• Hugues Le Paige :: « En Grèce, on arrive au bout des contradictions de l’austérité »

    La suppression de la radiotélévision publique grecque (ERT) a provoqué la stupeur et la colère d’une bonne partie du peuple grec et l’incompréhension à l’étranger. Retour sur un événement sans précédent en Europe avec Hugues Le Paige, ancien journaliste à la RTBF et fondateur de la revue « Politique ».

     

    Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez appris la nouvelle ?

    Hugues Le Paige. J’ai été, comme tout le monde, très surpris. On en a vu des vertes et des pas mûres en Grèce jusqu’à présent mais une telle décision… Cette fermeture brutale de tous les émetteurs et une expulsion de quasi 3 000 travailleurs sans aucune forme de préavis, même les colonels à l’époque de la dictature n’avaient pas osé faire. Probablement qu’il y a de sombres calculs politiques de la part du Premier ministre grec pour essayer de susciter un certain type de réaction que l’on ne distingue pas encore très bien.

    C’est d’une violence sans précédent. Il y avait de réels problèmes au sein de l’organisation de la télévision publique grecque qui était parmi les institutions publiques les plus parasitées par le clientélisme politique. Les partis de droite et de gauche, en fonction de leur occupation du pouvoir ou non, plaçaient et replaçaient leur personnel politique à des salaires souvent faramineux. Cela dit, c’est totalement inacceptable. Pour les hommes et les femmes qui y travaillaient. Et cette suppression d’une voix contestable, imparfaite, etc. mais qui restait quand même une voix de service public dans la panoplie des médias grecs, c’est inacceptable. Et c’est sans précédent. C’est à l’image de ce que le « libéralisme réel », dégénéré, produit aujourd’hui en Grèce. On en est à une expression d’un libéralisme qui n’a plus aucun frein.

     Le service public a un sens fondamental dans l’organisation démocratique de la société

    Quelle est l’importance d’avoir un service public d’information dans une société dite démocratique ?

    Hugues Le Paige. Le service public a un sens fondamental dans l’organisation démocratique de la société, où l’information du service public est conçue pour permettre aux citoyens d’avoir des instruments de connaissance, de jugement, d’analyse de la société dans laquelle ils vivent. Ce n’est pas lui dire ce qu’il doit penser, pour qui il doit voter, etc. mais donner les instruments de connaissance des mécanismes sociaux, économiques, politiques, culturels, de la société. Après, le citoyen forge sa propre opinion, il décide d’intervenir ou pas dans le débat public, de défendre ou d’attaquer la société telle qu’elle est. Mais cette conception est battue en brèche depuis plusieurs années. Je ne dis pas qu’il n’en reste rien, il reste des îlots, des moments, des endroits, des opportunités où ce type d’information peut encore exister. Mais ce n’est plus la règle fondamentale de fonctionnement du service public, ni en Grèce, ni en Belgique, ni ailleurs. Malheureusement, le service public s’aligne de plus en plus sur la logique du marché, de la concurrence, de la recherche de l’instantanéité, etc. Alors que l’idée même de service public, c’est la différence. Par rapport aux marchés, aux stations commerciales.

    Connaissiez-vous l’ERT ?

    Hugues Le Paige. De ce que j’en connais, c’est une station qui s’aligne de plus en plus sur le marché. Mais il y a toujours des différences entre un modèle de télévision publique, même si elle a adopté des critères des marchés et les stations privées. Mais il n’y a plus une différence fondamentale. Probablement que par rapport aux chaînes privées en Grèce, ça reste encore une télévision plus décente. Le mouvement populaire qui se manifeste aujourd’hui n’est probablement pas la défense de l’ERT telle qu’elle existait mais une manifestation de refus de la brutalité d’une décision à la fois à l’égard de la télévision publique et des travailleurs de cette télévision. C’est cela qui provoque de tels élans de solidarité en Grèce et ailleurs. Quels que soient les défauts de la chaîne, c’est l’aspect dictatorial de la décision qui provoque la colère des citoyens qui, même si ils n’étaient pas satisfaits de leur audiovisuel public, n’admettent pas qu’on gère un pays de cette manière aujourd’hui. Il y a eu d’autres fermetures d’entreprise aussi violentes mais elles n’avaient pas la valeur symbolique de la radio et de la télévision publique.

     

     une condition à l’adhésion à l’Union européenne est… l’existence d’un service public d’information

    Les médias parlent tantôt d’une responsabilité du gouvernement grec, tantôt de la Troïka. Votre avis ?

    Hugues Le Paige. Ce n’est sans doute pas la Troïka qui a décidé qu’il fallait mettre ces 3 000 travailleurs-là dehors. Mais peu importe, la logique qui a été imposée est celle de la Troïka. Et la position de la Commission européenne est intéressante. Dans son communiqué, on peut lire : « La décision doit être considérée dans le contexte des efforts considérables et nécessaires que les autorités ont faits pour moderniser l’économie grecque. » C’est une justification de cette décision. Alors qu’une condition à l’adhésion à l’Union européenne est… l’existence d’un service public d’information. On arrive au bout des contradictions des politiques d’austérité...

    N’y a-t-il pas une volonté de censure de la part du gouvernement ?

    Hugues Le Paige. Je ne sais pas. Même si on ne peut pas l’exclure, je pense que c’est plus la manifestation d’un autoritarisme et d’une logique poussée jusqu’à son paroxysme. C’était un lieu ou il y avait plus de débats que dans les télévisions privées qui sont le plus souvent aux mains d’armateurs (qui ne payent pas le moindre impôt, rappelons-le). Sans doute que c’était un espace de débat plus ouvert mais est-ce cela qui a poussé le Premier ministre grec à prendre cette décision ? Je ne sais pas. Il y a suffisamment d’autres raisons.

    Rien n’est impossible et que rien n’est prévisible

     Rien n’est impossible et que rien n’est prévisible

    Un tel scénario est-il possible dans un autre pays de l’Union européenne ?

    Hugues Le Paige. Jusqu’hier, je pensais que ce n’était pas possible en Grèce. Maintenant, si on regarde des pays qui vivent des problèmes similaires à ceux de la Grèce aujourd’hui, on ne peut plus rien exclure. C’est « plus facile » à faire dans un pays où l’État est faible que dans d’autres. Comme la France par exemple, où l’histoire, des rois de France jusqu’à De Gaulle, montre un attachement très fort à l’État. Mais dans les pays d’Europe du Sud, l’attachement est moindre. Et on ne sait pas ce qui peut se produire.

    Il y a un faisceau d’éléments très inquiétants. Comme la manière dont on adopte en catimini le Traité budgétaire européen, sans qu’il y ait véritablement de débats au Parlement et sans consultation de la société civile sur des politiques qui vont déterminer les conditions de vie de tous. Comme le fait que l’Europe, malgré la mini autocritique émise par le FMI sur les politiques d’austérité menées en Grèce, persévère dans la même voie incompréhensible. Et comme la décision de la Commission, il y a quelques jours, de manière inflexible et contre l’avis d’un vote du Parlement européen, qui refuse de retirer les matières audiovisuelles des négociations transatlantiques. Ce qui met à mal l’idée même de l’exception culturelle… Bref, tout ce qui se passe du côté de l’Europe est très inquiétant.

    Que peut-on faire pour inverser la tendance ?

