d’un budget revalorisé avec une réelle vocation de développement rural. 

    L’avant-projet ne bouleverse pas grand chose

    Le projet retenu par la commission agriculture du Parlement européen (Comagri) à la fin du mois de janvier ne prévoyait pourtant pas de bouleversement majeur. Les subventions à l’exportation sont maintenues, le respect des directives sur la qualité de l’eau n’est pas obligatoire pour toucher des subventions, quant au « verdissement », il se fera sur une base volontaire. La Comagri propose par ailleurs que les montants des subventions et leurs bénéficiaires restent secrets. Et suggère qu’une partie de l’argent dédié au développement rural soit versé aux assurances privées, pour gérer les aléas climatiques ou économiques !

    Le Parlement européen, qui co-décide pour la première fois des orientations de la PAC, prête en général une oreille plus attentive aux revendications de la société civile que le Conseil de l’Union européenne (autre co-décisionnaire), qui réunit les représentants des États-membres. Une société civile de plus en plus organisée au niveau européen sur ces questions d’alimentation. Mais les lobbies économiques et les syndicats professionnels majoritaires, opposés à un changement de système, le sont aussi. On saura d’ici peu si l’Europe des citoyens et des consommateurs peut influencer ses élus.

    Nolwenn Weiler

    @NolwennWeiler sur twitter

    Crédit photo : Bio d’Aquitaine

    http://www.bastamag.net/article2629.html


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  • Salon de l’Agriculture: c'est pas la kermesse à Findus !

    Quand j’étais gamin, Charles de Gaulle étant à l’Elysée et Georges Pompidou à l’hôtel de Matignon, l’arrivée du cirque Pinder dans un village de France ou un quartier de grande ville était toujours accueilli avec ferveur. Sur un autre registre, en ce début de XXIe siècle, le Salon de l’Agriculture participe des animations attendues par les familles de la région parisienne.


    CHESNOT/SIPA
    CHESNOT/SIPA

    Quand j’étais gamin, Charles de Gaulle étant à l’Elysée et Georges Pompidou à l’hôtel de Matignon, l’arrivée du cirque Pinder dans un village de France ou un quartier de grande ville était toujours accueilli avec ferveur. Sur un autre registre, en ce début de XXIe siècle, le Salon de l’Agriculture participe des animations attendues par les familles de la région parisienne. On ira voir les vaches comme on allait voir les lions, étant entendu que les premières ont un caractère plus exotique que les seconds car beaucoup plus rares à la télévision. Il y aura bien quelques panneaux vantant les mérites folkloriques de nos terroirs et quelques stands où déguster un saucisson d’Auvergne et un fromage du Jura, mais, pour l’essentiel, ce sont les gigantesques panneaux à l’enseigne des groupes de l’industrie agro alimentaire qui constitueront LE MUST du décorum médiatique et financier de « la foire agricole », comme disaient ceux qui s’y croyaient chez eux. 
     

    Fut en temps, quand l’instruction était encore civique et le suffrage universel entendu par la classe politique, l’agriculture était le pendant de l’industrie, à savoir que la première gardait un visage humain pour préserver les paysages de la France alors que la seconde brillait par la technologie de ses architectures. Les deux mamelles de la France contemporaine aurait dit Maximilien de Béthune alias Sully. Las, depuis une dizaine d’années, lorsque l’on franchit les portes du Salon, on est aussitôt submergé et happé par la signalétique enrubannée des grandes enseignes de l’industrie agro alimentaire. 


    Ce n’est plus le forum des paysans cultivant la terre mais le symposium des fabricants de la malbouffe. On se croirait dans un hypermarché dont les rayons crèmerie, conserves, compote, plats cuisinés, produits surgelés etc, etc, occuperaient toute la (grande) surface du magasin. Comble du cynisme, jusqu’à l’an dernier, c’est « l’espace » Mc Donald, avec son clown jaune en effigie dominante, qui occupait tout le centre du pavillon élevage. Quand on sait l’impact désastreux que cette forme d’alimentation peut avoir sur les races bovines de tradition française on se dit que l’assassin revient toujours sur les lieux du crime.


    Le cheese burger au cul du charolais et le big mac sous la mère, tel est le concept de la grande manifestation rurale, comme pour mieux convaincre le citoyen que l’industrie du fast-food soutient la cause paysanne. Et lorsque le visiteur arpente les allées du salon à la recherche d’un troupeau de moutons ou d’une gerbe de blé, il lui faut franchir des barrières estampillées Cassegrain, Bonduelle, Andros, Lactalis,, Elle-&-Vire, Charal, Fleury-Michon, Danone, Carrefour, Monoprix, Auchan et Géant Vert, avec la bénédiction vénale de la FNSEA, avant de parvenir à sa petite étable reconstituée. Traverser autant de merde pour trouver une bouse, le raccourci est tentant. 
     

