• Contingentement de l'immigration en Suisse de travailleurs européens : Le lac des signes

    Le 1er mai, fête internationale des travailleuses et des travailleurs, entrera en vigueur en Suisse un contingentement de l'immigration de travailleuses et travailleurs européens, décidé par le Conseil fédéral, qui a activé la « clause de sauvegarde » des accord bilatéraux pour « donner un signe » aux xénophobes et europhobes (de droite et de gauche) dans la perspective de votations à risques : sur l'élargissement de la libre circulation des personnes à la Croatie, sur l'initiative de l'UDC contre « l'immigration de masse » et sur celle des écoxénophobes d'Ecopop. C'est un signe de quoi, que nous donne ainsi un gouvernement mué en sémaphore ? Qu'on nous prend tous pour des cons (disons : des canards crétins du lac des signes). Parce que le Conseil fédéral lui-même sait, et admet à demi-mot, que le contingentement qu'il a décidé ne sert à rien. Et n'est que de la bouillie pour les chats mélangée à de la poudre de perlimpinpin et servie derrière un écran de fumée.


    Le contingent pour les pauvres, le forfait fiscal pour les riches

    Donc, le sémaphore gouvernemental a donné un signe qui, sans même calmer l'UDC  (dont le bras armé, l'ASIN, a réclamé dimanche la résiliation pure et simple des accords bilatéraux), conforte les discours xénophobes et accrédite l'idée que ce sont les immigrants qui sont responsables du dumping salarial et de la dégradation des conditions de travail, et pas les patrons qui les embauchent, fixent leur salaire et déterminent leurs conditions de travail. Que ce sont aussi les immigrants qui sont responsables de la crise du logement, et pas la politique foncière et le respect fétichiste des zones agricoles et des zones villas. Que ce sont enfin les immigrants, toujours eux, qui sont responsable de la surcharge des infrastructures, et pas ceux qui privent les collectivités publiques des moyens financiers (c'est-à-dire des ressources fiscales) nécessaires à leur adaptation...
    Selon la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, On contingente les travailleurs, parce que « le chômage explose dans les pays du sud de l'Europe ». Mais on ne contingente pas les planqueurs de pognon ou les amateurs de retraites dorées avec forfait fiscal à la clef... Pour les pauvres, le contingent, pour les riches, le forfait fiscal, c'est bien cela, on a bien compris ? L'effet quantitatif du contingentement de l'immigration européenne (une mesure « inadéquate et démagogique » , comme l'a justement qualifiée le président du Conseil d'Etat genevois, Charles Beer)  sera désiroire : on l'estime, au maximum, à 2500 ou 3000 autorisations en moins par an. Et seulement pour un an, puisque le contingentement n'est valable qu'un an, non renouvelable. De plus, il ne s'applique qu'aux permis B et ni aux permis L (de courte durée) délivrés à des Européens, ni aux permis G (frontaliers, mais pouvant venir de toute l'Europe...) et une bonne partie des permis B perdus, sinon la totalité, seront compensés par des permis de courte durée.  Enfin, sur les environ 1,2 million de ressortissants de l'Union Européenne qui vivent légalement en Suisse, aucun-e ne la quittera parce que le gouvernement fédéral a gesticulé en direction de l'électorat udéciste -en revanche, bien de celles et ceux qui auraient légalement pu venir travailler en Suisse et en seront empêchés par le contingentement de l'immigration, viendront quand même -mais illégalement pour travailler illégalement pour des salaires illégaux et dans des conditions illégales, pour occuper des emplois dont ni les Suisses, ni les étrangers résidents ne veulent plus...

    Si le Conseil fédéral voulait réellement combattre le dumping salarial, il aurait à sa disposition trois types de mesures : le salaire minimum (porté par une initiative syndicale), l'extension des conventions collectives prévoyant des salaires minimums, et le renforcement des dispositifs de contrôle du respect des conditions légales et conventionnelles de travail et de salaire. Or le même Conseil fédéral qui introduit le contingentement de l'immigration en sachant qu'il ne sert à rien, s'apprête à combattre le salaire minimum en sachant qu'il sert à quelque chose, et ne fait à peu près rien pour accroître les moyens nécessaire à assurer le respect des conventions collectives et des lois sur le travail. Et le même gouvernement qui adopte une mesure inutile pour rassurer l'électorat avant des votations importantes, combat l'idée de son élection par le peuple en nous expliquant qu'elle conduirait à placer ses membres en campagne électorale permanente et nourrirait la tentation de céder à la démagogie ? Fait-il autre chose, en justifiant l'activation de la «  clause de sauvegarde » par « les craintes de la population », que ce qu'il invoque comme un risque -celui de la démagogie, précisément ?
    Nous savons bien qu'à gauche, la « libre-circulation » n'a pas forcément bonne presse, et qu'on y voit parfois une pure traduction des dogmes « néo-libéraux » ... mais on parle tout de même ici d'un droit des personnes, et donc d'un droit de travailleuses et de travailleurs d'aller chercher du travail là où il y en a -en l’occurrence, chez nous... De plus, la « libre circulation »  n'est pas à sens unique et 500'000 Suisses et Suissesses en ont déjà profité (l'accord bilatéral sur la libre circulation des personnes est fondé sur le principe de l'égalité de traitement entre ressortissants suisses et européens).

    S'opposer à la libre-circulation en soi n'est pas une position de gauche, mais bien une posture réactionnaire, et xénophobe : le retour aux contingentement (certains rêvant même de la résurrection du statut de saisonnier), n'améliorera en rien les conditions de travail et de salaire en Suisse : «  On ne défend pas les travailleuses et les travailleurs avec un « non » (à la libre-circulation) mais en s'alliant avec les autres syndicats européens pour combattre le dumping social et la sous-enchère salariale », déclarait une déléguée d'Unia lors de l'assemblée qui décida en 2008, du soutien du syndicat à la reconduction de la libre circulation des personnes et de son élargissement à la Roumanie et à la Bulgarie. Cette position est toujours la nôtre. Et à nous aussi, comme à la chercheuse belge Annick Stevens, de la revue Refractions... il semble « inadmissible que la surface entière du globe soit possédée par des Etats dont les oligarchies décident de qui a le droit de s'établir sur leur territoire et qui n'en a pas le droit ».

    http://causetoujours.blog.tdg.ch/archive/2013/04/29/contingentement-de-l-immigration-en-suisse-de-travailleurs-e.html


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  • La Zone Euro après Chypre

    Par Jacques Sapir

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    Interview réalisé pour l’hebdomadaire de gauche grec “Epohi” (www.epohi.gret qui sera publié dans la semaine du 9 au 15 avril.

     

    Après ce qui s’est produit à Chypre où va la zone Euro ?

    Il est désormais clair que la crise de la zone Euro a marqué une étape importante après la crise chypriote. Cette dernière a fait sauter le tabou d’une ponction sur les comptes bancaires qui était en vigueur jusqu’à présent. L’idée que Chypre constituait un cas exceptionnel, ce qu’a répété le Président Français François Hollande lors de son interview du jeudi 28 mars à la télévision, est morte et bien morte. Klaas Knot, membre du Conseil de la BCE, a ainsi déclaré vendredi 29 mars[1]son accord de principe avec la déclaration très controversée de Jeroen Dijsselbloem le Président de l’Eurogroupe[2] affirmant que le plan de sauvetage pour Chypre constituait une nouvelle « doctrine ». Mais cette décision introduit un changement capital dans la gestion de la crise de la zone Euro. Elle porte en elle en réalité la fin de la zone Euro et ceci pour deux raisons D’une part, si l’on peut comprendre que l’on mette à contributions les actionnaires d’une banque dans le cadre d’un plan de sauvetage, toucher aux déposants est largement contre-productif en raison des effets de panique (le « bank run ») que cela risque de provoquer. Cette mesure met à mal la relation de confiance qui existe entre la banque et son client. Or, cette relation est l’essence même de l’activité bancaire. Cette rupture de la confiance, dont nous avons eu un exemple avec Chypre, fera sentir ses effets dans des pays déjà exposés à la crise, au Portugal, en Espagne et en Italie. Ceci entraînera une aggravation rapide de la crise dans les prochains mois.

     

    Cette crise se révèle ainsi non pas comme un épisode mineur lié à un nouveau problème dans un minuscule pays de la périphérie de la zone Euro (Chypre ne représente en effet que 0,2% du PIB total de la zone), mais bien comme un nouveau saut qualitatif dans cette crise. C’est d’ailleurs désormais l’opinion de Paul de Grauwe exprimée dans une interview à la RTBF[3]. On le comprend. Il avait défendu, dans la revue Europe’s World l’idée d’une rapide mutualisation des dettes[4], et il est confronté à la fin de non-recevoir de la part de l’Allemagne.

    Quel est le plan de l’Allemagne ? Se prépare-t-elle à quitter la zone Euro ou est-ce un autre pays qui partira le premier ?

    Il faut alors revenir sur la position de ce dernier pays. Il tire un profit important de l’existence actuelle de la zone Euro, profit que l’on peut estimer à 3% de son PIB par an (aujourd’hui 75 milliards d’euros). L’Allemagne réalise ainsi plus de 60% de son excédent commercial avec les pays de la zone Euro. D’un autre côté, pour que la zone Euro survive, ceci impliquerait une possible évolution vers plus de fédéralisme en Europe. Mais, les tenants de l’hypothèse fédérale n’ont jamais calculé les montants qui seraient alors nécessaires, ni qui devrait payer. Il faudrait, en réalité, transférer de 325 à 350 milliards d’euros par an, et ce sur une période d’au moins dix ans. Pour l’Allemagne, cela signifie qu’elle devrait débourser de 8% à 10% de son PIB chaque année dans le cas d’un réel fédéralisme budgétaire pour que la Zone Euro fonctionne[5].

     

    L’Allemagne est donc devant le dilemme suivant : soit s’engager dans la voie d’une « Union de Transferts », ce qu’elle a toujours refusé et en conséquence devoir prélever sur sa richesse nationale des montants considérables, soit dire adieu à la zone Euro et subir de ce fait une perte, mais qui serait bien moins importante. Pour l’instant, l’Allemagne se refuse à choisir et cherche à imposer, avec un certain succès, des solutions où les pays connaissant de graves difficultés devront financer eux-mêmes les plans de sauvetage. Il est évident que ceci va conduire à une aggravation rapide de la crise dans ces pays et, en fin de compte, ne leur laissera pas d’autres alternatives qu’une sortie de l’Euro ou d’être définitivement ruinés. Et l’on peut craindre que devant la lâcheté tant des gouvernements que des oppositions, ces pays ne se rangent à l’option d’une sortie de l’Euro qu’une fois qu’ils auront été définitivement ruinés. Les blocages idéologiques qui perdurent et qui font que l’hypothèse d’une sortie de la zone Euro n’est envisagée qu’avec la plus extrême réticence ont désormais un effet très pervers.

     

    On dit souvent que cette politique est celle de Madame Merkel. Ceci est en un sens exact. Elle a saisi l’occasion de la crise chypriote pour indiquer clairement qu’il n’était pas question que le contribuable allemand continue de payer[6]. Mais, compte tenu des problèmes que l’Allemagne devra affronter à long terme, et en particulier de sa démographie déclinante, on peut penser que n’importe quel autre dirigeant allemand aurait eu la même réaction sur le fond, même si, dans la forme, il est vrai qu’elle met beaucoup de mépris et d’arrogance. Tant que personne ne remet en question le dogme de l’Euro, l’Allemagne peut espérer continuer son jeu où elle encaisse les bénéfices mais refuse de contribuer substantiellement au fonctionnement de la zone Euro. Compte tenu du poids des excédents réalisés sur les pays de la zone Euro c’est une absurdité de penser que l’Allemagne veuille « expulser » l’un d’entre eux de cette zone. Mais, en même temps elle ne peut faire l’effort qui permettrait à cette zone de fonctionner.

