• « En Grèce, on arrive au bout des contradictions de l’austérité »

    Hugues Le Paige :: « En Grèce, on arrive au bout des contradictions de l’austérité »

    La suppression de la radiotélévision publique grecque (ERT) a provoqué la stupeur et la colère d’une bonne partie du peuple grec et l’incompréhension à l’étranger. Retour sur un événement sans précédent en Europe avec Hugues Le Paige, ancien journaliste à la RTBF et fondateur de la revue « Politique ».

     

    Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez appris la nouvelle ?

    Hugues Le Paige. J’ai été, comme tout le monde, très surpris. On en a vu des vertes et des pas mûres en Grèce jusqu’à présent mais une telle décision… Cette fermeture brutale de tous les émetteurs et une expulsion de quasi 3 000 travailleurs sans aucune forme de préavis, même les colonels à l’époque de la dictature n’avaient pas osé faire. Probablement qu’il y a de sombres calculs politiques de la part du Premier ministre grec pour essayer de susciter un certain type de réaction que l’on ne distingue pas encore très bien.

    C’est d’une violence sans précédent. Il y avait de réels problèmes au sein de l’organisation de la télévision publique grecque qui était parmi les institutions publiques les plus parasitées par le clientélisme politique. Les partis de droite et de gauche, en fonction de leur occupation du pouvoir ou non, plaçaient et replaçaient leur personnel politique à des salaires souvent faramineux. Cela dit, c’est totalement inacceptable. Pour les hommes et les femmes qui y travaillaient. Et cette suppression d’une voix contestable, imparfaite, etc. mais qui restait quand même une voix de service public dans la panoplie des médias grecs, c’est inacceptable. Et c’est sans précédent. C’est à l’image de ce que le « libéralisme réel », dégénéré, produit aujourd’hui en Grèce. On en est à une expression d’un libéralisme qui n’a plus aucun frein.

     Le service public a un sens fondamental dans l’organisation démocratique de la société

    Quelle est l’importance d’avoir un service public d’information dans une société dite démocratique ?

    Hugues Le Paige. Le service public a un sens fondamental dans l’organisation démocratique de la société, où l’information du service public est conçue pour permettre aux citoyens d’avoir des instruments de connaissance, de jugement, d’analyse de la société dans laquelle ils vivent. Ce n’est pas lui dire ce qu’il doit penser, pour qui il doit voter, etc. mais donner les instruments de connaissance des mécanismes sociaux, économiques, politiques, culturels, de la société. Après, le citoyen forge sa propre opinion, il décide d’intervenir ou pas dans le débat public, de défendre ou d’attaquer la société telle qu’elle est. Mais cette conception est battue en brèche depuis plusieurs années. Je ne dis pas qu’il n’en reste rien, il reste des îlots, des moments, des endroits, des opportunités où ce type d’information peut encore exister. Mais ce n’est plus la règle fondamentale de fonctionnement du service public, ni en Grèce, ni en Belgique, ni ailleurs. Malheureusement, le service public s’aligne de plus en plus sur la logique du marché, de la concurrence, de la recherche de l’instantanéité, etc. Alors que l’idée même de service public, c’est la différence. Par rapport aux marchés, aux stations commerciales.

    Connaissiez-vous l’ERT ?

    Hugues Le Paige. De ce que j’en connais, c’est une station qui s’aligne de plus en plus sur le marché. Mais il y a toujours des différences entre un modèle de télévision publique, même si elle a adopté des critères des marchés et les stations privées. Mais il n’y a plus une différence fondamentale. Probablement que par rapport aux chaînes privées en Grèce, ça reste encore une télévision plus décente. Le mouvement populaire qui se manifeste aujourd’hui n’est probablement pas la défense de l’ERT telle qu’elle existait mais une manifestation de refus de la brutalité d’une décision à la fois à l’égard de la télévision publique et des travailleurs de cette télévision. C’est cela qui provoque de tels élans de solidarité en Grèce et ailleurs. Quels que soient les défauts de la chaîne, c’est l’aspect dictatorial de la décision qui provoque la colère des citoyens qui, même si ils n’étaient pas satisfaits de leur audiovisuel public, n’admettent pas qu’on gère un pays de cette manière aujourd’hui. Il y a eu d’autres fermetures d’entreprise aussi violentes mais elles n’avaient pas la valeur symbolique de la radio et de la télévision publique.

