• A. — Le capitalisme prémonopoliste

    Chapitre 9 — L’accumulation du capital et la paupérisation du prolétariat

    9.1. La production et la reproduction.

    Pour vivre et se développer, la société doit produire des biens matériels. Elle ne peut en arrêter la production, comme elle ne peut s’arrêter de consommer.

    De jour en jour, d’une année à l’autre, les hommes consomment du pain, de la viande et d’autres aliments, usent vêtements et chaussures, mais en même temps des quantités nouvelles de pain, de viande, de vêtements, de chaussures et d’autres produits sont fabriquées par le travail de l’homme. Le charbon est brûlé dans les poêles et les chaufferies, mais en même temps de nouvelles quantités de charbon sont extraites des entrailles de la terre. Les machines s’usent peu à peu, les locomotives vieillissent tôt ou tard, mais dans les entreprises on fabrique de nouvelles machines-outils, de nouvelles locomotives. Quelle que soit la structure des rapports sociaux, le processus de production doit constamment se renouveler.

    Ce renouvellement incessant, cette répétition ininterrompue du processus de production porte le nom de reproduction.

    Considéré, non sous son aspect isolé, mais dans le cours de sa rénovation incessante, tout procès de production sociale est donc en même temps procès de reproduction.

    ( K. Marx, Le Capital, livre 1, t. 2,p. 9. )

    Les conditions de la production sont aussi celles de la reproduction. Si la production revêt la forme capitaliste, la reproduction revêt la même forme.

    Le processus de reproduction consiste non seulement en ce que les hommes fabriquent des quantités toujours nouvelles de produits pour remplacer et au-delà les produits consommés, mais aussi en ce que, dans la société, les rapports de production correspondants se renouvellent sans cesse.

    Il faut distinguer deux types de reproduction : la reproduction simple et la reproduction élargie.

    La reproduction simple est la répétition du processus de production dans ses proportions précédentes, les produits nouvellement fabriqués ne faisant que compenser la dépense des moyens de production et des objets de consommation individuelle.

    La reproduction élargie est la répétition du processus de production dans des proportions plus étendues, la société ne se bornant pas à compenser les biens matériels consommés, mais produisant, en plus, un supplément de moyens de production et d’objets de consommation.

    Avant l’apparition du capitalisme, les forces productives se développaient avec beaucoup de lenteur. Le volume de la production sociale ne s’est guère modifié d’une année à l’autre, d’une décennie à l’autre. Avec le capitalisme, l’état ancien d’immobilisme relatif et de stagnation de la production sociale a fait place à un développement beaucoup plus rapide des forces productives. La reproduction élargie, interrompue par des crises économiques, au cours desquelles il y a une baisse de la production, est caractéristique du mode de production capitaliste.

    9.2. La reproduction capitaliste simple.

    Avec la reproduction capitaliste simple, le processus de production se renouvelle sans changer de volume ; la plus-value est entièrement dépensée par le capitaliste pour sa consommation personnelle. L’analyse de la reproduction simule suffit déjà pour approfondir l’étude de certains traits essentiels du capitalisme.

    Dans le processus de reproduction capitaliste se renouvellent sans cesse non seulement les produits du travail, mais aussi les rapports d’exploitation capitalistes. D’une part, dans le cours de la reproduction se crée constamment la richesse qui appartient au capitaliste et qu’il utilise pour s’approprier la plus-value. Au terme de chaque processus de production, l’entrepreneur se retrouve en possession d’un capital qui lui permet de s’enrichir par l’exploitation des ouvriers. D’autre part, l’ouvrier demeure à l’issue du processus de production un prolétaire non possédant ; il est donc obligé, pour ne pas mourir de faim, de vendre sans cesse sa force de travail au capitaliste. La reproduction de la force de travail salariée demeure la condition nécessaire de la reproduction du capital.

    Le procès de production capitaliste reproduit donc de lui-même la séparation entre travailleur et conditions de travail. Il reproduit et éternise par cela même les conditions qui forcent l’ouvrier à se vendre pour vivre et mettent le capitaliste en état de l’acheter pour s’enrichir.

    ( K. Marx, Le Capital, livre 1, t. 3, p. 19-20. )

    Ainsi, dans le processus de production, le rapport capitaliste fondamental se renouvelle constamment : le capitaliste d’un côté, l’ouvrier salarié de l’autre. L’ouvrier, avant même d’aliéner sa force de travail à tel ou tel entrepreneur, appartient déjà au capitaliste collectif, c’est-à-dire à la classe des capitalistes dans son ensemble. Lorsque le prolétaire change de lieu de travail, il ne fait que changer d’exploiteur. L’ouvrier est sa vie durant enchaîné au char du capital.

    Si l’on considère un processus de production isolé, il semble à première vue qu’en achetant la force de travail, le capitaliste prélève sur ses propres fonds une somme d’argent pour l’avancer à l’ouvrier, puisque, à la date du paiement du salaire, le capitaliste peut ne pas avoir eu le temps de vendre la marchandise fabriquée par l’ouvrier dans une période donnée (par exemple en un mois). Mais si l’on prend la vente et l’achat de la force de travail non pas isolément, mais comme un élément de la reproduction, comme un rapport sans cesse répété, alors apparaît en pleine lumière le véritable caractère de cette transaction.

    Premièrement, alors que l’ouvrier par son travail crée, dans une période donnée, une nouvelle valeur renfermant la plus-value, le produit fabriqué par l’ouvrier dans la période précédente, est réalisé sur le marché et se convertit en argent. Il apparaît donc clairement que le capitaliste paye au prolétaire le salaire non pas sur ses propres fonds, mais sur la valeur créée par le travail des ouvriers dans la période précédente de production (par exemple, pendant le mois précédent). Selon l’expression de Marx, la classe des capitalistes agit suivant la vieille recette du conquérant : elle achète la marchandise des vaincus avec leur propre argent, avec l’argent dont elle les a dépouillés.

    En second lieu, contrairement aux autres marchandises, la force de travail n’est payée par le capitaliste qu’après que l’ouvrier a fourni un travail déterminé. Il se trouve donc que ce n’est pas le capitaliste qui avance au prolétaire; c’est au contraire, le prolétaire qui avance au capitaliste. Aussi bien, les entrepreneurs s’efforcent-ils de payer les salaires aux dates les plus espacées possible (par exemple, une fois par mois), afin de prolonger les délais du crédit gratuit que les ouvriers leur ont consenti.

    La classe des capitalistes verse constamment aux ouvriers de l’argent, sous forme de salaire, pour leur permettre d’acheter les moyens de subsistance, c’est-à-dire une certaine partie du produit créé par le travail des ouvriers et que les exploiteurs se sont approprié. Cet argent, les ouvriers le restituent aussi régulièrement aux capitalistes, en acquérant avec lui les moyens de subsistance produits par la classe ouvrière elle-même.

    L’analyse des rapports capitalistes dans le cours de la reproduction fait apparaître la source véritable du salaire, mais aussi celle de tout capital.

    Admettons que le capital avancé par l’entrepreneur — 100 000 livres sterling — rapporte une plus-value de 10 000 livres sterling par an, et que cette somme soit entièrement dépensée par le capitaliste pour sa consommation individuelle.

    Si l’entrepreneur ne s’appropriait pas le travail non payé de l’ouvrier, son capital se trouverait au bout de dix ans entièrement englouti. Il n’en est pas ainsi parce que la somme de 100 000 livres sterling dépensée par le capitaliste pour sa consommation personnelle, se renouvelle entièrement durant les délais indiqués grâce à la plus-value créée par le travail non payé des ouvriers.

    Par conséquent, quelle que soit la source initiale du capital, celui-ci, dans le cours même de la reproduction simple, devient, au bout d’une période déterminée, de la valeur créée par le travail des ouvriers et accaparée gratuitement par le capitaliste. C’est là la preuve de l’absurdité des affirmations des économistes bourgeois, selon lesquels le capital serait une richesse gagnée par le propre travail de l’entrepreneur.

    La reproduction simple fait partie intégrante, elle est un élément de la reproduction élargie. Les rapports d’exploitation, inhérents à la reproduction simple, sont encore plus accusés dans le cadre de la reproduction capitaliste élargie.

    9.3. La reproduction capitaliste élargie. L’accumulation du capital.

    Avec la reproduction élargie, une partie de la plus-value est consacrée par le capitaliste à l’accroissement de la production : achat de moyens de production supplémentaires et embauchage d’un supplément de main-d’œuvre. Par conséquent, une partie de la plus-value est ajoutée au capital précédent, elle est accumulée.

    L’accumulation du capital est l’adjonction d’une partie de la plus-value au capital ou sa conversion en capital. La plus-value constitue donc la source de l’accumulation. C’est par l’exploitation de la classe ouvrière que le capital grandit et, qu’en même temps, les rapports de production capitalistes se reproduisent sur une base élargie.

    L’élément moteur de l’accumulation pour l’entrepreneur capitaliste, c’est avant tout la course à l’augmentation de la plus-value. Avec le mode de production capitaliste, la soif d’enrichissement ne connaît point de bornes. Avec l’élargissement de la production augmente la masse de plus-value que s’approprie le capitaliste, et, par suite, aussi la partie de la plus-value destinée à satisfaire les besoins individuels et les caprices des capitalistes. D’un autre côté les capitalistes obtiennent la possibilité, grâce à l’accroissement de la plus-value, d’élargir de plus en plus la production, d’exploiter une quantité de plus en plus grande d’ouvriers et de s’approprier une masse sans cesse croissante de plus-value.

    Un autre élément moteur de l’accumulation est la concurrence acharnée, qui place les grands capitalistes en meilleure position et leur permet d’écraser les petits. La concurrence oblige chaque capitaliste, sous peine de faillite, à améliorer son outillage, à élargir sa production. Arrêter le progrès technique, l’élargissement de la production, c’est rester en arrière, et les retardataires se font battre par leurs concurrents. La concurrence oblige donc chaque capitaliste à augmenter son capital, et il ne peut le faire que par l’accumulation constante d’une partie de la plus-value.

    L’accumulation du capital est la source de la reproduction élargie.

    9.4. La composition organique du capital.
                  La concentration et la centralisation du capital.

    Au cours de l’accumulation capitaliste, la masse générale du capital augmente et ses différentes parties subissent des changements inégaux, d’où résulte un changement de la structure du capital.

    En accumulant la plus-value et en élargissant son entreprise, le capitaliste introduit généralement de nouvelles machines et des perfectionnements techniques, qui lui assureront une augmentation de ses bénéfices. Le progrès technique marque un accroissement plus rapide de la partie du capital qui existe sous forme de moyens de production : machines, bâtiments, matières premières, etc., c’est-à-dire du capital constant. Au contraire, la partie du capital dépensée à l’achat de force de travail, c’est-à-dire de capital variable, s’accroît avec beaucoup plus de lenteur.

    Le rapport entre capital constant et capital variable, considéré comme rapport entre la masse des moyens de production et la force de travail vivante, est appelé composition organique du capital Prenons, par exemple, un capital de 100 000 livres sterling réparti en 80 000 livres de bâtiments, machines, matières premières, etc., et 20 000 livres de salaires. Alors la composition organique du capital est égale à 80 c : 20 v, ou 4 : 1.

    Dans les différentes branches de l’industrie et dans les différentes entreprises d’une même industrie, la composition organique du capital est inégale : elle est plus élevée là où il y a par ouvrier une quantité plus grande de machines complexes et coûteuses, de matières premières transformées ; elle est inférieure là où prévaut le travail vivant, où par ouvrier il y a moins de machines et de matières premières qui coûtent relativement moins cher.

    Avec l’accumulation du capital, la composition organique du capital augmente : la part du capital variable diminue, celle du capital constant augmente. Ainsi, dans l’industrie des États-Unis la composition organique du capital est passée de 4,4 : 1 en 1889, à 5,7 : 1 en 1904, à 6,1 : 1 en 1929 et à 6,5 : 1 en 1939.

    Dans le cours de la reproduction capitaliste les capitaux augmentent de volume du fait de la concentration et de la centralisation du capital.

    On appelle concentration du capital l’accroissement du capital par l’accumulation de la plus-value créée dans une entreprise donnée. Le capitaliste, en investissant dans l’entreprise une partie de la plus-value qu’il s’est appropriée, devient possesseur d’un capital sans cesse accru.

    On appelle centralisation du capital l’accroissement du capital par la fusion de plusieurs capitaux en un seul capital plus important. Avec la concurrence, le gros capital ruine et absorbe les petites et les moyennes entreprises, moins importantes, qui ne résistent pas à la compétition. En accaparant à vil prix les entreprises d’un concurrent ruiné ou en les liant à la sienne d’une manière ou d’une autre (par exemple, par endettement), le gros fabricant augmente les capitaux qu’il détient. La fusion de nombreux capitaux en un seul se fait également par l’organisation de sociétés en commandite, de sociétés par actions, etc.

    La concentration et la centralisation du capital rassemblent entre les mains d’un nombre restreint de personnes d’immenses richesses. L’accroissement des capitaux ouvre de larges possibilités à la concentration de la production dans de grandes entreprises.

    La grande production a des avantages décisifs sur la petite. Les grandes entreprises peuvent introduire des machines et des perfectionnements techniques, pratiquer largement la division et la spécialisation du travail, ce qui n’est pas à la portée des petites entreprises. De ce fait, la fabrication des produits revient moins cher aux grandes entreprises qu’aux petites. La concurrence entraîne de gros frais et de grandes pertes. Une grande entreprise peut supporter ces pertes pour, ensuite, les compenser largement, tandis que les petites entreprises et souvent aussi les moyennes se ruinent. Les grands capitalistes reçoivent des crédits avec beaucoup plus de facilité et à des conditions plus favorables ; or, le crédit est une des armes les plus importantes dans la concurrence. Tous ces avantages permettent à des entreprises toujours plus importantes, puissamment équipées, de prendre le premier rang dans les pays capitalistes, tandis qu’une multitude de petites et moyennes entreprises se ruinent et disparaissent. Grâce à la concentration et à la centralisation du capital, une minorité de capitalistes, possesseurs de fortunes énormes, préside aux destinées de dizaines et de centaines de milliers d’ouvriers.

    Dans l’agriculture, la concentration capitaliste aboutit à ce que la terre et d’autres moyens de production se concentrent de plus en plus dans les mains des gros propriétaires, tandis que les larges couches des petits et moyens paysans, privés de terre, de matériel et d’attelage sont asservis par le capital. Des masses de paysans et d’artisans se ruinent et deviennent des prolétaires.

    Ainsi donc, la concentration et la centralisation du capital ont pour effet d’aggraver les contradictions de classes, d’approfondir l’abîme entre la minorité bourgeoise, exploiteuse, et la majorité non possédante, exploitée, de la société. En même temps, par suite de la concentration de la production, les grandes entreprises capitalistes et les centres industriels rassemblent des masses toujours plus grandes du prolétariat. Cela facilite le rassemblement et l’organisation des ouvriers pour la lutte contre le capital.

    9.5. L’armée industrielle de réserve.

    L’accroissement de la production en régime capitaliste, comme on l’a déjà dit, s’accompagne d’une augmentation de la composition organique du capital. La demande de main-d’œuvre est déterminée par la grandeur, non du capital tout entier, mais seulement de sa partie variable. Or, la partie variable du capital, avec le progrès technique, diminue relativement par rapport au capital constant. Aussi, avec l’accumulation du capital et le progrès de sa composition organique, la demande de main-d’œuvre se réduit-elle relativement, encore que les effectifs d’ensemble du prolétariat augmentent en même temps que le capitalisme se développe.

    Il en résulte qu’une masse importante d’ouvriers ne peut trouver à s’employer. Une partie de la population ouvrière se trouve être « en surnombre » ; il se produit ce qu’on appelle une surpopulation relative. Cette surpopulation est relative, parce qu’une partie de la force de travail ne s’avère en surnombre que par rapport aux besoins d’accumulation du capital. Ainsi, dans la société bourgeoise, au fur et à mesure qu’augmente la richesse sociale, une partie de la classe ouvrière est vouée à un travail toujours plus dur et excessif, tandis que l’autre partie est condamnée à un chômage forcé.

    Il faut distinguer les formes essentielles suivantes de surpopulation relative.

    La surpopulation flottante est constituée par les ouvriers qui perdent leur travail pour un certain temps par suite de la réduction de la production, de l’emploi de nouvelles machines, de la fermeture d’entreprises. Avec l’élargissement de la production, une partie de ces chômeurs trouve à s’employer, de même qu’une partie des nouveaux ouvriers de la jeune génération. Le nombre total des ouvriers employés augmente, mais dans une proportion sans cesse décroissante par rapport à l’échelle de la production.

    La surpopulation latente est constituée par les petits producteurs ruinés, et avant tout par les paysans pauvres et les ouvriers agricoles qui ne sont occupés dans l’agriculture que pendant une faible partie de l’année, ne trouvent pas à s’employer dans l’industrie et traînent une misérable existence, en vivotant tant bien que mal à la campagne. Contrairement à ce qui se passe dans l’industrie, le progrès technique dans l’agriculture entraîne une diminution absolue de la demande de main-d’œuvre.

    La surpopulation stagnante est constituée par les groupes nombreux de gens qui ont perdu leur emploi permanent, et dont les occupations irrégulières sont payées bien au-dessous du niveau habituel du salaire. Ce sont de larges couches de travailleurs occupés dans la sphère du travail capitaliste à domicile, et aussi ceux qui vivent d’un travail occasionnel à la journée.

    Enfin, la couche inférieure de la surpopulation relative est constituée par les gens qui ont été depuis longtemps éliminés de la production, sans aucun espoir de retour, et qui vivent d’un gagne-pain de hasard. Une partie de ces gens est réduite à la mendicité.

    Les ouvriers éliminés de la production forment l’armée industrielle de réserve, l’armée des chômeurs. Cette armée est un attribut nécessaire de l’économie capitaliste, sans lequel elle ne peut ni exister, ni se développer. Dans les périodes d’essor industriel, quand l’élargissement rapide de la production s’impose, une quantité suffisante de chômeurs se trouve à la disposition des entrepreneurs. L’élargissement de la production a pour effet de réduire momentanément le chômage. Mais ensuite une crise de surproduction arrive et, de nouveau, des masses importantes d’ouvriers sont jetées à la rue et vont grossir l’armée de réserve des chômeurs.