    Cette année, espérons que ce sera le patrimoine équestre roumain qui sera mis à l’honneur par les marchands de bonheur gourmand que sont Comigel et Spanghero. Dans le genre écurie des courses, gageons que Findus partira en pôle position. Si la terre ne ment pas, il y en a en revanche qui ne disent pas toujours la vérité. Messieurs les industriels de la ruralité humiliée, souillée, galvaudée, peut-être pourriez vous choisir un autre endroit que le salon de l’Agriculture pour montrer votre cul. Comme on dit par chez nous : « Allez faire ça ailleurs ».

    http://www.marianne.net/Salon-de-l-Agriculture-c-est-pas-la-kermesse-a-Findus-_a226799.html?preaction=nl&id=5927586&idnl=26944&


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  • Suppression des aides à l'exportation de poulet congelé:

    il ne faut pas sacrifier les salariés de l'agro-alimentaire breton sur l'autel de la concurrence "non faussée"

    Suppression des aides à l'exportation de poulet congelé

    Dépôt de bilan et fermeture de sîtes chez Doux, suppressions d'emplois à Boutet-Nicolas, menaces extrêmement sérieuses sur l'avenir de Gad à Lampaul-Guimiliau (1000 emplois) qui avait un CE extraordinaire la semaine passée, fragilisation de la filière avicole avec la décision de la Commission européenne de supprimer les restitutions pour l'exportation de poulet congelé au Moyen-Orient, des aides qui représentaient 20% du produit des exportations et permettaient de réduire le prix de vente pour être concurrentiels face aux industries agro-alimentaires brésiliennes, américaines, thaïlandaises, vietnamiennes, moins sourcilleuses sur les règles environnementales et le bien-être animal et faisant travailler des salariés moins bien payés: va t-on vers une catastrophe économique et sociale de grande ampleur touchant tout le secteur agro-alimentaire breton, comparable peut-être en termes de conséquences humaines dramatiques à la desindustrialisation du nord-est de la France dans les années 1980?     

     

    Dans ce contexte très tendu, il peut apparaître irresponsable de la part de la Commission Européenne de supprimer brutalement les restitutions qui permettent à Tilly-Sapco et Sauvaget, engagés depuis longue date dans l'export de volaille congelée, de réduire le différentiel de compétitivité avec leurs concurrents non-européens. En octobre 2012, on est passé de 32,5€ de restitutions pour 100 kg exportés à 21,70€ et en janvier de 21,70€ à 10,85€/ 100kg, avec une suppression annoncée de ces aides à l'exportation dans quelques mois.

     

    La pression mise sur les abattoirs se répercute, en particulier pour les pourvoyeurs de Doux, par une baisse drastique des contrats passés avec les éleveurs, qui craignent de vendre des poulets à un prix inférieur au prix de revient.

     

    Certains peuvent se féliciter de cette suppression des aides à l'exportation.

     

    Les libéraux puisqu'elle a fait l'objet d'un accord au nom de la "concurrence libre et non faussée" dans un sommet de l'OMC en 2005 entre l'UE, les Etats-Unis, le Japon, qu'elle va dans le sens de la refonte de la PAC et des économies budgétaires (70 millions à 80 millions d'euros par an y étaient consacrés).

     

    Quand on est préoccupé d'écologie et de progression d'une agriculture paysanne et biologique relocalisée, ce qui est notre cas au Front de Gauche, on peut dire que ça affaiblit et oblige à réorienter un "modèle" agricole breton productiviste, hyper-concentré, tourné vers le quantitatif, le bas de gamme, les marchés extérieurs, coûteux pour l'environnement, l'agriculture vivrière des pays du sud, voire la santé publique.

     

    Petit bémol toutefois: les poulets entiers congelés Tilly ou Doux font l'objet d'une traçabilité et de contrôles dont ne peuvent se prévaloir les morceaux de poulet destinés à la restauration collective et aux plats préparés que commercialisent à moindre coût les Allemands, les Belges et les Néerlandais. Le Moyen-Orient ne bénéficie pas de conditions écologiques et climatiques pour produire lui-même ses poulets: et quasiment toute la production à l'export de Doux et Tilly y est destinée. Ce sont les concurrents américains ou asiatiques de Tilly et Doux qui prendront le marché si les entreprises bretonnes n'ont plus les moyens d'offrir des prix attractifs... Et ces industries concurrentes ne sont pas plus vertueuses écologiquement et socialement.   