    Hugues Le Paige. Il faut d’abord noter que rien n’est impossible et que rien n’est prévisible. Ce qui s’est produit ces derniers jours en Turquie était totalement insoupçonnable il y a deux mois. Personne n’imaginait qu’un tel mouvement populaire était possible. Personne. Cela veut dire qu’il y a des forces qui se manifestent de manières parfois souterraines, en dessous de l’expression politique traditionnelle, mais qui peuvent, à un moment, surgir et prendre une ampleur totalement insoupçonnée. Il ne faut jamais désespérer de cette possibilité là. Si l’on croit à l’action publique, à l’action collective, on doit tenter de la conduire le mieux possible, avec le plus d’ardeur et de volonté que l’on peut. C’est à cela qu’il faut œuvrer. Et, aujourd’hui, il faut exprimer sa solidarité au peuple grec, participer aux nombreuses actions qui sont organisées un peu partout en Europe.

     http://www.ptb.be


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  • Le pape François reçoit 45 parlementaires français

     
     
     
    Il a invité  les parlementaires français à ne pas hésiter à "abroger" les lois si nécessaire, pour leur "apporter l'indispensable qualité qui élève et anoblit la personne humaine".

    Ils sont 45 parlementaires français, très majoritairement à droite même si parmi eux se trouvent quelques socialistes, à rencontrer samedi matin le pape François. Contre toute attente, ce dernier leur a accordé rapidement cette audience, dont la demande a été formulée au titre du Groupe d'amitié France-Saint-Siège du Sénat et du Groupe d'études à vocation internationale (75 membres), le GEVI-Saint-Siège de l'Assemblée nationale (64 membres).
     


    «Nous aurions pu être le double», explique Charles Revet, sénateur de Seine-Maritime, l'un des promoteurs de ce voyage privé, aux frais donc de chacun, «tant l'intérêt pour le nouveau Pape est important, mais tout a été décidé à la dernière minute une fois reçue la bonne surprise de l'accord quasi immédiat du Pape».
     
     
    Le pape François a invité  les parlementaires français à ne pas hésiter à "abroger" les lois si nécessaire, pour leur "apporter l'indispensable qualité qui élève et anoblit la personne humaine".

    Les propos du pontife qui recevait au Vatican une délégation de sénateurs et députés venus de France faisaient clairement allusion à toutes les législations pouvant être considérées comme contraires aux principes de l'Eglise catholique, de l'avortement à l'euthanasie en passant par le mariage gay ou les nouvelles normes de bioéthique.

    "Votre tâche est certes technique et juridique, consistant à proposer des lois, à les amender ou même à les abroger", a rappelé le pape.

    Le pape a aussi jugé "nécessaire" de "leur insuffler (à ces lois, ndlr) un supplément, un esprit, une âme qui ne reflète pas uniquement les modes et les idées du moment, mais qui leur apporte l'indispensable qualité qui élève et anoblit la personne humaine".

    "Le principe de laïcité qui gouverne les relations entre l'État français et les différentes confessions religieuses ne doit pas signifier en soi une hostilité à la réalité religieuse, ou une exclusion des religions du champ social et des débats qui l'animent", a poursuivi le pape dans son discours à la délégation.
     
    Il a souligné que l'Eglise "désire apporter sa contribution spécifique sur des questions profondes qui engagent une vision plus complète de la personne et de son destin", une contribution qu'elle souhaite donner non seulement au niveau "anthropologique ou sociétal, mais aussi dans les domaines politique, économique et culturel".

    Il a rappelé que la France où une loi autorisant le mariage gay vient d'entrer en vigueur, est une "nation vers laquelle les yeux du monde se tournent souvent".
     

     

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    Assommons les pauvres !
    vendredi, 14 juin 2013  

    Une expression obsède la novlangue d’aujourd’hui : « réformes de structure ». Il faut donc croire qu’il y a d’autres réformes, plus anodines, mais qu’on ne saurait plaisanter avec les réformes « de structure », si profondes, vitales et sans doute douloureuses. La litote sert à désigner les mesures destinées à accroître la flexibilité du travail, retarder l’âge de la retraite, diminuer les prestations sociales, baisser les dépenses de l’Etat, diminuer les impôts et les salaires.

    « Assommons les pauvres ! », enjoignait cruellement Charles Baudelaire dans Le Spleen de Paris (1969). Dans cette fable grotesque composée entre 1864 et 1865, il ne proposait pas de les assommer pour s’en débarrasser, mais pour les sauver. Son personnage, « revenu des promesses » d’une période optimiste, se met à rouer de coups un vieux mendiant au lieu de lui faire l’aumône. Surprise ! « L’antique carcasse » se rebelle, et rend alors les coups de manière si convaincante que l’agresseur partage alors volontiers son bien. Baudelaire nous a-t-il indiqué la meilleure voie pour sortir de la misère ?

    Assommer les pauvres, la solution ne paraît pas si absurde aux « réformateurs de structures », ces nouveaux « entrepreneurs de bonheur public » [1]. Ils assurent chaque jour, à travers sondages et sermons, que l’accumulation privée est le meilleur moyen de garantir du travail aux pauvres, de participer à l’enrichissement collectif. Ils raillent les résistances et les peurs, vaines tentatives d’aller contre la nécessité. Après une telle débauche d’arguments, comment les pauvres n’accepteraient-ils pas d’être assommés pour leur bien ? Telle l’inquisition jadis, promettant aux pécheurs un gain futur (le paradis ou la prospérité) au prix d’une peine présente, il leur est commandé, pour tirer demain quelques bénéfices, de faire aujourd’hui sacrifice. Mis devant la responsabilité d’agir, ou de mourir, les voilà enfin sommés, ces assistés, ces tricheurs, de s’en sortir par l’initative et le courage ! Ainsi parlent les adversaires de la redistribution : chômeurs ? Créez votre entreprise. Chômeurs ? Travaillez.

    La guerre des pauvres ?

    Le narrateur du petit poème en prose, abusé voilà quelques années par des marchands d’illusions des deux bords — « de ceux qui conseillent à tous les pauvres de se faire esclaves, et de ceux qui leur persuadent qu’ils sont tous des rois détrônés » — semble à peine un peu moins pauvre que le vieux mendiant auquel il s’en prend. Il lui sera d’autant plus facile de partager son bien qu’il en a peu. Tous deux ont été abusés, tous deux partagent une même violence dans la misère, énième illustration de l’adage populaire qui veut que les miséreux se battent entre eux au lieu de s’en prendre aux riches. La fable de Baudelaire est réaliste et pessimiste en somme, alors qu’on s’étonne aujourd’hui du manque de réaction à la crise. La mise en cause des aides sociales, de l’immigration, du parasitisme social, ne sont-ils pas des épouvantails commodes, conduisant les pauvres à s’en prendre aux pauvres ? Plus grande est la peur du déclassement, plus grande la haine contre ceux qui donnent l’image d’une chute prochaine ou d’un lent déclin. La réalité des riches est quant à elle bien plus lointaine... et elle a au moins l’avantage d’offir des rêves pour occuper les nuits et les jeux.

    A moins que cette fable ne soit paradoxalement optimiste. Après tout, ses pauvres protagonistes s’accordent pour réagir à leur misère. Ils en sont certes venus aux mains, mais la violence agit sur eux comme une révélation. Que faut-il pour que la vérité de la spoliation sorte de l’apathie ? Sans doute les désastres de l’histoire ont-ils guéri de bien des illusions révolutionnaires, mais n’est-il pas pire d’endurer la violence en connaissance de cause ? Telle pourrait être la substance de la fable et sa leçon pour notre temps, alors que les choses n’ont jamais été aussi claires sur la violence, l’enrichissement des plus riches et l’appauvrissement des plus pauvres. La crise justifie efforts et sacrifices, entend-on proférer par les apôtres des réformes de structure. Ce qu’ils ne disent pas, c’est que cet appel est implicitement lancé aux pauvres. On apprend donc, de classement Forbes en classement Fortune, que le nombre des milliardaires augmente chaque année, ainsi que leur fortune individuelle ; on apprend que les actions des entreprises cotées connaissent des hausses bien supérieures à leurs chiffres d’affaires, que les rémunérations et indemnités des dirigeants augmentent quand bien même les bénéfices ne seraient pas au rendez-vous, et les appels à la modération restent sans écho. Les riches ne seraient-ils pas assez nombreux ni assez riches pour partager le fardeau, leur richesse n’aurait-elle donc aucun lien avec l’appauvrissement des autres ? Demander des sacrifices aux plus démunis en laissant libres les plus nantis a quelque chose de sidérant.