    L’existence de cette armée permet aux capitalistes de renforcer l’exploitation des ouvriers. Les chômeurs sont contraints d’accepter les plus dures conditions de travail. Le chômage crée une situation instable pour les ouvriers employés dans la production, et réduit considérablement le niveau de vie de la classe ouvrière tout entière. Voilà pourquoi les capitalistes n’ont pas intérêt à voir supprimer l’année industrielle de réserve, qui pèse sur le marché du travail et assure au capitaliste une main-d’œuvre à bon marché.

    Avec le développement du mode de production capitaliste l’armée des chômeurs, diminuant dans les périodes d’essor de la production et augmentant pendant les crises, dans l’ensemble s’accroît.

    En Angleterre, 1,7 % des membres des trade-unions étaient chômeurs en 1853 ; en 1880, 5,5 % ; en 1908, 7,8 % ; en 1921, 16,6 %. Aux États-Unis, d’après les données officielles, le nombre des chômeurs par rapport à la totalité de la classe ouvrière, était : de 5,1 % en 1890, de 10 % en 1900, de 15,5 % en 1915, de 23,1 % en 1921. En Allemagne, le nombre des chômeurs parmi les syndiqués était : de 0,2 % en 1887, de 2 % en 1900, de 18 % en 1926. La surpopulation relative dans les pays coloniaux et semi-coloniaux d’Orient atteint des proportions énormes.

    Avec le développement du capitalisme, le chômage partiel prend des proportions toujours plus étendues : l’ouvrier ne travaille alors qu’une partie de la journée ou de la semaine.

    Le chômage est un véritable fléau pour la classe ouvrière. Les ouvriers n’ont pas de quoi vivre, si ce n’est de la vente de leur force de travail. Renvoyés de l’entreprise, ils sont menacés de mourir de faim. Souvent, les chômeurs restent sans toit, car ils n’ont pas de quoi payer un gîte. Ainsi, la bourgeoisie s’avère incapable d’assurer aux esclaves salariés du capital, ne fût-ce qu’une existence d’esclave.

    Les économistes bourgeois tentent de justifier le chômage en régime capitaliste en invoquant des lois éternelles de la nature. C’est à ce but que servent les inventions pseudo-scientifiques de Malthus, économiste réactionnaire anglais de la fin du 18e – début du 19e siècles. D’après la « loi de population », inventée par Malthus, depuis l’origine de la société humaine la population se multiplierait suivant les termes d’une progression géométrique (comme 1, 2, 4, 8, etc.), et les moyens d’existence, étant donné le caractère limité des richesses naturelles, augmenteraient suivant les termes d’une progression arithmétique (comme 1, 2, 3, 4, etc.) C’est là, d’après Malthus, la cause première du surplus de population, de la famine et de la misère des masses populaires. Le prolétariat, d’après Malthus, peut se libérer de la misère et de la famine, non pas par l’abolition du régime capitaliste, mais en s’abstenant du mariage et en réduisant artificiellement les naissances. Malthus considérait comme autant de bienfaits les guerres et les épidémies qui diminuent la population laborieuse. La théorie de Malthus est foncièrement réactionnaire. Elle permet à la bourgeoisie de justifier les tares incurables du capitalisme. Les inventions de Malthus n’ont rien de commun avec la réalité. Les moyens techniques puissants dont l’humanité dispose sont à même d’augmenter la quantité des moyens d’existence à des rythmes que l’accroissement même le plus rapide de la population est incapable d’égaler. Le seul obstacle est le régime capitaliste, qui est la cause véritable de la misère des masses.

    Marx a découvert la loi capitaliste de la population, selon laquelle dans la société bourgeoise, l’accumulation du capital fait qu’une partie de la population ouvrière devient inévitablement superflue, est éliminée de la production et vouée aux affres de la misère et de la faim. La loi capitaliste de la population a été engendrée par les rapports de production de la société bourgeoise.

    9.6. La surpopulation agraire.

    Comme il a été indiqué plus haut une des formes de surpopulation relative est la surpopulation latente ou surpopulation agraire. La surpopulation agraire est, dans l’agriculture des pays capitalistes, l’excédent de la population qui résulte de la ruine des grandes masses de la paysannerie ; cette population ne peut être que partiellement occupée dans la production agricole et ne trouve pas à s’employer dans l’industrie.

    Le développement accentue la différenciation de la paysannerie. Il se forme une armée nombreuse d’ouvriers agricoles et de paysans pauvres. Les grandes exploitations capitalistes créent une demande d’ouvriers salariés. Mais à mesure crue la production capitaliste s’étend d’une branche de l’agriculture à l’autre et que l’emploi des machines se répand et se développe, la masse de la paysannerie se ruine de plus en plus, et la demande en salariés agricoles diminue. Les couches ruinées de la population rurale se transforment constamment en prolétariat industriel ou viennent grossir l’armée des sans-travail dans les villes. Mais une grande partie de la population rurale ne trouvant pas de travail dans l’industrie, reste à la campagne où elle ne trouve que partiellement à s’employer dans l’agriculture.

    Le caractère latent de la surpopulation agraire consiste en ce que la force de travail excédentaire dans les campagnes est toujours plus ou moins liée à la petite et à la très petite exploitation paysanne. Le salarié agricole exploite généralement un petit lopin de terre qui lui permet de compléter son gagne-pain ou de végéter misérablement à la morte-saison. Ces exploitations sont nécessaires au capitalisme pour disposer de main-d’œuvre à bon marché.

    La surpopulation agraire en régime capitaliste prend des proportions énormes. En Russie tsariste, à la fin du 19e siècle, le chômage latent à la campagne frappait 13 millions d’individus. En Allemagne, en 1907, sur 5 millions d’exploitations paysannes, 3 millions de petites exploitations formaient l’armée de réserve du travail. Aux États-Unis, après 1930 on comptait selon les données officielles manifestement inférieures à la réalité, 2 millions de fermiers « en trop ». Chaque année, pendant la saison d’été, un à 2 millions d’ouvriers agricoles américains, avec leurs familles et leurs maigres biens, errent à travers le pays en quête d’un gagne-pain.

    La surpopulation agraire est particulièrement grande dans les pays économiquement arriérés. Ainsi, dans l’Inde où l’agriculture emploie les trois quarts environ de la population du pays, la surpopulation agraire forme une armée forte de millions d’hommes. Une grande partie de la population agricole est réduite à l’état de famine chronique.

    9.7. La loi générale de l’accumulation capitaliste.
                  La paupérisation relative et absolue du prolétariat.

    Le développement du capitalisme a pour résultat qu’avec l’accumulation du capital, à un pôle de la société bourgeoise d’immenses richesses se concentrent, le luxe et le parasitisme, le gaspillage et l’oisiveté des classes exploiteuses augmentent ; tandis qu’à l’autre pôle de la société s’intensifie de plus en plus le joug, l’exploitation, s’accroissent le chômage et la misère de ceux dont le travail crée toutes les richesses.

    L’armée industrielle de réserve est d’autant plus nombreuse que la richesse sociale, le capital en fonction, l’étendue et l’énergie de son accroissement, donc aussi la masse absolue du prolétariat et la force productive de son travail, sont plus considérables… La grandeur relative de l’armée industrielle de réserve s’accroît donc en même temps que les ressorts de la richesse. Mais plus cette armée de réserve grossit, comparativement à l’armée active du travail, plus grossit la surpopulation consolidée, excédent de population, dont la misère est inversement proportionnelle aux tourments de son travail… Voilà la loi absolue, générale, de l’accumulation capitaliste.

    ( K. Marx, Le Capital, livre 1, t. 3, p. 87 (trad. sur l’édit. allemande). )

    La loi générale de l’accumulation capitaliste est l’expression concrète du fonctionnement de la loi économique fondamentale du capitalisme, la loi de la plus-value. La course à la plus-value aboutit à l’accumulation des richesses entre les mains des classes exploiteuses et à l’augmentation de l’appauvrissement et de l’oppression des classes non possédantes.

    Le développement du capitalisme s’accompagne de la paupérisation relative et absolue du prolétariat.

    La paupérisation relative du prolétariat consiste en ce que dans la société bourgeoise la part de la classe ouvrière dans le montant global du revenu national décroît sans cesse, alors que la part des classes exploiteuses est en progression constante.

    Malgré l’accroissement absolu de la richesse sociale, la part des revenus de la classe ouvrière diminue rapidement. Les salaires des ouvriers de l’industrie américaine par rapport aux profits des capitalistes, étaient de 70 % en 1889, de 61 % en 1919, de 47 % en 1929 et de 45 % en 1939.

    Dans la Russie tsariste, de 1900 à 1913, l’ensemble des salaires nominaux, étant donné le nombre accru des ouvriers d’usine, avait augmenté d’environ 80 %, malgré une diminution du salaire réel, tandis que les bénéfices des industriels avaient plus que triplé.

    D’après les données d’économistes bourgeois, américains, vers 1920, aux États-Unis 1 % des propriétaires possédait 59 % de toutes les richesses, tandis que les couches pauvres formant 87 % de la population ne possédaient que 8 % de la richesse nationale.

    En 1920-1921, les plus gros propriétaires anglais, qui représentaient moins de 2 % de la totalité des propriétaires, détenaient 64 % de toute la richesse nationale, tandis que 76 % de la population n’en possédaient que 7,6 %.

    La paupérisation absolue du prolétariat consiste dans l’abaissement pur et simple de son niveau de vie.

    L’ouvrier connaît une paupérisation absolue, c’est-à-dire qu’il devient tout simplement plus pauvre qu’avant, qu’il est obligé de vivre moins bien, d’avoir une nourriture plus chiche, de moins souvent manger à sa faim, de vivre dans les caves et dans les greniers.

    […]

    Dans la société capitaliste la richesse grandit à une vitesse invraisemblable, en même temps que les masses ouvrières sont frappées par la paupérisation.

    ( V. Lénine, « La paupérisation dans la société capitaliste », Œuvres, t. 18, p. 451. )

    Pour enjoliver la réalité capitaliste, l’économie politique bourgeoise s’efforce de nier la paupérisation absolue du prolétariat. Les faits cependant attestent qu’en régime capitaliste le niveau de vie de la classe ouvrière est en baisse constante. Gela se manifeste sous bien des formes.

    La paupérisation absolue du prolétariat se traduit par la baisse du salaire réel. Comme on l’a déjà dit, la hausse des prix des objets de consommation courante, l’augmentation des loyers et des impôts entraînent la diminution constante du salaire réel des ouvriers.

    La paupérisation absolue du prolétariat se manifeste par l’ampleur et la durée accrues du chômage.

    Elle se manifeste dans l’intensification et dans l’aggravation des conditions de travail, qui aboutissent au vieillissement rapide de l’ouvrier, à la perte de sa capacité de travail, à sa transformation en invalide. L’intensification du travail et l’absence de mesures nécessaires à la protection du travail multiplient les accidents et les cas de mutilation.

    La paupérisation absolue du prolétariat se manifeste dans de plus mauvaises conditions d’alimentation et de logement des travailleurs, ce qui a pour effet de ruiner la santé et d’abréger la vie des travailleurs.

    Dans l’industrie houillère des États-Unis, de 1878 à 1914, sur mille ouvriers occupés, le nombre d’accidents mortels a augmenté de 71,5 %. Dans la seule année 1952, dans les entreprises des États-Unis, environ 15 000 personnes ont été tuées et plus de deux millions ont été mutilées. Le nombre d’accidents augmente également dans les charbonnages d’Angleterre : avant-guerre, chaque année un mineur sur six a été victime d’un accident ; de 1949 à 1953 la proportion est passée à un sur trois.

    Les données officielles des recensements relatifs à l’habitat établissent que près de 40 % des locaux d’habitation aux États-Unis ne répondent pas aux exigences minima d’hygiène et de sécurité. Le taux de mortalité de la population ouvrière est de beaucoup supérieur à celui des classes dominantes. La mortalité infantile dans les taudis de la ville de Détroit est six fois plus élevée que la moyenne des États-Unis.

    Le niveau de vie du prolétariat est particulièrement bas dans les pays coloniaux, où la misère extrême et la mortalité exceptionnellement élevée des ouvriers, par suite d’un travail exténuant et d’une famine chronique, revêtent un caractère de masse.

    Le niveau de vie de la paysannerie pauvre, en régime capitaliste, n’est pas supérieur, mais souvent même inférieur à celui des ouvriers salariés. Dans la société capitaliste, on assiste non Seulement à la paupérisation absolue et relative du prolétariat, mais aussi à la ruine et à la paupérisation de la paysannerie. On comptait en Russie tsariste des dizaines de millions de paysans pauvres qui souffraient de la faim. Les recensements américains établissent qu’au cours des dernières décennies, près des deux tiers des fermiers des États-Unis, en règle générale, n’ont pas le minimum vital. Aussi bien, leurs intérêts vitaux poussent les paysans à s’unir à la classe ouvrière.

    La voie du développement du capitalisme est celle de l’appauvrissement et de la sous-alimentation pour l’immense majorité des travailleurs. En régime bourgeois, l’essor des forces productives n’apporte pas aux masses laborieuses un allégement de leur situation, mais une aggravation de leur misère et de leurs privations.

    En même temps se développe la lutte de la classe ouvrière contre la bourgeoisie, pour la libération du joug du capital, et grandissent sa conscience et son organisation. Dans cette lutte sont entraînées de plus en plus les masses de la paysannerie.

    9.8. La contradiction fondamentale du mode de production capitaliste.

    À mesure qu’il se développe, le capitalisme associe de plus en plus étroitement le travail d’une multitude d’hommes. La division sociale du travail s’étend. Des branches d’industrie autrefois plus ou moins indépendantes se transforment en une série de productions réciproquement liées et dépendantes les unes des autres. Les relations économiques se resserrent entre entreprises, régions, pays entiers.

    Le capitalisme crée la grande production aussi bien dans l’industrie que dans l’agriculture. Le progrès des forces productives engendre des instruments et des méthodes de production qui exigent le travail en commun de centaines et de milliers d’ouvriers. La concentration de la production s’accroît. Il se produit ainsi une socialisation capitaliste du travail, une socialisation de la production.

    Mais la socialisation de la production progresse dans l’intérêt d’un petit nombre d’entrepreneurs privés, soucieux d’augmenter leurs profits. Le produit du travail social de millions d’hommes devient la propriété privée des capitalistes.

    Par conséquent, une contradiction profonde est inhérente au régime capitaliste : la production revêt un caractère social, alors que la propriété des moyens de production demeure propriété capitaliste privée, incompatible avec le caractère social du processus de production. La contradiction entre le caractère social du processus de production et la forme capitaliste privée d’appropriation des résultats de la production est la contradiction fondamentale du mode de production capitaliste ; cette contradiction va s’aggravant à mesure que le capitalisme se développe. Elle se manifeste par une anarchie accrue de la production capitaliste, par l’accentuation des antagonismes de classe entre le prolétariat et toutes les masses laborieuses d’une part et la bourgeoisie de l’autre.

    Résumé du chapitre 9

    1. La reproduction est le renouvellement constant, la répétition ininterrompue du processus de production. La reproduction simple est le renouvellement de la production sous un volume constant. La reproduction élargie signifie que la production se renouvelle sous un volume accru. Le capitalisme est caractérisé par la reproduction élargie, coupée périodiquement de crises économiques, pendant lesquelles la production est en baisse. La reproduction capitaliste élargie renouvelle sans cesse et approfondit les rapports d’exploitation.

    2. La reproduction élargie en régime capitaliste suppose l’accumulation du capital. L’accumulation est l’addition au capital d’une partie de la plus-value, ou la transformation de la plus-value en capital. L’accumulation capitaliste aboutit à une élévation de la composition organique du capital, c’est-à-dire que le capital constant s’accroît plus rapidement que le capital variable. La reproduction capitaliste s’accompagne de la concentration et de la centralisation du capital. La grande production possède des avantages décisifs sur la petite, ce qui permet aux grandes ou très grandes entreprises d’éliminer et de se subordonner les petites et moyennes entreprises capitalistes.

    3. Avec l’accumulation du capital et l’élévation de sa composition organique, la demande de main-d’œuvre subit une diminution relative. Il se forme une armée industrielle de réserve de chômeurs. L’excédent de main-d’œuvre dans l’agriculture capitaliste, dû à la ruine des masses essentielles de la paysannerie, crée la surpopulation agraire. La loi générale de l’accumulation capitaliste signifie la concentration des richesses entre les mains d’une minorité exploiteuse et l’accroissement de la misère des travailleurs, c’est-à-dire de l’immense majorité de la société. La reproduction élargie en régime capitaliste aboutit nécessairement à la paupérisation relative et absolue de la classe ouvrière. La paupérisation relative est la diminution de la part de la classe ouvrière dans le revenu national des pays capitalistes. La paupérisation absolue est l’abaissement pur et simple du niveau de vie de la classe ouvrière.

    4. La contradiction fondamentale du capitalisme est la contradiction entre le caractère social du processus de production et la forme capitaliste privée de l’appropriation. Avec le développement du capitalisme cette contradiction s’aggrave sans cesse et les antagonismes de classe deviennent plus profonds entre la bourgeoisie et le prolétariat.


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  • Portail de l'action des Elus et de la vie citoyenne

    Un appel à l'aide. C'est ce que viennent de lancé un collectif de seize fédérations d'associations d'aide à domicile aux pouvoirs publics. Ces professionnels qui interviennent auprès des familles en difficulté, des personnes âgées et handicapées, des malades, demandent la mise en place rapide d'un fonds d'urgence pour les aider à faire face à une situation financière "désespérée".

    • Des emplois supprimés, des familles en difficulté

    Depuis fin 2009, le collectif tire la sonnette d'alarme sur ses difficultés dues à la crise et demande un fonds d'urgence de 100 millions d'euros. Il craint 20.000 suppressions d'emplois sur 2010 et 2011. De plus, la suppression de certaines exonérations de cotisations patronales depuis le début de l'année entraîne des coûts supplémentaires de 2% (aide aux personnes âgées et handicapées) à 15% (familles fragiles), selon le collectif. Beaucoup de services fonctionnent "à découvert permanent" à la banque, selon Emmanuel Verny, directeur général de l'UNA et risquent le dépôt de bilan.

    Marie Alcantara, d'une association du Rhône, a cité l'exemple d'une famille aidée, dont la mère a une sclérose en plaques et le père est en prison. "Qui va emmener leur fille à l'école" si l'association ne peut plus s'en charger, s'est-elle interrogée?