     

    Sur un plan politique, on peut condamner les restitutions en disant que c'est une manière de rémunérer des capitalistes sans contrepartie exigée sur le plan social et écologique et, en effet, pendant des dizaine d'années, la fortune de Charles Doux ou de Tilly s'est nourrie de ces aides publiques européennes. Pourtant, dans le contexte actuel, la fin des restitutions risque de fragiliser dangereusement, voir de condamner les abattoirs de volaille bretons, les éleveurs, les transporteurs et tous les emplois corrélés à cette filière. Avec combien de salariés et de travailleurs sur le carreau? Et quelles solutions de rechange pour eux?     

     

    Le problème est complexe. Mais il y a une urgence humaine qu'il faut prendre en compte.   

     

    Ces restitutions ne sont pas des subventions pour maintenir des emplois mais des aides versées aux industriels qui exportent de la volaille congelée pour qu'ils soient compétitifs et puissent maintenir des prix attractifs par rapport à la concurrence brésilienne, américaine, vietnamienne, chinoise, en particulier sur les marchés arabes.

     

    En Europe, seuls deux industriels, finistériens tous deux, Doux et Tilly, exportent du poulet congelé, ouvrant droit jusqu'ici à restitution. A l'origine, ces restitutions étaient des moyens pour compenser le prix élevé des céréales payés pour nourrir les animaux en Europe. Aujourd'hui, seule l'exportation de volaille congelée vendue entière en bénéficie, à l'exclusion de la volaille congelée de nos concurrents européens intégrée dans des produits transformés, qui gagne sans cesse des parts de marché en Europe, à tel point que la France, qui n'importait que 10% de ses poulets consommés il y a quelques années, en importe aujourd'hui 40%.

     

    Actuellement, ces restitutions sont vitales pour que leurs activités ne soient pas déficitaires. En 2010, Tilly présentait des comptes à l'équilibre (sans bénéfice) avec des restitutions à 320€ la tonne. Depuis le 18 janvier dernier, elles ont été réduites à 108€ la tonne et elles seront nulles dans quelques mois.

     

    Pourtant, ces deux industriels du poulet congelé destiné à l'exportation qui touchaient 80 millions d'€ d'aides publiques européennes via les restitutions génèrent 5000 emplois directs dans la région tandis que les céréaliers français, qui représentent 36000 emplois, touchent 6 milliards d'euros d'aides européennes. Au prorata montant des aides/ emplois maintenus: il faudrait que les céréaliers génèrent 600 000 emplois en France pour avoir le même rendement en termes d'emplois associés que les aides à l'exportation à destination de la filière avicole.

     

    Si une entreprise comme Doux s'écroule complètement, c'est 3400 emplois salariés qui sont directement menacés, et 15 000 emplois induits en Bretagne (transporteurs, éleveurs, manutentionnaires) qui sont touchés... Les exportations de Doux représentent 30% du trafic du port de Brest.   

     

    A Tilly, il y a actuellement 350 emplois en CDI, 30 intérimaires et depuis 2006, après le dépôt de bilan d'UNICOPA assorti de 250 suppressions de postes, le repreneur Daniel Sauvaget a fait un vrai effort pour employer les restitutions et les bénéfices à mieux payer les salariés, à mieux les former, à maintenir des emplois. 12 millions d'euros ont été consacrés à cela. La conditionnalité obtenue par les représentants du personnel du Conseil Régional des abandons de créances contractées du temps d'Unicopa a permis ce résultat que les bénéfices servent depuis 2006 à l'investissement, au plan de formation, au relèvement du pouvoir d'achat des salariés, à la sécurisation de l'emploi. Les conditions de travail en abattoir ne sont toujours pas faciles mais elles se sont améliorées depuis 2006, semble t-il.  

     

    Qu'est-ce qui a joué contre le maintien des restitutions?

     

    Les Allemands qui produisent de la volaille fraîche très compétitive en aidant indirectement l'exportation par des abaissements de TVA et en employant de la main d'œuvre sous-payée se félicitent de fragiliser ainsi par la baisse des aides publiques européennes la filière avicole française, alors que la France importe actuellement 40% de sa volaille.