    Baudelaire, qui avait partagé les espérances de 1848, entouré de ces « livres où il est traité de l’art de rendre les peuples heureux, sages et riches en vingt-quatre heures », fut lui-même assommé par les journées de juin 1848 qui virent l’armée de la République massacrer les ouvriers. Puis ce fut le coup d’Etat de décembre 1851. Sa posture balance entre la révolte et le spleen face à l’interminable soumission. Il en était complètement « dépolitiqué », écrivait-il alors dans sa correspondance [2]. On dirait aujourd’hui dépolitisé. Il ne l’était pas complètement, à moins qu’on ne puisse jamais l’être définitivement.

    Alain Garrigou le 11/06/2013

    Transmis par Linsay

    [1] Op. cit.

    [2] Lettre à Monsieur Ancelle du 5 mars 1852.

    http://www.rougemidi.fr/spip.php?article7895


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  • ERT. Le personnel continue de diffuser...

    Kendavros
     

    ERT. Le personnel continue de diffuser de leur studio et la radiodiffusion en streaming peut être suivie sur la page d’accueil du site EBU. Ou sur Greek crisis.( note du messager)

    L’ EBU accède aux flux et les retransmet par satellite pour donner au public de l’Europe un service d’accès aux médias et au contenu des nouvelles de l’ERT.

    * http://www.greekcrisis.fr/
    URL de cet article 20977 http://www.legrandsoir.info/ert-le-personnel-continue-de-diffuser.html
     

    La TV grecque diffuse sur le net via Genève

     
    VENDREDI 14 JUIN 2013

    Les journalistes de l’ERT ont pu commenter en direct la crise politique et les manifestions provoquées par l’arrêt brutal, mardi soir, des programmes de leur antenne.
    DR

    Une fenêtre s’est ouverte dans le black-out imposé par le gouvernement grec à la télévision nationale ERT. Depuis mercredi à la mi-journée, les employés de la chaîne de service public ont repris la diffusion d’émissions sur internet. Un acte de résistance, puisque les quelque 2600 membres du personnel sont désormais au chômage et ne sont plus payés.

    Ce chemin de traverse passe par Genève, où se trouve le siège de l’Union européenne de radio-télévision (UER). En collaboration avec les techniciens de l’ERT, l’organisation a mis en place un canal de diffusion par satellite. Des camions installés à proximité des locaux de la télévision à Athènes et à Thessalonique émettent des signaux qui sont récupérés à Genève et retransmis en streaming sur le site de l’institution (www.ebu.ch).

    Hier, les journalistes de l’ERT ont ainsi pu commenter en direct la crise politique et les manifestions provoquées par l’arrêt brutal, mardi soir, des programmes de leur antenne. Débats, interviews et analyses se sont succédé toute la journée. On pouvait également voir en continu des images de la foule massée devant le siège de l’ERT à Athènes. Interrogée par le site bastamag.net, la rédactrice en chef du journal télévisé de la chaîne grecque, Nicky Tselika, a déclaré: «Notre objectif est de continuer à transmettre nos programmes par tous les moyens.»
    Selon l’UER, les employés doivent en partie utiliser leur matériel personnel, notamment informatique, depuis que les forces de l’ordre ont confisqué certains équipements. «Quand une télévision de service public subit une attaque d’une telle violence, nous faisons tout notre possible pour la soutenir», explique Benjamin Steward, chargé de communication à l’UER. «En poursuivant leur travail, les employés de l’ERT font preuve d’un esprit de service public admirable», ajoute-t-il.

    Dès mardi, l’organisation basée à Genève a vivement dénoncé la décision du gouvernement grec d’Antonis Samaras. Hier, son président Jean-Paul Philippot a également appelé la Commission européenne à s’engager pour le rétablissement des signaux TV. «La fermeture de l’ERT prive les citoyens grecs d’un espace public où peut s’exprimer le débat démocratique, pendant une période difficile de transformation radicale», relève-t-il dans un communiqué.

     http://www.lecourrier.ch/110432/la_tv_grecque_diffuse_sur_le_net_via_geneve

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  • Europe-Etats-Unis : la France sacrifie-t-elle les ouvriers à l'exception culturelle ?

     


    Le piège à cons de l’exception culturelle 


    Il y a encore quelques semaines la presse française, sur la base de sondages d’opinion dont on ne voyait pas l’intérêt en l’absence d’élection, s’était prise d’engouement pour un hypothétique gouvernement « d’union nationale ».

    Tout ceux qu’une telle hypothèse tenterait ont dû se réjouir de voir l’Assemblée nationale adopter mercredi à l’unanimité une résolution défendant l’exception culturelle.
    Il s’agissait de conforter la position du gouvernement dans la perspective de l’ouverture d’une négociation Europe-Etats-Unis sur la libéralisation des échanges. Face à l’hydre américaine, magnifique de ferveur et de courage, la représentation nationale n’a eu qu’un seul cri : « la culture n’est pas une marchandise !».

    Les députés ne faisaient que suivre la mobilisation des « cultureux », tous indignés (avec raison) qu’on puisse les mettre en concurrence avec Hollywood, à l’image de l’actrice palmée d’or Bénénice Bejo et du cinéaste Costa-Gavras qui ne cessent depuis le festival de Cannes de sensibiliser médias et politiques.

    On les comprend, on les soutient, puisqu’effectivement il n’y a aucune raison de se laisser aplatir notre industrie de la culture (bien loin du petit artisanat) par le rouleau compresseur américain de l’entertainment. Mais ce qui gène, c’est cette exclusivité de l’exception. Car Nicole Bricq est repartie à Bruxelles avec un seul mandat impératif, une seule ligne rouge : pas touche à la culture, sinon pan-pan cucul ! Ce qui laisse ouvert la négociation sur le reste.
     
    Et le reste, c’est tout le reste : l’agriculture, le textile, l’aéronautique, l’automobile, les services, l’eau, l’énergie, la grande distribution, les contrats publics, les normes, etc… 98% de l’économie ! Et même la fonction régalienne de l’Etat, puisque les américains demandent que des procédures spéciales permettent aux entreprises d’attaquer les Etats quand les règles qu’ils établissent ne leur conviennent pas.

    Tout ceci, qui sera dans la balance de la négociation, cela n’intéresse pas les députés de gauche et de droite. La seule exception française, c’est donc la culture. Le Parlement européen, moins naïf, a lui posé de multiples barrières, notamment sur les normes sanitaires, à un accord avec les Etats-Unis.
     
    Pourquoi naïf ? Ceux qui ont un peu de mémoire se souviennent de la prestation du Premier ministre Edouard Balladur en décembre 1993. Une ovation des députés avait salué l’annonce de la fin des négociations du Gatt qui avaient permis la création de l’OMC. Balladur était monté à la tribune et avait annoncé que la France avait réussi, contre l’Amérique, déjà, à sauvegarder son « exception culturelle ».

    Mais dans les accords de Marrakech, il manquait la règle de la réciprocité, de l’équilibre des balances commerciales, ou l’observation des normes sociales fondamentales. En conséquence de quoi, les droits de douanes avaient été abaissés sur pratiquement tous les produits, livrant les industries à la violence de la concurrence.