    • Le fonds d'urgence se fait attendre

    L'aide aux familles, financée à hauteur de 140 millions par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et de 110 millions par les Conseils généraux, a besoin de 25 millions de plus, selon Jean-Laurent Clochard, secrétaire confédéral de la FNAAFP (aide aux familles). L'aide à domicile a déjà élaboré des réformes plus structurelles, en particulier pour rationaliser leur tarification.

    Mais, "en attendant cette réforme, il faut tenir", avec un fonds d'urgence, a ajouté Emmanuel Verny. Selon lui, "l'argent existe et il est facilement mobilisable", via la Caisse des dépôts ou des crédits non consommés de la Cnaf.

    La ministre des Solidarités Roselyne Bachelot avait évoqué en début d'année un fonds de 50 millions, prélevés sur les crédits de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Mais depuis, "il ne se passe rien", selon Jean-Marie Barbier, président de l'Association des paralysés de France.

    • A lire

    Aide à domicile: "Le gouvernement nous met la tête sous l'eau"

    par Emmanuel Verny,directeur général du réseau UNA (Union nationale de l’aide, des soins et des services à domicile).

    "Depuis plusieurs années, on alerte les pouvoirs publics sur l’écart croissant entre nos coûts d’intervention et les prix auxquels on est payé pour les faire. Chaque année, nous avons plus de personnes à prendre en charge. D’autre part, on est dans une logique de professionnalisation : en dix ans, le pourcentage de salariés qualifiés du secteur est passé de 10 % à 30 %. Forcément, cela fait augmenter les coûts. En 2009, on a averti qu’on allait dans le mur si rien n’était fait. Il y a eu une concertation, des groupes de travail, qui ne débouchent sur rien". Lire la suite...


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  • Nicolas Sarkozy , le « nouveau » président de la Côte d’Ivoire.

    Portail de l'action des Elus et de la vie citoyenneLa France l’a voulu, la France l’a obtenu. Laurent Gbagbo est tombé. Les intérêts français en Côte d’Ivoire sont sauvés. Selon l’ambassadeur de France à Abidjan Laurent Gbagbo, 65 ans, a été arrêté en compagnie notamment de son épouse Simone, considérée comme une "dure" du régime, et de son fils Michel, né d’un premier mariage. Ils ont été conduits à l’Hôtel du Golf, le quartier général d’Alassane Ouattara. La France s’était engagé sur un troisième front après l’Afghanistan et la Libye sans consulter le parlement. La thèse officielle est toujours la même que ce soit en Libye ou en Côte d’Ivoire, protéger les populations civiles, alors que dans les faits, les populations civiles sont aussi touchées par l’intervention armée et qu’il s’agit purement et simplement d’ingérence. Cette démarche guerrière ne fera pas oublier aux français le terrible bilan social de Nicolas Sarkozy et de l’UMP au pouvoir. Il ne s’agit pas ici de défendre monsieur Ouattara mais de s’interroger sur la politique guerrière que se livre la France sous le prétexte de faire des « guerres justes » pour apporter la démocratie à des pays qui ne lui ont rien demandé. La fameuse force «Licorne» a montré ce lundi que ce n’était pas qu’une simple force d’interposition mais une armée au service de l’Etat français pour sauver l’intérêt de la France dans un pays indépendant et souverain depuis le 7 août 1960. La Françafrique a de beaux jours devant elle. La France ne serait plus le "gendarme de l’Afrique", avait promis Sarkozy. Il voulait normaliser les relations entre la France et le continent africain et mettre fin à la fameuse « françafrique » si précieuse pour Jacques Chirac. Encore un mensonge dans la politique internationale de la France. La force « licorne » est passé de 900 à 1100 hommes. Les soldats contrôlent l’aéroport d’Abidjan et tentent de mettre en sûreté des milliers de Français et d’autres étrangers. Qu’est-ce que la France vient chercher en intervenant militairement dans son ancienne colonie, cinquante ans après l’indépendance ? Sarkozy peut répondre qu’il agit sur la base d’une résolution du Conseil de Sécurité et à la demande des Nations unies. Le 5 avril, des hélicoptères de combat français volaient à nouveau au-dessus d’Abidjan où la bataille finale faisait rage. Gbagbo est tombé… mais Le gendarme français est de retour en Afrique.

    Blog Farid Mellal :http://faridmellal.over-blog.com/


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  • Vous êtes très nombreux à réagir à la guerre en Libye et à envoyer vos questions. Michel Collon qui a publié plusieurs livres sur les stratégies de guerre des Etats-Unis et les médiamensonges des conflits précédents, répond à toutes ces questions et présente ici une analyse globale de ce conflit. Investig’Action tient à attirer votre attention sur l’importance de ce texte…

    Des questions qu’il faut se poser à chaque guerre

    27 fois. Les Etats-Unis ont bombardé un pays à 27 reprises depuis 1945. Et chaque fois, on nous a affirmé que ces actes de guerre étaient « justes » et « humanitaires ». Aujourd’hui, on nous dit que cette guerre est différente des précédentes. Mais on l’avait dit aussi la fois passée. Et la fois d’avant. On le dit chaque fois. N’est-il pas temps de mettre sur papier les questions qu’il faut se poser à chaque guerre pour ne pas se faire manipuler ?

    Pour la guerre, il y a toujours de l’argent ?

    Dans le pays le plus puissant du globe, quarante-cinq millions de gens vivent sous le seuil de pauvreté. Aux Etats-Unis, écoles et services publics tombent en ruines, parce que l’Etat « n’a pas d’argent ». En Europe aussi, « pas d’argent » pour les retraites ou pour créer des emplois. Mais lorsque la cupidité des banquiers provoque une crise financière, là, en quelques jours, on trouve des milliards pour les sauver. Ce qui a permis à ces mêmes banquiers US de distribuer l’an dernier 140 milliards $ de récompenses et bonus à leurs actionnaires et traders spéculateurs. Pour la guerre aussi, il semble facile de trouver des milliards. Or, ce sont nos impôts qui paient ces armes et ces destructions. Est-il bien raisonnable de faire partir en fumée des centaines de milliers d’euros à chaque missile ou de gaspiller cinquante mille euros de l’heure avec un porte-avions ? A moins que la guerre soit une bonne affaire pour certains ? Pendant ce temps, un enfant meurt de faim toutes les cinq secondes et le nombre de pauvres ne cesse d’augmenter sur notre planète en dépit des promesses.

    Quelle différence entre un Libyen, un Bahreini et un Palestinien ?

    Présidents, ministres et généraux jurent solennellement que leur objectif est seulement de sauver des Libyens. Mais, au même moment, le sultan du Bahrein massacre des manifestants désarmés grâce aux deux mille soldats saoudiens envoyés par les Etats-Unis ! Au même moment, au Yemen, les troupes du dictateur Saleh, allié des USA, tuent 52 manifestants à la mitrailleuse. Ces faits n’ont été contestés par personne, mais le ministre US de la Guerre, Robert Gates, a juste déclaré : « Je ne crois pas que ce soit mon rôle d’intervenir dans les affaires internes du Yemen » [1]. Pourquoi ce « deux poids, deux mesures » ? Parce que Saleh accueille docilement la Vème Flotte US et dit oui à tout ce que lui commande Washington ? Parce que le régime barbare d’Arabie saoudite est complice des multinationales pétrolières ? Il y aurait de « bons dictateurs » et de « mauvais dictateurs » ? Comment les USA et la France peuvent-ils se prétendre humanitaires ? Lorsqu’Israël a tué deux mille civils en bombardant Gaza, ont-ils instauré une « no fly zone » ? Non. Ont-ils pris des sanctions ? Aucune. Pire : Javier Solana, alors responsable des Affaires étrangères de l’U.E. a déclaré à Jérusalem : « Israël est un membre de l’Union européenne sans être membre de ses institutions. Israël est partie prenante à tous les programmes » de recherche et de technologie de l’Europe des 27. Ajoutant même : « Aucun pays hors du continent n’a le type de relations qu’Israël entretient avec l’Union européenne. » Sur ce point, Solana dit vrai : l’Europe et ses fabricants d’armes collaborent étroitement avec Israël dans la production des drônes, missiles et autres armements qui sèment la mort à Gaza. Rappelons qu’Israël a chassé sept cent mille Palestiniens de leurs villages en 1948, refuse toujours de leur rendre leurs droits et continue à commettre de multiples crimes de guerre. Sous cette occupation, 20% de la population palestinienne actuelle a séjourné ou séjourne dans les prisons d’Israël. Des femmes enceintes sont forcées d’accoucher attachées à leur lit et renvoyées immédiatement dans leurs cellules avec leurs bébés ! Mais ces crimes-là sont commis avec la complicité active des USA et de l’UE.

    La vie d’un Palestinien ou d’un Bahreini ne vaut pas celle d’un Libyen ? Il y aurait les « bons Arabes » et les « mauvais Arabes » ?

    Pour ceux qui croient encore à la guerre humanitaire… Dans un débat télévisé que j’ai eu avec Louis Michel, ancien ministre belge des Affaires étrangères et commissaire européen à la Coopération au développement, celui-ci m’a juré - la main sur le cœur - que cette guerre visait à « mettre en accord les consciences de l’Europe ». Il a été appuyé par Isabelle Durant, dirigeante des Verts belges et européens. Ainsi, les écologistes « peace and love » ont muté va-t-en-guerre ! Le problème, c’est qu’on nous parle de guerre humanitaire à chaque fois, et que ces gens « de gauche » comme Durant s’y sont à chaque fois laissé prendre. Ne feraient-ils pas mieux de lire ce que pensent vraiment les dirigeants US au lieu de juste les écouter à la télévision ? Ecoutez par exemple, à propos des bombardements contre l’Irak, le célèbre Alan Greenspan, qui fut longtemps directeur de la réserve fédérale des USA. Il écrit dans ses mémoires : « Je suis attristé qu’il soit politiquement incorrect de reconnaître ce que chacun sait : la guerre en Irak était essentiellement pour le pétrole » [2]. Ajoutant : « Les officiels de la Maison-Blanche m’ont répondu : ‘Eh bien, malheureusement, nous ne pouvons parler du pétrole’. » [3] Ecoutez, à propos des bombardements contre la Yougoslavie, John Norris, directeur de com de Strobe Talbott qui était alors vice-ministre US des Affaires étrangères, chargé des Balkans. Norris écrit dans ses mémoires : « Ce qui explique le mieux la guerre de l’Otan, c’est que la Yougoslavie résistait aux grandes tendances des réformes politiques et économiques (il veut dire : refusait d’abandonner le socialisme), et ce n’est pas notre devoir envers les Albanais du Kosovo. » [4] Ecoutez, à propos des bombardements contre l’Afghanistan, ce que disait alors l’ancien ministre US des Affaires étrangères Henry Kissinger : « Il existe des tendances, soutenues par la Chine et le Japon, à créer une zone de libre échange en Asie. Un bloc asiatique hostile combinant les nations les plus peuplées du monde avec de grandes ressources et certains des pays industriels les plus importants serait incompatible avec l’intérêt national américain. Pour ces raisons, l’Amérique doit maintenir une présence en Asie… » [5] Ceci confirmait la stratégie avancée par Zbigniew Brzezinski, qui fut responsable de la politique étrangère sous Carter et est l’inspirateur d’Obama : « L’Eurasie (Europe + Asie) demeure l’échiquier sur lequel se déroule le combat pour la primauté globale. (…) La façon dont les Etats-Unis ‘gèrent’ l’Eurasie est d’une importance cruciale. Le plus grand continent à la surface du globe en est aussi l’axe géopolitique. Toute puissance qui le contrôle, contrôle par là même deux des trois régions les plus développées et les plus productives. 75% de la population mondiale, la plus grande partie des richesses physiques, sous forme d’entreprises ou de gisements de matières premières, quelque 60% du total mondial. » [6]

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    A gauche, n’a-t-on rien appris des médiamensonges humanitaires des guerres précédentes ?

    Quand Obama le dit lui-même, vous ne le croyez pas non plus ? Ce 28 mars, Obama a justifié ainsi la guerre contre la Libye : « Conscients des risques et des coûts de l’action militaire, nous sommes naturellement réticents à employer la force pour résoudre les nombreux défis du monde. Mais lorsque nos intérêts et valeurs sont en jeu, nous avons la responsabilité d’agir. Vu les coûts et les risques de l’intervention, nous devons chaque fois mesurer nos intérêts face à la nécessité d’une action. L’Amérique a un important intérêt stratégique à empêcher Kadhafi de défaire ceux qui s’opposent à lui. »

    N’est-ce pas clair ? Alors, certains disent : « Oui, c’est vrai, les Etats-Unis n’agissent que s’ils y trouvent leur intérêt aussi. Mais au moins, à défaut de pouvoir intervenir partout, on aura sauvé ces gens-là. »

    Faux. Nous allons montrer que seuls les intérêts seront défendus. Pas les valeurs. D’abord, chaque guerre US fait plus de victimes qu’il n’y en avait avant (en Irak, un million de victimes directes ou indirectes !). Ensuite, l’intervention en Libye en prépare d’autres…

    Qui refusait de négocier ?

     

    Mais, dès que vous émettez un doute sur l’opportunité de cette guerre contre la Libye, tout de suite, on vous culpabilise : « Vous refusez donc de sauver les Libyens du massacre ? » Question mal posée. Supposons que tout ce qu’on nous a raconté se soit vraiment passé. Premièrement, arrête-t-on un massacre par un autre massacre ? Nous savons qu’en bombardant, nos armées vont tuer de nombreux civils innocents. Même si, comme à chaque guerre, les généraux nous promettent que celle-ci sera « propre », nous avons l’habitude de cette propagande. Deuxièmement, il y avait un moyen beaucoup plus simple et efficace de sauver des vies tout de suite. Tous les pays d’Amérique latine ont proposé d’envoyer immédiatement une mission de médiation, présidée par Lula. La Ligue arabe et l’Union africaine soutenaient cette démarche et Kadhafi avait accepté (proposant aussi d’envoyer des observateurs internationaux pour vérifier le cessez-le feu). Mais les insurgés libyens et les Occidentaux ont refusé cette médiation. Pourquoi ? « Parce que Kadhafi n’est pas de bonne foi », disent-ils. Possible. Tandis que les insurgés et leurs protecteurs occidentaux ont toujours été de bonne foi ? A propos des Etats-Unis, il est utile de rappeler comment ils se sont comportés dans toutes les guerres précédentes à chaque fois qu’un cessez-le-feu était possible… En 1991, lorsque Bush père a attaqué l’Irak parce que celui-ci avait envahi le Koweit, Saddam Hussein a proposé de se retirer et qu’Israël évacue aussi les territoires illégalement occupés en Palestine. Mais les USA et les pays européens ont refusé six propositions de négociation. [7] En 1999, lorsque Clinton a bombardé la Yougoslavie, Milosevic avait accepté les conditions imposées à Rambouillet, mais les USA et l’Otan en ont rajouté une, volontairement inacceptable : l’occupation totale de la Serbie. [8] En 2001, lorsque Bush fils a attaqué l’Afghanistan, les talibans avaient proposé de livrer Ben Laden à un tribunal international si on fournissait des preuves de son implication, mais Bush a refusé de négocier. En 2003, lorsque Bush fils a attaqué l’Irak sous prétexte d’armes de destruction massive, Saddam Hussein a proposé d’envoyer des inspecteurs, mais Bush a refusé car il savait que les inspecteurs ne trouveraient rien. Ceci a été confirmé par la divulgation du mémo d’une réunion entre le gouvernement britannique et les dirigeants des services scecrets briatnniques en juillet 2002 : « Les dirigeants britanniques espéraient que l’ultimatum soit rédigé en des termes inacceptables afin que Saddam Hussein le rejette directement. Mais ils étaient loin d’être certains que cela marcherait. Alors, il y avait un Plan B : les avions patrouillant dans la « no fly zone » jetant de nombreuses bombes en plus dans l’espoir que ceci provoquerait une réaction qui donnerait une excuse pour une large campagne de bombardements. » [9] Alors, avant d’affirmer que « nous » disons toujours la vérité tandis que « eux » mentent toujours, et aussi que « nous » recherchons toujours une solution pacifique, tandis que « eux » ne veulent pas de compromis, il faudrait être plus prudents… Tôt ou tard, le public apprendra ce qui s’est vraiment passé lors des négociations en coulisses, et constatera une fois de plus qu’il a été manipulé. Mais il sera trop tard, et on ne ressuscitera pas les morts. Portail de l'action des Elus et de la vie citoyenne

    La Libye, c’est comme la Tunisie et l’Egypte ? 

    Dans son excellente interview publiée il y a quelques jours par Investig’Action, Mohamed Hassan posait la bonne question : « Libye : révolte populaire, guerre civile ou agression militaire ? ». A la lumière des recherches récentes, il est possible de répondre : les trois, en fait. Une révolte spontanée, rapidement récupérée et transformée en guerre civile (qui avait été préparée), le tout servant de prétexte à une agression militaire. Qui, elle aussi, avait été préparée. Rien ne tombe du ciel en politique. Expliquons-nous… En Tunisie et en Egypte, la révolte populaire a grandi progressivement en quelques semaines, s’organisant peu à peu et s’unifiant sur des revendications claires, ce qui a permis de chasser les tyrans. Mais quand on analyse l’enchaînement ultra-rapide des événements à Benghazi, on est intrigué. Le 15 février, manifestation des parents de prisonniers politiques de la révolte de 2006. Manifestation durement réprimée, comme cela a toujours été le cas en Libye et dans les autres pays arabes. Et, à peine deux jours plus tard, re-manifestation, mais cette fois, les manifestants sont armés et passent directement à l’escalade contre le régime de Kadhafi. En deux jours, une révolte populaire devient une guerre civile ! Tout à fait spontanément ? Pour le savoir, il faut examiner ce qui se cache sous le vocable imprécis « opposition libyenne ». A notre avis, quatre composantes aux intérêts très différents. 1° Une opposition démocratique. 2° Des dignitaires de Kadhafi « retournés » par l’Ouest. 3° Des clans libyens mécontents du partage des richesses. 4° Des combattants de tendance islamiste.

    Qui compose cette « opposition libyenne » ?