     

    Il en résulte que l’on vit au jour le jour, mais dans une austérité qui ne cesse de se renforcer. Chaque mois passé représente alors un bénéfice net d’environ 12 milliards pour l’Allemagne. Ajoutons que l’Allemagne tire aussi profit l’état de crise dans lequel se trouvent les pays d’Europe du Sud. Pour faire face à son problème démographique, elle « importe » des jeunes diplômés (dont au passage elle n’a pas à supporter les coûts de formation), privant ainsi ces pays de leurs futures élites économiques et scientifiques et les enfonçant un peu plus dans la crise. On peut d’ailleurs se demander pourquoi l’Allemagne « importe » ces travailleurs et ne délocalise pas certaines de ses productions dans des pays comme l’Espagne ou la Grèce. La réponse est simple. Cette politique provoque une hausse mécanique du PIB de l’Allemagne, mais aussi celle des contributions sociales et budgétaires qui seront payés par ces « migrants » forcés, qui constituent l’équivalent d’un nouveauService du Travail Obligatoire de sinistre mémoire de 1942[7]. Au contraire, si l’Allemagne délocalisait certaines activités, elle serait obligée d’investir dans les pays concernés et les salaires des personnes employées ne donnerait pas lieu à impôts et cotisations sociales au profit de l’Allemagne mais du pays où ces gens travaillent.

     

    Pourtant, les élites allemandes savent bien que ceci aura une fin. On le voit dans la contribution de Hans-Olaf Henkel, l’ancien Président de la Fédération des industries allemandes à la revue Europe’s World, qui est à cet égard explicite[8]. Mais elles ne feront rien qui puisse provoquer cette fin d’une situation qui est si avantageuse pour elles. En un sens, le refus d’une « fin abominable » par l’Allemagne condamne les autres pays à vivre une abomination sans fin.

    Irons-nous vers deux zones Euro ou l’Euro va-t-il se désintégrer ?

    Dès lors, il est clair que la zone Euro est, dans sa forme actuelle, condamnée. Une scission de cette dernière, par exemple entre pays du « Sud » de l’Europe et pays du « Nord », peut être envisagée mais n’en est pas moins très peu probable. La discussion sur cette hypothèse de « deux » Euros a été particulièrement vive en France en 2010 et une partie de 2011. Mais, cette hypothèse implique un accord de l’Allemagne. Or cette dernière n’a pas plus intérêt à la scission qu’à la disparition de l’Euro. Si la zone Euro se désintégrait, on voit bien que se reconstituerait autour de l’Allemagne une « zone Mark », comprenant, outre cette dernière, les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande. Dans ces conditions, cette hypothèse de deux Euros se réduit en fait à cette zone Mark et à une zone Euro résiduelle sur les pays du « Sud » de l’Europe.

     

    Mais, l’hétérogénéité des autres pays ne serait pas moindre que celle que l’on constate aujourd’hui dans la zone Euro. L’Irlande et l’Espagne ont construit leur modèle de développement sur les services financiers et l’immobilier, alors que la France et l’Italie restent plutôt fidèles à des formes d’économies où l’industrie joue un rôle relativement important. La Grèce, mais aussi Chypre et Malte sont des cas à part. Pour la Grèce, il faut se souvenir que ce pays disposait, jusqu’au milieu des années 2000, d’un secteur exportateur dynamique, mais tourné hors de l’Europe, qui a été ruinée par l’Euro et la hausse des prix qui a découlé de la réévaluation de l’Euro par rapport au dollar à partir de 2003. La Grèce est d’ailleurs le pays le moins commercialement intégré dans la zone Euro.

     

    En fait, si l’on doit rechercher une relative homogénéité des dynamiques économiques et sociales, celle-ci n’existe en fait que pour trois pays : la Belgique, la France et l’Italie. Il serait concevable que ces pays aient la même monnaie. Mais, sur un périmètre aussi réduit, des accords de fixation des taux de change seraient tout aussi efficaces. Par ailleurs, la situation est en train d’évoluer rapidement. Il n’est pas sur que la situation de l’Italie, dans un proche avenir, n’en fasse pas à son tour un pays à la dynamique économique particulière. La politique d’austérité conduite par Mario Monti depuis le mois de novembre 2011 a durablement fragilisé le tissu industriel de l’Italie, qui souffre d’une contraction très importante du crédit bancaire. En retour, cette mauvaise santé des entreprises industrielles (en particulier les petites et moyennes entreprises dont le poids est important en Italie) se répercute sur les banques. La part des prêts qualifiés de non-performants atteint désormais environ 12% de l’actif des banques, soit un niveau comparable à celui de l’Espagne. Si la comparaison entre la France et l’Italie avait un sens quand le débat a eu lieu en France sur une hypothèse de « deux Euros », il n’est pas sûr qu’elle reste pertinente en 2013, comme les évolutions de l’automne 2012 le laissaient présager[9]. Il en résulte que l’hypothèse la plus probable est celle d’un éclatement de la zone Euro. C’est la solution qui aurait le mérite de la simplicité, ce qui est important en matière de décision politique où une solution réputée parfaite mais complexe à mettre en oeuvre est souvent supplantée par une solution « suffisante » mais bien plus simple à appliquer.

     

    J’ai essayé de modéliser ce que serait un éclatement de la zone Euro, et les premiers résultats des calculs conduits dans mon centre de recherches, le CEMI-EHESS, montrent que loin d’aboutir à la catastrophe que nous prédisent les augures européens, cette solution redonnerait aux pays de l’Europe du Sud leur dynamisme économique[10].

    Quelle politique pourrait être suivie aujourd’hui qui montre à la fois un intérêt dans le progrès de l’unification européenne et sans tout sacrifier sur l’autel du sauvetage de l’Euro ?

    Une politique recherchant l’unité européenne se heurte à cette réalité : il n’y a pas de peuple européen, en particulier au sens politique du terme « peuple ». Seuls les peuples des pays membres existent. C’est d’ailleurs une constatation qui a été faite par la cour constitutionnelle de Karlsruhe, l’instance chargée en Allemagne de dire le droit constitutionnel.  Dans le même temps, il y a un réel appétit pour plus de coordination entre les pays membre de l’Union Européenne. Une partie du drame actuel vient justement de ce que l’on a confondu coopération et unification, et en particulier dans le domaine monétaire.

     

    Désormais, la tentative de maintenir l’Euro va imposer aux pays du Sud de l’Europe des sacrifices toujours plus grands en matière de chômage mais aussi de niveau de vie et de mesures sociales. D’ores et déjà, ces sacrifices sont à l’origine d’un profond ressentiment contre l’UE et avant tout contre l’Allemagne désignée, non sans raison, comme l’origine de ces sacrifices. Aujourd’hui l’Euro est le principal obstacle à un approfondissement de la coopération entre pays européens. L’Euro est même devenu le principal danger pour l’Europe par l’ampleur et la violence des réactions qu’il induit[11].

     

    Ceci pose la question : pourrait-on dissoudre la zone Euro sans passer par des troubles sociaux et politiques majeurs ? Et la réponse surprenante, qui nous vient de Chypre, est « oui ». C’est même le principal paradoxe de la crise chypriote. Pour pouvoir rouvrir les banques le jeudi 28 mars, il a fallu mettre en place un cadre réglementaire extrêmement strict. Ces mesures de contrôle des capitaux ont permis d’éviter un effondrement lors de la réouverture des banques chypriotes. Mais, ces mesures ont aussi abouti à créer deux euros, l’un chypriote dont la fongibilité est limitée, et l’autre pour le reste de la zone Euro. Les concepteurs de ce système ne se sont pas rendus compte qu’ils administraient ainsi la démonstration que rien ne serait plus facile que de quitter la zone Euro. Tous les discours sur les aspects catastrophiques d’une telle sortie s’effondrent devant les faits. En réalité, une fois que l’on a accepté de renouer avec le principe des contrôles de capitaux une sortie apparaît techniquement aisée à réaliser. Il faut ici souligner l’impressionnante évolution des institutions internationales sur ce sujet. À l’époque de la crise financière d’août 1998 en Russie, ces contrôles étaient bannis[12]. Les défendre était la plus sure manière de ce faire traiter d’hérétique et excommunier par les grands prêtres de la science économique. Maintenant, ils sont admis même par le FMI[13].

     

    Désormais, ces contrôles sont en place, et ils ont été introduits avec l’assentiment, et même à la demande, de la Banque Centrale Européenne et de l’Eurogroupe, et ce, il faut le signaler, en totale contradiction avec le Traité de Lisbonne. Cette évolution était en réalité prévisible depuis plusieurs mois[14]. Mais, la crise chypriote a incontestablement joué à cet égard le rôle d’un accélérateur.

     

    Il faut donc, aujourd’hui, regarder la réalité en face. Soit nous gardons l’Euro, mais alors nous perdons tout moyen de nous opposer aux meurtrières politiques d’austérité qui sont en train de ruiner le Sud de l’Europe. Il suffit alors de regarder l’histoire de l’Allemagne de 1930 à 1932 pour avoir un avant-goût de ce qui va se passer. À l’époque le Chancelier Brüning, pour sauver les banques allemandes, avait appliqué une politique d’austérité drastique. Cette dernière avait sauvé les banques mais, faisant passer le taux de chômage en Allemagne de 15% à plus de 30%, a ouvert la porte aux Nazis. Aujourd’hui, le risque principal est de dresser les peuples européens les uns contre les autres et de refaire de l’Allemagne le problème central de la politique européenne. Soit nous nous décidons à dissoudre la zone Euro, quitte à ce que certains pays sortent les premiers entraînant alors un processus de décomposition rapide de cette zone, et nous pouvons retrouver le chemin de la croissance et du progrès social. Or, la coordination entre nations ne trouve des arguments politiques efficaces que si elle est au service de la croissance et du progrès social.

     

    Ajoutons alors qu’il sera important de faire fonctionner des formes de coordination entre les pays ayant retrouvé leur souveraineté monétaire. Celle-ci pourrait prendre la forme d’une coordination des taux de change, dans le cadre du contrôle des capitaux qu’il aura fallu adopter, entre la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce. D’autres pays pourraient progressivement venir s’adjoindre à cette coordination, qui pourrait déboucher, d’ici quelques années, sur une monnaie commune soit une monnaie venant s’ajouter et non se substituer aux monnaies existantes, et servant aux transactions commerciales et financières avec les autres pays. Les problèmes de compétitivité seraient résolus par une dévaluation, ou une réévaluation de la monnaie nationale par rapport à cette monnaie commune.

     


    [1] (Reuters) – European Central Bank Governing Council member Klaas Knot said on Friday there was “little wrong” with Eurogroup chair Jeroen Dijsselbloem’s recipe for dealing with future, le 29 mars 2013 URL : http://www.reuters.com/subjects/euro-zone

    [2] Claire Gatinois et Jean-Pierre Stroobants, « Les débuts difficiles de Jeroen Dijsselbloem, rebaptisé “Dijsselbourde” », Le Monde, 27 mars 2013, URL : http://www.lemonde.fr/journaliste/jean-pierre-stroobants

    [3] RTBF, « Chypre: “La zone euro est devenue plus fragile, le risque a augmenté” », 31 mars 2013, URL http://www.rtbf.be/info/economie/detail_chypre-la-zone-euro-est-devenue-plus-fragile-le-risque-a-augmente?id=7959913

    [4] P. de Grauwe, « Pool debt now of face dangerous upheavals across Europe », in Europe’s World, n°23, Printemps 2013, pp. 28-32.

    [5] Jacques Sapir, “Le coût du fédéralisme dans la zone Euro”, note publiée sur le carnet Russeuropele 10/11/2012, URL: http://russeurope.hypotheses.org/453

    [6] M Persson, « Euro crisis: After the Cyprus bank raid fiasco, Germany is being painted as the EU’s chief villain », The Telegraph,  31 mars 2013, URL :http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/cyprus/9962825/Euro-crisis-After-the-Cyprus-bank-raid-fiasco-Germany-is-being-painted-as-the-EUs-chief-villain.html

    [7] J. Evrard, La Déportation des travailleurs français dans le III eReich , Fayard, Les grandes études contemporaines, Paris, 1972. A. Milward, New Order and the French Economy , Oxford University Press, 1970, p.160-165

    [8] H-O Henkel, « Europe must drop the ‘one-size-fits-all’ euro to competitive » in Europe’s World, n°23, Printemps 2013, pp. 44-50.