    Pour avoir visité les entreprises de textiles quelques années plus tard, je me souviens de ces ouvrières mises licenciées par milliers, dont l’une m’a dit « Monsieur, dites bien que nous avons été vendues contre des Airbus et des films ». Elle avait raison.
     

    Le scénario pourrait bien se reproduire : contre la sanctuarisation de la seule culture où la gauche a une sacrée clientèle, on pourrait sacrifier de nouveaux ouvriers. Et puisque l’on a l’habitude de comparer le commerce mondial à la guerre, nous souhaitons à Nicole Bricq qu’elle ne reviennent pas comme Edouard Daladier de Münich en 1938, acclamé par les Français qui persuadés d’avoir évité un nouveau conflit avec l’Allemagne, en livrant la Tchécoslovaquie aux ambitions de Hitler. Daladier aurait dit : « les cons, s’ils savaient… »
     

     

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  •  Rapport Moreau sur les retraites : Des propositions inacceptables

    Communiqué Solidaires
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    Sans surprise, le rapport Moreau confirme les pistes annoncées depuis quelques jours. La question démographique ne peut être la seule approche de ce débat. Les politiques d’austérité qui détruisent massivement les emplois entrainent des baisses importantes de cotisations sociales.

    Proposer un nouvel allongement de la durée des cotisations, c’est imposer une baisse du niveau des pensions.

    En effet, déjà, un sénior sur deux est hors travail à l’âge de 59 ans. L’entrée dans le monde du travail se fait de plus en plus tard (25/26 ans), les carrières sont de plus en plus hachées, surtout pour les femmes.

    Partir avec un taux plein devient impossible !

    Proposer une désindexation, soit des pensions soit des salaires de référence, conduit à une baisse des pensions.

    Réduire les mesures fiscales actuelles, augmenter le taux de CSG, c’est la garantie d’une paupérisation des retraité-e-s actuels et des futures générations.

    Les fonctionnaires sont pointés du doigt comme des « privilégiés » alors même que le niveau de remplacement est quasi égal entre privé et public !

    Les questions de pénibilité ne peuvent se limiter à deux aspects (cancer et travail de nuit). A 65 ans, l’espérance de vie en bonne santé est de 10 ans !

    Faire travailler les gens plus longtemps, c’est la garantie qu’un grand nombre de salarié-e-s arrivera à la retraite en situation de santé dégradée.

    Ces mesures constitueraient des reculs sociaux considérables : nous les refusons d’autant plus que le Parti socialiste soutenait en 2010 les manifestations contre la contre-réforme Sarkozy !

    Selon le rapport, il faut trouver 7 milliards en 2020 pour équilibrer les régimes. C’est largement possible, si on s’attaque aux privilèges financiers :
     80 milliards d’euros de fraude fiscale chaque année !
     230 milliards de dividendes distribués et non taxés en 2012 !
     La part salariale perdue dans le partage de la richesse produite depuis 30 ans au profit des dividendes, c’est 130 milliards par an !

    Encore une fois, les entreprises sont exonérées de tout effort significatif : ce sont les salarié-e-s, les retraité-es qui devraient supporter la quasi totalité des mesures.

    Solidaires n’acceptera pas ce scénario et portera d’autres choix porteurs de justice et de solidarité.

    Face à ces attaques programmées, l’Union syndicale Solidaires propose aux organisations syndicales et aux mouvements sociaux, à l’ensemble des travailleur-euses, des chômeur-euses, des précaires, des retraité-e-s et des jeunes de préparer une mobilisation sociale interprofessionnelle à la hauteur de ces enjeux.

     

    Yannick Moreau, présidente de la Commission pour l'avenir des retraites

    Social-Eco - le 14 Juin 2013

    Retraites: les reculs sociaux du rapport Moreau

    La commission Moreau a remis ce vendredi son rapport sur la réforme des retraites. Cette base de travail pour le gouvernement propose toute une série de recul sociaux et fait porter l'essentiel des efforts sur le dos des retraités et des actifs, sans apporter aucune autre piste de financement.

    Zoom sur les préconisations principales.

    Le rapport, mené par Yannick Moreau, prône un nouvel effort partagé par les actifs et les retraités : 2/3 pour les actifs et 1/3 pour les retraités. Il propose des pistes pour atteindre l’équilibre du régime des retraites d’ici 2020, grâce à sept milliards d’euros déconomies.

    Les efforts des actifs

    • Un allongement de la durée de cotisation qui passerait progressivement de 41.5 années à 44 années de cotisation. Le rapport de la Commission préconise d’augmenter la durée de cotisation à 43 ans pour la génération née en 1962, puis à 44 ans pour ceux de l’année 1966. Ce dispositif pourrait permettre de gagner 600 millions d’euros d’ici 2020.
    • Une hausse des cotisations d’assurance-vieillesse, via une hausse de 0.1 point par an des cotisations pendant 4 ans, et répartie à part égale entre salariés et employeurs. Une telle mesure, qui peut être envisagée à des taux différents, promet un gain de 2.6 milliards d’euros d’ici à 2020.
    • Une modification du calcul des retraites dans le secteur public. Le rapport préconise de calculer les retraites des fonctionnaires « en le faisant progressivement reposer sur une période plus longue que six mois » et en intégrant une partie des primes. Sans trancher sur une nouvelle durée précise, le calcul pourrait être basé sur « une durée de référence variant de 3 à 10 ans ». Pour les salariés du secteur privé, la période de référence prend en compte les 25 meilleures années.

    La mise à contribution des retraités

    • Alignement le taux de CSG des retraités à celui des actifs. Les retraités sont ici mis à contribution avec un alignement de leur taux (6.6% actuellement) à celui des actifs, de 7.5%. Cette hausse permettrait un gain estimé à 2 milliards d’euros d’ici 2020.
    • La révision de certains avantages fiscaux. Réviser des mesures fiscales comme l’abattement de 10% sur les pensions et les avantages familiaux pourrait rapporter jusqu’à 900 millions d’euros selon le rapport. Cela concerne les majorations de pensions pour les parents de trois enfants, par exemple, qui seraient désormais fiscalisées.

    Jean-Marc Ayrault a expliqué que le gouvernement allait proposer le projet de réforme à la fin de l’été après une période de concertation avec les représentants du patronat et les syndicats lors de la Conférence sociale jeudi et vendredi prochain.

    J.C.

    Jean-Marc Ayrault entouré de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, et de Michel Sapin, ministre du Travail


     

    Retraites: pour Jean-Marc Ayrault, les Français devront faire des efforts

    "Il y aura des efforts à faire mais ces efforts ne seront pas écrasants", a tenté de rassurer le premier ministre ce vendredi après avoir reçu le rapport Moreau sur les retraites.

    Pourtant, les retraités comme les actifs ont de quoi s'inquiéter au vu de la façon dont le chef du gouvernement a accueilli ce rapport qui préconise rien de moins que d'allonger sévérement la durée de cotisation, de baisser les pensions et d'aligner les régimes des fonctionnaires sur celui du privé, afin de réaliser 7 milliards d'économies en grande partie sur le dos des particuiers.

    Dans une allocution de Matignon, Jean-Marc Ayrault salue un rapport "riche, dense et utile et surtout d'une grande lucidité". Un rapport sur lequel se fonderont les concertations entre syndicats et représentants du patronat qui s'ouvrent par la conférence sociale jeudi et vendredi.

    Courage et lucidité

    Par ailleurs, le premier ministre a usé de son vocabulaire emprunt de rigueur, appelant au "courage" et à l'"efficacité", expliquant qu'il y avait un "devoir de vérité". "L'ambition, qui doit être collective, c'est d'assurer la retraite de tous pour aujourd'hui, demain et après-demain, c'est la clé même de la confiance dans notre pacte social", a-t-il jugé. "Je refuserai toute opposition entre jeunes et retraités, actifs et retraités ou entre les différents régimes" public et privé, a prévenu M. Ayrault, pour qui "ce serait une mauvaise méthode".