    Dans cet enchevêtrement, il est important de savoir à qui on a à faire. Et surtout quelle faction a été intégrée dans les stratégies des grandes puissances… 1° Opposition démocratique. Il est légitime d’avoir des revendications face au régime Kadhafi, dictatorial et corrompu comme les autres régimes arabes. Un peuple a le droit de vouloir remplacer un régime autoritaire par un système plus démocratique. Cependant, ces revendications sont jusqu’ici peu organisées et sans programme précis. On rencontre aussi, à l’étranger, des mouvements révolutionnaires libyens, également assez disparates, mais tous opposés à l’ingérence étrangère. Pour diverses raisons que l’on va clarifier, ce ne sont pas ces éléments démocratiques qui ont grand chose à dire aujourd’hui sous la bannière des USA et de la France. 2° Dignitaires « retournés ». A Benghazi, un « gouvernement provisoire » a été instauré et est dirigé par Mustapha Abud Jalil. Cet homme était, jusqu’au 21 février, ministre de la Justice de Kadhafi. Deux mois plus tôt, Amnesty l’avait placé sur la liste des plus effroyables responsables de violations de droits humains d’Afrique du nord ». C’est cet individu qui, selon les autorités bulgares, avait organisé les tortures de infirmières bulgares et du médecin palestinien longtemps détenus par le régime. Un autre « homme fort » de cette opposition est le général Abdul Fatah Younis, ex ministre de l’Intérieur de Kadhafi et auparavant chef de la police politique. On comprend que Massimo Introvigne, représentant de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) pour la lutte contre le racisme, la xénophobie et la discrimination, estime que ces personnages « ne sont pas les ‘démocrates sincères’ des discours d’Obama, mais parmi les pires instruments du régime de Kadhafi, qui aspirent à chasser le colonel pour prendre sa place ». (1) 3° Clans mécontents. Comme le soulignait Mohamed Hassan, la structure de la Libye est restée fortement tribale. Durant la période coloniale, sous le régime du roi Idriss, les clans de l’est dominaient et les richesses pétrolières leur profitaient. Après la révolution de 1969, Kadhafi s’est appuyé sur les tribus de l’ouest et c’est l’est qui a été défavorisé. Il faut le regretter, un pouvoir démocratique et juste doit veiller à combattre les discriminations entre régions. On peut aussi se demander si les anciennes puissances coloniales n’ont pas encouragé les tribus mécontentes à saper l’unité du pays. Ce ne serait pas la première fois. Aujourd’hui, France et USA misent sur les clans de l’est pour prendre le contrôle du pays. Diviser pour régner, un vieux classique du colonialisme. 4° Eléments d’Al-Qaida. Des câbles diffusés par Wikileaks avertissaient que l’Est de la Libye était, proportionnellement, le premier exportateur au monde de « combattants - martyrs » en Irak. Des rapports du Pentagone décrivaient un « scénario alarmant » sur les rebelles libyens de Benghazi et Derna. Derna, ville de 80.000 habitants à peine, serait la première source de jihadistes en Irak. De même, Vicent Cannistraro, ancien chef de la CIA en Libye, signale parmi les rebelles beaucoup d’ « extrémistes islamiques capables de créer des problèmes » et que les « probabilités [sont] élevées que les individus les plus dangereux puissent avoir une influence dans le cas où Kadhafi devrait tomber ». (1). Evidemment, tout ceci s’écrivait lorsque Kadhafi était encore « un ami ». Mais ça montre l’absence totale de principes dans le chef des USA et de leurs alliés. Quand Kadhafi a réprimé la révolte islamiste de Benghazi en 2006, ce fut avec les armes et le soutien des Occidentaux. Une fois, on est contre les combattants à la Ben Laden. Une fois, on les utilise. Faudrait savoir. Parmi ces diverses « oppositions », quel élément l’emportera ? C’est peut-être aussi un but de l’intervention militaire de Washington, Paris et Londres : veiller à ce que « les bons « l’emportent ? Les bons de leur point de vue évidemment. Plus tard, on utilisera la « menace islamique » comme prétexte pour s’installer durablement En tout cas, une chose est sûre : le scénario libyen est différent des scénarios tunisien ou égyptien. Là, c’était « un peuple uni contre un tyran ». Ici, on est dans une guerre civile, Kadhafi disposant du soutien d’une partie de la population. Et dans cette guerre civile, le rôle qu’ont joué les services secrets US et français n’est déjà plus si secret que ça…

    Quel a été le rôle des services secrets ?

    En réalité, l’affaire libyenne n’a pas commencé en février à Benghazi en février, mais à Paris le 21 octobre 2010. Selon les révélations du journaliste italien Franco Bechis (Libero, 24 mars), c’est ce jour-là que les services secrets français ont préparé la révolte de Benghazi. Ils ont alors « retourné » (ou peut-être déjà avant) Nuri Mesmari, chef du protocole de Kadhafi, qui était quasiment son bras droit. Le seul qui entrait sans frapper dans la résidence du guide libyen. Venu à Paris avec toute sa famille pour une opération chirurgicale, Mesmari n’y a rencontré aucun médecin, mais se serait par contre entretenu avec plusieurs fonctionnaires des services secrets français et de proches collaborateurs de Sarkozy, selon le bulletin web Maghreb Confidential.

    Le 16 novembre, à l’hôtel Concorde Lafayette, il aurait préparé une imposante délégation qui allait se rendre deux jours plus tard à Benghazi. Officiellement, il s’agissait de responsables du ministère de l’Agriculture et de dirigeants des firmes France Export Céréales, France Agrimer, Louis Dreyfus, Glencore, Cargill et Conagra. Mais, selon les services italiens, la délégation comportait aussi plusieurs militaires français camouflés en hommes d’affaires. A Benghazi, ils rencontreront Abdallah Gehani, un colonel libyen que Mesmari a indiqué comme étant prêt à déserter.

    A la mi-décembre, Kadhafi, méfiant, envoie un émissaire à Paris pour essayer de contacter Mesmari. Mais la France l’arrête. D’autres Libyens se rendent visite à Paris le 23 décembre, et ce sont eux qui vont diriger la révolte de Benghazi avec les milices du colonel Gehani. D’autant que Mesmari a fourni aux Français de nombreux secrets de la défense libyenne. De tout ceci, il ressort que la révolte à l’est n’est donc pas si spontanée qu’on nous l’a dit. Mais ce n’est pas tout. Il n’y a pas que les Français… Qui dirige à présent les opérations militaires du « Conseil national Libyen » anti-Kadhafi ? Un homme tout juste arrivé des USA le 14 mars, selon Al Jazeera. Décrit comme une des deux « stars » de l’insurrection libyenne par le quotidien britannique de droite Daily Mail, Khalifa Hifter est un ancien colonel de l’armée libyenne, passé aux Etats-Unis. Celui qui fut un des principaux commandants militaires de la Libye jusqu’à la désatreuse expédition au Tchad fin des années 80, a ensuite émigré aux USA et vécu ces vingt dernières années en Virginie. Sans source de revenus connue, mais à petite distance des bureaux… de la CIA. [10] Le monde est petit. Comment un haut militaire libyen peut-il entrer aux Etats-Unis en toute tranquillité, quelques années après l’attentat terroriste de Lockerbie, pour lequel la Libye a été condamnée, et vivre vingt ans tranquillement à côté de la CIA ? Il a forcément dû offrir quelque chose en échange. Publié en 2001, le livre Manipulations africaines de Pierre Péan retrace les connexions d’Hifter avec la CIA et la création, avec le soutien de celle-ci, du Front National de Libération Libyen. Le seul exploit du dit Front sera l’organisation en 2007, aux USA, d’un « congrès national » financé par le National Endowment for Democracy [11], traditionnel intermédiaire de la CIA pour arroser les organisations au service des Etats-Unis… En mars de cette année, à une date non communiquée, le président Obama a signé un ordre secret autorisant la CIA à mener des opérations en Libye pour renverser Kadhafi. Le Wall Street Journal, qui relate ceci le 31 mars, ajoute : « Les responsables de la CIA reconnaissent avoir été actifs en Libye depuis plusieurs semaines, tout comme d’autres services occidentaux. ». Tout ceci n’est plus très secret, ça figure depuis un bon moment sur Internet, et ce qui est étonnant, c’est que les grands médias n’en aient pas dit un mot. Pourtant, on a déjà connu de nombreux exemples de « combattants de la liberté » ainsi armés et financés par la CIA. Par exemple, dans les années 80, les milices terroristes contras, mises sur pied par Reagan pour déstabiliser le Nicaragua et renverser son gouvernement progressiste. N’a-t-on rien appris de l’Histoire ? Cette « gauche » européenne qui applaudit aux bombardements n’utilise pas Internet ? Faut-il s’étonner que les services italiens « balancent » ainsi les exploits de leurs confrères français et que ceux-ci « balancent » leurs collègues US ? Seulement si on croit aux belles histoires sur l’amitié entre « alliés occidentaux ». On va en parler… A SUIVRE :

    2. Les objectifs des USA vont bien au-delà du pétrole

    3. Pistes pour agir

    Notes

     [1] Reuters, 22/3.

    [2] Sunday Times, 16 septembre 2007.

     [3] Washington Post, 17 septembre 2007.

    [4] Collision Course, Praeger, 2005, p.xiii.

     [5] Does America need a foreign policy ?, Simon and Schuster, 2001, p. 111.

    [6] Le Grand Echiquier, Paris 1997, p. 59-61.

    [7] Michel Collon, Attention, médias ! Bruxelles, 1992, p. 92.[8] Michel Collon, Monopoly, - L’Otan à la conquête du monde, Bruxelles 2000, page 38.[9] Michael Smith, La véritable information des mémos de Downing Street, Los Angeles Times, 23 juin 2005.

    [10] McClatchy Newspapers (USA), 27 mars.

    [11] Eva Golinger, Code Chavez, CIA contre Venezuela, Liège, 2006

    http://www.michelcollon.info/Comprendre-la-guerre-en-Libye-1-3


    De : Michel Collon

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  • Quels sont les véritables objectifs des Etats-Unis ? A ce stade de notre réflexion, plusieurs indices permettent déjà d’écarter définitivement la thèse de la guerre humanitaire ou de la réaction impulsive face aux événements. Si Washington et Paris ont délibérément refusé toute négociation, s’ils ont « travaillé » depuis un bon moment l’opposition libyenne et préparé des scénarios détaillés d’intervention, si les porte-avions se tenaient depuis longtemps prêts à intervenir (comme l’a confirmé l’amiral Gary Roughead, chef de l’US Navy : « Nos forces étaient déjà positionnées contre la Libye », Washington, 23 mars), c’est forcément que cette guerre n’a pas été décidée au dernier moment en réaction à des événements soudains, mais qu’elle avait été planifiée. Parce qu’elle poursuit des objectifs majeurs qui dépassent largement la personne de Kadhafi. Lesquels ?

    Les objectifs des USA vont bien au-delà du pétrole

    Dans cette guerre contre la Libye, Washington poursuit plusieurs objectifs simultanément : 1. Contrôler le pétrole. 2. Sécuriser Israël. 3. Empêcher la libération du monde arabe. 4. Empêcher l’unité africaine. 5. Installer l’Otan comme gendarme de l’Afrique. Ca fait beaucoup d’objectifs ? Oui. Tout comme lors des guerres précédentes : Irak, Yougoslavie, Afghanistan. En effet, une guerre de ce type coûte cher et comporte des risques importants pour l’image des Etats-Unis, surtout quand ils ne parviennent pas à gagner. Si Obama déclenche une telle guerre, c’est qu’il en attend des gains très importants. 

    Objectif n° 1 : Contrôler l’ensemble du pétrole 

    Certains disent que cette fois, ce n’est pas une guerre du pétrole, car les quantités libyennes seraient marginales dans la production mondiale et que, de toute façon, Kadhafi vendait déjà son pétrole aux Européens. Mais ils ne comprennent pas en quoi consiste la « guerre mondiale du pétrole »… Avec l’aggravation de la crise générale du capitalisme, les grandes puissances économiques se livrent une compétition de plus en plus acharnée. Les places sont chères dans ce jeu de chaises musicales. Pour garantir une chaise à ses multinationales, chaque puissance doit se battre sur tous les fronts : conquérir des marchés, conquérir des zones de main d’œuvre profitable, obtenir de gros contrats publics et privés, s’assurer des monopoles commerciaux, contrôler des Etats qui lui accorderont des avantages… Et surtout, s’assurer la domination sur des matières premières convoitées. Et avant tout, le pétrole. En 2000, analysant les guerres à venir dans notre livre Monopoly, nous écrivions : « Qui veut diriger le monde, doit contrôler le pétrole. Tout le pétrole. Où qu’il soit. ». Si vous êtes une grande puissance, il ne vous suffit pas d’assurer votre propre approvisionnement en pétrole. Vous voudrez plus, vous voudrez le maximum. Non seulement pour les énormes profits, mais surtout parce qu’en vous assurant un monopole, vous serez à même d’en priver vos rivaux trop gênants ou de les soumettre à vos conditions. Vous détiendrez l’arme absolue. Chantage ? Oui. Depuis 1945, les Etats-Unis ont tout fait pour s’assurer ce monopole sur le pétrole. Un pays rival comme le Japon dépendait par exemple à 95% des USA pour son approvisionnement en énergie. De quoi garantir son obéissance. Mais les rapports de force changent, le monde devient multipolaire et les Etats-Unis font face à la montée de la Chine, à la remontée de la Russie, à l’émergence du Brésil et d’autres pays du Sud. Le monopole devient de plus en plus difficile à maintenir. Le pétrole libyen, c’est seulement 1% ou 2% de la production mondiale ? D’accord, mais il est de la meilleure qualité, d’extraction facile et donc très rentable. Et surtout il est situé tout près de l’Italie, de la France et de l’Allemagne. Importer du pétrole du Moyen-Orient, d’Afrique noire ou d’Amérique latine se ferait à un coût bien supérieur. Il y a donc bel et bien bataille pour l’or noir libyen. D’autant plus pour un pays comme la France, la plus engagée dans un programme nucléaire devenu bien hasardeux. Dans ce contexte, il faut rappeler deux faits. 1. Kadhafi désirait porter la participation de l’Etat libyen dans le pétrole de 30% à 51%. 2. Le 2 mars dernier, Kadhafi s’était plaint que la production pétrolière de son pays était au plus bas. Il avait menacé de remplacer les firmes occidentales ayant quitté la Libye par des sociétés chinoises, russes et indiennes. Est-ce une coïncidence ? Chaque fois qu’un pays africain commence à se tourner vers la Chine, il lui arrive des problèmes. Voici un autre indice : Ali Zeidan, l’homme qui a lancé le chiffre de « six mille morts civils », qui auraient été victimes des bombardements de Kadhafi, cet homme est aussi le porte-parole du fameux CNT, le gouvernement d’opposition, reconnu par la France. Eh bien, à ce titre, Ali Zeidan a déclaré que « les contrats signés seront respectés", mais que le futur pouvoir « prendra en considération les nations qui nous ont aidés » ! C’est donc bien une nouvelle guerre du pétrole. Mais elle ne se déroule pas seulement contre la Libye… 

    Pourquoi ces rivalités USA – France - Allemagne ?

      Si la guerre contre la Libye est juste humanitaire, on ne comprend pas pourquoi ceux qui la mènent se disputent entre eux. Pourquoi Sarkozy s’est-il précipité pour être le premier à bombarder ? Pourquoi s’est-il fâché lorsque l’Otan a voulu prendre le contrôle des opérations ? Son argument « L’Otan est impopulaire dans les pays arabes » ne tient pas debout. Comme si lui, Sarkozy, y était tellement populaire après avoir à ce point protégé Israël et Ben Ali ! Pourquoi l’Allemagne et l’Italie ont-elles été si réticentes face à cette guerre ? Pourquoi le ministre italien Frattini a-t-il d’abord déclaré qu’il fallait « défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Libye » et que « l’Europe ne devrait pas exporter la démocratie en Libye »[1] ? Simples divergences sur l’efficacité humanitaire ? Non, il s’agit là aussi d’intérêts économiques. Dans une Europe confrontée à la crise, les rivalités sont de plus en plus fortes aussi. Il y a quelques mois encore, on défilait à Tripoli pour embrasser Kadhafi et empocher les gros contrats libyens. Ceux qui les avaient obtenus, n’avaient pas intérêt à le renverser. Ceux qui ne les avaient pas obtenus, y ont intérêt.

    Qui était le premier client du pétrole libyen ? L’Italie. Qui était le deuxième ? L’Allemagne. Continuons avec les investissements et les exportations des puissances européennes… Qui avait obtenu le plus de contrats en Libye ? L’Italie. Numéro deux ? L’Allemagne.

    C’est la firme allemande BASF qui était devenue le principal producteur de pétrole en Libye avec un investissement de deux milliards d’euros. C’est la firme allemande DEA, filiale du géant de l’eau RWE, qui a obtenu plus de quarante mille kilomètres carrés de gisements de pétrole et de gaz. C’est la firme allemande Siemens qui a joué le rôle majeur dans les énormes investissements du gigantesque projet « Great Man Made River » : le plus grand projet d’irrigation au monde, un réseau de pipelines pour amener l’eau depuis la nappe aquifère de la Nubie jusqu’au désert du Sahara. Plus de 1.300 puits, souvent à plus de cinq cents mètres de profondeur qui, une fois tous les travaux terminés, fourniront chaque jour 6,5 millions de mètres cubes d’eau à Tripoli, Benghazi, Syrte et d’autres villes. [2] 25 milliards de dollars qui ont attiré quelques convoitises ! De plus, avec ses pétrodollars, la Libye avait aussi engagé un très ambitieux programme pour renouveler ses infrastructures, construire des écoles et des hôpitaux et pour industrialiser le pays. Profitant de sa puissance économique, l’Allemagne a noué des partenariats économiques privilégiés avec la Libye, l’Arabie saoudite et les pays du Golfe arabique. Elle n’a donc aucune envie d’abîmer son image dans le monde arabe. Quant à l’Italie, il faut rappeler qu’elle colonisa la Libye avec une brutalité inouïe en s’appuyant sur les tribus de l’ouest contre celles de l’est. Aujourd’hui, à travers Berlusconi, les sociétés italiennes ont obtenu quelques beaux contrats. Elles ont donc beaucoup à perdre. Par contre, la France et l’Angleterre qui n’ont pas obtenu les plus beaux morceaux du gâteau, sont à l’offensive pour obtenir le repartage de ce gâteau. Et la guerre en Libye est tout simplement le prolongement de la bataille économique par d’autres moyens. Le monde capitaliste n’est vraiment pas beau. La rivalité économique se transpose sur le plan militaire. Dans une Europe en crise et dominée par une Allemagne ultraperformante (grâce notamment à sa politique de bas salaires), la France rompt ses alliances et se tourne à présent vers la Grande-Bretagne pour tenter de rééquilibrer la situation. Paris et Londres ont davantage de moyens militaires que Berlin, et tentent de jouer cette carte pour contrer leur faiblesse économique. 