    [9] J. Sapir, “Zone Euro: sous les discours lénifiants la crise continue de se développer”, billet publié sur le carnet Russeurope le 18/10/2012, URL: http://russeurope.hypotheses.org/332

    [10] J. Sapir, “L’impact d’une sortie de l’Euro sur l’économie française”, note publiée sur le carnet Russeurope le 05/03/2013, URL: http://russeurope.hypotheses.org/987

    [11] J. Sapir, Faut-il sortir de l’Euro ?, Paris, Le Seuil, 2012.

    [12] B.J. Cohen, “Contrôle des capitaux: pourquoi les gouvernements hésitent-ils?”, in Revue Économique, vol. 52, n°2/mars 2001, pp. 207-232, p. 228.

    [13] J. Ostry et al., « Capital Inflows: The Role of Controls », International Monetary Fund Staff Position Note, Washington (D. C.), FMI, 2010

    [14] J. Sapir, “Les contrôles de capitaux : une idée qui fait son chemin”, billet publié sur le carnetRusseurope le 29/01/2013, URL: http://russeurope.hypotheses.org/792

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  • Portugal :: « Ce n’est pas au Parlement que nous gagnerons ce combat »

    « Question organisation de la résistance, le PTB se rapproche du PCP davantage que tout autre parti», déclarait le président du PTB, Peter Mertens, il y a un mois dans Solidaire. Rencontre avec Miguel Tiago, parlementaire du Parti communiste du Portugal.

    Tim Joye

    Suite à l’abolition d’une loi empêchant l’augmentation de certains loyers, de nombreux propriétaires ont demandé jusqu’à 50 euros en plus à leurs locataires. « Quand on sait que la pension moyenne au Portugal se situe aux alentours de 400 euros, on comprend le genre de catastrophe sociale qui se produit », explique Miguel Tiago. (Photo Fernando Coelho / Flickr)

     

    Miguel Tiago est l’un des quatre députés de la CDU représentant la ville industrielle de Setúbal. La CDU, c’est la Coalition démocratique unitaire, une liste commune entre les verts et les communistes du PCP.  Aux élections de 2011, elle a obtenu pour l’ensemble du pays seize élus (quatorze communistes et deux écolos) et elle constitue ainsi le quatrième groupe au parlement. Miguel Tiago – qui n’a que 33 ans – en est déjà à son troisième mandat.

    Miguel Tiago. L’une des stratégies suivies par le gouvernement est de répercuter la facture de la crise sur les communes. Mais tout le monde ne s’y résigne pas comme cela. D’abord, il y a eu une campagne contre la suppression d’un certain nombre de conseils de quartier, ensuite, il y a eu les protestations contre l’augmentation des loyers.
        Au début de cette année, on a aboli une loi stipulant que les contrats locatifs conclus avant 1990 ne pouvaient pas augmenter le loyer au-dessus de l’indexation. Partout, les locataires ont reçu des lettres de leur propriétaire notifiant que le loyer augmentait de 25, voire de 50 euros. Celui qui ne peut payer se retrouve à la rue. Il s’agit surtout des vieilles personnes, puisque les contrats ont été signés avant 1990. Quand on sait que la pension moyenne au Portugal se situe aux alentours de 400 euros, on comprend le genre de catastrophe sociale qui se produit.

    Comment luttez-vous contre une telle politique ?

        Miguel Tiago. En descendant dans la rue, avec le plus de monde possible. Ce n’est pas au Parlement que nous gagnerons le combat. Dans ce cas-ci, ce ne sera pas facile. Quand 100 personnes arrêtent le travail à Setúbal, ça a plus d’impact que lorsque mille pensionnés descendent dans la rue à Lisbonne. La crise frappe en effet toutes les couches de la société et, partout, nous incitons les gens à lutter pour leurs droits. Depuis un mois, le PCP mène une nouvelle campagne – « Battre ce gouvernement et cette politique » – dans laquelle tous ces mouvements de protestation peuvent s’inscrire.

    Quel rôle les parlementaires communistes y jouent-ils ?

    Miguel Tiago. Être élu au Parlement est une grande responsabilité. Les gens n’ont pas voté pour nous afin que nous allions papoter pendant quatre ans à Lisbonne. Si une manifestation ou une grève a lieu quelque part, nous nous y rendons. Le prestige qu’on a en étant parlementaire est un atout énorme dans la lutte quotidienne des gens. La presse vous suit également avec plus attention. Nous essayons de la sorte d’assumer nos responsabilités vis-à-vis des électeurs.

    Où se situe le travail parlementaire, dans la liste des priorités du parti ?

    Miguel Tiago. La priorité est et reste les mouvements de lutte des travailleurs. C’est la seule façon pour nous de pouvoir changer cette société et rompre avec la spirale négative dans laquelle s’est retrouvé notre pays. Par la lutte commune des nombreux mouvements de protestation qu’il y a actuellement, nous voulons faire tomber le gouvernement. Ainsi, un nouveau mouvement pourra naître, avec le PCP, qui luttera pour un bouleversement radical de la politique actuelle.

     

     Être élu est une grande responsabilité. Les gens n’ont pas voté pour nous afin que nous allions papoter pendant quatre ans.

    Au niveau local, dans plusieurs endroits, vous participez à la gestion, parfois même avec une majorité absolue. Quelle est l’importance de la politique communale, selon vous ?

    Miguel Tiago. Très importante. Ce n’est pas là qu’on prend les vraies décisions, mais il est essentiel, en tant que pilier d’une démocratie de base, d’amener la politique plus près des gens. Au Portugal, toutes les communes sont encore subdivisées en petites freguesias (littéralement : paroisses, NdlR) avec chacune son propre président élu et ses consultations populaires. Mais ces freguesias sont elles aussi dans le collimateur du gouvernement. À Lisbonne, il y en a 53. Une nouvelle loi va toutefois les fusionner en 24 grandes freguesias. Cela signifie que le fossé entre la population et la politique va s’élargir.

    Quelle est la différence entre une commune PCP et une autre ?

    Miguel Tiago. La différence se situe surtout dans la relation avec les instances supérieures. D’autres élus locaux travaillent surtout comme représentants de l’administration centrale. Si la population a un problème, ils doivent surtout défendre les décisions du gouvernement national, et aller ainsi à l’encontre des protestations locales. Chez nous, c’est l’inverse. Quand les attaques contre la vie quotidienne des quartiers et des villages déclenchent des protestations, nous essayons de les diriger contre le gouvernement national.

    Si vous êtes dans la majorité au niveau local, alors qu’au niveau national on décide de rogner sur le budget des communes, n’êtes-vous pas obligés d’économiser aussi ?

    Miguel Tiago. Avec ce processus de « municipalisation », les communes reçoivent beaucoup moins et, en même temps, elles reçoivent plus de compétences. Prenez l’exemple de l’enseignement : dans le temps, les communes n’étaient responsables que des écoles primaires. Aujourd’hui, elles doivent également gérer l’enseignement secondaire. Là où notre parti est au pouvoir, nous avons refusé cette mission. Nous n’allons pas gérer des écoles si nous ne recevons plus d’argent pour le faire. Et nous organisons les personnes concernées afin qu’elles puissent montrer leur opposition à cette décision. La semaine dernière encore, il y a eu à Almeda – une ville que nous dirigeons – une manifestation d’enseignants et de parents pour le maintien de leur école.
        Et nous faisons la même chose à partir de l’opposition. À Odivelas, les autorités sociales-démocrates ont décidé que l’entreprise communale de distribution d’eau allait être cédée en concession au privé pour 30 ans. En compagnie du syndicat, nous avons mobilisé les habitants de la commune et les travailleurs de l’entreprise en vue d’une grande action de protestation au conseil communal, où notre élu a ensuite fait une intervention retentissante. 

    Le pessimisme social des sociaux-démocrates
    Depuis 2011, le Portugal est gouverné par une coalition composée par le Parti populaire (PP, droite) du Premier ministre Passos Coelho et le PSD de centre droite. Le PS social-démocrate a été renvoyé dans l’opposition. En Belgique, les sociaux-démocrates disent toujours : « Sans nous, ce serait pire. » Est-ce vrai ?


        Miguel Tiago. (Rires) Chez nous, ils disent exactement pareil. Cela ne rime bien sûr à rien. Il n’y a guère de différence entre un gouvernement avec ou sans le PS : avant 2011, le gouvernement PS de Socrates a appliqué lui aussi un tas de mesures néolibérales. Quand on y pense, le refrain du « sans nous, ce serait pire » équivaut en fait à une vision très pessimiste sur l’avenir de notre société. Si « moins mauvais » est tout ce qu’ils ont à nous proposer…

    http://www.ptb.be/index.php?id=1340&tx_ttnews[tt_news]=34238&cHash=2c4a92050f5cae7f950e15459788bd70


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  •  CHYPRE, UNE SOUVERAINETE TRES LIMITEE ET UN ENJEU GEOPOLITIQUE CONSIDERABLE

     

    La brutalité de l’agression politico-financière de l’Union Européenne contre l’un de ses membres : la République de Chypre a pu surprendre. Pourtant son écho très large a obligé les dirigeants d’autres pays membres : Italie, Espagne et les auteurs du putsch bancaire à insister sur le fait que tous les Etats européens endettés ne seraient pas traités aussi sauvagement. Mais la crainte d’une main mise soudaine sur tous les avoirs bancaires est devenue en quelques jours un motif de méfiance de masse des populations européennes, au moins celles du Sud, vis-à-vis de l’UE et de ses maitres. Cette perte de confiance est probablement irréversible au moins dans le sud de l’Union.

    En voulant rassurer, les gribouilles de Bruxelles et de Francfort ont fait un aveu d’importance : l’Union Européenne n’est qu’en apparence un regroupement d’Etats égaux en droit. En pratique y règne la loi des plus forts : une banque centrale indépendante et quelques Etats dont les classes dirigeantes ne manquent jamais une occasion de souligner leur prédominance. L’insistance à souligner l’importance du couple franco-allemand en est l’illustration permanente.

    Dans cette « Union » à qui la crise financière prolongée donne de plus en plus des allures de Radeau de la Méduse, sur ce « petit navire » en perdition le sort est, comme dans la chanson, « tombé sur le plus jeune ».

    Mais tout n’est pas dit et il n’est pas certain que la République de Chypre « sera mangée ». Cependant le choix de cette « victime expiatoire » n’est pas pour surprendre.

     

     

    Quelques données

    Chypre comptait 1 117 000 habitants en 2011 : 800 000 dans la République de Chypre membre de l’Union Européenne et les autres dans l’entité turque (voir ci-après).

    La superficie totale de l’ile est de 9250 km2 (la taille d’un grand département français comme les Landes) mais du fait de l’occupation turque consécutive à l’invasion de 1974, la République de Chypre n’est souveraine que sur un peu moins de 6000 km2.

    Depuis 1974 le territoire occupé par la Turquie n’est un Etat reconnu que par l’envahisseur, c'est-à-dire concrètement une colonie turque.

    La fameuse et fumeuse « communauté internationale » toujours si prompte à sanctionner, à mettre sous embargo, à déstabiliser par tous moyens, voire à bombarder, n’a jamais cherché à punir l’envahisseur turc, ni cherché sérieusement à rendre Chypre aux chypriotes qu’ils soient d’origine grecque – la majorité - ou d’origine turque.