    S.G.

    Pierre Laurent : "il ne faut rien reprendre de ce rapport"

     

    Le rapport Moreau, « c’est exactement les mêmes arguments, exactement les même les recettes que celles de 2010 » s’insurge Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste, sur LCP.


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    Oradour sur Glane : Exposition "Femmes et guerres"

    mercredi 12 juin 2013

    Voir en ligne : http://www.mdh-limoges.org/spip.php...


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    Le Centre de la Mémoire d’Oradour sur Glane, en Haute Vienne, accueille une nouvelle exposition "Femmes et Guerre". Elle sera présentée au public, au Centre de la Mémoire, du 21 juin 2013 au 30 avril 2014. Women and War (Femmes et Guerres) est un travail photographique mondial et personnel réalisé par Marissa Roth. Il aborde les effets immédiats et durables de la guerre sur les femmes.

    Le périple de la photographe Marissa Roth débute à Novi Sad en Yougoslavie en 1984 et se conclut à Oradour en février 2013. Plus de 90 photographies, en noir et blanc, couvrent 12 conflits mondiaux au long d’une période de 28 années de travail qui commence avec l’histoire personnelle de Marissa Roth en tant que fille de réfugiés de l’Holocauste. L’exposition inclut des panneaux qui fournissent des références historiques et reviennent sur le déroulement des conflits abordés par la photographe.

    L’exposition est complétée par la mise en vitrine d’archives inédites sur les femmes d’Oradour, dont des extraits originaux des Cahiers de Denise Bardet, institutrice à Oradour, une des 246 femmes victimes du massacre d’ Oradour, qui a tenu entre 1940 et 1944 un journal intime et réflexif, mettant en lumière la vie et les pensées d’une femme française pendant la deuxième guerre mondiale.

    Un ensemble de projections, (témoignages et documentaires) revenant sur les conditions de vie et les violences faites aux femmes pendant les guerres, vient également appuyer les propos de Marissa Roth.

    - Pour en savoir plus voir le site du Centre de la Mémoire

    http://www.rezocitoyen.org/spip.php?page=article&id_article=20950


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    Amazon, les dessous d’une horreur économique

    mardi, 11 juin 2013  

    Si vous avez aimé et acheté l’Horreur économique, de Viviane Forrester, il est probable que vous aimerez et achèterez Capitalisme, désir et servitude, de Frédéric Lordon. Selon la critique mise en ligne sur amazon.fr, dans le premier de ces essais, « dénonçant le culte de la rentabilité et la tyrannie du profit, l’auteur prend l’exact contre-pied de l’idéologie libérale qui prétend subordonner toute décision politique aux seuls impératifs de l’économie ». Dans le second, on s’interroge sur la manière dont le patronat cherche à enrôler ses employés pour en faire des « salariés contents, qui désireraient conformément à son désir à lui ». Tiens, tiens, intéressant tout ça...

    Imaginons ainsi Adrien, ou Christophe, père de famille concerné et engagé, séduit par cette description, qui explore aussi les « notions d’aliénation, d’exploitation et de domination que le capitalisme voudrait dissoudre dans les consentements du salariat joyeux ». Adrien/Christophe commande en quelques clics sur le site d’Amazon et s’en va faire son marché bio. Ce dont il n’a pas forcément conscience, c’est qu’il vient d’enclencher un processus qui produit et exploite précisément ce que décrivent les deux livres qu’il s’apprête à lire : la rentabilité à tout prix et le consentement forcé des salariés afin d’en tirer toujours plus. La devise d’Amazon ? « Work hard. Have fun. Make history. » [1]

    Comme Amazon refuse d’ouvrir ses portes à la presse, ce jeune journaliste de 26 ans s’est fait embaucher sur le site de Montélimar, rejoignant les 1 200 intérimaires recrutés pour faire face à l’afflux des demandes précédant les fêtes de fin d’année. Un récit glaçant, tout en gris, qui raconte ces vies en suspens, l’émergence d’un Lumpenproletariat des services, d’autant plus impressionnant et dérangeant qu’il pointe nos propres contradictions, comme l’avaient fait les révélations sur les conditions de fabrication de l’iPhone à Foxconn, principal sous-traitant d’Apple en Chine, où l’on met des filets sous les fenêtres pour prévenir les suicides.

    Au départ, tout n’était pas gagné pour Amazon. Créée en 1995 par Jeff Bezos, qui regrettait d’avoir raté l’âge d’or des débuts d’Internet, l’entreprise est introduite en Bourse en 1997, mais elle tarde à réaliser des profits. Dès le départ, le site, qui se veut « la plus grande librairie du monde », se heurte à l’hostilité des libraires, comme Barnes & Noble qui le poursuit en justice en estimant qu’il n’est qu’un « revendeur de livres », et des géants de la grande distribution, comme Wal-Mart qui lui reproche d’avoir volé des secrets commerciaux en embauchant certains de ses anciens cadres. Les deux affaires seront réglées à l’amiable. Partant de là, Amazon va progresser inexorablement, concurrençant aussi bien les librairies de quartier que les enseignes spécialisées dans les produits culturels comme la Fnac et Virgin, ébranlées par les coups de boutoir d’un site qui pratique aussi bien systématiquement les 5 % de remise légale (limitée en France par la loi Lang, sur le prix unique du livre) que la gratuité du port et des remises de bienvenue.

    Des conditions de vente qui vont faire l’objet d’une retentissante bataille judiciaire dès 2004, opposant Amazon au Syndicat de la librairie française (SLF), qui l’assigne pour violation des dispositions de la loi Lang, vente à perte, concurrence déloyale et dommage causé à la profession de libraire indépendant. Amazon est condamné en 2007, bombarde ses clients de mails pour défendre la gratuité du port et bénéficie en 2008 d’un arrêt de la Cour de cassation dans une autre affaire qui la rend désormais possible. Une page est tournée, le pire est à venir.

    Aujourd’hui, alors que les fermetures s’accélèrent, que les magasins Virgin Megastore ferment leurs portes et que, ironie de l’histoire, Amazon va s’installer à Clichy dans un immeuble qui abritait auparavant les bureaux de la Fnac, le cybermarchand affiche des taux de croissance insolents, investit et recrute sans relâche. Alors que, en 2002, la part de marché des ventes de livres par Internet était de 2,2 %, elle était en 2010 de 13,1 %, et Amazon vend aujourd’hui plus de 8 % des livres en France. Les chiffres d’affaires sont faramineux, et le fisc britannique comme le français s’intéressent maintenant de très près à l’entreprise : ainsi le site n’aurait-il payé que 3,7 millions d’euros d’impôts au Royaume-Uni en 2012, pour un chiffre d’affaires de 4,9 milliards. Et, en France, il se serait acquitté de 3,9 millions d’euros d’impôts, pour un chiffre d’affaires déclaré de 110 millions d’euros en 2011. Cependant, Amazon a reconnu que ce dernier était en réalité de 889 millions d’euros. Grâce à un savant montage, la plupart des stocks et des employés se trouvent aujourd’hui dans l’Hexagone, mais les bénéfices, eux, sont au Luxembourg. L’administration fiscale française réclame donc à Amazon, pour ses exercices de 2006 à 2010, 198 millions d’euros d’arriérés d’impôts, d’intérêts et de pénalités liés à la déclaration à l’étranger du chiffre d’affaires réalisé en France.

    "Eclatez-vous bien !"