    Objectif n° 2 : Sécuriser Israël

      Au Moyen-Orient, tout est lié. Comme Noam Chomsky nous l’a expliqué dans un entretien [3] : « A partir de 1967, le gouvernement US a considéré Israël comme un investissement stratégique. C’était un des commissariats de quartier chargés de protéger les dictatures arabes productrices de pétrole. ». Israël, c’est le flic du Moyen-Orient. Seulement, le problème nouveau pour Washington, c’est que les nombreux crimes commis par Israël (Liban, Gaza, flotille humanitaire…) l’isolent de plus en plus. Les peuples arabes réclament la fin de ce colonialisme. Du coup, c’est le « flic » qui a besoin d’être protégé. Israël ne peut survivre sans un entourage de dictatures arabes ne tenant aucun compte de la volonté de leurs peuples d’être solidaires des Palestiniens. C’est pourquoi Washington a protégé Moubarak et Ben Ali, et protégera les autres dictateurs. Les Etats-Unis craignent de « perdre » la Tunisie et l’Egypte dans les années à venir. Ce qui changerait les rapports de force dans la région. Après la guerre contre l’Irak en 2003, qui était aussi un avertissement et une intimidation envers tous les autres dirigeants arabes, Kadhafi avait senti la menace. Il avait donc multiplié les concessions, parfois exagérées, aux puissances occidentales et à leur néolibéralisme. Ce qui l’avait affaiblie sur le plan intérieur des résistances sociales. Quand on cède au FMI, on fait du tort à sa population. Mais si demain la Tunisie et l’Egypte virent à gauche, Kadhafi pourra sans doute revenir sur ces concessions. Un axe de résistance Le Caire – Tripoli – Tunis, tenant tête aux Etats-Unis et décidé à faire plier Israël serait un cauchemar pour Washington. Faire tomber Kadhafi, c’est donc de la prévention. 

    Objectif n° 3 : Empêcher la libération du monde arabe

      Qui règne aujourd’hui sur l’ensemble du monde arabe, son économie, ses ressources et son pétrole ? Pas les peuples arabes, on le sait. Mais pas non plus les dictateurs en place. Certes, ils occupent le devant de la scène, mais les véritables maîtres sont dans les coulisses. Ce sont les multinationales US et européennes qui décident ce qu’on va produire ou non dans ces pays, quels salaires on paiera, à qui profiteront les revenus du pétrole et quels dirigeants on y imposera. Ce sont les multinationales qui enrichissent leurs actionnaires sur le dos des populations arabes. Imposer des tyrans à l’ensemble du monde arabe a des conséquences très graves : le pétrole, mais aussi les autres ressources naturelles servent seulement aux profits des multinationales, pas à diversifier l’économie locale et à créer des emplois. En outre, les multinationales imposent des bas salaires dans le tourisme, les petites industries et les services en sous-traitance. Du coup, ces économies restent dépendantes, déséquilibrées et elles ne répondent pas aux besoins des peuples. Dans les années à venir, le chômage va encore s’aggraver. Car 35% des Arabes ont moins de quinze ans. Les dictateurs sont des employés des multinationales, chargés d’assurer leurs profits et de briser la contestation. Les dictateurs ont pour rôle d’empêcher la Justice sociale. Trois cent millions d’Arabes répartis en vingt pays, mais se considérant à juste titre comme une seule nation, se trouvent donc placés face à un choix décisif : accepter le maintien de ce colonialisme ou devenir indépendants en empruntant une voie nouvelle ? Tout autour, le monde est en plein bouleversement : la Chine, le Brésil et d’autres pays s’émancipent politiquement, ce qui leur permet de progresser économiquement. Le monde arabe demeurera-t-il en arrière ? Restera-t-il une dépendance des Etats-Unis et de l’Europe, une arme que ceux-ci utilisent contre les autres nations dans la grande bataille économique et politique internationale ? Ou bien l’heure de la libération va-t-elle enfin sonner ? Cette idée terrorise les stratèges de Washington. Si le monde arabe et le pétrole leur échappent, c’en est fini de leur domination sur la planète. Car les Etats-Unis, puissance en déclin économique et politique, sont de plus en plus contestés : par l’Allemagne, par la Russie, par l’Amérique latine et par la Chine. En outre, de nombreux pays du Sud aspirent à développer les relations Sud – Sud, plus avantageuses que la dépendance envers les Etats-Unis. Ceux-ci ont de plus en plus de mal à se maintenir comme la plus grande puissance mondiale, capable de piller des nations entières et capable de porter la guerre partout où ils le décident. Répétons-le : si demain le monde arabe s’unit et se libère, si les Etats-Unis perdent l’arme du pétrole, ils ne seront plus qu’une puissance de second rang dans un monde multipolaire. Mais ce sera un grand progrès pour l’humanité : les relations internationales prendront un nouveau cours, et les peuples du Sud pourront enfin décider de leur propre sort et en finir avec la pauvreté.     Portail de l'action des Elus et de la vie citoyenne

    Ceux pour qui la démocratie est dangereuse

      Les puissances coloniales ou néocoloniales d’hier nous jurent qu’elles ont changé. Après avoir financé, armé, conseillé et protégé Ben Ali, Moubarak et compagnie, voilà que les Etats-Unis, la France et les autres nous inondent de déclarations touchantes. Comme Hillary Clinton : « Nous soutenons l’aspiration des peuples arabes à la démocratie. » C’est un mensonge total. Les Etats-Unis et leurs alliés ne veulent absolument pas d’une démocratie arabe, ne veulent absolument pas que les Arabes puissent décider sur leur pétrole et leurs autres richesses. Ils ont donc tout fait pour freiner la démocratisation, pour maintenir au pouvoir des responsables de l’ancien régime. Et, quand cela échoue, pour imposer d’autres dirigeants à eux, chargés de démobiliser les résistances populaires. Le pouvoir égyptien vient par exemple de prendre des mesures anti-grèves très brutales.

    Expliquer la guerre contre la Libye par cette idée qu’après la Tunisie et l’Egypte, Washington et Paris auraient « compris » et voudraient se donner bonne conscience ou en tout cas redorer leur blason, ce n’est donc qu’une grosse tromperie. En réalité, la politique occidentale dans le monde arabe forme un ensemble qui s’applique sous trois formes diverses : 1. Maintenir des dictatures répressives. 2. Remplacer Moubarak et Ben Ali par des pions sous contrôle. 3. Renverser les gouvernements de Tripoli, Damas et Téhéran pour recoloniser ces pays « perdus ». Trois méthodes, mais un même objectif : maintenir le monde arabe sous domination pour continuer à l’exploiter.

    La démocratie est dangereuse quand on représente seulement les intérêts d’une toute petite minorité sociale. Ce qui fait très peur aux Etats-Unis, c’est que le mécontentement social a éclaté dans pratiquement toutes les dictatures arabes… En Irak (et nos médias n’en ont rien dit), de nombreuses grèves ont touché le pétrole, le textile, l’électricité et d’autres secteurs. A Kut, les troupes US ont même encerclé une usine textile en grève. On a manifesté dans seize des dix-huit provinces, toutes communautés confondues, contre ce gouvernement corrompu qui abandonne son peuple dans la misère. A Bahrein, sous la pression de la rue, le roi a fini par promettre une bourse spéciale de 2.650 $ à chaque famille. A Oman, le sultan Qaboos bin Said a remplacé la moitié de son gouvernement et augmenté le salaire minimum de 40%, ordonnant de créer cinquante mille emplois. Même le roi saoudien Fahd a débloqué 36 milliards de dollars pour aider les familles à bas et moyens revenus ! Evidemment, une question surgit de suite chez tous les gens simples : mais s’ils avaient tout cet argent, pourquoi le gardaient-ils dans leurs coffres ? La question suivante étant : combien d’autres milliards ont-ils volé à leurs peuples avec la complicité des Etats-Unis ? Et la dernière : comment mettre fin à ce vol ? 

    « Révolutions Facebook », grand complot US ou vraies révolutions ?

      Une interprétation erronée s’est répandue sur Internet : les révolutions arabes auraient été déclenchées et manipulées par les Etats-Unis. Ils en auraient tiré les ficelles pour opérer des changements bien contrôlés et pouvoir attaquer la Libye, la Syrie, l’Iran. Tout aurait été « fabriqué ». L’argument pour cette thèse : des organismes plus ou moins officiels avaient invité aux USA et formé des « cyberactivistes » arabes qui ont joué un rôle en pointe dans la circulation des infos et qui ont symbolisé une révolution de type nouveau, la « révolution Facebook ». L’idée de ce grand complot ne tient pas. En réalité, les Etats-Unis ont tout fait pour maintenir aussi longtemps que possible Moubarak, dictateur bien utile. Cependant, ils le savaient en mauvaise santé et « fini ». Dans ce genre de situations, ils préparent évidemment un « Plan B » et même un « Plan C ». Le Plan B consistait à remplacer Moubarak par un de ses adjoints. Mais ça avait peu de chances de marcher, vu la colère profonde du peuple égyptien. Donc, ils avaient préparé aussi un, voire plusieurs Plan C, comme ils le font d’ailleurs dans pratiquement tous les pays qu’ils veulent contrôler. Ca consiste en quoi ? Ils achètent à l’avance quelques opposants et intellectuels - que ceux-ci s’en rendent compte ou non - et « investissent » donc dans l’avenir. Le jour venu, ils propulsent ces gens sur le devant de la scène. Combien de temps ça marchera, c’est une autre question dès lors que la population est mobilisée et qu’un régime, même relifté, ne peut résoudre les revendications populaires si son but est de maintenir l’exploitation des gens. Parler de « révolution Facebook » est un mythe qui arrange bien les USA. Autant nous avons signalé depuis longtemps l’importance cruciale des nouvelles méthodes d’info et de mobilisation sur Internet, autant est absurde l’idée que Facebook remplacerait les luttes sociales et les révolutions. Cette idée convient bien aux grands capitalistes (dont Moubarak était le représentant), mais en réalité ce qu’ils craignent par dessus tout, c’est la contestation des travailleurs, car elle met directement en danger leur source de profits.  

    Le rôle des travailleurs 

    Facebook est une méthode de lutte, ce n’est pas l’essence de la révolution. Cette présentation veut escamoter le rôle de la classe ouvrière (au sens large), qui serait remplacée par Internet. En réalité, une révolution est une action par laquelle ceux d’en bas donnent leur congé à ceux d’en haut. Avec un changement radical non seulement du personnel politique, mais surtout dans les rapports d’exploitation sociale.

    Aïe ! Selon nos grands penseurs officiels, ça fait longtemps qu’on n’aurait plus le droit d’employer le terme « lutte de classe » qui serait dépassé et même un peu obscène. Pas de chance pour vous, le deuxième homme le plus riche du monde, le grand boursier Warren Buffet, a lâché le morceau il y a quelque temps : « D’accord, il y a une lutte de classe en Amérique. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui fait la guerre et nous la gagnons. ». [4] Ça, Monsieur Buffett, il ne faut jamais en jurer avant la fin de la pièce ! Rira bien… Mais les réalités tunisiennes et égyptiennes confirment la réalité de la lutte des classes, en accord avec Monsieur Buffett… Quand Ben Ali a-t-il fait sa valise ? Le 14 janvier, quand les travailleurs tunisiens étaient engagés dans une grève générale. Quand Moubarak a-t-il quitté son trône ? Lorsqu’une puissante grève des ouvriers égyptiens a paralysé les usines de textile, la poste et même les médias officiels. Explication par Joel Beinin, professeur à l’université de Stanford et ancien directeur à l’université américaine du Caire : « Ces dix dernières années, une vague énorme de protestations sociales avaient touché plus de deux millions de travailleurs dans plus de trois mille grèves, sit-ins et autres formes de protestation. Tel était l’arrière-plan de tout ce soulèvement révolutionnaire des dernières semaines… Mais dans les derniers jours, on a vu des dizaines de milliers de travailleurs lier leurs revendications économiques avec l’exigence d’abolir le régime Moubarak… ». [5] La révolution arabe ne fait que commencer. Après les premières victoires populaires, la classe dominante, toujours au pouvoir, tente d’apaiser le peuple avec quelques petites concessions. Obama souhaitait que la rue se calme au plus vite et que tout reste comme avant. Cela peut marcher un temps, mais la révolution arabe est en route. Elle peut prendre des années mais sera difficile à arrêter. 

    Objectif n° 4 : Empêcher l’unité africaine

      Continent le plus riche de la planète, avec une profusion de ressources naturelles, l’Afrique est aussi le plus pauvre. 57% vivent sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins d’1,25 $ par jour. La clé de ce mystère ? C’est justement que les multinationales ne paient pas ces matières premières, elles les volent. En Afrique, elles pillent les ressources, imposent des bas salaires, des accords commerciaux défavorables et des privatisations nuisibles, elles exercent toutes sortes de pressions et chantages sur des Etats faibles, elles les étranglent par une Dette injuste, elles installent des dictateurs complaisants, elles provoquent des guerres civiles dans les régions convoitées. L’Afrique est stratégique pour les multinationales, car leur prospérité est basée sur le pillage de ces ressources. Si un prix correct était payé pour l’or, le cuivre, le platine, le coltan, le phosphate, les diamants et les produits agricoles, les multinationales seraient beaucoup moins riches mais les populations locales pourraient échapper à la pauvreté. Pour les multinationales des Etats-Unis et d’Europe, il est donc vital d’empêcher l’Afrique de s’unir et de s’émanciper. Elle doit rester dépendante. Un exemple, bien exposé par un auteur africain, Jean-Paul Pougala… « L’histoire démarre en 1992 lorsque quarante-cinq pays africains créent la société RASCOM pour disposer d’un satellite africain et faire chuter les coûts de communication sur le continent. Téléphoner de et vers l’Afrique est alors le tarif le plus cher au monde, parce qu’il y avait un impôt de 500 millions de dollars que l’Europe encaissait par an sur les conversations téléphoniques même à l’intérieur du même pays africain, pour le transit des voix sur les satellites européens comme Intelsat. Un satellite africain coûtait juste 400 millions de dollars payable une seule fois et ne plus payer les 500 millions de location par an. Quel banquier ne financerait pas un tel projet ? Mais l’équation la plus difficile à résoudre était : comment l’esclave peut-il s’affranchir de l’exploitation servile de son maître en sollicitant l’aide de ce dernier pour y parvenir ? Ainsi, la Banque Mondiale , le FMI, les USA, l’Union Européenne ont fait miroiter inutilement ces pays pendant quatorze ans. C’est en 2006 que Kadhafi met fin au supplice de l’inutile mendicité aux prétendus bienfaiteurs occidentaux pratiquant des prêts à un taux usuraire ; le guide libyen a ainsi mis sur la table 300 millions de dollars, La Banque Africaine de Développement a mis 50 millions, la Banque Ouest Africaine de Développement, 27 millions et c’est ainsi que l’Afrique a depuis le 26 décembre 2007 le tout premier satellite de communication de son histoire. Dans la foulée, la Chine et la Russie s’y sont mises, cette fois en cédant leur technologie et ont permis le lancement de nouveaux satellites, sud-africain, nigérian, angolais, algérien et même un deuxième satellite africain est lancé en juillet 2010. Et on attend pour 2020, le tout premier satellite technologiquement 100% africain et construit sur le sol africain, notamment en Algérie. Ce satellite est prévu pour concurrencer les meilleurs du monde, mais à un coût dix fois inférieur, un vrai défi. Voilà comment un simple geste symbolique de 300 petits millions peut changer la vie de tout un continent. La Libye de Kadhafi a fait perdre à l’Occident, pas seulement 500 millions de dollars par an mais les milliards de dollars de dettes et d’intérêts que cette même dette permettait de générer à l’infini et de façon exponentielle, contribuant ainsi à entretenir le système occulte pour dépouiller l’Afrique. (…) C’est la Libye de Kadhafi qui offre à toute l’Afrique sa première vraie révolution des temps modernes : assurer la couverture universelle du continent pour la téléphonie, la télévision, la radiodiffusion et de multiples autres applications telles que la télémédecine et l’enseignement à distance ; pour la première fois, une connexion à bas coût devient disponible sur tout le continent, jusque dans les zones rurales grâce au système par pont radio WMAX. » [6] Tiens, voilà quelque chose qu’on ne nous avait pas raconté sur le méchant Kadhafi ! Qu’il aidait les Africains à s’émanciper de l’étouffante tutelle des Occidentaux. Y aurait-il encore d’autres non dits de ce genre ? 