    Les palinodies onusiennes sur la question chypriote n’ont conduit à rien si ce n’est à l’installation d’un rideau de fer barbelé au travers de l’ile, à l’appropriation des terres et des maisons abandonnées au Nord par les familles grecques au moment de la partition de 1974 et à la présence permanente de forces de l’ONU à la frontière. Depuis 39 ans entre les deux parties de la capitale Nicosie la circulation est limitée et se fait à travers de check-points contrôlés militairement même si des assouplissements symboliques ont eu lieu. Certes plus spectaculaire le mur de Berlin n’a pas duré si longtemps !

    On ne punit pas un membre important de l’OTAN et depuis prés de 40 ans la Turquie s’inspirant de la méthode mise en œuvre par Israël sur la terre palestinienne favorise l’installation dans la partie occupée de colons turcs avec le secret espoir que la poursuite de cette colonisation impunie conduise un jour à un nouvel équilibre démographique défavorable à la population grecque.

    L’entrée de la république chypriote dans l’Union européenne puis dans la zone Euro (01.01.2008) n’a en rien modifié cette situation malgré les efforts faits en vue de la réunification par le président communiste chypriote Christofias à partir de son élection en Mars 2008. Les palinodies bruxelloises se sont simplement ajoutées aux palinodies onusiennes stériles. Tout au plus peut-on considérer que la « question chypriote » demeure, au moins pour certains diplomates, un obstacle parmi d’autres à l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne. En même temps rien ne permet de penser que le gouvernement turc d’Erdogan puisse laisser faire une réunification qui le priverait de sa colonie chypriote.

    A cette partition s’ajoute la présence de deux enclaves britanniques où sont installées deux bases militaires importantes. Ce maintien de la souveraineté britannique sur ces deux morceaux de l’ile était la condition imposée par le colonisateur britannique pour accorder à l’Ile son indépendance en 1960. Aujourd’hui encore 30 000 citoyens britanniques – hors militaires présents dans les bases - sont installés à Chypre. Les résidents russes sont en nombre à peu prés égal.

    Ainsi le 28 juillet 1954, le sous-secrétaire d’État britannique aux Colonies, Hopkinson, déclarait devant la Chambre des Communes à propos de Chypre que « certains territoires du Commonwealth ne pourraient jamais prétendre à une indépendance complète. » Ce qui fut fait.

    Si les Etats-Unis envisageaient de soustraire à la souveraineté de l’Allemagne ou à l’Italie les territoires sur lesquels sont installées leurs bases militaires dans ces deux pays, on peut imaginer quelle serait la vigueur des réactions politiques. A Chypre, les manifestations qui ont eu lieu régulièrement depuis 1960 contre cette présence étrangère n’ont en rien modifié la position britannique. Il s’agit d’une occupation militaire et donc d’une décolonisation inachevée.

    D’un point de vue militaire Chypre est donc dans une situation abracadabrante. La République de Chypre indépendante n’est pas membre de l’OTAN mais une partie du territoire de l’ile est occupé par deux puissances de l’OTAN : la Turquie et la Grande Bretagne. L’ile étant à 200 kilomètres du littoral syrien et libanais, l’OTAN fera tout pour conserver cette base stratégique dont elle fait usage régulièrement dans l’actuelle crise syrienne. Les avions d’observation de l’US AIR FORCE et de la ROYAL AIR FORCE sont basés à Chypre et si, comme le souhaitent les va-t-en guerre du gouvernement français, des bombardements aériens de la Syrie étaient déclenchés, les deux bases anglaises seraient le principal point de départ des bombardiers de l’OTAN (pour mémoire le porte-avions Charles de Gaulle est en arrêt technique prolongé à Toulon) jouant le même rôle que les bases US en Italie pour l’attaque aérienne de la Yougoslavie.

     

    En Vert : la république de Chypre, en Rose : la zone turque, en blanc : le territoire britannique (bases militaires)

     

    LA CAMPAGNE MEDIATIQUE DE CONFUSION SUR LA QUESTION CHYPRIOTE

     

    Mettant en cause un petit pays à la souveraineté déjà limitée la crise financière actuelle est l’occasion pour les médias dominants et pour les puissants de cette « UNION » européenne si désunie de fabriquer un portrait-robot destiné à défigurer l’ile d’Aphrodite, nom antique de Chypre.

    • Quelques exemples : « les banque chypriotes sont remplies d’argent sale » 

    En vérité 62% des dépôts bancaires appartiennent aux citoyens chypriotes ce qui explique assez bien la réaction de la population et du parlement à l’annonce du premier plan européen.

    D’autre part les difficultés actuelles des principales banques chypriotes proviennent principalement de l’effacement de la moitié de la dette grecque par l’Union Européenne. Ce qui veut dire qu’une banque chypriote, et les banques chypriotes ne sont pas des mastodontes, qui avait prêté de l’argent à l’Etat grec a perdu la moitié de sa mise.

    Voici ce qu’écrivait à ce sujet le CADTM en Juin 2012

    17 juin 2012 par Stavros Tombazos

    La crise économique mondiale avait des répercutions sérieuses à Chypre dès 2009. Alors que le taux de croissance annuel moyen de la période 2001-2008 était de l’ordre de 3,7% (3,6% en 2008), depuis 2009 il se situe à un niveau bien plus bas :

    -1,9% en 2009, 1,1% en 2010, 0,5% en 2011 et -0,8% en 2012 (selon les prévisions officielles de la commission). Le chômage a augmenté soudainement de 3,7% en 2008 à 10% actuellement. Suite à des mesures d’austérité dans les secteurs public et privé, le salaire réel diminue continuellement depuis 2010. La diminution du pouvoir d’achat est estimée autour de 10% pour la période 2010-2013.

    Le système bancaire chypriote, actuellement en crise, semblait en 2009 encore solide. Les banques chypriotes n’étaient pas exposées aux produits toxiques qui étaient à l’épicentre de la crise bancaire aux États- Unis et à nombre d’autres pays européens. Cependant, les banques chypriotes ont voulu profiter de la crise mondiale. En 2009 et en 2010, les deux grandes banques privées de Chypre, Bank of Cyprus et Marfin-Laiki ont massivement spéculé sur les titres de la dette publique grecque. Les taux d’intérêts, élevés à cause de la spéculation internationale contre la Grèce, rendaient les titres publics de sa dette particulièrement attrayants (notamment sur le marché secondaire). Les banques chypriotes en ont acheté pour une valeur supérieure à 5 milliards, une valeur qui représente plus de 25% du PIB chypriote, estimé à 18 milliards pour 2012.

    - Chypre est un « paradis fiscal »

    Au moment de son entrée dans l’UE (2004) puis dans la zone Euro (2008) la République de Chypre s’est vue contrainte de faire une réforme bancaire qui, pour le monde de la finance internationale, l’a fait passer de la catégorie de « Paradis fiscal » à celle de simple « paradis bancaire » c'est-à-dire d’un lieu où il est facile et rapide de faire un dépôt mais qui n’a plus le caractère de « Paradis fiscal » tel qu’il est défini internationalement.

    • Les dépôts bancaires à Chypre représentent dix fois le PIB national

    Réponse : les dépôts bancaires au Luxembourg représentent 24 fois le PIB luxembourgeois, en Suisse presque 9 fois, au Danemark 7 fois le PIB. Les chiffres ne sont pas disponibles pour les autres paradis fiscaux européens mais trois micro- Etats européens : Andorre, Monaco et le Lichtenstein sont classés sur la lise noire des paradis fiscaux, ceux sur lesquels n’existe aucune donnée officielle.

    Le magazine FORBES qui est lu par les milliardaires, parle d’eux et de leurs placements, a publié une autre liste des paradis fiscaux certainement plus proche de la réalité.

    La voici :

    Extraite de http://www.paradisfiscaux20.com/

    La liste des 10 meilleurs Paradis Fiscaux dans le monde publiée par le magazine Forbes en 2010 reste la plus intéressante:

    1. U.S.A (Delaware),

    2. Luxembourg,

    3. Suisse,

    4. Les Îles Caïman,

    5. Royaume-Uni (City of London),

    6. Irlande,

    7. Bermudes,

    8. Singapour,

    9. Belgique,

    10. Hong Kong.

    Ce qui tendrait à prouver que les milliardaires « présentables » n’ont pas besoin de se mêler aux trafiquants de drogue dans les paradis plus exotiques que peuvent être Bahreïn, Saint Kitt et Nevis et autres Panama et que les banques « présentables » à Londres, Singapour ou New-York n’expliquent pas en détail à leurs clients « présentables » où elles vont elles-mêmes placer ces dépôts.

    • Les placements des « oligarques russes »

    Curieusement à écouter ou à lire les médias occidentaux il n’y a des « oligarques » qu’en Russie. L’oligarchie est étymologiquement le gouvernement de « quelques uns » par opposition à la monarchie : gouvernement d’un seul, ou à l’anarchie : absence de gouvernement. Chacun peut constater que dans nos démocraties occidentales les élections démocratiques au suffrage universel sont un mécanisme qui n’empêche pas certains citoyens d’avoir en permanence plus d’influence que d’autres ni la concentration du pouvoir politique et économique dans un groupe social restreint. La liste des invités de Sarkozy au fameux diner du Fouquets au soir même de l’élection présidentielle était en elle-même une photographie de l’oligarchie française contemporaine en action.

    L’implosion de l’URSS a ouvert la porte à toute une série de cadres du régime défunt qui profitant d’un état temporaire d’anarchie au sens propre du mot et souvent l’arme au poing se sont appropriés des biens collectifs : usines, banques ….devenant propriétaires individuels pour des sommes symboliques ou même sans dépenser un sou du capital accumulé par la collectivité. Pendant la présidence Eltsine ils ont joui d’une totale liberté d’action et d’une totale impunité. Ce sont eux les fameux « oligarques russes » : quelques dizaines ou centaines d’individus qui ont mis la main sur la richesse de toute la Russie. Depuis qu’il est arrivé au pouvoir Poutine s’est efforcé de rétablir le pouvoir de l’Etat et donc de limiter celui des dits oligarques. Il ne les a pas éliminés car il n’en a probablement pas la force politique mais il a montré sa détermination en mettant en prison un des plus puissants : Khodorkovski, patron de Yukos, première entreprise pétrolière russe à l’époque. Ce signal donné, le tri s’est effectué peu à peu entre ceux qui tout en restant immensément riches acceptent l’existence du nouveau pouvoir et certains objectifs de redressement et de modernisation économique du pays, et ceux qui déménagent pour ne pas aller en prison. Pour les raisons énoncées plus haut, les plus connus s’installent plutôt à Londres qu’à Chypre.

    Mais la mise en avant des « oligarques russes » qui ne sont ni plus ni moins recommandables du point de vue de la morale politique que les émirs rentiers et conservateurs du Golfe Persique n’est pas le fait du hasard. Après la décennie calamiteuse ouverte par la disparition de l’URSS la Russie a commencé à se ressaisir et pèse à nouveau sur la scène internationale au grand dam des équipes dirigeantes occidentales qui pensaient en avoir fini avec ce pays immense et doté d’immenses réserves énergétiques et minières et dépositaire d’une forte culture scientifique et technique héritée de l’ère soviétique.

    Or les Russes riches qui déposaient leur argent à Chypre et y achetaient une maison n’y trouvaient pas seulement un climat agréable mais aussi un pays pratiquant un christianisme orthodoxe très proche de ce qu’il est en Russie. Mais d’autres ou les mêmes ont déposé beaucoup plus d’argent dans les banques allemandes que dans les banques chypriotes. Le candidat de gauche aux élections présidentielles chypriotes avance le chiffre de 450 milliards d’Euros déposés en Allemagne par des Russes contre les 20 à 25 milliards déposés à Chypre.

    A ces affinités culturelles s’ajoutait une sympathie politique du gouvernement russe pour ce petit pays qui refusait d’entrer dans l’OTAN et donc de se rallier à la politique d’encerclement militaire de plus en plus serré de la Russie, mise en œuvre sans relâche depuis par les Etats-Unis et l’OTAN. Cette sympathie n’avait pu que se renforcer avec l’élection à la Présidence de la République de Chypre d’un dirigeant du parti communiste chypriote AKEL lui aussi très hostile à l’adhésion de son pays à l’OTAN. Dans les débats sur la réunification de Chypre qui se sont tenus régulièrement au Conseil de Sécurité, la Russie a toujours défendu la position que l’invasion turque de 1974 était illégale du point de vue du droit international et les chypriotes le savent.