    Outre ces volets économiques et financiers, c’est aussi dans le domaine social qu’Amazon se distingue, et pas vraiment à son avantage. En Angleterre et en Allemagne, plusieurs enquêtes ont dévoilé les conditions de travail imposées notamment aux travailleurs temporaires à l’approche de Noël. Et, comme les visites de l’entreprise ne sont pas autorisées aux journalistes et que ses employés refusent de s’exprimer, Jean-Baptiste Malet s’est porté candidat, seul moyen de découvrir ce qu’il se passe exactement de l’autre côté de l’écran.

    Il est devenu picker, c’est-à-dire chargé de récupérer dans leurs bins (« cellules ») les milliers de produits culturels (disques, livres, DVD...) qui seront ensuite emballés par les packers. En équipe de nuit, de 21 h 30 à 4 h 50, il expérimente le décalage et la fatigue, les 20 km par jour dans un entrepôt grand « comme cinq terrains de football », sous le contrôle permanent des leads.

    Chez Amazon, les termes anglais et le tutoiement sont de rigueur, les applaudissements avant de commencer le travail aussi, à grand renfort d’« éclatez-vous bien », car, à Amazon, on « s’éclate ». Il y a aussi le screening, une sorte de check-point par lequel il faut passer lors des deux pauses de vingt minutes accordées aux employés (l’une à la charge de l’entreprise, l’autre, de l’employé), destiné à s’assurer qu’il n’y a pas de vol. Il y a encore les messages d’alerte s’affichant sur le scan du picker quand son rythme ne satisfait pas l’un de ses supérieurs. Et pour compenser ce work hard, il y a le fun, avec jeux concours organisés durant les temps de pause (« A quoi sert l’origami dans "Prison break" ? », « D’où vient le problème à la jambe du Dr House ? ») qui permettent de gagner DVD et téléviseurs.

    Et alors, pourrait-on dire ? N’est-ce pas partout la triste réalité de la grande distribution dans son ensemble ? Le monde du travail n’est-il pas par nature impitoyable, toujours plus dur et plus désincarné, faisant miroiter à des mères célibataires en situation de précarité, à des jeunes sans diplôme et à des chômeurs de longue durée la possibilité d’avoir un jour un véritable emploi ? En partie seulement, car Amazon va plus loin, adoptant notamment des règles de confidentialité draconiennes qui vont bien au-delà de la simple protection du secret industriel, et contreviennent de manière flagrante au droit du travail. Ainsi de l’annexe 7 du règlement intérieur, intitulée « Politique relative aux relations avec le public », qui proscrit toute déclaration aux médias, impose l’anonymat (interdiction de divulguer au public ou à la presse le nom d’une personne travaillant à Amazon !), restreint et même proscrit toute possibilité de s’exprimer en public sans l’accord écrit de la hiérarchie, sous peine de sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Une politique d’intimidation qui donne une seule envie : celle de s’indigner. Une anecdote suffirait d’ailleurs à souligner le comble du cynisme marchand de la firme. Ainsi le site de recrutement d’Amazon s’enthousiasme : « En 2011, l’ensemble des livres Indignez-vous ! expédiés par le site de Montélimar aurait atteint le sommet de la tour Eiffel si on les avait empilés les uns sur les autres. » Comme le disait Alphonse Allais - lui aussi en vente sur amazon.fr bien sûr : « Une fois qu’on a passé les bornes, il n’y a plus de limites. »

    "RIEN N’EST JAMAIS INÉLUCTABLE"

    Fondateur de The New Press, l’éditeur franco-américain André Schiffrin, auteur de "l’Argent et les mots" (2010), revient sur l’avancée apparemment irrépressible du géant Amazon. Propos recueillis par Aude Lancelin

    Marianne : Vous êtes notamment célèbre pour avoir dénoncé la destruction de la chaîne du livre par les conglomérats mondialisés dans un livre retentissant : l’Edition sans éditeurs (La Fabrique), en 1999. Comment évaluez-vous la nouvelle menace que fait peser Amazon sur ce même marché depuis quelques années ?

    André Schiffrin : Amazon se réclame désormais ouvertement d’une politique d’élimination des libraires. Ce ne sont pas des menaces en l’air. Aux Etats-Unis, les gens d’Amazon y sont parvenus. Après les indépendants, même les chaînes ferment maintenant. Ils commencent également à agir comme des éditeurs. Ils commandent des livres à des auteurs connus. En France, fort heureusement, vous avez encore la loi Lang sur le prix unique. Mais, aux Etats-Unis, les rabais peuvent aller jusqu’à 40 %, l’effet de souffle a été ravageur. Il y avait 333 libraires à New York lorsque j’étais jeune, il n’y en a plus qu’une trentaine aujourd’hui.

    Pensez-vous que les appels au boycott d’Amazon, venus d’Angleterre notamment, peuvent avoir une quelconque efficacité ? D’où voyez-vous venir une alternative possible à une telle hégémonie ?

     

    A.S. : Toute action est utile. Rien n’est jamais inéluctable. C’est justement la stratégie d’Amazon de vouloir donner le sentiment que l’évolution technologique rend la chose fatale. Les seules mesures qui soient cependant assurées d’une efficacité totale sont celles que les gouvernements décideront d’engager contre un tel monopole. L’Europe devrait s’engager fermement dans ce combat. Qu’Amazon puisse ne pas payer d’impôts en s’installant au Luxembourg est proprement insupportable.

    Certains pensent que le système de distribution physique du livre cédera, de toute façon, un jour la place aux e-books, plus rapides d’accès et moins coûteux. Est-ce votre sentiment, croyez-vous à une disparition du papier à un horizon de dix ou vingt ans ?

     

    A.S. : Il y a trop de variables, il est trop tôt pour spéculer. Au stade où nous en sommes, la vente des e-books fonctionne exclusivement pour un certain type de livres : les best-sellers. Dans une librairie, on peut feuilleter, découvrir, le geste n’est pas du tout le même.

    En France, ces dernières années, de nombreux succès sont pourtant venus d’éditeurs indépendants et de petites maisons - on peut notamment songer à Actes Sud ou aux Arènes et à leur revue XXI. Y voyez-vous un signe encourageant par rapport à votre sombre pronostic ?

    A.S. : Il est très sain que ce genre de maisons indépendantes existe encore. J’admire beaucoup ce que font Les Arènes, qui ont depuis l’origine connu de grands succès. Mais la question est de savoir si de telles réussites pourront exister encore demain si nous n’agissons pas décisivement aujourd’hui.

    Propos recueillis par Aude Lancelin

    Vladimir de Gmeline le 08/06/2013

    Transmis par Linsay

    [1] Travailler dur. S’amuser. Faire l’histoire Dans des entrepôts gigantesques, des armées d’intérimaires travaillent ainsi jour et nuit à la satisfaction des clients, surcaféinés, le dos en compote et suivis à la trace par des leads contrôlant par ordinateur leur degré d’efficacité et de rentabilité, avec, peut-être, un jour, l’espoir d’accéder au Graal, la récompense suprême : le CDI.

    Un récit glaçant

    Cette course à la satisfaction du désir d’un client toujours plus exigeant, Jean-Baptiste Malet la raconte dans une enquête intitulée En Amazonie, infiltré dans le « meilleur des mondes », parue chez Fayard. [[En Amazonie, infiltré dans le « meilleur des mondes », de Jean-Baptiste Malet, Fayard, 155 p., 15 €.

    http://www.rougemidi.fr/spip.php?article7891


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  • Le coup de bluff du gouvernement sur l’exception culturelle

    Le mandat de la Commission européenne pour négocier un accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis sera présenté le 14 juin au Conseil européen des ministres du Commerce. L’exception culturelle y est évoquée en des termes juridiquement très controversés et la France souhaite une exclusion de la culture et de l’audiovisuel.