    Kadhafi a défié le FMI et Obama joue les pick-pockets

      Oui. En soutenant le développement du « Fonds monétaire africain » (FMA), Kadhafi a commis le crime de défier le Fonds Monétaire International (FMI). On sait que le FMI, contrôlé par les Etats-Unis et l’Europe, et présidé par Dominique Strauss-Kahn, exerce un véritable chantage sur les pays en développement. Il leur prête seulement à condition que ces pays acceptent de se défaire de leurs entreprises au profit des multinationales, de passer des commandes inintéressantes ou de réduire leurs budgets santé et éducation. Bref, ce banquier FMI est très nuisible. Eh bien, de même que les Latinos ont lancé leur propre Banco Sur, pour contrer les chantages arrogants du FMI et décider eux-mêmes quels projets vraiment utiles ils veulent financer, voici que le FMA pourrait commencer à offrir une voie plus indépendante aux Africains. Et qui finance le FMA ? L’Algérie a fourni 16 milliards, et la Libye 10 milliards. Soit ensemble 62% de son capital. Mais, dans la plus grande discrétion médiatique, Obama vient tout simplement de voler trente milliards au peuple libyen. Comment ça s’est passé ? Le 1er mars (bien avant la résolution de l’ONU), il a donné l’ordre au Trésor US de bloquer les dépôts de la Libye aux USA. Puis, le 17 mars, il s’est arrangé pour insérer dans la résolution 1973 de l’ONU une petite phrase autorisant à geler les avoirs de la banque centrale de Libye mais aussi de la compagnie nationale libyenne du pétrole. On sait que Kadhafi a amassé un trésor pétrolier qui lui a permis d’investir dans de grandes sociétés européennes, dans de grands projets de développement africain (et peut-être aussi dans certaines campagnes électorales européennes, mais ceci ne semble pas constituer une forme efficace d’assurance-vie !)… Bref, la Libye est un pays assez riche (200 milliards de dollars de réserves) qui a attiré les convoitises d’une puissance hyper-endettée : les Etats-Unis. Alors, pour détourner les dizaines de milliards de dollars de la banque nationale libyenne, bref pour faire les poches du peuple libyen, Obama a simplement baptisé tout ça « source potentielle de financement du régime Kadhafi » et le tour était joué. Un vrai pick-pocket. Malgré tous ses efforts pour amadouer l’Occident en multipliant les concessions au néolibéralisme, Kadhafi inquiétait toujours les dirigeants des Etats-Unis. Un câble de l’ambassade US à Tripoli, datant de novembre 2007, déplore cette résistance : « Ceux qui dominent la direction politique et économique de la Libye poursuivent des politiques de plus en plus nationalistes dans le secteur de l’énergie. » Refuser la privatisation tous azimuts, ça mérite donc des bombardements ? La guerre est bel et bien la continuation de l’économie par d’autres moyens.     Portail de l'action des Elus et de la vie citoyenne

    Objectif n° 5 : Installer l’Otan comme gendarme de l’Afrique

      Au départ, l’Otan était censée protéger l’Europe contre la « menace militaire soviétique ». Donc, une fois l’URSS disparue, l’Otan aurait dû disparaître aussi. Mais ce fut tout le contraire… Après avoir bombardé en Bosnie en 1995, Javier Solana, secrétaire-général de l’Otan, déclarait : « L’expérience acquise en Bosnie pourra servir de modèle pour nos opérations futures de l’Otan ». A l’époque, j’avais donc écrit : « L’Otan réclame en fait une zone d’action illimitée. La Yougoslavie a été un laboratoire pour préparer de prochaines guerres. Où auront-elles lieu ? ». [7] Et je proposais cette réponse : « Axe n° 1 : Europe de l’Est. Axe n° 2 : Méditerranée et Moyen-Orient. Axe n° 3 : le tiers monde en général. » Nous y sommes, c’est ce programme qui se réalise aujourd’hui. Dès 1999, l’Otan bombardait la Yougoslavie. Une guerre pour soumettre ce pays au néolibéralisme, ainsi que nous l’avons vu. Etudiant les analyses des stratèges US, je soulignai alors cette phrase de l’un d’eux, Stephen Blank : « Les missions de l’Otan seront de plus en plus ‘out of area’ (hors de sa zone de défense). Sa fonction principale deviendrait donc d’être le véhicule de l’intégration de régions toujours plus nombreuses dans la communauté occidentale économique, de sécurité, politique et culturelle. » [8] Soumettre des régions toujours plus nombreuses à l’Occident ! J’écrivis alors : « L’Otan est l’armée au service de la globalisation, l’armée des multinationales. Pas à pas, l’Otan se transforme bel et bien en gendarme du monde. » [9]. Et j’indiquais les prochaines cibles probables de l’Otan : Afghanistan, Caucase, retour en Irak… Pour commencer. Aujourd’hui que tout cela s’est effectivement réalisé, certains me demandent : « Vous aviez une boule de cristal ? ». Pas besoin de boule de cristal, il suffit d’étudier les documents du Pentagone et des grands bureaux de stratégie US, qui ne sont même pas secrets, et de saisir leur logique. Et cette logique de l’Empire est en fait très simple : 1. Le monde est une source de profits. 2. Pour gagner la guerre économique, il faut être la superpuissance dominante. 3. Pour ça, il faut contrôler les matières premières, les régions et les routes stratégiques. 4. Toute résistance à ce contrôle doit être brisée : par la corruption, le chantage ou la guerre, peu importent les moyens. 5. Pour rester la superpuissance dominante, il faut absolument empêcher les rivaux de s’allier contre le maître. 

    Expansion de l’Otan : sur trois continents déjà !

      Pour défendre ces intérêts économiques et devenir le gendarme du monde, les dirigeants de l’Otan sèment la panique : « Notre monde sophistiqué, industrialisé et complexe a été assailli par bon nombre de menaces mortelles : changement climatique, sécheresse, famine, cybersécurité, question énergétique » [10], Ainsi, des problèmes non militaires, mais sociaux et environnementaux sont utilisés comme prétextes pour augmenter les armements et les interventions militaires. Le but de l’Otan est en fait de se substituer à l’ONU. Cette militarisation du monde rend notre avenir de plus en plus dangereux. Et cela a bien sûr un coût terrible : les Etats-Unis prévoient pour 2011 un budget militaire record de 708 milliards. Soit 2.320 dollars par habitant ! Deux fois plus qu’aux débuts de Bush. De plus, le ministre US de la Guerre, Robert Gates, ne cesse de pousser les Européens à dépenser plus : « La démilitarisation de l’Europe constitue un obstacle à la sécurité et à une paix durable au 21ème siècle. » [11]Les pays européens ont dû s’engager envers Washington à ne pas diminuer leurs dépenses militaires. Tout profit pour les firmes d’armement. L’expansion mondiale de l’Otan n’a rien à voir avec Kadhafi, Saddam Hussein ou Milosevic. Il s’agit d’un plan global pour maintenir la domination sur la planète et ses richesses, pour maintenir les privilèges des multinationales, pour empêcher les peuples de choisir leur propre voie. L’Otan a protégé Ben Ali, Moubarak et les tyrans d’Arabie saoudite, l’Otan protégera ceux qui vont leur succéder, l’Otan brisera seulement ceux qui résistent à l’Empire. Pour devenir gendarme du monde, l’Otan avance en effet pas à pas. Une guerre en Europe contre la Yougoslavie, une guerre en Asie contre l’Afghanistan et à présent, une guerre en Afrique contre la Libye. Déjà trois continents ! Elle avait bien été tentée d’intervenir aussi en Amérique latine en organisant des manœuvres contre le Venezuela il y a deux ans. Mais là, c’était trop risqué, car l’Amérique latine est de plus en plus unie et refuse les « gendarmes » des USA. Pourquoi Washington veut-elle absolument installer l’Otan comme gendarme de l’Afrique ? A cause des nouveaux rapports de forces mondiaux, analysés plus haut : Etats-Unis en déclin, contestés : par l’Allemagne, la Russie, l’Amérique latine et la Chine, et même par des pays petits et moyens du tiers monde. 

    Pourquoi ne parle-t-on pas d’Africom ?

      Ce qui inquiète le plus Washington, c’est la puissance croissante de la Chine. Proposant des relations plus égalitaires aux pays asiatiques, africains et latino-américains, achetant les matières premières à meilleur prix et sans chantage colonial, proposant des crédits plus intéressants, réalisant des travaux d’infrastructure utiles au développement, la Chine leur offre une alternative à la dépendance envers Washington, Londres ou Paris. Alors, que faire pour contrer la Chine ? Le problème, c’est qu’une puissance en déclin économique a moins de moyens de pression financière même sur les pays africains, les Etats-Unis ont donc décidé d’utiliser leur meilleure carte : la carte militaire. Il faut savoir que leurs dépenses militaires dépassent celles de tous les autres pays du globe réunis. Depuis plusieurs années, ils avancent peu à peu leurs pions sur le continent africain. Le 1er octobre 2008, ils ont installé « Africom » (Africa Command). Tout le continent africain (à l’exception de l’Egypte) a été placé sous un seul commandement US unifié regroupant l’US Army, l’US Navy, l’US Air Force, les Marines et les « opérations spéciales » (débarquements, coups d’Etat, actions clandestines…). L’idée étant de répéter ensuite le mécanisme avec l’Otan pour appuyer les forces US. Washington, voyant des terroristes partout, en a trouvé en Afrique aussi. Comme par hasard aux alentours du pétrole nigérian et d’autres ressources naturelles convoitées. Donc, si vous voulez savoir où se dérouleront les prochains épisodes de la fameuse « guerre contre le terrorisme », cherchez sur la carte le pétrole, l’uranium et le coltan, et vous aurez trouvé. Et comme l’Islam est répandu dans de nombreux pays africains, dont le Nigéria, vous avez déjà le prochain scénario… Objectif réel d’Africom : « stabiliser » la dépendance de l’Afrique, l’empêcher de s’émanciper, l’empêcher de devenir un acteur dépendant qui pourrait s’allier à la Chine et à l’Amérique latine. Africom constitue une arme essentielle dans les plans de domination mondiale des Etats-Unis. Ceux-ci veulent pouvoir s’appuyer sur une Afrique et des matières premières sous contrôle exclusif dans la grande bataille qui s’est déclenchée pour le contrôle de l’Asie et pour le contrôle de ses routes maritimes. En effet, l’Asie est le continent où se joue d’ores et déjà la bataille économique décisive du 21ème siècle. Mais c’est un gros morceau avec une Chine très forte et un front d’économies émergentes qui ont intérêt à former un bloc. Washington veut dès lors contrôler entièrement l’Afrique et fermer la porte aux Chinois.

    La guerre contre la Libye est donc une première étape pour imposer Africom à tout le continent africain. Elle ouvre une ère non de pacification du monde, mais de nouvelles guerres. En Afrique, au Moyen-Orient, mais aussi tout autour de l’Océan indien, entre l’Afrique et la Chine.

    Pourquoi l’Océan indien ? Parce que si vous regardez une carte, vous voyez que c’est la porte de la Chine et de l’Asie toute entière. Donc, pour contrôler cet océan, Washington cherche à maîtriser plusieurs zones stratégiques : 1. Le Moyen-Orient et le Golfe persique, d’où sa nervosité à propos de pays comme l’Arabie saoudite, le Yemen, Bahrein et l’Iran. 2. La Corne de l’Afrique, d’où son agressivité envers la Somalie et l’Erythrée. Nous reviendrons sur ces géostratégies dans le livre Comprendre le monde musulman – Entretiens avec Mohamed Hassan que nous préparons pour bientôt. 

    Le grand crime de Kadhafi 

    Revenons à la Libye. Dans le cadre de la bataille pour contrôler le continent noir, l’Afrique du Nord est un objectif majeur. En développant une dizaine de bases militaires en Tunisie, au Maroc et en Algérie ainsi que dans d’autres nations africaines, Washington s’ouvrirait la voie pour établir un réseau complet de bases militaires couvrant l’ensemble du continent. Mais le projet Africom a rencontré une sérieuse résistance des pays africains. De façon hautement symbolique, aucun n’a accepté d’accueillir sur son territoire le siège central d’Africom. Et Washington a dû maintenir ce siège à… Stuttgart en Allemagne, ce qui était fort humiliant. Dans cette perspective, la guerre pour renverser Kadhafi est au fond un avertissement très clair aux chefs d’Etat africains qui seraient tentés de suivre une voie trop indépendante. Le voilà, le grand crime de Kadhafi : la Libye n’avait accepté aucun lien avec Africom ou avec l’Otan. Dans le passé, les Etats-Unis possédaient une importante base militaire en Libye. Mais Kadhafi la ferma en 1969. C’est évident, la guerre actuelle a notamment pour but de réoccuper la Libye. Ce serait un avant-poste stratégique permettant d’intervenir militairement en Egypte si celle-ci échappait au contrôle des Etats-Unis. 

    Quelles sont les prochaines cibles en Afrique ?

      La question suivante sera donc : après la Libye, à qui le tour ? Quels autres pays africains pourraient être attaqués par les Etats-Unis ? C’est simple. Sachant que la Yougoslavie avait aussi été attaquée parce qu’elle refusait de rentrer dans l’Otan, il suffit de regarder la liste des pays n’ayant pas accepté de s’intégrer dans Africom, sous le commandement militaire des Etats-Unis. Il y en a cinq : Libye, Soudan, Côte d’Ivoire, Zimbabwe, Erythrée. Voilà les prochaines cibles. Le Soudan a été scindé et placé sous la pression de sanctions internationales. Le Zimbabwe est sous sanctions également. La Côte d’Ivoire s’est vu imposer une guerre civile fomentée par l’Occident. L’Erythrée s’est vu imposer une guerre terrible par l’Ethiopie, agent des USA dans la région, elle est sous sanctions également. Tous ces pays ont été ou vont être l’objet de campagnes de propagande et de désinformation. Qu’ils soient dirigés ou non par des dirigeants vertueux et démocratiques n’a rien à voir. L’Erythrée tente une expérience de développement économique et sociale autonome en refusant les « aides » que voudraient lui imposer la Banque mondiale et le FMI contrôlés par Washington. Ce petit pays remporte de premiers succès dans son développement, mais il est sous menace internationale. D’autres pays, s’ils « tournent mal », sont également dans le collimateur des Etats-Unis. L’Algérie particulièrement. En fait, il ne fait pas bon suivre sa propre voie… Et pour ceux qui croiraient encore que tout ceci relève d’une « théorie du complot », que les USA ne programment pas tant de guerres mais improvisent en réagissant à l’actualité, rappelons ce qu’avait déclaré en 2007 l’ex-général Wesley Clark (commandant suprême des forces de l’Otan en Europe entre 1997 et 2001, qui dirigea les bombardements sur la Yougoslavie) : « En 2001, au Pentagone, un général m’ a dit : ‘Je viens de recevoir un mémo confidentiel (‘classified’) du secrétaire à la Défense : nous allons prendre sept pays en cinq ans, en commençant par l’Irak, ensuite la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et pour finir l’Iran’. » [12] Des rêves à la réalité, il y a une marge, mais les plans sont là. Juste retardés.     Source : www.michelcollon.info 

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    [1] Marianna Lepore, The war in Libya and Italian interests, inaltreparole.net, 22 février.

    [2] Ron Fraser, Libya accelerates German-Arabian peninsula alliance, Trumpet.com, 21 mars 

    [3] Michel Collon, Israël, parlons-en !, Bruxelles 2010, p. 172.

    [4] New York Times Magazine, novembre 2006.[5] Interview radio Democracy now, 10 février.
    [6] J-P Pougalas, Les mensonges de la guerre contre la Libye, palestine-solidarite.org, 31 mars

     [7] Michel Collon, Poker menteur, Bruxelles, 1998, p 160-168.

    [8] Nato after enlargement, US Army War College, 1998, p. 97.

    [9] Michel Collon, Monopoly – L’Otan à la conquête du monde, Bruxelles 2000, pp. 90 et 102).

    [10] Assemblée commune Otan – Lloyd’s à Londres, 1er octobre 2009.

     [11] Nato Strategic Concept seminar, Washington, 23 février 2010.

    [12] Interview radio Democracy Now, 2 mars 2007

    http://www.michelcollon.info/Comprendre-la-guerre-en-Libye-2-3.html


    De : Michel Collon

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  • A chaque guerre, c’est ainsi. Au début, il est presqu’impossible de s’y opposer. Le matraquage médiatique est tel qu’on est immédiatement catalogué comme complice d’un monstre. Après un certain temps, quand viendront les « bavures », les morts civils, les échecs militaires et les révélations sur « nos amis », le débat finira bien par s’ouvrir. Mais au début, c’est très dur.

    3ème partie : Pistes pour agir

     

    Pour débloquer ce débat, la bataille de l’info est la clé, comme nous le disions encore il y a une semaine. [1] Et cette bataille ne peut être menée que par chacun de nous, là où il est, en fonction des personnes rencontrées, en écoutant bien ce qui les influence, en vérifiant les infos avec eux, patiemment… Pour mener efficacement ce débat, il est très important d’étudier l’expérience de la désinformation dans les guerres précédentes.  

    Les 5 principes de la propagande de guerre appliqués à la Libye

      Cette expérience, nous l’avons résumée dans les « cinq principes de la propagande de guerre », exposés dans notre livre Israël, parlons-en ! A chaque guerre, les médias veulent nous persuader que nos gouvernements font bien et pour ça, ils appliquent ces cinq principes : 1. Occulter les intérêts économiques. 2. Inverser la victime et l’agresseur. 3. Cacher l’Histoire. 4. Diaboliser. 5. Monopoliser l’info.

    Ces cinq principes ont été appliqués à nouveau contre la Libye, on s’en est rendu compte dans les pages précédentes. Pour finir, attirons l’attention sur le quatrième : la diabolisation de l’adversaire. Les va-t-en-guerre doivent toujours persuader l’opinion qu’ils n’agissent pas pour obtenir des avantages économiques ou stratégiques, mais bien pour éliminer une grave menace. Dans chaque guerre, depuis des décennies, le dirigeant adverse a toujours été présenté comme cruel, immoral et dangereux, avec les pires récits d’atrocités. Par après, beaucoup de ces récits - et parfois tous - se sont dégonflés, mais peu importe, ils avaient rempli leur rôle : manipuler l’émotion du public pour l’empêcher d’analyser les intérêts réellement en jeu. Impossible de revenir en arrière.

    Nous n’avons pas eu les moyens d’aller en Libye. Par contre, nous avons été en Yougoslavie, sous les bombes de l’Otan et nous avons constaté, et prouvé, que l’Otan avait menti systématiquement. [2] Nous l’avons constaté aussi en Irak. Quant à la Libye, cela y ressemble beaucoup, mais nous n’avons pas eu jusqu’ici les moyens de procéder à des test-médias sur les infos présentées. Notre équipe Investig’Action manque encore des moyens nécessaires. Mais plusieurs observateurs ont déjà repéré de forts indices de désinformation. Par exemple, les « six mille morts qui auraient été victimes des bombardements de Kadhafi sur des civils ». Où sont les images ? Il n’y avait aucune caméra, aucun téléphone portable là-bas comme il y en avait à Gaza, à la place Tahrir, à Tunis ou au Bahrein ? Aucune preuve, aucun témoignage fiable, des démentis par les satellites russes ou des observateurs de l’UE, et pourtant l’info a tourné en boucle inlassablement et plus personne n’ose la contredire sous peine d’être taxé de « complicité ». Une guerre civile, ce n’est jamais de la dentelle, mais ceci est vrai des deux côtés. Une info partiale essaiera toujours de nous faire croire que les atrocités sont commises d’un seul côté et donc qu’il faut soutenir l’autre. Mais il convient d’être très prudent sur de tels récits. 