    L’opposition du Président Christofias à l’entrée dans l’OTAN s’était manifestée vigoureusement en Février 2011 lorsqu’il avait usé de son droit de veto contre un vote du parlement -où son parti n’était pas majoritaire- qui était favorable à l’adhésion de Chypre au « Partenariat pour la paix » (PfP) qui constitue l’antichambre de l’OTAN et dont sont membres tous les Etats de l’UE qui ne sont pas dans l’OTAN elle-même. L’élection d’Anastasiades a renversé la situation et quelques jours avant l’agression financière de l’UE les ambassadeurs de France, de Grande Bretagne et des Etats-Unis à Chypre ont plaidé pour une adhésion rapide au « PfP » en en soulignant tous les avantages supposés, à savoir, en particulier, une protection militaire de Chypre contre une attaque militaire de la Turquie dans le cas d’une éventuelle « guerre du gaz » ( voir plus loin). L’OTAN est une alliance tellement amicale qu’on peut envisager d’y entrer simplement pour ne pas être envahi par un autre de ses membres ! Ce fut d’ailleurs le cas dès 1952 lorsque la Grèce et la Turquie y adhérèrent le même jour.

     

     

    Les Etats-Unis se félicitent du resserrement des liens de Chypre avec l’OTAN

    US welcomes stronger ties with NATO

    By Stefanos Evripidou 13/03/13 in CYPRUS MAIL

     THE UNITED States welcomes Cyprus’ commitment to strengthen ties with the transatlantic security organisation NATO, US ambassador to Nicosia John Koenig said yesterday. He also called for a careful planning of the new government’s stated goal of joining NATO’s anteroom, the Partnership for Peace (PfP) programme, to ensure a positive effect on EU-NATO relations. Speaking after an hour-long meeting with President Nicos Anastasiades at the Presidential Palace, the US diplomat said Washington is very interested in developing cooperation between the two countries. ...

     

    LE CALENDRIER POLITIQUE DES DERNIERS EVENEMENTS

    Du 01.07.2012 au 31.012.2012, les hasards du calendrier font que Chypre occupe pour 6 mois la présidence tournante de l’Union Européenne. Les difficultés financières du pays sont connues et le gouvernement Christofias profitant de cette position temporaire à Bruxelles va lutter pied à pied pour éviter d’être soumis à une cure brutale d’austérité à la grecque qui, vus les liens entre les deux pays, est ressentie très directement par la population chypriote.

    L’UE et ses poids lourds attendent. En Janvier 2013 se tient une nouvelle élection présidentielle. Le candidat de gauche, qui n’est pas un membre du parti communiste, AKEL, est battu et Christofias cède la place à un homme de droite Anastasiades. Celui-ci est favorable à une entrée dans l’OTAN donc à une prise de distance vis-à-vis de la Russie. Profitant de ce basculement stratégique l’UE présente l’addition : nous vous sauvons, mais nous vous asservissons. Conscient ou pas, Anastasiades est pris au piège.

    La suite est connue  et ceci explique que l’UE , ses chefs, la BCE, et le FMI qui dans les autres cas ( Grèce, Portugal, Irlande , Espagne ) ont choisi de sauver les banques plutôt que la population décident cette fois de faire payer les banques et au premier chef les capitalistes russes.

     

    UNE FORTE ODEUR DE GAZ POUR EMPOISONNER ENCORE UN PEU PLUS L’ATMOSPHERE

    En arrière plan de cette bataille stratégique pour l’incorporation brutale de Chypre à l’espace otanien une guerre du gaz en préparation.

    Il est désormais connu que les fonds de la Méditerranée Orientale recèlent de très importants gisements de gaz naturel. C’est vrai en Egypte où l’exploitation a commencé, c’est vrai en Israël où commence l’exploitation (ce serait vrai aussi pour un Etat palestinien indépendant et c’est en même temps un facteur défavorable supplémentaire à cette indépendance) et tous les pays voisins : Liban, Syrie, Turquie, Chypre et jusqu’à la Grèce peuvent espérer disposer de cette ressource et y accéder dans leurs eaux continentales (dans la Zone Economique exclusive). A part la Syrie qui disposait déjà de ressources pétrolières modestes, pour tous les autres c’est une promesse de bouleversement économique profond.

    Dans cette énorme bataille vont inévitablement intervenir les grands acteurs de l’industrie gazière mondiale car, Syrie mise à part – mais la Syrie est paralysée par la guerre - aucun des pays concernés ne dispose des capacités techniques propres permettant le développement des recherches sous marines et de l’exploitation. Parmi ces compétiteurs le nom de GAZPROM le géant russe s’impose. Pour l’UE tout doit être fait pour éviter l’intervention de GAZPROM à Chypre. Cependant le Ministre des Finances chypriote va tenter une manœuvre de séduction. Il se rend à Moscou le 18 Mars. Mais, UE oblige, il ne peut pas ouvrir grande la porte à GAZPROM qui n’a pas cessé de contrecarrer, avec l’appui du Kremlin, les plans énergétiques de l’UE, et il se contente de demander un apport en capital ne donnant aucun droit spécifique d’exploration et d’exploitation à GAZPROM dans les eaux chypriotes. En somme, renflouez nos caisses et vivez d’espoir !

    Il sera évidemment éconduit sèchement. En bref la Russie qui voit ses ressortissants durement attaqués décide de laisser l’UE régler ses problèmes internes et ne veut pas servir de banquier en échange de promesses incertaines. D’autre part elle n’ignore pas que le partage de l’ile entre la Turquie et la République chypriote porte en germe une lourde crise sur le découpage des eaux territoriales. Bien que l’état chypriote turc ne soit pas reconnu internationalement, la Turquie, dramatiquement dépourvue de ressources énergétiques a déjà revendiqué la propriété des gisements sous marins autour de l’ile en précisant qu’elle n’hésiterait pas à recourir à la force pour défendre ses « droits ».

    Cette revendication menaçante avait suscité une réaction inattendue du président Christofias. Il avait conclu un accord avec le gouvernement israélien de Netanyahou lequel s’engageait à défendre Chypre contre une attaque turque. Situation ahurissante où les deux principaux alliés des USA dans la région s’installaient dans un face à face guerrier et où un président communiste hostile à l’OTAN obtenait l’appui d’Israël. Au point qu’OBAMA en personne est venu sur place pour remettre de l’ordre et a exigé la réconciliation de ses deux alliés fâchés depuis l’attaque israélienne dans les eaux internationales du navire turc NAVI MARMARA qui devait conduire des militants internationaux pro-palestiniens à Gaza. Netanyahou a obéi et s’est excusé alors qu’Israël ne s’est jamais excusé d’aucune des agressions qu’il a commises depuis sa création que ce soit contre les Palestiniens ou contre ses voisins arabes.

     

    La petite ile de Chypre est devenue soudainement un point de cristallisation d’une tension internationale croissante dont les enjeux dépassent de très loin les 10 ou 15 milliards d’euros en jeu dans sa crise financière.

     

     

    Annexe : document publié ce jour (28 mars 2013) par l’agence de presse russe RIA-NOVOSTI

     

     

     http://jacques.tourtaux.over-blog.com.over-blog.com/article-comaguer-chypre-une-souverainete-tres-limitee-et-un-enjeu-geopolitique-considerable-116655628.html


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  • La leçon de Nicosie

    par Serge Halimi, avril 2013

    Tout devenait impossible. Augmenter les impôts décourageait les « entrepreneurs ». Se protéger du dumping commercial des pays à bas salaires contrevenait aux accords de libre-échange. Imposer une taxe (minuscule) sur les transactions financières exigeait que la plupart des Etats s’y rallient. Baisser la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) requérait l’aval de Bruxelles…

    Samedi 16 mars 2013, tout a changé. Des institutions aussi orthodoxes que la Banque centrale européenne (BCE), le Fonds monétaire international (FMI), l’Eurogroupe et le gouvernement allemand de Mme Angela Merkel ont tordu le bras (tremblant) des autorités chypriotes afin que celles-ci exécutent une mesure qui, décidée par Hugo Chávez, aurait été jugée liberticide, dictatoriale, tyrannique, et aurait valu au chef d’Etat vénézuélien des kilomètres d’éditoriaux indignés : la ponction automatique des dépôts bancaires. Initialement échelonné entre 6,75 % et 9,90 %, le taux de la confiscation correspondait à près de mille fois le montant de cette taxe Tobin dont on parle depuis quinze ans. Preuve était donc faite : en Europe, quand on veut, on peut !

    Mais à condition de savoir choisir ses cibles : ni les actionnaires, ni les créanciers des banques endettées, mais leurs déposants. Il est en effet plus libéral de spolier un retraité chypriote en prétextant qu’on vise à travers lui un mafieux russe réfugié dans un paradis fiscal que de faire rendre gorge à un banquier allemand, à un armateur grec, à une entreprise multinationale abritant ses dividendes en Irlande, en Suisse ou au Luxembourg.

    Mme Merkel, le FMI et la BCE n’ont cessé de marteler que le rétablissement impératif de la « confiance » des créanciers interdisait à la fois l’augmentation des dépenses publiques et la renégociation de la dette souveraine des Etats. Les marchés financiers, prévenaient-ils, sanctionneraient tout écart en la matière. Mais quelle « confiance » accorder encore à la monnaie unique et à sa sacro-sainte garantie des dépôts bancaires si n’importe quel client d’une banque européenne peut se réveiller un matin avec une épargne amputée pendant la nuit ?

    Les dix-sept Etats membres de l’Eurogroupe ont ainsi osé l’impensable. Ils recommenceront. Nul citoyen de l’Union ne peut dorénavant ignorer qu’il est la cible privilégiée d’une politique financière décidée à le dépouiller du fruit de son travail au prétexte de rétablir les comptes. A Rome, Athènes ou Nicosie, des marionnettes indigènes semblent déjà résignées à mettre en musique les consignes données en ce sens par Bruxelles, Francfort ou Berlin, quitte à se retrouver ensuite désavouées par leurs peuples (1).

    Ceux-ci devraient tirer de cet épisode chypriote autre chose qu’une rancœur sans portée : le savoir émancipateur que pour eux aussi tout est possible. Au lendemain de leur tentative de coup de force, l’embarras de certains ministres européens trahissait peut-être leur crainte d’avoir démenti sans le vouloir trente ans d’une « pédagogie » libérale qui a fait de l’impuissance publique une théorie de gouvernement. Ils ont ainsi légitimé d’avance d’autres mesures un peu rudes. Elles pourraient un jour déplaire à l’Allemagne. Et viser des cibles plus prospères que les petits déposants de Nicosie.

    Serge Halimi

    (1) Cf. «  Fate of Island depositors was sealed in Germany  », Financial Times, Londres, 18 mars 2013. Aucun député chypriote n’a osé voter en faveur du plan de l’Eurogroupe et du FMI.

    http://www.monde-diplomatique.fr/2013/04/HALIMI/48965


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  •  Seul le gaz chypriote intéresse les vautours européens
    de : arnold
    mercredi 27 mars 2013 - 15h56
     

    Un peu d’histoire sur Chypre !