     

    Peut-être qu'avec moins de libre-échange, plus de protectionnisme, il y aurait une demande intérieure pour faire tourner nos élevages et nos abattoirs bretons. Actuellement, ils sont naturellement en difficulté face à la concurrence mondiale quand on sait que le salarié brésilien est payé 4 fois moins cher que le salarié français et que leurs industries agro-alimentaires exportatrices sont aidées par l'État qui dispose en outre d'une réserve de terres quasi infinie pour la production des aliments d'élevage.

     

    En France, des hommes politiques de gauche et des écologistes condamnent avec raison le gâchis et l'immoralité des aides publiques absorbés par les profits financiers des industriels et des actionnaires sans contrepartie au niveau de l'investissement, de l'emploi, des salaires. Doux est dans ce cas, qui ferme des activités au moment même où il continue à goinfrer ses actionnaires (la banque Barclays entre autre) d'aides publiques européennes en se vantant de produire pour produire et toucher davantage d'aides à l'exportation. La mauvaise politique du groupe Doux, son irresponsabilité, aura sans doute été ce qui a précipité la remise en cause sans délai du système des restitutions, qui existe depuis une trentaine d'années dans le cadre de la PAC.

     

    Seulement, dans le contexte actuel, sans restitutions, ces abattoirs, les éleveurs qui les alimentent, les transporteurs, les emplois induits s'écroulent. A Tilly, on passe de 20 millions d'euros d'aides environ à 400 000 euros de crédit d'impôt compensatoire à la fin des restitutions de l'État. Des clopinettes....

     

    L'avenir de l'emploi sur place est donc menacé, quand on sait qu'aux 380 emplois directs sont aussi associés à des emplois induits (deux à trois fois plus). Or, la situation économique de la région est loin d'être rose. Les salariés de Tilly, qui ont 47 ans en moyenne, n'ont pas beaucoup de qualifications, même si la formation professionnelle s'est améliorée, sont usés physiquement par la dureté des conditions de travail dans l'agro-alimentaire, vont-ils facilement retrouver un job dans le Finistère où les Côtes d'Armor dans le contexte actuel, avec 15% de chômeurs? Et on pourrait en dire autant des salariés de GAD, très inquiets sur leur avenir, et bien sûr de ceux de Doux.

     

    Ce système des restitutions était insatisfaisant puisqu'il ne s'accompagnait pas d'exigences en retour par rapport aux salaires, à l'emploi, à la formation, à l'investissement, ni de droit de contrôle des salariés, qu'il ne concernait que les industriels et non tous les acteurs de la filière. 

     

    Pour exemple, à Doux, les salaires sont gelés depuis 5 ans et on continue à distribuer de l'argent aux actionnaires alors que tout va mal.

     

    Il perpétuait les inconvénients de l'agriculture productiviste et surtout de son hyper-concentration en Bretagne.

     

    Mais en même temps, la Bretagne s'est construite et développée avec l'élevage hors-sol souvent par défaut, faute d'autre développement agricole ou industriel possible dans les années 60-70, et grâce à l'atout de ses ports, et aujourd'hui, on a pas de solutions alternatives immédiates à proposer aux salariés menacés de perdre leur emploi.

     

    Au-delà de la construction souhaitable d'un nouveau modèle économique et agricole plus vertueux socialement et écologiquement,  il y a  la réalité de milliers de personnes travaillant dans la filière aux emplois menacés à prendre en compte de manière prioritaire.

     

    Préparer l'avenir certes, par une planification écologique, une relocalisation progressive, une diversification agricole et le développement d'une agriculture de meilleure qualité. Par une refonte des filières, une meilleure protection contre le dumping social et la concurrence internationale.

    Mais aussi penser aux ouvriers, éleveurs et salariés d'aujourd'hui que la crise de l'agro-alimentaire breton plonge dans le désarroi et l'incertitude du lendemain, qui vont être des milliers à perdre leur gagne-pain.

     

    Le 16 février 2013, l'intersyndicale de l'agro-alimentaire organise une réunion-débat à Chateaulin sur les difficultés de la filière en y invitant tous les acteurs, salariés et citoyens qui se sentent concernés. 