    Qui nous informe ?

     

    Ce qu’il faut pouvoir montrer autour de nous, c’est que la diabolisation ne tombe pas du ciel. Elle est diffusée par des médias qui prennent parti, souvent sans le dire. Et c’est quand même toujours la première question à se poser dans une guerre : m’a-t-on fait entendre l’autre partie ? Pourquoi en Europe et aux Etats-Unis, les médias sont-ils à fond contre Kadhafi ? Et pourquoi, en Amérique latine, en Afrique, en Asie, en Russie, dénonce-t-on au contraire une nouvelle croisade impérialiste ? Ils se trompent tous ? Les Occidentaux savent toujours tout mieux ? Ou bien chacun est-il influencé par ses médias ? Alors, devons-nous suivre aveuglément nos médias ou les tester ? Nous avons été abondamment abreuvés sur les côtés négatifs de Kadhafi. Mais qui nous a signalé ses aspects positifs ? Qui nous a parlé de son aide aux projets de développement africain ? Qui nous a dit que la Libye connaissait, selon les institutions internationales , le plus haut « indice de développement humain » de toute l’Afrique, loin devant les chouchous de l’Ouest comme l’Egypte ou la Tunisie ? Espérance de vie : 74 ans, analphabétisme réduit à 5%, budget de l’éducation à 2,7% du PIB et celui de la Défense à 1,1%. 

    Distinguer deux questions différentes

      Il y a beaucoup d’intimidation intellectuelle dans le débat sur la Libye. Si vous dénoncez la guerre contre la Libye, on vous accuse de soutenir tout ce qu’a fait Kadhafi. Pas du tout. Il faut distinguer deux problèmes bien différents. D’une part, les Libyens ont parfaitement le droit de choisir leurs dirigeants, et d’en changer par les moyens qu’ils jugent nécessaires. Les Libyens ! Pas Obama, ni Sarkozy. Tout en faisant le tri dans les accusations contre Kadhafi, entre ce qui est vraiment établi et ce qui relève de la propagande intéressée, un progressiste peut très bien souhaiter que les Libyens aient un meilleur dirigeant. D’autre part, quand la Libye est attaquée parce que des pirates veulent faire main basse sur son pétrole, ses réserves financières et sa position stratégique, alors il faut dire que le peuple libyen souffrira encore plus sous le pouvoir de ces pirates et de leurs marionnettes. La Libye perdra son pétrole, ses entreprises, les réserves de sa banque nationale, ses services sociaux et sa dignité. Le néolibéralisme appliquera ses sales recettes qui ont déjà plongé tant de peuples dans la misère. Mais un bon dirigeant, ça n’arrive jamais dans les valises des envahisseurs et à coups de bombes. Ce que les Etats-Unis ont amené en Irak, c’est un Al-Maliki et un petit groupe de corrompus qui vendent leur pays aux multinationales. En Irak, on n’a toujours pas la démocratie, mais en outre, on a perdu le pétrole, l’électricité, l’eau, les écoles et tout ce qui permet une vie un peu digne. Ce que les Etats-Unis ont amené en Afghanistan, c’est un Karzaï qui ne règne sur rien sauf un quartier de Kaboul, pendant que les bombes US frappent des villageois, des fêtes de mariage, des écoles et que le commerce de la drogue ne s’est jamais aussi bien porté. Les dirigeants qui seraient imposés à la Libye par les bombes occidentales seraient pires que Kadhafi. Donc, il faut soutenir le gouvernement légal libyen lorsqu’il résiste à ce qui est vraiment une agression néocoloniale. Parce que toutes les solutions préparées par Washington et ses alliés sont mauvaises : que ce soit le renversement ou l’assassinat de Kadhafi, que ce soit la scission du pays en deux ou que ce soit la « somalisation », c’est-à-dire une guerre civile de basse intensité et de longue durée. Toutes ces solutions apporteront des souffrances aux populations. La seule solution dans l’intérêt des Libyens est la négociation, avec des médiateurs internationaux désintéressés qui ne soient pas partie au conflit, comme Lula. Un bon accord implique le respect de la souveraineté libyenne, le maintien de l’unité du pays, la préparation de réformes pour démocratiser et mettre fin aux discriminations régionales. 

    Faire respecter le droit qui est le contraire du « droit d’ingérence »

     

    Portail de l'action des Elus et de la vie citoyenneCe débat politique délicat, il faut toujours essayer de le ramener aux principes de base de la vie internationale : souveraineté des Etats, coexistence pacifique entre systèmes différents, non-ingérence dans les affaires intérieures. Les puissances occidentales aiment se présenter comme celles qui cherchent à faire respecter le droit. Mais c’est complètement faux.
    On nous dit que les Etats-Unis sont aujourd’hui beaucoup plus respectueux du droit international qu’au temps du cow-boy Bush, et qu’il y a eu cette fois une résolution de l’ONU. Ce n’est pas l’endroit pour discuter si l’ONU représente vraiment la volonté démocratique des peuples ou si les votes de nombreux Etats sont l’objet d’achats et de pressions. Mais on fera simplement remarquer que cette résolution 1973 viole le droit international et, tout d’abord, la Charte fondamentale… de l’ONU elle-même.
    En effet, son article 2 § 7 stipule : « Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans desaffaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat. ». Réprimer une insurrection armée est de la compétence d’un Etat même si on peut en regretter les conséquences. De toute façon, si bombarder des rebelles armés est considéré comme un crime intolérable, alors il faut d’urgence juger Bush et Obama pour ce qu’ils ont fait en Irak et en Afghanistan.
    De même, l’article 39 limite les cas où la contrainte militaire est autorisée : « L’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression » (contre un autre pays). La Libye ne correspond à aucun de ces trois cas, et cette guerre est donc, elle aussi, illégale. A remarquer, juste pour rire, que même le Traité de l’Otan précise dès son article 1 :« Les parties s’engagent, ainsi qu’il est stipulé dans la Charte des Nations Unies, à régler par des moyens pacifiques tous différends internationaux dans lesquels elles pourraient être impliquées. 

    On nous présente ce « droit d’ingérence humanitaire » comme une nouveauté et un grand progrès. En réalité, le droit d’ingérence a été pratiqué pendant des siècles par les puissances coloniales contre les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Par les forts contre les faibles. Et c’est justement pour mettre fin à cette politique de la canonnière qu’ont été adoptées en 1945 de nouvelles règles du droit international. La Charte des Nations-unies a précisément interdit aux pays forts d’envahir les pays faibles et ce principe de la souveraineté des Etats constitue un progrès dans l’Histoire. Annuler cette conquête de 1945 et revenir au droit d’ingérence, c’est revenir aux temps des colonies.

    Alors, pour nous faire quand même approuver une guerre très intéressée, on joue la corde sensible : le droit d’ingérence serait nécessaire pour sauver des populations en danger. De tels prétextes étaient aussi utilisés dans le temps par la France, la Grande-Bretagne ou la Belgique coloniales. Et toutes les guerres impériales des Etats-Unis se sont faites avec ce genre de justifications. Avec les Etats-Unis et leurs alliés en gendarmes du monde, le droit d’ingérence appartiendra évidemment toujours aux forts contre les faibles, et jamais l’inverse. L’Iran a-t-il le droit d’ingérence pour sauver les Palestiniens ? Le Venezuela a-t-il le droit d’ingérence pour mettre fin au coup d’Etat sanglant du Honduras ? La Russie a-t-elle le droit d’ingérence pour protéger les Bahreinis ? En réalité, la guerre contre la Libye est un précédent qui ouvre la voie à l’intervention armée des Etats-Unis ou de leurs alliés dans n’importe quel pays arabe, africain ou latino-américain. Aujourd’hui, on va tuer des milliers de civils libyens « pour les protéger », et demain on ira tuer des civils syriens ou iraniens ou vénézuéliens ou érythréens « pour les protéger » pendant que les Palestiniens et toutes les autres victimes des « forts » continueront à subir dictatures et massacres…. Montrer que l’intervention occidentale viole le droit et nous ramène aux temps des colonies me semble un thème à placer au centre du débat.

     

    Que faire ?

      Les Etats-Unis ont baptisé « Aube de l’Odyssée » la guerre contre la Libye. Or, leurs noms de code contiennent toujours un message adressé à notre inconscient. L’Odyssée, grand classique de la littérature grecque antique, relate le voyage de vingt ans entrepris par Ulysse à travers l’univers. A demi-mots, on nous dit ici que la Libye est le premier acte du long voyage des Etats-Unis pour (re)conquérir l’Afrique. Ils tentent ainsi d’enrayer leur déclin. Mais, au final, ce sera en vain, les Etats-Unis perdront inévitablement leur trône. Parce que ce déclin n’est pas dû au hasard ou à des circonstances particulières, il est dû à leur mode même de fonctionnement. En 1865, le célèbre théoricien libéral du capitalisme Adam Smith soutint le président US Abraham Lincoln pour l’abolition de l’esclavage : « L’économie de tout pays qui pratique l’esclavage des Noirs est en train d’amorcer une descente vers l’enfer qui sera rude le jour où les autres Nations vont se réveiller ». Mais en fait les Etats-Unis ont remplacé un esclavage par un autre. Au vingtième siècle, ils ont bâti leur prospérité sur la domination et le pillage de pays entiers, ils ont vécu comme des parasites et ils ont par là- même affaibli leurs capacités économiques internes. L’humanité a intérêt à ce que ce système prenne fin définitivement. Même la population des Etats-Unis y a intérêt. Pour qu’on cesse de fermer ses usines, de détruire ses emplois et de confisquer ses maisons afin de payer les bonus des banquiers et les dépenses de guerre. La population européenne aussi a intérêt à une économie non plus au service des multinationales et de leurs guerres, mais au service des gens.

    Nous sommes donc à un tournant, quelle « aube » allons-nous choisir ? Celle annoncée par les Etats-Unis, et qui nous mènera vers vingt ou trente années de guerres incessantes sur tous les continents ? Ou bien une aube véritable : un autre système de relations internationales, où personne n’imposera ses intérêts par la force et où chaque peuple choisira librement sa voie ?

    Comme à chaque guerre des vingt dernières années, une grande confusion règne dans la gauche européenne. Les discours pseudo-humanitaires relayés par les médias aveuglent parce qu’on oublie d’écouter l’autre version, d’étudier les guerres précédentes, de tester l’info.

    Notre site Investig’Action – michelcollon.info s’efforce d’aider chacun à s’informer, à informer et à débattre. Mais nos moyens sont trop limités comparés aux grands médias. Nous lançons donc un double appel à tous ceux qui le peuvent. 1° Rejoignez notre réseau de chercheurs bénévoles pour développer l’analyse des stratégies des Etats-Unis et des autres grandes puissances, l’analyse des relations économiques et politiques ainsi que des guerres en préparation . 2° Rejoignez notre collectif d’analyse critique « Test-médias ».

    Un monde sans guerre, ça dépend de chacun de nous.   Michel Collon, 8 avril 20111] S’informer est la clé - Michel Collon lance un appel, www.michelcollon.info/S-informer-c-...

    [2] Kosovo, Otan et médias, débat entre Michel Collon, Jamie Shea (porte parole de l’Otan) et Olivier Corten (professeur de droit international), 23 juin 2000, DVD Investig’Action.

    Votre avis est important

    http://www.michelcollon.info/Comprendre-la-guerre-en-Libye-3-3.html


    De : Michel Collon

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  • Portail de l'action des Elus et de la vie citoyenne

    Manifestation anti-guerre sur Union Square à New York, aux Etats-Unis, le 9 avril.

    Des milliers de militants ont participé à une manifestation samedi dans les rues de New York, appelant le gouvernement à retirer les troupes d’Irak, d’Afghanistan et de Libye, et à réorienter les recettes financières afin d’aider les Américains à retrouver un emploi.

    http://bellaciao.org/en/spip.php?article20693

    Portail de l'action des Elus et de la vie citoyenne


    De : New york
    mardi 12 avril 2011



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  • Les Syndicats des Unions Locales CGT

    d’Auchel-Béthune-Bruay-Isbergues-Lillers

    dans l’unité d’action !

    A BÉTHUNE, le 28 AVRIL à 9H30

    MANIF’ACTION !

    au départ de la Maison des Syndicats, rue de Lille

    Reconnaissance de la pénibilité ! Départ à 55 ans ! Les députés doivent entendre ou doivent dégager !

    Nous, les travailleurs qui exerçons des métiers pénibles : dehors par tous les temps, postés en 4 ou 5 x 8, dans la boue, les produits chimiques, parmi les malades, portant des charges lourdes… sommes des centaines de milliers salariés dans le département à travailler sur les chantiers, dans les usines, les services publics… pour faire vivre le pays, produire des richesses et donner le maximum de services à la population… pourtant on se fout de nous et de nos vies !

    L’espérance de vie, déjà courte d’un salarié, du bâtiment, des travaux publics, postés, de l’industrie de production, des services publics… va encore baisser avec l’allongement de la durée d’années de cotisations… l’espérance de vie va encore reculer dans la 5ème puissance économique du monde afin que quelques-uns profitent des milliards accumulés

    Nos professions sont parmi les plus mal rémunérées, nos salaires sont proches du SMIC malgré ce que disent les spots mensongers distillés dans les média lors des campagnes publicitaires patronales.

    Cela aboutit à des retraites de 900 à 1200 euro nets pour des ouvriers qui auront peut-être cotisés 45 ans, et nous serons de plus en plus nombreux à ne pas voir grandir nos petits-enfants ou à profiter d’une retraite bien méritée après 180 trimestres de cotisations.

    Sarkozy, Fillon, Woerth, et toute la clique des députés corrompus, ont cassé notre retraite à 60 ans sans même tenir compte de la pénibilité de nos métiers ni de nos bas salaires ! Nous cotiserons toute notre carrière mais nous n’en profitons pas... et ceux qui survivront seront malades très tôt après le départ…

    Alors disons collectivement STOP à ce retour à Germinal – STOP au mépris !

    Malgré notre lutte de 2010, les millions de grévistes et de manifestants, des syndicats comme la CFDT, FO (grands révolutionnaires mais avec la gueule pas avec les bras), et CFTC ont signé l’accord de trop avec le patronat et l’Etat. Il va permettre de reporter le paiement de la retraite complémentaire à 62 ans… pourtant les caisses complémentaires « dégueulent d’euros » et par milliards !

    Même si vous pouviez partir, pourrez-vous partir avec 600 € de retraite sécu ?

    Tout ce petit monde, composé de corrompus et de corrompus, sait que nos métiers sont durs (intempéries - produits chimiques – déplacements - repas dans les camions - travail de force -charges lourdes - postes…), mêmes certains députés et patrons le reconnaissent, peu d’entre nous pourront poursuivre au-delà de 60 ans : alors même si tous les métiers sont difficiles, les nôtres nous tuent ou nous cassent avant 60 ans…

    Qu’ont-ils pensé en signant cet ignoble accord ? A la moyenne de vie d’un ouvrier du BTP qui est estimée à 59 ans et 8 mois ? (source Ministère)… à l’amiante, la graisse, les poussières…

    Nous appelons l’ensemble des salariés du privé et du public de toutes les professions à s’unir dans la lutte pour le retour à la retraite pleine et entière (sécu + complémentaire) à 60 ans et à 55 ans pour les métiers reconnus comme les plus pénibles…et c’est possible économiquement !

    Quand on peut faire la guerre, on peut faire la paix et se servir autrement de l’argent dépensé dans des bombes.

    Ni Etat Ni patronat ne nous écoutent, alors ensemble imposons nos légitimes revendications… pour vivre mieux et plus longtemps… nous le valons bien !


    De : LES 5 UL CGT

    http://bellaciao.org
     

     

     

     

     


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  • http://www.ladepeche.fr/article/201...

    Portail de l'action des Elus et de la vie citoyenneAuparavant sporadiques et dénoncés, ces actes inhumains tendent à devenir de plus en plus courants et convergent sciemment vers un refus du vivre-ensemble. Cette famille n’est pas en situation d’irrégularité, étrangère ou islamiste... elle est pauvre.

    Peu importe, il semble que pour certains tous ceux-là ont un point commun (leur différence) et méritent donc qu’on leur fasse sentir et toucher du doigt leur infériorité, car pour les esprits étroits : différence= infériorité.

    Notre société est déjà cruelle envers tous ces gens marginalisés qui galèrent au quotidien, apparemment, cela ne suffit plus : il faut rajouter une dose de cruauté et de sadisme.

    Il y a la loi qui certes autorise les expulsions, la trêve hivernale étant terminée.

    Mais que dire de la méthode employée ?? Ces forces de l’ordre agissent comme une milice : non contents de foutre dehors une famille, les privant d’un toit (malgré la loi sur le droit opposable au logement) ; ces flics balancent tout le mobilier et les effets personnels par la fenêtre... Cette femme et son fils ont vu des sales cons (hommage à Sophia Aram) briser tous les souvenirs d’une vie, tous leurs effets personnels ont été sadiquement éradiqués...

    Quel en était l’intérêt sinon enfoncer un peu plus le clou de l’humiliation et faire de cette famille un exemple?

    Il y a vraiment de quoi être très inquiet des choix politiques que nous faisons : l’UMP virant à la droite de la droite et la banalisation des idées de l’extrême droite nous conduisent de plus en plus vite vers une société où la tolérance et le respect de l’autre ne seront plus qu’un vague souvenir... Au-delà d’un contexte politique momentané, les mentalités évoluent salement et une idéologie est en train de sournoisement gagner du terrain, sinon comment expliquer le développement de telles ignominies ?

    Aujourd’hui c’est cette famille, mais demain ?

    Lorsqu’ils sont venus chercher les communistes Je me suis tu, je n’étais pas communiste. Lorsqu’ils sont venus chercher les syndicalistes Je me suis tu, je n’étais pas syndicaliste. Lorsqu’ils sont venus chercher les juifs Je me suis tu, je n’étais pas juif. Puis ils sont venus me chercher Et il ne restait plus personne pour protester.


    De : scandalisé
    mardi 12 avril 2011



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  • A. — Le capitalisme prémonopoliste

    Chapitre 10 — Le cycle et la rotation du capital

    10.1. Le cycle du capital. Les trois formes du capital industriel.

    La condition d’existence du mode de production capitaliste est la circulation développée des marchandises, c’est-à-dire leur échange au moyen de l’argent. La production capitaliste est étroitement liée à la circulation.