    Chypre c’est un problème gréco-turc. Vous pouvez déjà retenir cette idée. Chypre est en face de la Syrie (ce qui est très loin de Bruxelles), tout en étant membre de l’Union européenne de facto pour sa partie sud (environ 1 300 000 habitants, majoritairement grecs, avec une minorité turque ainsi que britannique installée dans des enclaves militaires sous souveraineté de la Couronne britannique). Le territoire de l’île est aujourd’hui divisé entre trois souverainetés de facto : chypriote, turc et britannique. Vous pouvez traduire que c’est un joyeux bazar sur cette île et depuis longtemps. La République de Chypre, qui est la seule internationalement reconnue, dispose d’un siège à l’ONU et est membre de l’Union européenne (UE). Elle est réputée exercer sa souveraineté sur l’ensemble de l’île ; cependant elle ne contrôle en pratique que la partie méridionale (environ 50 % du territoire, 10 % étant contrôlés par la Grande-Bretagne) ; celle de la partie nord (40 % du territoire occupés par l’armée turque depuis 1974, y compris une partie de sa capitale Nicosie) autoproclamée République turque de Chypre du Nord (RTCN) le 13 novembre 1983, qui n’est reconnue que par la Turquie. La Ligne verte dite « ligne Attila », la sépare du reste du pays. Chypre est rentrée dans l’Union européenne en 2004 et l’Union se disait réticente à accepter une île divisée (on la comprend). Cette adhésion est due en grande partie aux pressions diplomatiques de la Grèce, qui menaçait de bloquer les 9 autres adhésions prévues en 2004 (Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Slovaquie et Slovénie) si Chypre en était exclue. Le statut de l’île est donc devenu un point de contentieux majeur des relations entre la Turquie et l’Union européenne. Néanmoins sur le terrain, des progrès ont été faits vers un statut fédéral de l’île. Les deux entités ayant ouvert des points de passage dans la Ligne Attila et permis aux habitants de chaque côté de se rendre dans l’autre ! Voilà en quelques paragraphes la réalité de l’organisation de l’île de Chypre. Avouez que c’est déjà compliqué.

    Ce qu’il faut retenir

    L’île de Chypre est prise dans un conflit ethnico-religieux entre Grecs et Turcs. L’île de Chypre est géographiquement située au Moyen-Orient et à une centaine de kilomètres de la Syrie. Pendant les années de guerre civile au Liban Chypre était d’ailleurs un réceptacle de réfugiés et également une plaque tournante pas uniquement financière mais aussi pour l’armement et le trafic d’armes international, ou encore pour les agents secrets du monde entier. Pour l’Europe, Chypre est un véritable porte-avion en méditerranée à portée de toute une région stratégique (d’où aussi les bases britanniques sur place). Chypre dispose désormais de réserves de gaz prouvées très importantes (224 milliards de m3) qui lui permettraient alors que le gouvernement chypriote s’apprête à donner les permis d’exploitation d’encaisser des ressources financières importantes (entre 30 et 100 milliards d’euros). Alors comme vous le voyez l’affaire chypriote se complexifie grandement dès que l’on met tout cela dans une perspective plus géopolitique, mais ce n’est pas tout.

    Le gaz chypriote un enjeu pour « l’indépendance énergétique européenne » ?

    Elle s’appelle « Aphrodite » et fait tourner la tête de tous. Il y a de quoi. La nappe de gaz (Aphrodite) qui se niche sous la mer à plus de 100 kms de la côte sud de l’île va probablement, à elle seule, bouleverser l’avenir du pays. Dépendante en grande partie du gaz russe, l’Europe se verrait bien confier en échange de son aide financière (forcément payante) l’exploitation des ressources de gaz chypriote estimées à 224 milliards de m3. Évidemment en face, les Russes voient cela comme une menace sur leur capacité à négocier avec l’Europe puisque le gaz chypriote permettrait à l’Europe d’éloigner les « chantages » russes à l’approvisionnement. Moscou perdrait sa capacité de « nuisances » donc de facto ses capacités de négocier avec l’Europe. Mais ce n’est pas tout. La seule base navale russe est située dans un pays pour le moins instable et juste en face de Chypre… la Syrie ! Le problème là encore, c’est que la Russie qui soutient Bachar el Assad risque de se voir sortir de Syrie en cas de défaite du régime actuel soutenu par Moscou (ce qui explique en partie sa résistance depuis plus de deux ans maintenant). Si les Russes devaient quitter la Syrie, Chypre située à une centaine de kilomètres pourrait rendre le « déménagement » beaucoup plus facile et permettre à Moscou de conserver une base en Méditerranée. Enfin, Chypre est devenue en 20 ans un refuge pour les fonds plus ou moins opaques des oligarques russes et gère plusieurs dizaines de milliards d’euros… russes ! Soyons honnêtes, si demain Chypre fait faillite, c’est les Russes qui perdront de l’argent, beaucoup, beaucoup d’argent. Alors les Russes comme nous venons de le voir ont quelques raisons sérieuses de soutenir Chypre, pour ne pas dire de « racheter » Chypre. Mais évidemment l’Europe n’est pas d’accord, mais alors pas du tout d’accord. Chypre doit trouver 17 milliards d’euros pour financer ses banques. Mais elle a beaucoup perdu lors de la crise grecque : les Européens (notamment les Allemands) ont contraint les créanciers à abandonner la moitié de la valeur des créances sur l’État grec, ce qui a déjà fait perdre 4,5 milliards d’euros à Chypre. De surcroît, les filiales des banques chypriotes en Grèce ont aussi perdu de l’argent. C’est là la cause principale de la crise à Chypre qui trouve donc son origine dans la façon dont les européens ont traité la crise grecque !

    L’hypocrisie hallucinante des dirigeants européens !

    Côté face, tout le monde se renvoie la balle, personne ne voulait être méchant avec le pauvre et gentil petit peuple chypriote en allant lui voler ses dépôts. Hollande dit ce n’est pas moi, j’étais contre, les Allemands ce n’étaient pas eux non plus, les Espagnols n’ont pas eu non plus cette idée… bref, c’est la faute à personne ! Pourtant cette décision n’est pas venue par l’opération du Saint-Esprit !

    Alors pourquoi l’Europe n’est pas d’accord

    D’abord parce que l’Europe a besoin du gaz chypriote. Que les Anglais veulent conserver leurs bases à Chypre ce qui leur permet d’assurer une présence en Méditerranée sans avoir à investir dans un porte-avion. Que les Grecs et les Chypriotes pour des raisons évidentes sont très proches, les systèmes financiers grecs et chypriotes sont en plus fortement imbriqués et c’est Chypre qui finance pour une part non négligeable la Grèce. Or pourquoi le système chypriote vacille ? Parce qu’il y a quelques mois, l’Europe a imposé des pertes fortes sur les créances grecs notamment au système bancaire chypriote qui devait être soutenu… et enfin même si les Russes sont nos « grands » amis moins ils sont puissants mieux toute l’Europe se porte surtout les anciens pays de l’Est qui n’ont qu’une peur… le retour de l’Empire soviétique dont ils ne gardent pas un souvenir impérissable. Alors côté pile les Européens mettent une pression hallucinante sur Chypre même si pour jouer les gentils à la télé et face à l’émotion suscitée partout en Europe par cette décision de voler les comptes bancaires des simples gens, on dit que personne n’est responsable de cette catastrophe !

    L’Europe organise le blocus monétaire de Chypre

    C’est le titre d’un article du Figaro. Ainsi pour le Figaro, la BCE a sorti son arme de dissuasion massive : le blocus monétaire. En effet, la Banque centrale européenne (BCE) vient d’indiquer qu’elle cessait d’alimenter en liquidités les banques chypriotes tant que Nicosie n’accepte pas le plan de sauvetage alors que mercredi 20 mars la même BCE prenait acte du rejet par le Parlement chypriote de ce plan et qu’elle ferait face en donnant les liquidités nécessaires… Il faut dire qu’entre temps, les Chypriotes sont allés négocier directement une aide éventuelle de Moscou et ont mis en concurrence deux « fournisseurs » d’aides potentiels, la Russie et l’Europe. Tout bonnement inacceptable pour les Européens. Ainsi la BCE a prévenu qu’elle n’alimenterait plus les banques chypriotes en liquidités, tant que le plan de sauvetage UE-FMI ne serait pas accepté. « Les liquidités d’urgence de la BCE ne sont disponibles que pour les banques solvables, or les banques chypriotes ne sont pas solvables tant qu’elles ne seront pas recapitalisées rapidement », a indiqué Jorg Asmussen, l’un des membres du directoire de la BCE. Alors pour le moment et cela risque de durer plus longtemps que prévu, le ministre des Finances chypriote et le gouverneur de la banque centrale de l’île (dont le prénom est Panikos) n’ont pas d’autre choix que de laisser les banques fermées jusqu’à nouvel ordre… Sans blague ! Il vaut mieux car sinon nous pourrions voir en vrai ce qu’est la matérialisation d’un risque systémique au sein de l’euro !! Le Figaro conclu son article en disant que « si la situation se prolonge, le blocus monétaire peut très vite se transformer en blocus économique. Du jamais vu dans l’Union européenne ! » Et c’est vrai. L’Europe non seulement a organisé le vol sur les comptes bancaires des Chypriotes, mais les Chypriotes opposant une résistance aux braqueurs, l’Europe ne s’est pas arrêtée contrairement à ce que l’on tente de nous faire croire. Non. L’Europe organise le blocus économique de l’un de ses membres. Je laisse à chacun le soin de tirer les conclusions de tels agissements de l’Europe, mais pour ma part, je constate que l’Europe ne recule plus devant rien. Il faut dire que les enjeux ne sont pas uniquement économiques. Chypre représente un enjeu géostratégique, et vous avez la preuve que l’économique n’a aucun poids lorsqu’il s’agit de géostratégie. C’est toujours le politique qui prime sur l’économique… et l’économie de Chypre sera laminée si cela est nécessaire mais l’Europe ne perdra pas Chypre ou alors au prix d’un combat de Titans. L’Europe ne veut pas laisser Chypre sortir de l’Union pour la voir aller se jeter dans les bras de Moscou. Que feront les Chypriotes ? Que feront les Russes ? Jusqu’où ira l’Union Européenne dans les rapports de forces ? Si Chypre sort de l’euro, la Grèce pourtant déjà « sauvée » plusieurs fois va s ‘effondrer, et les élections allemandes qui sont en septembre… loin beaucoup trop loin ! « Entre sauver de la banqueroute un État souverain et protéger les milliards des blanchisseurs russes, le choix est vite fait ». Voilà le genre de platitudes auxquelles nous habituent les élites européennes. S’ensuivent, pour bien asseoir ces banalités, des amalgames entre les dépôts des banques chypriotes et les fortunes en milliards des oligarques russes. Ces derniers, majoritairement séjournent à Londres, à New York ou à Moscou, et n’utilisent Nicosie que comme un chainon, certes bienveillant, pour investir à travers le monde ou rapatrier en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou en Russie leurs fonds issus d’activités aussi bien « intégrées » que frauduleuses. Mais, comme aux comptoirs de bistrot, plus c’est gros et mieux ça passe, d’autant plus qu’il y a toujours des médias qui, à la manière du poivrot de Wolinski, n’y trouvent rien à redire, approuvant (et perpétuant) les contre-vérités et les approximations à l’infini.

    Enfin, comment avoir confiance dans les institutions européennes alors que ces dernières ont :

    1/ demandé aux Grecs d’annuler un référendum sur l’euro ce qui est une violation de la liberté des peuples à l’autodétermination.

    2/ viré manu militari Berlusconi (élu) au profit de Mario Monti (désigné d’office) ce qui est une violation des choix démocratiques d’un peuple souverain fussent-ils mauvais (les choix).

    3/ demandé aux autorités chypriotes de faire mains basses sur les comptes bancaires des gens au mépris le plus total du principe de propriété privée ce qui constitue une violation de ce droit.

    4/ organisé le blocus économique et monétaire de Chypre pour obtenir une obéissance totale… ce qui constitue un cas grave d’oppression sur un peuple. Enfin que Mme Lagarde et la Troïka cessent d’employer le mot « solidarité », à le salir jusqu’à l’écœurement. Que l’Allemagne et ses laquais européens, dont la France, arrêtent de parler de « solution juste et équilibrée » chaque fois qu’ils mettent un pays et son peuple à genoux. Que la BCE arrête de parler d’accord chaque fois qu’elle pratique un chantage éhonté. Que nos élites politiques cessent de parler de « démocratie » chaque fois qu’elles passent outre l’avis des peuples et de leurs parlements, pris à la gorge, pour imposer leurs solutions, mille fois mises en échec par la réalité et ses cohortes de chômeurs, d’entreprises en faillite, d’usines en friche et de services de l’Etat réduits en peau de chagrin.