     

    Ismaël Dupont.  

    http://le-chiffon-rouge-pcf-morlaix.over-blog.com/


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  • Paysans d'aujourd'hui un métier en sursis , un métier ou une passion , un idéal , une mission . Mais qui meure l'agroalimentaire et les banques en sont les fossoyeurs au sens propre ... hélas , en Auvergne un Suicide par semaine , pendant ce temps les agri-managers plastronnent en costar cravate à la tête de leur"organisations professionnelles"

    Décembre est là et bien là , le froid , la neige l'humidité  font de ce dimanche un jour  triste et gris , le cloaque ambiant me pousse à la méditation , bien grand mot en vérité , depuis quelque temps je réfléchis   avec mon cerveau de paysan qui forcément est limité dans son vagabondage , limité par le savoir  ,que ,seule l'école communale puis professionnelle m'ont donné , le reste c'est l'école de la vie qui y a pourvu .
     J'ai du mal , de plus en plus de mal à admettre le cinéma que nous font tous ces vendeurs de pensées , tous ces laveurs de cerveaux , qui , si nous n'y prenions garde , nous feraient prendre "des vessies pour des lanternes "  ;ainsi donc la droite a trouvé un moyen infaillible de monopoliser les médias avec leur série à deux balles , UMP , RUPM.... COCOE,  enfin heureusement le ridicule ne tue pas ... 
    Pourtant pendant ce temps des milliers de gens vivent dans les rues , et il fait froid , il pleut , il neige , ces gens en ont perdu leur statut d'êtres humains , quand l'un de nos frères des rues meure , tout juste un entrefilet "un SDF retrouvé sans vie" , si l'un de ces puissants "décède" nous avons droit à toute un litanie sur sa vie bien remplie  ; deux poids deux mesures dans la mort comme dans la vie .
     Mon âne et ma mule étaient heureux de me voir arriver ce matin avec le foin , le froid n'est pas de leurs goûts ! Les vaches ont couru aux cornadis manger leur ration . Combien de gens ne vont mangé de viande ni de fromage ce dimanche midi    , nous ne vivons pas de notre métier et eux ne peuvent se nourrir correctement  , et soi disant que personne ne s'enrichit  c'est les taxes qui disent ; elles ont bon dos , les taxes! En attendant les pauvres sont encore plus pauvres et les riches encore plus riches ; ces requins de financiers n'hésitent plus à jeter leurs traders sur les marchés  agricoles  , les céréales , la viande , le lait , sont pour eux des marchandises et rien d'autre , ce sont des criminels ces cons là!
     Le pouvoir a plié le genou comme d'habitude ! C'est encore les ouvriers qui vont faire les frais  de ces magouilles , Mittal doit se frotter les mains , je repense à JB Clément "Jusqu'à quand la sainte clique , Nous prendra t'elle pour un vil bétail ? "Les ouvriers de Florange doivent passer un mauvais dimanche le sentiment de trahison , d'abandon doit être énorme , pauvres gens va "l'argent va à l'argent " , nous ne sommes bon qu'à travailler et se taire  , pourtant c'est quand même le monde du travail qui créé les richesses  ,  je ne connais pas ces ouvriers , mais je suis en colère  ,comment peut t 'on ainsi abuser des gens qui ont tant de mal à boucler les fins de mois ..
    Bon je vais aller voir mes bêtes .... 
    Le monde est fou ou alors c'est moi ..
     

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  • Réflexion d'un paysan...


    Réflexion d'un paysan...

    Il y a quelques jours je me posais des questions sur la marche du monde ... Quand je regarde par la fenêtre , je vois nos vaches , les prés , le petit bourg de St Didier , son clocher , tranquille , j'allume la télé , les costumes impeccables des robes belles , des têtes qui parlent " glaciales" des frasques de la droites , du malheur de la Palestine ( qu'ils minimisent ) en nous présentant ces pauvres gens comme des terroristes ( mon père a dû en être un alors) puis ils nous parlent de Notre Dames des Landes ,impossible pour eux de comprendre ces gens qui luttent contre cet aéroport , d'ailleurs comment pourraient ils - nous ne vivons pas dans le même monde - et les voilà 'admiratifs , parler des exploits des nageurs ,des rugbymans , des joueurs de foots ,. je regarde dans la cour des poules viennent récupérés du grain perdu .
     Nous ne vivons pas le même monde .
     Des élus en costumes viennent leur expliquer ce que les français attendent - un président pour l'UMP - mon voisin arrive ,il vient de recevoir son décompte de retraite 754€ par mois , lui ,je sais ce qui l'inquiète , ensemble nous regardons mon gamin qui arrive je sais que je ne peux pas lui donner l'avenir que j'aurais voulu , jeune paysan sans un sous il se bat tous les jours pour exister ... L'UMP va perde beaucoup d'argent , la scission est proche , les israéliens viennent d’abattre un citoyen palestinien et en blesser 19 autres , à Bruxelles ils parlent de milliards d'euros de budget "la PAC" ,nous venons de perdre un veau la pauvre bête attend l’équarrisseur, propre , nous le protégeons pour ne pas abîmé son corps , un reportage sur l'Afrique nous montre des cadavres de gens assassinés par des groupes armés, déchiquetés baignant dans leur sang , la présentatrice impeccable , le sourire aux lèvres annonce la météo ... 