     

     une condition à l’adhésion à l’Union européenne est… l’existence d’un service public d’information

    Les médias parlent tantôt d’une responsabilité du gouvernement grec, tantôt de la Troïka. Votre avis ?

    Hugues Le Paige. Ce n’est sans doute pas la Troïka qui a décidé qu’il fallait mettre ces 3 000 travailleurs-là dehors. Mais peu importe, la logique qui a été imposée est celle de la Troïka. Et la position de la Commission européenne est intéressante. Dans son communiqué, on peut lire : « La décision doit être considérée dans le contexte des efforts considérables et nécessaires que les autorités ont faits pour moderniser l’économie grecque. » C’est une justification de cette décision. Alors qu’une condition à l’adhésion à l’Union européenne est… l’existence d’un service public d’information. On arrive au bout des contradictions des politiques d’austérité...

    N’y a-t-il pas une volonté de censure de la part du gouvernement ?

    Hugues Le Paige. Je ne sais pas. Même si on ne peut pas l’exclure, je pense que c’est plus la manifestation d’un autoritarisme et d’une logique poussée jusqu’à son paroxysme. C’était un lieu ou il y avait plus de débats que dans les télévisions privées qui sont le plus souvent aux mains d’armateurs (qui ne payent pas le moindre impôt, rappelons-le). Sans doute que c’était un espace de débat plus ouvert mais est-ce cela qui a poussé le Premier ministre grec à prendre cette décision ? Je ne sais pas. Il y a suffisamment d’autres raisons.

    Rien n’est impossible et que rien n’est prévisible

     Rien n’est impossible et que rien n’est prévisible

    Un tel scénario est-il possible dans un autre pays de l’Union européenne ?

    Hugues Le Paige. Jusqu’hier, je pensais que ce n’était pas possible en Grèce. Maintenant, si on regarde des pays qui vivent des problèmes similaires à ceux de la Grèce aujourd’hui, on ne peut plus rien exclure. C’est « plus facile » à faire dans un pays où l’État est faible que dans d’autres. Comme la France par exemple, où l’histoire, des rois de France jusqu’à De Gaulle, montre un attachement très fort à l’État. Mais dans les pays d’Europe du Sud, l’attachement est moindre. Et on ne sait pas ce qui peut se produire.

    Il y a un faisceau d’éléments très inquiétants. Comme la manière dont on adopte en catimini le Traité budgétaire européen, sans qu’il y ait véritablement de débats au Parlement et sans consultation de la société civile sur des politiques qui vont déterminer les conditions de vie de tous. Comme le fait que l’Europe, malgré la mini autocritique émise par le FMI sur les politiques d’austérité menées en Grèce, persévère dans la même voie incompréhensible. Et comme la décision de la Commission, il y a quelques jours, de manière inflexible et contre l’avis d’un vote du Parlement européen, qui refuse de retirer les matières audiovisuelles des négociations transatlantiques. Ce qui met à mal l’idée même de l’exception culturelle… Bref, tout ce qui se passe du côté de l’Europe est très inquiétant.

    Que peut-on faire pour inverser la tendance ?

    Hugues Le Paige. Il faut d’abord noter que rien n’est impossible et que rien n’est prévisible. Ce qui s’est produit ces derniers jours en Turquie était totalement insoupçonnable il y a deux mois. Personne n’imaginait qu’un tel mouvement populaire était possible. Personne. Cela veut dire qu’il y a des forces qui se manifestent de manières parfois souterraines, en dessous de l’expression politique traditionnelle, mais qui peuvent, à un moment, surgir et prendre une ampleur totalement insoupçonnée. Il ne faut jamais désespérer de cette possibilité là. Si l’on croit à l’action publique, à l’action collective, on doit tenter de la conduire le mieux possible, avec le plus d’ardeur et de volonté que l’on peut. C’est à cela qu’il faut œuvrer. Et, aujourd’hui, il faut exprimer sa solidarité au peuple grec, participer aux nombreuses actions qui sont organisées un peu partout en Europe.

     http://www.ptb.be


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