    À part le peuple chypriote, les retraités anglais, grecs, russes, néerlandais, etc., qui avaient leurs économies dans les deux plus grandes institutions financières de Chypre, tout le monde dans la finance trouve son compte, à commencer par les oligarques russes, qui, jusqu’à hier, étaient l’excuse de l’intransigeance européenne. L’accord colonial, que dis-je, d’occupant cynique imposé à ce pays n’a pas de précédent. L’économie et la société de Chypre feront un bon en arrière de plusieurs décennies.

    Avis aux peuples italien, français, espagnol, portugais... S’ils veulent croire encore que des mots comme Sécurité sociale, santé publique ou école pour tous ont encore un sens. Tout ce qui ne génère pas de l’argent (à la manière que le conçoit Mr Schauble et Mme Lagarde), est désormais insignifiant. Et tant pis pour les citoyens européens…

    http://bellaciao.org/fr/spip.php?article134364

    Lire l'article du 22 Février 2012

    http://pcautunmorvan.eklablog.com/chypre-oeil-du-cyclone-en-mediterranee-orientale-a40895602


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  • L'erreur électorale de Chypre

    Chien Guevara
     

    A Chypre, l’austérité bat son plein

    Exceptionnel ! La propriété, c’est le vol. Tel est le nouveau credo de la Troïka (BCE, Commission, FMI). Le plan d’aide (!) de 10 milliards d’euros qui vient d’être acté pour Chypre prévoit ni plus ni moins qu’un prélèvement automatique de 6.75% (voire plus pour certains produits d’épargne) sur tout dépôt inférieur à 100.000 euros dans toute banque chypriote. On s’endort avec 1 euro, on se réveille avec 93.25 cents !

    Le plan ayant été validé vendredi soir dans la nuit, les Chypriotes (et les étrangers présents sur l’île ) passent un long week-end à vider leurs distributeurs automatiques... pour prendre d’assaut les guichets dès mardi (lundi férié). Pourtant ce réflexe bien compréhensible serait inutile : les sommes ponctionnées seraient déjà bloquées...

    On peut se fier à la célérité des banksters européens pour limiter drastiquement tous les retraits dans les jours et semaines à venir. Les Chypriotes manifesteront dès mardi, mais leur pognon c’est cuit. Tout ça, pour sauver des banques qui sont condamnées. Qui va déposer à nouveau quelque piécette dans ces établissements ? Épargner plus pour perdre davantage. Dans ces conditions, imagine-t-on des banques non chypriotes prêter à ces banques qui voient disparaître leurs dépôts ? Sachant par ailleurs que les établissements les plus reliés aux banques chypriotes sont les banques grecques, elles-mêmes devenues insolvables et filialisées par les grandes banques européennes, on imagine assez bien la suite…
    Source : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/chypre-le-vol-legalise-132517

    L’europe responsable ?

    Ho qu’ils sont vilains les dirigeants européens qui ont instauré ça ! Vrai ! Mais …faux ! Car en fait, cette brillante décision est une idée du ministre des finances chypriote.
    L’europe impose donc à Chypre une mesure d’austérité que le gouvernement de la république chypriote a lui-même choisie.
    Ils doivent être contents de leurs récentes élections présidentielles, les citoyens chypriotes, qui ont évincé un président communiste, pour en choisir un bien à droite afin de les sortir de la crise, et de l’austérité.

    Rappel

    Nicosie, 24 févr. 2013 - Le candidat de droite Nicos Anastasiades a été élu dimanche président de Chypre, avec 57,5 % des suffrages exprimés au second tour, selon les résultats officiels après dépouillement de tous les bulletins.
    Avocat pro-européen de 66 ans et vétéran de la vie politique chypriote, M. Anastasiades était opposé à Stavros Malas, un indépendant soutenu par les communistes dominant le gouvernement sortant, et sera désormais chargé de finaliser un plan de sauvetage international crucial pour un pays au bord de la faillite.
    Source : http://www.menara.ma/fr/2013/02/24/515854-chypre-nicos-anastasiades-remporte-les-%C3%A9lections-pr%C3%A9sidentielles-r%C3%A9sultats-officiels.html

    Faire le bon choix électoral

    Quand on voit comment l’Espagne a mis sur le dos du gouvernement socialiste, ses problèmes économiques, et que depuis deux ans, qu’ils ont basculé vers le parti … de Franco, ça va nettement mieux, n’est ce pas ?
    A Chypre, il n’aura fallu qu’un mois pour voir la différence entre un gouvernement communiste et un autre ultra-libéral.
    Amis électeurs d’Europe et même d’ailleurs, avant de voter, réfléchissez bien : la crise est un problême capitaliste, et l’austérité est mise en place pour sauver le système capitaliste.
    Etes vous sûr que c’est en donnant votre voix à la droite que vous allez changer cela ?
    Il faut éviter de voter pour le pyromane si l’on veut éteindre l’incendie !

    L’article chez lui : L’erreur électorale de Chypre

    URL de cet article 19877
    http://www.legrandsoir.info/l-039-erreur-electorale-de-chypre.html

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  • slovenia-flags.jpgGrèves massives et révolte citoyenne en Slovénie : un mouvement populaire inédit dans la « Suisse des Balkans » fait tomber le gouvernement

     

    Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

     

     

    La chute du gouvernement conservateur, maître d’œuvre des politiques d'austérité, sous la pression populaire est révélatrice d'un mouvement de fond traversant la société slovène: entre luttes massives, mouvement spontané et absence de perspective politique.

     

    La « Suisse des Balkans », le qualificatif correspond moins que jamais à la situation sociale et politique de la Slovénie.

     

    En l'espace d'un an, le pays a connu quelques-unes des plus grandes grèves de leur histoire, un mouvement « citoyen » spontané massif pendant que son gouvernement était renversé sous pression populaire.

     

    La Slovénie a longtemps été présenté comme l'élève modèle à l'Est : un modèle social-libéral co-géré par de puissantes centrales syndicales, une population peu encline à la protestation dans un pays qui fut le premier pays de l'ex-Yougoslavie à adhérer à l'UE (2004) puis à l'Euro (2007).

     

    L'édifice s'est depuis écroulé sous la pression de la crise capitaliste et de l'intégration européenne.

     

    Depuis 2008, le gouvernement conservateur de Janez Jansa imposait des plans d'austérité que l'on connaît ailleurs : baisse des salaires des fonctionnaires de 15%, coupes drastiques dans l'éducation et la santé, allongement du temps de travail et déremboursements massifs dans la Sécurité sociale.

     

    Dans le même temps, le processus de privatisations s'accélère, notamment dans le secteur bancaire où la principale banque du pays NLB devrait être cédée au privé, tandis que le projet de recul de l'âge de départ à la retraite à 65 ans reste la prochaine étape pour le patronat.

     

    En parallèle, des scandales de corruption éclaboussaient le personnel politique, de droite comme le premier ministre Jansa, ou de centre-gauche comme le maire de Ljubljana, Zoran Jankovic.

     

    Entre grèves générales et réformes négociées : les ambivalences du puissant mouvement syndical slovène

     

    La première contestation est venue du puissant mouvement syndical slovène, impliqué dans la co-gestion du pays depuis l'indépendance, dans un pays où – cas rarissime en ex-Europe de l'est – plus d'un salarié sur trois est syndiqué.

     

    Ce mouvement syndical fort, organisé notamment dans l'Association slovène des syndicats libres ZSSS), avait obtenu le maintien d'une partie des acquis sociaux de l'époque socialiste, de certains pans de l’État social en échange de sa participation à la gestion loyale des affaires du capital.

     

    Le mouvement syndical, poussé par la pression populaire, a été à l'origine de deux victoires sur le gouvernement et l'austérité : les référendums de 2011 respectivement sur les contrats précaires pour les jeunes et sur la réforme des retraites prévoyant le recul de l'âge de la retraite à 65 ans.

     

    Ces derniers mois, les journées de grèves lancées dans le secteur public ont été les plus suivies depuis 1991 : plus de 100 000 grévistes en avril 2012 et en janvier 2013 pour protester contre les coupes dans le public, sur les 160 000 fonctionnaires que compte le pays.

     

    Toutefois, la culture du compromis du mouvement ouvrier slovène, du « dialogue social » prôné par la CES (Confédération européenne des syndicats) conduit désormais le mouvement à une impasse.

     

    D'une part, 14 des 21 syndicats de la fonction publique ont accepté de signer un accord d' « amendement » de la réforme en mai 2012 prévoyant des baisses réduites de salaire (8% au lieu de 15%), et un plan de licenciement revu à la baisse dans l'éducation nationale.

     

    D'autre part, si les syndicats ont longtemps fait planer la menace d'un référendum sur le budget 2013, ils ont retiré cette menace en décembre dernier « montrant leur respect de l’État du droit, et exigeant en retour du gouvernement le même respect de l’État social ».

     

    De fait, en dépit d'un potentiel de lutte inédit, le mouvement syndical, en particulier dans le bastion de la fonction publique, est privé de toute perspective politique hormis celle de la résistance conduisant à l'amendement des réformes.

     

    La vstaja : la naissance d'un mouvement spontané d'indignation face à la corruption

     

    En parallèle à la lutte organisée des syndicats, est né en Slovénie un mouvement spontané, empruntant certains traits aux « Indignados » espagnols ou au partisans du mouvement 5 étoiles en Italie, mais avec des spécificités locales incontestables.

     

    Le mouvement est né d'une révolte contre les scandales de corruption, d'un rejet indifférencié de la caste politique slovène – centre-gauche ou droite – ainsi que d'une vague et puissante aspiration au changement, motivé par le rejet des politiques d'austérité.

     

    Ce mouvement voit le jour à Maribor, deuxième ville du pays, en novembre 2012. Une ville dirigée par un politicien de droite Franc Kangler, chantre des mesures de libéralisation et de privatisation, adepte des mesures autoritaires et trempé dans de multiples scandales de corruption.

     

    Le dernier a mis le feu aux poudres : un partenariat public-privé conclu par la Mairie pour équiper la ville d'une cinquantaine de radars dont 95% des recettes auraient été engrangées par l'opérateur privé.

     

    La révolte (vstaja) de Maribor est un mouvement spontané, né de l'indignation face à la corruption de la caste politique locale, animé par de jeunes étudiants à partir des réseaux sociaux.

     

    De début novembre à la mi-décembre, de 10 à 20 000 « citoyens indignés » occupent la place de la Liberté pour exiger le départ du maire qui, après avoir tenté de s'accrocher, doit démissionner sous la pression populaire fin décembre 2012.

     

    Fort de ce succès historique, la « révolte citoyenne » (vstaja) s'étend aux autres villes du pays, Kranj, Nova Gorica et surtout la capitale Ljubljana où chaque premier samedi du mois, depuis le début de l'année, 10 à 20 000 manifestants exigent le départ de toute la « caste politique » nationale.

     

    Un mouvement traversé par de profondes contradictions

     

    Ce mouvement spontané reste néanmoins traversé par de profondes contradictions.

     

    D'une part, il porte l'aspiration à un changement radical, relayé par les mots d'ordres dominant la manifestation du 9 mars, allant au-delà de la simple indignation : « Nous ne voulant pas un nouveau gouvernement mais des changements révolutionnaires », « Pas de paix sans justice ! ».

     

    1353167908-antiausterity-protests-underway-in-slovenia_1606.jpgL'intégration européenne et la « dictature du capital européen » sont de plus en plus contestées dans les manifestations tandis que les drapeaux de la défunte Yougoslavie refleurissent.