     
    Le monde est fou , ou alors c'est moi.

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  • Le crépuscule des paysans. Texte paru dans le journal Marianne du 20 octobre 2012.

    Le crépuscule des paysans

    Vendredi 26 Octobre 2012
    Les 15es Rendez-vous de l'histoire de Blois ont été consacrés au monde rural, en proie à des bouleversements sans précédent. Rencontre avec le sociologue Jean-Pierre Le Goff, qui publie «la Fin du village».

    GUTNER/SIPA
    GUTNER/SIPA
     
    Paysans ! Longtemps, le mot même fut une insulte. Gambetta, en 1871, pensait ainsi qu'ils étaient «intellectuellement en retard de quelques siècles sur la partie éclairée du pays». Il n'avait pas anticipé qu'ils seraient un jour au premier plan sur l'écran de nos regrets et de nos nostalgies.

    La modernisation de l'agriculture du siècle dernier n'est pas parvenue à effacer le mot - «paysans» - tant il est chargé d'histoire, de mémoire, et continue encore à rivaliser avec celui d'agriculteur. Ce n'est donc pas un hasard si Francis Chevrier, le directeur des Rendez-vous de l'histoire de Blois - dont Marianne est partenaire cette année -, a choisi ce beau mot pour son édition qui aura lieu du 18 au 21 octobre* et qui s'annonce très fréquentée. Les paysans nourrissent notre imaginaire, mais ils nourrissent aussi l'humanité. Le terroir et les «profils paysans» de Raymond Depardon nous enchantent, tandis que le destin de la planète cultive notre désenchantement. Cette année, la géographie comme la démographie et l'écologie seront donc les alliées naturelles de l'histoire rurale. Et la longue durée, sa condition. Le succès actuel de l'agriculture durable en est d'ailleurs le signe manifeste. Un point qui sera soulevé par la géographe Sylvie Brunel lors de sa conférence inaugurale. Et qui sera repris sous toutes ses facettes au cours de tables rondes aussi variées que contrastées, telles celles consacrées aux «révoltes paysannes», aux «paysans et la ville», à la politique agricole commune ou à la faim dans le monde.

    De quoi alimenter des échanges et des controverses passionnantes, que nous ouvrons quant à nous par un entretien avec Jean-Pierre Le Goff, lui aussi invité à Blois, pour son livre sur Cadenet, un village de Provence, où les paysans ont quasiment disparu.

    Marianne : Encore un livre sur la France rurale qui annonce sa disparition ! La Fin du village, ce n'est pas un titre très encourageant. Il fait penser à la Fin des paysans (1967), du sociologue Henri Mendras, ainsi qu'au merveilleux livre de l'historien Eugen Weber (1925-2007) qui traitait de la modernisation de la France rurale de 1870 à 1914, la Fin des terroirs (1983). N'y a-t-il pas d'autres moyens pour aborder la ruralité que de parler de sa fin ?

    Jean-Pierre Le Goff : Le mot «fin» permet de mettre en lumière le contraste manifeste entre une mémoire, un imaginaire qui perdure et la réalité. Depuis la seconde moitié des années 70, nous sommes dans un moment historique particulier que l'historien Pierre Nora a mis en lumière dans ses Lieux de mémoire. Nombre de Français se passionnent pour le patrimoine ou la généalogie. Ils se replient sur un passé largement idéalisé et mythifié qui n'a plus rien à voir avec leur mode de vie dans un pays qui a changé et qui ne sait plus trop où il va. Cette perte de la dynamique de la modernité, d'une vision positive de l'avenir, va de pair avec la nostalgie et ce goût pour le patrimoine. Dans ce monde désorienté, les discours des managers et des politiques qui en appellent à la mobilisation générale pour le «changement» tombent largement à plat. Beaucoup sont las de cette fuite en avant et se réfugient dans leur communauté ou leur réseau. Désormais, au sein du «village», coexistent en un curieux mélange les restes de l'ancien et le mode de vie des plus «branchés».

    Sans doute, mais la fin des terroirs, cela voulait dire que le paysan devenait un agriculteur, malgré tout ; tandis que la fin du village, c'est une métamorphose sans lendemain.