    Elle serait prête au « veto » si la Commission européenne n’intègre pas cette demande, a déclaré Jean-Marc Ayrault, ce qui aurait pour conséquence de faire capoter les négociations. Or, depuis plusieurs mois, la ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, a préparé la position française sur le projet d’accord avec les industriels et les lobbies favorables au lancement des négociations. Le veto ne serait-il qu’un coup de bluff pour mieux faire passer un dispositif qui accorde tous les droits aux multinationales et aux investisseurs ?

    Marché transatlantique UE-Etats-Unis : le mandat explosif de la Commission européenne

    Préparé dans le secret, le mandat de la commission européenne pour négocier un accord de libre-échange entre l’Union Européenne et les Etats-Unis contient une bombe à fragmentation nommée « règlement des différents » entre investisseur privé et Etat. C’est ce qu’on découvre dans une version datée du 21 mai, révélée avant son adoption le 14 juin lors d’un conseil des ministres européens.

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    Une version quasi définitive du mandat de la Commission européenne pour négocier un Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI, Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP) entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis, datée du 21 mai, a été récemment dévoilée par le blog netzpolitik.org. Traduite en français (lire ici), cette version consacre plusieurs paragraphes à un processus redoutable, nommé « règlement des différends » entre investisseur privé et État (Investor-State Dispute Settlement, ISDS). Cet arbitrage commercial international permet aux puissantes multinationales de contourner les tribunaux classiques respectueux de la souveraineté des États et de leurs droits nationaux, notamment sur la protection de l’environnement.

    Dans les dernières lignes du mandat de la Commission, sous le chapitre intitulé : « Cadre institutionnel et dispositions finales », il est indiqué que l’accord de libre échange entre l’UE et les États-Unis « comprendra un mécanisme de règlement des différends approprié ». Ce quasi fait accompli apparaît à un autre endroit du mandat, dans la partie concernant le commerce des services et la protection des investissements : l’accord « devrait viser à inclure un mécanisme de règlement des différends investisseur-Etats efficace ». Le terme est utilisé à plusieurs reprises : la Commission souhaite ainsi inclure « le règlement des différends d’État à État, [qui] ne devrait pas interférer avec le droit des investisseurs d’avoir recours à des mécanismes de règlement des différends investisseur-État ». Ainsi, cette procédure initiée par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et son successeur, l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) « devrait fournir aux investisseurs un large éventail d’arbitrages actuellement disponibles en vertu d’accords bilatéraux d’investissement des États membres ».

    Souvent utilisé dans les accords bilatéraux, ce type d’arbitrage est un formidable levier pour les multinationales qui ont leurs entrées au sein de la Commission européenne. Mais avec le PTCI, « on va au-delà de ce qu’exigent les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les droits de propriété intellectuelle, sur l’Accord général sur le commerce des services (AGCS), sur la déréglementation, sur les pratiques administratives, sur l’agriculture. Il s’agit en fait de créer un marché commun qui sera soumis à un organe d’arbitrage contraignant sur le modèle de l’Organe de règlement des différends de l’OMC. Un pas de géant sera franchi vers la dépossession de notre destin, un recul de plus, considérable, de la démocratie, dont ne profiteront que les firmes américano-européennes. C’est la fin de tout espoir d’une Europe européenne », explique Raoul Marc Jennar, spécialiste des accords commerciaux internationaux, consultant au Parlement européen auprès de la Gauche Unitaire Européenne (GUE), de 2005 à 2007.

    La proposition de Partenariat transatlantique entre l’UE et les États-Unis « va ouvrir les vannes à des poursuites de plusieurs millions d’euros par de grandes entreprises qui contestent des politiques démocratiques visant à protéger l’environnement et la santé publique », souligne un récent rapport de Corporate Europe Observatory et du Transnational Institute (lire ici).

    Le rapport révèle une campagne déterminée de lobbying menée par les groupes de pression de l’industrie et des cabinets juridiques afin d’accorder des droits sans précédent aux entreprises, leur permettant de poursuivre des gouvernements pour des législations ou réglementations qui interfèreraient avec leurs profits. Il met en évidence le programme agressif du géant états-unien de l’énergie Chevron sur cette question du règlement des différends investisseur-État : « Chevron a déjà utilisé des mécanismes similaires afin d’essayer d’éviter de payer 18 milliards de dollars en réparation d’une pollution pétrolière en Amazonie. Il en appelle maintenant à "la plus forte protection possible" vis-à-vis des mesures gouvernementales européennes qui pourraient interférer avec ses investissements dans de grands projets énergétiques, dont la fracturation [hydraulique, ou fracking, pour l’extraction des gaz de schiste] », préviennent les deux ONG.

     
    Quelques références

    - Une plateforme dénonce les accords marchands entre les Etats-Unis et l’Europe et publie de nombreuses informations sur les coulisses du projet de partenariat transatlantique. Accès ici

    - A lire : Le grand marché transatlantique, Bruno Poncelet et Ricardo Cherenti, préface de Jean-Luc Mélenchon, Bruno Leprince éditions, 2011. Ici

     
    Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault n’a exprimé aucune réserve sur ce projet. Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, représentant le gouvernement au conseil des ministres européen du Commerce prévu le 14 juin, au cours duquel le mandat de la Commission devrait être validé, estime qu’on « ne peut être que favorable » au projet de partenariat transatlantique. Pourtant, la commission des Affaires européennes au Sénat, dans un rapport daté du 15 mai qui a analysé la recommandation de la Commission européenne proposée le 13 mars au Conseil européen, a mis en garde le gouvernement :
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    « En matière d’investissement, il est préférable d’éviter le règlement des différends entre les investisseurs et les États par l’arbitrage. La question du recours à un tel mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États, prévue actuellement par le mandat, devra être revue. Un tel dispositif est en effet contestable dans sa mise en œuvre, en raison des coûts très élevés qu’il risque de représenter pour les États, comme dans ses implications politiques : le recours à un arbitre privé pour régler un différend entre un État et un investisseur risque de remettre finalement en cause la capacité à légiférer des États. »

    La procédure d’arbitrage bilatérale conduirait à une explosion des litiges initiés par les multinationales et les investisseurs aux États-Unis et en Europe. « En 2012, le nombre de différends entre investisseurs et États soumis à l’arbitrage international a battu un nouveau record, montrant une nouvelle fois la nécessité d’engager un débat public sur l’efficacité de ce mécanisme et la manière de le réformer », prévient la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), dans un rapport publié en avril (lire ici). 518 différends investisseur-État ont été recensés en 2012, impliquant des millions de dollars et sapant, dans de nombreux cas, des politiques démocratiques.

    « 62 nouvelles plaintes ont été déposées en 2012. Il s’agit du nombre le plus élevé d’actions connues intentées au titre d’un accord international d’investissement (AII) en une année, ce qui confirme la tendance croissante des investisseurs étrangers à recourir aux mécanismes d’arbitrage pour régler les différends les opposant aux États », ajoute la Cnuced. « En 2012, les investisseurs étrangers ont intenté des actions contre un large éventail de mesures gouvernementales, dont la modification de règlements intérieurs (concernant le gaz, l’énergie nucléaire, la commercialisation de l’or et les changes) et la révocation de licences et de permis (dans les secteurs de l’exploitation minière, des télécommunications et du tourisme). Ils ont aussi engagé des poursuites, alléguant des violations de contrats d’investissement, des irrégularités dans les marchés publics, des retraits de subventions (dans le secteur de l’énergie solaire) ou des expropriations directes ».

    « En Uruguay comme en Australie, le géant du tabac Philip Morris, basé aux États-Unis, a mené des poursuites contre les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes ; la multinationale suédoise de l’énergie Vattenfall réclame 3,7 milliards d’Euros à l’Allemagne suite à la décision démocratique d’abandonner progressivement l’énergie nucléaire ; et la société états-unienne Lone Pine poursuit le Canada à hauteur de 250 millions de dollars concernant un moratoire sur l’extraction (fracturation) controversée du gaz de schiste au Québec » , précisent le Corporate Europe Observatory et le Transnational Institute.