    Tout capital commence sa carrière sous la forme d’une somme déterminée d’argent ; c’est un capital-argent. Avec l’argent, le capitaliste achète des marchandises d’une espèce particulière : 1o des moyens de production et 2o de la force de travail. Cet acte de circulation peut être représenté par la formule :

    Le mode de production capitaliste

    A — désigne l’argent ; M la marchandise ; T la force de travail et Mp les moyens de production. Ce changement de la forme du capital permet à son possesseur de disposer de tout ce qui est nécessaire à la production. Auparavant, il possédait du capital sous forme monétaire ; maintenant, il possède un capital de même grandeur, mais désormais sous forme de capital productif.

    Par conséquent, le premier stade du mouvement du capital consiste dans la conversion du capital-argent en capital productif.

    Vient ensuite le processus de production dans lequel s’opère la consommation productive des marchandises achetées par le capitaliste : les ouvriers dépensent leur travail, la matière première est transformée, le combustible est brûlé, les machines s’usent. De nouveau le capital change de forme : à l’issue du processus de production le capital avancé se trouve incorporé dans une masse déterminée de marchandises ; il prend la forme de capital-marchandise. Mais d’abord, ce ne sont plus les marchandises que le capitaliste a achetées en montant son affaire ; en second lieu, la valeur de cette masse de marchandises est supérieure à la valeur initiale du capital, car elle renferme la plus-value créée par les ouvriers.

    Ce stade du mouvement du capital peut être représenté comme suit :

    Le mode de production capitaliste

    Dans cette formule la lettre P représente la production ; les points placés avant et après cette lettre indiquent que le processus de circulation a été interrompu et que s’opère le processus de production ; la lettre M′ désigne le capital sous sa forme marchandise, capital dont la valeur a augmenté du fait du surtravail des ouvriers.

    Par conséquent, le deuxième stade du mouvement du capital consiste dans la conversion du capital productif en capital-marchandise.

    Le mouvement du capital ne s’arrête pas là. Les marchandises produites doivent être réalisées. En échange des marchandises vendues, le capitaliste reçoit une somme déterminée d’argent.

    Cet acte de circulation peut être représenté comme suit :

    M′ — A′.

    Le capital change de forme pour la troisième fois : il reprend la forme de capital-argent. Après quoi, son possesseur se trouve avoir une somme d’argent plus importante qu’au début. Le but de la production capitaliste, qui consiste à tirer de la plus-value, a été atteint.

    Par conséquent, le troisième stade du mouvement du capital consiste dans la conversion du capital-marchandise en capital-argent.

    Le capitaliste emploie de nouveau l’argent, qu’il a tiré de la vente des marchandises, à l’achat des moyens de production et de la force de travail nécessaires pour continuer la production, et tout le processus recommence.

    Tels sont les trois stades par lesquels le mouvement du capital passe successivement. À chacun de ces stades, le capital remplit une fonction déterminée. La conversion du capital-argent en éléments du capital productif assure l’union des moyens de production appartenant aux capitalistes avec la force de travail des ouvriers salariés ; à défaut de cette union, le processus de production ne peut avoir lieu. La fonction du capital productif est de créer par le travail des ouvriers salariés une masse de marchandises, une valeur nouvelle et, par suite, de la plus-value. La fonction du capital-marchandise consiste, par la vente de la masse des marchandises produites : en premier lieu, à restituer au capitaliste, sous forme argent, le capital qu’il a avancé pour la production ; en second lieu, à réaliser sous forme argent la plus-value créée dans le processus de production.

    C’est par ces trois stades que passe le capital industriel dans son mouvement. Par capital industriel on entend, en l’occurrence, tout capital engagé dans la production des marchandises, qu’il s’agisse de l’industrie ou de l’agriculture.

    Le capital industriel est le seul mode d’existence du capital, où sa fonction ne consiste pas seulement en appropriation mais également en création de plus-value, autrement dit de surproduit. C’est pourquoi il conditionne le caractère capitaliste de la production ; son existence implique celle de la contradiction de classe entre capitalistes et ouvriers salariés.

    ( K. Marx, Le Capital, livre 2, t. 1, p. 53. )

    Ainsi, tout capital industriel accomplit un cycle.

    On appelle cycle du capital, la transformation successive du capital d’une forme dans une autre, son mouvement à travers les trois stades. De ces trois stades, le premier et le troisième ont lieu dans la sphère de la circulation, le deuxième dans la sphère de la production. Sans circulation, c’est-à-dire sans transformation des marchandises en argent et reconversion de l’argent en marchandise, la reproduction capitaliste, c’est-à-dire le renouvellement constant du processus de production, devient impossible.

    Le cycle du capital dans son ensemble peut être représenté comme suit :

    Le mode de production capitaliste

    Les trois stades du cycle du capital sont liés entre eux de la façon la plus étroite et dépendent l’un de l’autre. Le cycle du capital ne s’opère normalement que si ses différents stades se succèdent sans arrêt.

    Si le capital est arrêté au premier stade, c’est que l’existence du capital-argent est inutile. S’il est arrêté au deuxième stade, c’est que les moyens de production restent inutilisés et que la force de travail est sans emploi. Si le capital subit un arrêt au troisième stade, les marchandises invendues s’amassent dans les entrepôts et obstruent les canaux de la circulation.

    Le deuxième stade où le capital se trouve sous la forme de capital productif, a une importance décisive dans le cycle du capital industriel ; c’est à ce stade que s’opère la production des marchandises, de la valeur et de la plus-value. Aux deux autres stades, il n’y a pas création de valeur ni de plus-value ; il n’y a que succession des formes du capital.

    Aux trois stades du cycle du capital correspondent trois formes du capital industriel : 1o le capital-argent, 2o le capital productif et 3o le capital-marchandise.

    Chaque capital existe simultanément sous les trois formes : alors qu’une de ses parties représente un capital-argent qui se convertit en capital productif, l’autre partie représente un capital productif qui se convertit en capital-marchandise, et la troisième partie représente un capital-marchandise qui se convertit en capital-argent. Chacune de ces parties revêt et abandonne successivement chacune de ces trois formes. Il en est ainsi non seulement de chaque capital considéré à part, mais de tous les capitaux pris ensemble, ou, autrement dit, de l’ensemble du capital social. Aussi, comme l’indique Marx, ne peut-on concevoir le capital qu’en tant que mouvement et non en tant que chose au repos.

    Il y a déjà là la possibilité d’une existence individualisée des trois formes du capital. Nous montrerons plus loin comment du capital engagé dans la production se détachent le capital commercial et le capital de prêt. C’est sur cette séparation que repose l’existence des différents groupes de la bourgeoisie — industriels, marchands, banquiers, — entre lesquels s’opère la répartition de la plus-value.

    10.2. La rotation du capital.
                  Le temps de production et le temps de circulation.

    Tout capital accomplit son cycle sans arrêt, en le répétant constamment. Le capital accomplit ainsi sa rotation.

    On appelle rotation du capital, son cycle non pas en tant qu’acte unique, mais en tant que processus qui se renouvelle et se répète périodiquement. Le temps de rotation du capital représente la somme du temps de production et du temps de circulation. En d’autres termes, le temps de rotation est l’intervalle de temps qui s’écoule entre le moment où le capital est avancé sous une forme déterminée et le moment où il retourne au capitaliste sous la même forme, mais augmenté de la grandeur de la plus-value.

    Le temps de production est celui pendant lequel le capital se trouve dans la sphère de la production. La partie la plus importante du temps de production est la période de travail, pendant laquelle l’objet en cours de fabrication est soumis à l’action directe du travail. La période de travail dépend du caractère de chaque branche de la production, du niveau de la technique dans telle ou telle entreprise, ainsi que d’autres conditions. Ainsi, il ne faut que quelques jours dans une filature pour transformer une quantité déterminée de coton en filés prêts à être mis en vente ; dans une usine de construction de locomotives, la sortie de chaque locomotive nécessite des dépenses de travail d’un, grand nombre d’ouvriers pendant une longue période.

    Le temps de production est généralement plus long que la période de travail. Il comprend aussi les temps d’arrêt dans l’opération, pendant lesquels l’objet du travail est soumis à l’action de processus naturels déterminés, comme, par exemple, la fermentation du vin, le tannage du cuir, la croissance du froment, etc.

    Le temps de circulation est celui pendant lequel le capital passe de la forme argent à la forme productive et de la forme marchandise à la forme argent. La durée de la circulation dépend des conditions d’achat des moyens de production et des conditions de vente des produits finis, de la proximité du marché, du degré de développement des moyens de transport et de communication.

    10.3. Le capital fixe et le capital circulant.

    Les différentes parties du capital productif ne circulent pas de façon identique. Les différences de rotation des diverses parties du capital productif tiennent aux différentes façons dont chacune de ces parties transmet sa valeur au produit. De ce point de vue, le capital se divise en capital fixe et en capital circulant.

    Le capital fixe est la partie du capital productif, qui, fonctionnant entièrement dans le processus de production, transfère sa valeur au produit non pas d’un coup, mais par portions, pendant une série de périodes de production. C’est la partie du capital dépensée pour la construction des bâtiments et des installations, pour l’achat des machines et de l’outillage.

    Les éléments du capital fixe servent généralement à la production pendant de nombreuses années ; ils subissent chaque année une certaine usure et finissent par être inutilisables. C’est là l’usure matérielle des machines, de l’équipement.

    Parallèlement à l’usure matérielle, les instruments de production sont également sujets à une usure morale. La machine qui a servi cinq à dix ans peut être encore suffisamment solide, mais si, à ce moment-là, il a été créé une autre machine du même genre, plus perfectionnée, plus productive et meilleur marché, il s’ensuit une dépréciation de l’ancienne machine. Aussi le capitaliste a-t-il intérêt à utiliser entièrement son outillage dans les délais les plus brefs. D’où la tendance des capitalistes à allonger la journée, à intensifier le travail, à introduire dans les entreprises plusieurs postes de travail sans interruption.

    Le capital circulant est la partie du capital productif, dont la valeur durant une seule période de production est entièrement restituée au capitaliste sous forme d’argent lors de la réalisation de la marchandise. C’est la partie du capital dépensée pour l’achat de la force de travail, ainsi que pour l’achat de moyens de production : matières premières, combustible et autres matériaux auxiliaires, qui ne rentrent pas dans la composition du capital fixe. La valeur des matières premières, du combustible et des matériaux consommés est entièrement transférée à la marchandise durant une seule période de production, tandis que les dépenses consacrées à l’achat de la force de travail sont récupérées par le capitaliste avec excédent (avec addition de plus-value).

    Pendant que le capital fixe ne fait qu’une seule rotation, le capital circulant a le temps d’en accomplir plusieurs.

    La vente de la marchandise procure au capitaliste une certaine somme d’argent qui comporte : 1o la valeur de la partie du capital fixe qui, dans le processus de production, a été transférée à la marchandise ; 2o la valeur du capital circulant ; 3o la plus-value. Pour continuer la production, le capitaliste réengage la somme retirée qui correspond au capital circulant, pour embaucher des ouvriers, acheter des matières premières, du combustible, des matériaux auxiliaires. Le capitaliste utilise la somme correspondant à la partie de la valeur du capital fixe, qui a été transférée à la marchandise, pour compenser l’usure des machines, des machines-outils, des bâtiments, c’est-à-dire aux fins d’amortissement.

    L’amortissement est la compensation progressive, sous forme argent, de la valeur du capital fixe par des versements périodiques correspondant à son degré d’usure. Une partie des fonds d’amortissement est consacrée aux grosses réparations, c’est-à-dire à une compensation partielle de l’usure de l’outillage, des instruments, des bâtiments d’exploitation, etc. Mais la partie la plus importante des amortissements, les capitalistes la conservent sous forme argent (généralement, dans les banques) pour acheter, quand le besoin s’en fera sentir, de nouvelles machines en remplacement des anciennes, ou pour construire de nouveaux bâtiments au lieu de ceux qui ne sont plus utilisables.

    L’économie politique marxiste distingue entre la division du capital en capital fixe et circulant et la division du capital en capital constant et variable. Le capital constant et le capital variable se différencient d’après le rôle qu’ils jouent dans le processus d’exploitation des ouvriers par les capitalistes, tandis que le capital fixe et le capital circulant se différencient par le caractère de la rotation.

    Ces deux modes de division du capital peuvent être représentés comme suit :

    Le mode de production capitaliste

    L’économie politique bourgeoise ne reconnaît que la division du capital en capital fixe et circulant, car cette division par elle-même ne montre pas le rôle de la force de travail dans la création de la plus-value ; au contraire, elle voile la distinction essentielle entre les dépenses du capitaliste pour l’embauchage de la main-d’œuvre et les dépenses consacrées aux matières premières, au combustible, etc.

    10.4. Le taux annuel de la plus-value.
                  Les méthodes d’accélération de la rotation du capital.

    Pour une grandeur donnée du capital variable, la vitesse de rotation du capital influe sur le volume de la plus-value que le capitaliste extorque en l’espace d’un an aux ouvriers.

    Prenons deux capitaux, comprenant chacun 25 000 dollars de capital variable, le taux de la plus-value étant de 100 %. Supposons que l’un d’eux accomplit une rotation par an, et que l’autre en accomplit deux. Cela veut dire que le détenteur du second capital, avec la même somme d’argent, peut embaucher et exploiter en l’espace d’un an deux fois plus d’ouvriers que le possesseur du premier capital. Aussi, en fin d’année, les résultats seront-ils différents chez les deux capitalistes. Le premier aura 25 000 dollars de plus-value pour l’année ; le second, 50 000 dollars. La vitesse de rotation du capital influe aussi sur la grandeur de la partie du capital circulant qui est avancée pour l’achat des matières premières, du combustible, des matériaux auxiliaires.

    Le taux annuel de la plus-value est le rapport de la plus-value produite en l’espace d’un an au capital variable avancé. Dans notre exemple, le taux annuel de la plus-value, exprimé en pourcentage, est pour le premier capitaliste de 25 000 25 000 = 100 %, pour le deuxième de 50 000 25 000 = 200 %.

    Il est donc évident que les capitalistes ont intérêt à accélérer la rotation du capital, puisque cette accélération leur permet de tirer la même somme de plus-value avec un moindre capital ou de toucher avec le même capital une plus grande somme de plus-value.

    Marx a montré que, par elle-même, l’accélération de la rotation du capital ne crée pas un atome de valeur nouvelle. Une rotation plus rapide du capital et une réalisation plus rapide sous forme argent de la plus-value créée au cours de l’année ne permettent aux capitalistes, pour un même capital, que d’embaucher un plus grand nombre d’ouvriers dont le travail crée en l’espace d’un an une masse plus importante de plus-value.

    Comme nous l’avons vu, le temps de rotation du capital comprend le temps de production et le temps de circulation. Le capitaliste s’efforce de réduire l’un et l’autre.

    La période de travail nécessaire à la production des marchandises diminue avec le développement des forces productives et le progrès technique. Par exemple, les méthodes modernes de production de la fonte et de l’acier accélèrent considérablement les processus par rapport aux méthodes que l’on pratiquait il y a 100 ou 150 ans. Les progrès dans l’organisation de la production, par exemple le passage à la production en série ou en masse, fournissent de même des résultats importants.

    Dans un grand nombre de cas, les temps d’arrêt dans le travail, qui représentent une partie du temps de production et s’ajoutent à la période de travail, sont, grâce au progrès technique, également réduits. Ainsi, le tannage du cuir durait autrefois des semaines ; aujourd’hui, grâce à l’emploi de nouvelles méthodes chimiques, il ne demande que quelques heures. Dans maintes productions les catalyseurs, c’est-à-dire des substances qui accélèrent les réactions chimiques, sont d’un emploi fréquent.

    Afin d’accélérer la rotation du capital, l’entrepreneur recourt aussi à la prolongation de la journée et à l’intensification du travail. Si, avec une journée de travail de 10 heures, la période de travail est de 24 jours, la prolongation de la journée de travail à 12 heures réduit la période de travail à 20 jours et accélère d’autant la rotation du capital. Même résultat avec l’intensification du travail, l’ouvrier dépensant en 60 minutes autant d’énergie qu’il en dépensait précédemment, par exemple, en 72 minutes.

    Ensuite, les capitalistes cherchent à accélérer la rotation du capital en réduisant le temps de circulation du capital. Cette réduction est rendue possible grâce au développement des moyens de transport, des P.T.T., grâce à une meilleure organisation du commerce. Cependant à la réduction du temps de circulation s’opposent, en premier lieu, la répartition extrêmement irrationnelle de la production dans le monde capitaliste, qui nécessite le transport des marchandises à de grandes distances, et en second lieu, l’aggravation de la concurrence capitaliste et la multiplication des difficultés d’écoulement.

    Avec le capital circulant, la plus-value créée au cours d’une période donnée passe dans la circulation. Plus le temps de rotation du capital est court, et plus vite se réalise sous forme argent la plus-value créée par les ouvriers, plus vite aussi elle peut être employée à l’élargissement de la production.

    Résumé du chapitre 10

    1. Tout capital industriel individuel accomplit un cycle ininterrompu, qui comporte trois stades. À ces trois stades correspondent trois formes du capital industriel — capital-argent, capital productif et capital-marchandise — qui diffèrent par leurs fonctions.

    2. Le cycle du capital, pris non comme un acte isolé, mais comme un processus qui se renouvelle périodiquement, est appelé rotation du capital. Le temps de rotation du capital représente la somme du temps de production et du temps de circulation. La période de travail est la partie la plus importante du temps de production.

    3. Tout capital productif se décompose en deux parties qui diffèrent par le caractère de leur rotation : le capital fixe et le capital circulant. Le capital fixe est la partie du capital productif dont la valeur est transférée à la marchandise non pas d’un seul coup, mais par fractions pendant une série de périodes de production. Le capital circulant est la partie du capital productif dont la valeur durant une seule période de production retourne entièrement au capitaliste après la vente de cette marchandise.

    4. L’accélération de la rotation du capital permet aux capitalistes, avec le même capital, d’accomplir dans l’année un plus grand nombre de rotations et d’embaucher, par conséquent, un plus grand nombre d’ouvriers qui produiront une masse plus importante de plus-value. Les capitalistes s’efforcent d’accélérer la rotation du capital en améliorant leur outillage et, surtout, en renforçant l’exploitation des ouvriers, en allongeant la journée de travail et en intensifiant le travail.


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