    J.-P.L.G. : C'est en effet la fin de la collectivité villageoise qui combinait dans un même espace travail, habitation, et ce qu'on appelle aujourd'hui «loisir», avec ce qu'elle impliquait de sociabilité d'entraide et de solidarité, mais aussi de rapports de grande proximité avec leurs contraintes et leur dureté. On ne ressuscitera pas le passé.

    Oui, mais qu'est-ce qu'il y a après la fin ?

    J.-P.L.G. : Un phénomène étrange : la coexistence à l'intérieur d'un même espace géographique de catégories sociales diversifiées ayant chacune leur réseau qui déborde cette zone géographique. Cet espace est dépourvu de culture et de projet communs. Ce qui est très frappant, c'est cette coexistence pacifique dans un village qui n'en est plus un et que j'appelle le «patchwork».

    Tenez-vous pour responsable la politique agricole commune (PAC) de cette déshérence et de la disparition de la petite exploitation agricole ?

    J.-P.L.G. : Qu'est devenue aujourd'hui la «politique agricole commune» ? Que peuvent les petits exploitants agricoles face à la concurrence et aux grands circuits de distribution ? J'ai connu un jeune paysan, dans le canton que je décris dans le livre, qui faisait des melons, ensuite il s'est mis à faire des fraises... Cela changeait sans arrêt ; désormais, le vin l'emporte sur les vergers et les légumes. Et dorénavant, pour des petits exploitants, la location de gîtes fait partie de leur activité. On ne saurait généraliser une situation particulière, mais, dans le canton de Cadenet, les terres à l'abandon progressent. Cette situation est vécue comme un drame par les anciens agriculteurs dont la relève n'est plus assurée ; c'est leur vie et leur terroir qui disparaissent. D'autres s'en accommodent tant bien que mal, en espérant que leur terrain soit un jour déclaré constructible pour pouvoir finir au mieux leurs vieux jours...

    Votre livre est une vaste fresque sur la vie quotidienne d'un village français dans lequel beaucoup de lecteurs se reconnaîtront. Il est le résultat d'une longue enquête sur les transformations d'un bourg du Luberon depuis la Seconde Guerre mondiale. Quel est votre rapport personnel à ce village ?

    J.-P.L.G. : Affectif, quasi familial puisque j'y ai été introduit grâce à une ancienne famille qui m'a permis d'y louer une ferme abandonnée au début de mon immersion. Ce qui m'avait frappé dans les années 80 avec la municipalité de gauche, c'est la montée de l'animation culturelle, au moment même où le travail venait à manquer. La vannerie avait cessé, les agriculteurs disparaissaient, et il fallait redonner vie au village en mettant l'accent sur les couches nouvelles, l'animation culturelle et les associations qui étaient une sorte de substitut à l'ancienne sociabilité villageoise liée aux activités traditionnelles. J'ai donc voulu comprendre ce qui se passait. Il y avait également un parc naturel régional qui introduisait une administration de la nature d'un genre très particulier. Les soixante-huitards dont je parle ont joué un rôle important dans cette mutation.

    Vous êtes d'ailleurs plus tendre avec certains d'entre eux que dans votre essai Mai 68, l'héritage impossible (2005). En témoigne votre visite chez la bergère qui parle de ces années comme d'une époque «où l'on ne savait pas où l'on allait». En revanche, vous ne portez pas vraiment dans votre cœur ceux que vous appelez «les cultureux»...

    J.-P.L.G. : Je crois qu'il faut distinguer ceux qui vivaient intensément une utopie dans le présent, sans calculer - c'est le cas de cette bergère et des «hippies du Laval» -, et les autres venus un peu plus tard. Car après ce moment d'incandescence, il y a eu une vague de retour à la campagne, qui était beaucoup plus posée, avec l'idée de vivre et d'élever ses enfants en dehors des grandes villes et du système. C'est une deuxième vague un peu différente qui s'est installée sur place et qui a fondé des associations et occupé des postes. Une petite partie de ces gens est issue de ce qu'on a appelé la «deuxième gauche» et a adhéré au Parti socialiste.

    Votre plongée dans le monde de Cadenet commence par la description du peuple ancien et s'achève par une radiographie du village bariolé. Or ce nouveau monde est un espace économiquement fragile, culturellement décomposé, et pour tout dire une Provence «en morceaux»...