    La récente version, quasi achevée, du mandat de la Commission européenne franchit une étape importante en défendant le principe d’un règlement des différends dans un accord de libre échange avec les États-Unis. Elle devrait être adoptée le 14 juin, lors d’un conseil des ministres européens du Commerce, a indiqué la commission des affaires européennes du Sénat. Dans la foulée, les négociations devraient débuter après le sommet du G8 des 17 et 18 juin, pour s’achever en 2015.

    L’objectif est de créer un grand marché transatlantique, « le plus important au monde », selon José Manuel Barroso, président de la Commission européenne. Celui-ci a rappelé en février que les États-Unis et l’Union européenne représentent environ la moitié (47 %) de la production de richesse mondiale et près d’un tiers du commerce mondial. Ce type d’accord vise à libéraliser la circulation des marchandises, c’est-à-dire des biens, des services, des travailleurs, des capitaux et des capacités d’investissement, et à éliminer toutes les entraves au commerce avec le dangereux règlement des différends, pierre angulaire du PTCI.

    http://www.politis.fr/spip.php?page=article&id_article=22537


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  • Il faut sauver l’agent Snowden

    David Pestieau

    Après George W. Bush, Barack Obama nous promettait de tourner la page de cette Amérique guerrière et antidémocratique. Mais ces derniers jours, le plus grand scandale jamais découvert d’espionnage de la vie privée a éclaté… (Photo adbusters.org)

    Les tortures à Abu Ghraïb. La prison de Guantanamo. Les vols secrets de la CIA. Les lois liberticides du Patriot Act. Les guerres d’Irak et d’Afghanistan. Nous avions cru avoir tout vu avec George W. Bush. Barack Obama nous promettait de tourner la page de cette Amérique guerrière et antidémocratique.
        Cinq ans après, Guantanamo est toujours ouvert, les drones sans pilote tuent, dans le monde entier, des citoyens sans procès dont la liste est approuvée chaque mardi (« le kill-day ») à la Maison blanche, les guerres ouvertes (Afghanistan, Libye) et souterraines continuent… Et le courageux soldat Bradley Manning qui a révélé les images de crimes contre l’humanité en Irak et les câbles diplomatiques révélés par WikiLeaks est aujourd’hui traîné devant un tribunal d’exception au siège de la NSA (les services de renseignements militaires), jugé par un seul colonel.
        Aujourd’hui, le plus grand scandale jamais découvert d’espionnage de la vie privée a éclaté : depuis des années, les services de renseignements US surveillent les e-mails, les conversations virtuelles, les recherches Internet de centaines de millions de gens au niveau mondial dans une opération nommée PRISM. 1,7 milliard d’e-mails, téléphones et autres communications sont ainsi surveillés chaque jour par la NSA ! « La NSA veut pouvoir être au courant de toutes les conversations et de tous les agissements de n’importe quel individu, partout dans le monde », affirme Edward Snowden, l’ex-agent de la CIA qui a révélé l’affaire.

     Tout citoyen devient ainsi un terroriste en puissance, justifiant toutes les surveillances


    La vie privée est ainsi littéralement enterrée. L’impérialisme US est sans limites : il déclenche des guerres, il occupe des pays, il envahit désormais le dernier recoin de votre téléphone mobile et de votre ordinateur. Plus le monde capitaliste s’enfonce dans la crise, plus il s’accompagne d’une répression et d’une volonté de contrôler toute tentative potentielle de contestation. Tout citoyen devient ainsi un terroriste en puissance, justifiant toutes les surveillances.
     Les déclarations outrées de dirigeants européens sont hypocrites : l’Union européenne n’est pas immunisée contre de telles dérives. Dès 2006, une directive européenne sur la rétention des données a été promulguée. Sa transposition dans le droit belge pourrait être prochainement votée par le Parlement sur base d’un avant-projet de loi de Turtelboom et Vande Lanotte (voir ici). Cette loi obligerait les sociétés de télécommunication et les fournisseurs d’accès à Internet à conserver durant douze mois toutes les communications passant par eux. La Sûreté de l’État et les renseignements militaires auront accès à ces données. Or, leur champ d’activité est tellement largement défini que la nouvelle loi permettrait de « screener » toute opposition à la politique de l’Union européenne et du gouvernement. Des situations à l’américaine ne sont plus très loin. Pour protéger notre vie privée, notre liberté d’expression et d’organisation, ce projet de loi Turtelboom-Vande Lanotte doit être arrêté. Car après les révélations de Snowden, nos députés ne pourront plus dire : « Nous ne savions pas. »

    http://www.ptb.be

    Monde - le 13 Juin 2013

    PRISM : découvre-t-on vraiment la Lune ?

    Edward Snowden peut se féliciter de l’émotion suscitée par ses informations sur PRISM. Mais cela ne doit pas occulter le fait que ce programme n’est qu’un élément d’un ensemble progressivement mis en place depuis des années, y compris en France.

    Sans forcément remonter jusqu’à Echelon, le gigantesque programme d’écoute des télécommunications mis en place depuis la fin des années 80, l’essentiel de PRISM était déjà inscrit dans le Patriot Act, que Bush junior a fait passer suite aux attentats du 11 septembre. Texte qui permettait globalement tous les passe-droits, y compris de piétiner la constitution, au nom de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme. La réelle nouveauté est finalement que plutôt que de se débrouiller grâce à Echelon pour intercepter les messages d’apprentis terroristes du monde entier qui font l’erreur d’écrire Al Qaida et bombe dans le même SMS, certains opérateurs télécoms fournissent directement et automatiquement toutes les informations à la NSA.

    Autre bonne raison de ne pas être trop surpris : les Etats-Unis, comme la France, sont pourvoyeurs de technologies qu’on retrouve dans diverses dictatures pour surveiller leur population. Dont l’américain Bluecoat, qui a efficacement équipé Bachar-al Assad en Syrie. Difficile de croire que les pays hôtes n’en « profitent » pas. Lorsque Takkiedine a permis la vente de la technologie française d’Amesys à la Libye de Kadhafi, n’avait-il pas joint la recommandation de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur ? Et qui en tant que tel, vantait la qualité des outils d’Amesys, et a même mis à disiposition du client des agents des services de renseignement français comme formateur.
    C’est que la France n’a en la matière rien à envier aux Etats-Unis. La DGSE dispose de ce qui est pudiquement appelé des centres d’écoute, dont le but est d’intercepter et d’espionner les télécommunications entrant et sortant du territoire. Comme le rappelle Le Monde daté du 12 juin, « les centres d’hébergement des sites sont pour la plupart basé à l’étranger, ce qui exonère la DGSE de répondre à la loi française ». C’est la Pnij (Plateforme nationale d’interception judiciaire) qui centralise le tout.

    Edward Snowden permet au moins de soulever un réel problème démocratique. Les Services de renseignement, au nom de la sécurité, se permettent de contourner les lois du pays et parviennent le plus souvent à se soustraire au contrôle parlementaire, toujours au nom du secret. Les agents français comme américains scrutent les télécommunications qui entrent et sortent des pays, en dehors de tout cadre légal.
    Il faut se poser de réelles questions de société, avait concédé un Obama gêné aux entournures par cette affaire le 7 juin. Les programmes de surveillance électronique et téléphonique de l'Agence de sécurité nationale (NSA) américaine auraient ainsi contribué à empêcher "des dizaines d'actes terroristes", à en croire le directeur de l'Agence, le général Keith Alexander. Et personne ne peut vérifier que c’est vrai.

    Pi.M.


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