    J.-P.L.G. : Elle l'était déjà depuis un bon moment par rapport à l'image mythique de la Provence du XIXe siècle telle qu'elle nous a été transmise par une certaine littérature, c'est vrai. Mais ce qui m'intéresse, au-delà de la dimension économique et sociale, c'est de réintégrer cette dernière dans une vision anthropologique : pour moi, l'essentiel est de comprendre le type d'humanité auquel on a affaire. Par là, j'entends un rapport au monde et aux autres qui repose sur une conception de la vie, un rapport à la tradition, un attachement aux valeurs de solidarité, sans oublier un art de vivre populaire, qui est aujourd'hui érodé. Or ce type d'humanité, qui comporte sa part de rudesse et de préjugés, est aujourd'hui en voie de disparition, sous l'effet du développement d'un nouvel individualisme combiné à la crise économique et sociale. Mais ce qui est frappant, c'est que beaucoup d'amoureux de la Provence qui ont les moyens de s'y installer ont en tête des images du monde d'hier tout en vivant dans l'«entre-soi», en ne se mélangeant pas trop aux anciens Provençaux qui, à Cadenet comme dans d'autres bourgs et villages, deviennent minoritaires. Ce qui ne les empêche pas de faire appel aux autochtones pour de menus travaux ou d'apprécier d'avoir un Provençal typique à leur table comme on goûte un bon vin. J'ai vécu ces scènes.

    Vous donnez l'impression dans cet ouvrage de ne rien proposer pour sortir du marasme ou de ce que vous appelez la «déglingue», lorsque vous évoquez des habitants désœuvrés, ou bien les problèmes d'intégration. Pourquoi ce souci de ne pas outrepasser le constat ?

    J.-P.L.G. : Deux raisons. La première, c'est que je ne supporte pas un certain type de commentaire qui fleurit dans les grands médias audiovisuels en donnant des leçons. Nous sommes dans une société éminemment bavarde où nous avons l'impression d'avoir transformé le monde quand on a glosé sur son état ! En même temps, ce bavardage nous protège et nous isole de l'épreuve de la réalité. La seconde raison est celle des limites de ce que j'appelle la «sociologie plate», comme s'il suffisait de «mettre à plat» les choses, de démonter les mécanismes, d'écrire un énième rapport d'expertise pour que nous prenions conscience de l'état du pays. Aujourd'hui, il y a une difficulté à affronter l'ampleur et le caractère inédit des défis qui sont posés à la collectivité. Dans la pauvreté ancienne, on pouvait garder l'estime de soi. C'était le cas des vanniers qui étaient des catégories très pauvres mais qui avaient la fierté de «gagner leur vie» et qui vivaient dans une collectivité solidaire. Avec le chômage de masse, tout bascule. On est confronté à des individus qui ne se sentent pas utiles socialement, qui perdent l'estime d'eux-mêmes. A cette inactivité s'ajoute l'éclatement des familles. Cette combinaison du chômage, de la déstructuration des familles et des anciens liens de solidarité produit des effets puissants de déstructuration anthropologique. Mais au milieu de cette «déglingue», l'humanité demeure. C'est ce que j'ai voulu montrer avec quelques-uns des personnages que j'ai rencontrés.

    C'est ce qui est réussi dans votre livre. Grâce à vous, le Bar des Boules va devenir un lieu de pèlerinage. Et Cadenet, l'observatoire du malaise français. Mais vous ne feriez pas une bonne recrue pour la droite populaire ou la gauche du même nom. Car, au bout du compte, le peuple reste et demeure chez vous introuvable !

    J.-P.L.G. : Quand on parle du peuple, il y a deux idées qui se superposent. Il y a d'abord la citoyenneté au sens politique, qui passe par le suffrage universel et qui fait que chacun participe par son vote au destin du pays, et ensuite la manière dont la gauche a attribué une dignité et une mission particulière aux couches populaires du fait de leur position de classe, de leur situation de «dominées». La gauche officielle a toujours, selon moi, joué confusément sur les deux plans. Mais il y a une autre approche des couches populaires que je trouve plus intéressante, qui est celle d'Orwell, plus soucieux de mettre en valeur la dignité des classes pauvres, la morale populaire et un certain «sens commun». Cette approche a cependant pour référence un monde ouvrier qui, qu'on le veuille ou non, n'existe plus. Ce qui ne veut pas dire que tout est foutu, mais qu'il faut penser les choses autrement si l'on entend reconstruire.

    La Fin du village, de Jean-Pierre Le Goff, Gallimard, 577 p., 26 €.

    * www.rdv-histoire.com. Entrée libre. Tél. : 02 54 56 09 50.

    ** Entretien paru dans le numéro 809 du magazine Marianne publié le 20 octobre 2012

    http://www.marianne.net/Le-crepuscule-des-paysans_a223607.html
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