     

    Les illusions tombent sur cette classe politique slovène née de l'effondrement de l'ex-Yougoslavie, sur des pères de l'indépendance, tel Janez Jansa, fondateur et leader du mouvement d'opposition SDZ en 1989, fossoyeur de la Yougoslavie communiste et partisan zélé de l'Union européenne.

     

    Toutefois, le mouvement est aussi caractérisé par son absence de perspectives politiques claires au-delà du 'Dégage' ou du 'Qu'ils s'en aillent tous' recyclés en « Gotovo je » et « Gotovi so » (« Ca suffit, ils sont finis! ») empruntés au mouvement OTPOR serbe, lui-même financé par les ONG américaines.

     

    A Maribor comme à Ljubljana, le mouvement ne tient pas sur une idéologie partagée, un projet alternatif commun : seul le même rejet de la « classe politique » corrompue, de l'austérité, et une aspiration confuse à une « démocratie participative » et à un « modèle social » équitable.

     

    Dans les discours, des références appuyées au modèle socialiste yougoslave renaissent – y compris dans ses aspects auto-gestionnaires – sans qu'ils ne viennent appuyer souvent concrètement autre chose qu'un projet de retour au « pacte social » des années 1990.

     

    Ses limites sont aussi celle de sa composition sociale, très largement jeune et étudiante, encore peu connectée avec le monde du travail et les luttes des fonctionnaires et des ouvriers, et se reconnaissant plus dans le terme de « peuple » (narod) que dans un vocabulaire de classe.

     

    Des limites provenant aussi de l'absence d'organisations de classe, tant sur le plan syndical que politique, après la chute du communisme et l'indépendance du pays en 1991.

     

    La perspective de fondation d'un « Parti citoyen » avancé par certains, à partir de l'expérience de Maribor, rapprocherait le pays d'un scénario à l'italienne avec le mouvement 5 étoiles de Grillo.

     

    Un mouvement unissant toutes les tendances de la société autour de revendications hétéroclites (anti-Europe, anti-austérité, anti-immigration, anti-politique...), parfois progressistes, mais sans projet alternatif conséquente ni idéologie cohérente.

     

    En Slovénie, comme ailleurs en Europe de l'Est, dans ce qui fut jadis l’îlot de prospérité paisible de l'ex-Yougoslavie, toutes les illusions sont toutefois déjà tombées sur les bienfaits de la restauration capitaliste et de l'Union européenne. 


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  • Peter Mertens (PTB) :: Les grandes lignes du socialisme du futur

    Pour Peter Mertens, le « socialisme 2.0 » ne sera pas fait de romantisme ou de nostalgie, mais répondra aux besoins de la société d’aujourd’hui. « Il existe cinq piliers sur lesquels repose une société socialiste telle que nous la voudrions dans l’avenir, précise-t-il. Ils vont dans le sens inverse de l’évolution actuelle, c’est un fait. » Le point sur le projet d’avenir du PTB.

    Nick Dobbelaere

    Photo Solidaire, Salem Hellalet

    1. Vivre ensemble avec la solidarité comme base

    Peter Mertens. Il est impossible de se développer seul. Dans mon livre Comment osent-ils?, j’ai fait référence aux recherches du Pr Frans de Waal, un biologiste qui a effectué un travail novateur sur l’évolution de certaines espèces animales sociales. Il en ressort que les espèces animales sociales, comme l’homme, ne sont pas capables de survivre par individus. Elles doivent s’organiser ensemble, collaborer. Ce principe du Survival of the fittest (la survie des meilleurs) est idéologiquement détourné par le néolibéralisme et transformé en une sorte d’égoïsme biologique. Mais « the fittest », soit les meilleures espèces sociales, sont aussi celles qui, au cours de l’histoire, ont été les plus aptes à travailler ensemble.  

    Nous voulons une société dont la base est la solidarité. C’est par le déploiement de celle-ci que l’on peut développer les innombrables éléments créatifs actuellement gaspillés par le capitalisme. Quand on est né dans une famille ouvrière, on n’a statistiquement presque aucune chance de faire des études supérieures, et beaucoup plus de probabilités de mourir plus jeune. Le statut social détermine toujours énormément l’avenir. 

    Beaucoup de talents sont ainsi perdus. De combien d’artistes, d’intellectuels, de profs, d’ingénieurs… la société pourrait-elle bénéficier si chacun avait la possibilité de pouvoir développer ses talents ? 

    Lorsque la société reprend le contrôle des moyens de production – une production hautement développée avec d’immenses possibilités –, les gens ne sont plus dépendants de leur statut social, de la richesse qu’ils héritent ou de facteurs externes à eux-mêmes, comme c’est aujourd’hui le cas. Dans notre vision où la solidarité est un fondement, une personne dépend des seules choses dont un être humain devrait pouvoir dépendre : sa propre créativité, sa propre activité, son propre auto-déploiement. C’est seulement alors que l’homme peut réellement construire sa propre vie. 

    2. Un patrimoine commun

    Peter Mertens. Les ressources écologiques ainsi que la connaissance accumulée par l’humanité doivent être reconnues comme patrimoine commun ; ce qui signifie que personne n’a le droit de les monopoliser dans son propre intérêt et à son propre profit. Les formes de richesses les plus importantes appartiennent à tous, ce sont des biens communs qui doivent être activement protégés et gérés dans l’intérêt de tous. L’air que nous respirons, l’eau douce, les océans, les matières premières, le climat doivent être gérés de manière rationnelle et collectivement. Le réchauffement climatique est un problème de société et ne peut être résolu dans le cadre arbitraire de l’intérêt privé et de la chasse au profit maximal.

    Deuxièmement, tous les aspects du progrès technologique dans l’histoire de l’homme ont été transmis depuis dix mille ans par l’humanité de génération en génération. Lors de la première révolution technologique, au néolithique, personne n’a jamais pensé à privatiser ou à breveter l’invention de la roue. Le progrès technologique était partagé et transmis aux générations suivantes. Tout le développement des forces de production, de la science, de la recherche… s’est construit au fil des siècles, et cette connaissance appartient également à tous. 

    Cela vaut aussi pour la récente révolution technologique. Toutes les avancées sont par essence le fruit de la connaissance historique, mais aussi celui de la recherche collective des universités, financée par la collectivité. A l’accélérateur de particules à Genève, par exemple, 6500 chercheurs de 500 universités de 80 pays travaillent ensemble, entre autres pour trouver la plus infime des particules élementaires, le Boson de Higgs. C’est un projet collectif incroyable que la science pousse en avant, et qui aura de nombreuses retombées dans plusieurs domaines pour les dizaines années à venir. 

    Le développement technologique que nous avons connu après la Deuxième Guerre mondiale a été mené par des grands projets collectifs et par la recherche scientifique. Cela ne peut pas être privatisé. Aujourd’hui, toute recherche scientifique est immédiatement brevetée, autrement dit mise en cage par un certain nombre de grands actionnaires de multinationales. Pas avec l’intention de la laisser aux générations suivantes, ni pour de pallier le réchauffement climatique ou améliorer le bien-être de l’humanité, mais seulement dans le but de faire le plus de profit possible à court terme. Un socialisme du 21e siècle naîtra de la reconnaissance du caractère collectif du patrimoine commun et de la libération de la recherche commune de son carcan du profit. 

    3. Socialisation des secteurs clés

    Peter Mertens. Au 21e siècle, il faudra que se tienne un débat sur les secteurs économiques les plus importants qui donnent forme à notre société. Ce débat existe certes déjà, mais d’une manière bien différente de celle que nous envisageons. Le secteur bancaire et celui de l’énergie, par exemple, sont des secteurs « too big to fail » (trop grands pour échouer). Cela signifie que, si un tel secteur échoue dans le grand mécanisme de la concurrence, les dommages pour la société sont tels que nous ne pouvons nous permettre cet échec. Quelle est la solution actuelle ? On sauve ces secteurs temporairement avec l’argent de nos impôts, pour les redonner ensuite le plus vite possible au privé. 

    La seule solution conséquente pour les secteurs-clés qui portent l’économie – qui sont effectivement too big to fail – est de les « socialiser », c’est-à-dire les remettre dans les mains de la communauté. Dans notre vision, ils doivent devenir ce que l’on appelait autrefois des « biens communs », comme l’étaient les ressources de la nature qui n’appartenaient ni à l’Etat ni au privé mais à la société entière. 

    Cela ne signifie pas seulement qu’on remet ces secteurs dans les mains des pouvoirs publics en termes de structure et de propriété, mais que l’on installe une gestion qui fonctionne de manière transparente et dont les responsables doivent pouvoir rendre des comptes à la société. Les fonctions publiques ne peuvent être cumulées avec des fonctions dans les conseils d’administration d’autres entreprises, et les politiques ne peuvent pas siéger à la direction. 

    Mais, surtout, nous pouvons ainsi changer la finalité de ce type de secteur. L’objectif n’est alors plus de satisfaire les actionnaires avec des rendements de 12-13%, mais de fournir un service public. Ces secteurs sont donc orientés vers l’intérêt de la société et non plus vers le profit. Dans le cas du secteur de l’énergie : fournir de manière durable de l’énergie à la société. Dans le cas du secteur bancaire : octroyer un crédit là où c’est nécessaire, et non spéculer en bourse. Des secteurs qui doivent servir au bien commun doivent être dans les mains de la société. 

    4. Démocratie = vraie participation

    Peter Mertens. L’humanité a actuellemement atteint un point où elle possède la technologie et les capacités d’organisation nécessaires pour se fixer des objectifs auparavant considérés comme impossibles. Il est aujourd’hui parfaitement possible de supprimer la faim dans le monde. On sait ce qu’il faut faire pour cela, et on en connaît le coût. Nous avons la technologie pour abaisser le rythme de travail, mais au lieu de faire travailler cette technologie pour nous, celle-ci tourne pour la machine à profit et l’homme est plus que jamais esclave d’un rythme infernal. Un facteur très important pour inverser cet état des choses est la démocratie.  

    Une immense majorité de la population doit se contenter de découvrir et subir toutes les décisions prises concernant son emploi, son salaire, sa pension… sans avoir voix au chapitre. Des gens comme le PDG de Ford, Stephen Odell, et Lakshmi Mittal peuvent décider, quelque part bien loin, qui perd son travail et qui le garde. Dans ces décisions lourdes de conséquences, nous n’avons pas notre mot à dire. Jamais dans l’histoire il n’y a eu un aussi petit groupe (multinationales, industriels, lobbys financiers… ) détenant le véritable contrôle sur les objectifs de la société et sur la direction dans laquelle elle est orientée. Et – il faut le dire comme c’est –, ceux-ci disposent d’un important groupe de politiciens professionnels à leur service, de plus en plus éloignés de la vie réelle, qui renvoient le plus de décisions possibles aux pouvoirs exécutifs et tentent de marginaliser les contre-pouvoirs dans la société. 

    Dans le socialisme, il s’agira de véritable liberté, celle de faire des choix sur les éléments essentiels de sa vie, celle d’être libéré des soucis de pourvoir à ses besoins de base. Votre vieille mère pourra-t-elle se payer une maison de repos ? Votre enfant pourra-t-il être inscrit dans cette école ? Pourrez-vous encore payer cette facture d’hôpital ? Aujourd’hui, les gens sont si occupés à obtenir leurs droits de base que presque toute l’énergie, la créativité et le temps libre y passent. Ce n’est pas là une vraie liberté. La liberté, c’est être libéré de cette sorte de tracas afin de pouvoir vraiment être créatif et de pouvoir participer à la gestion de cette société. 

    5. Plannification sous le contrôle de la population

    Peter Mertens. Pour relever les grands défis de l’écologie, de la démocratie…, nous devrons planifier. Ou plutôt, nous réappropier les planifications élaborées derrière les portes closes des conseils d’administration des multinationales. Des multinationales comme Bayer ou Unilever planifient en effet tout de a à z, et à une échelle jamais vue: l’exploitation des matières premières, le transport des matières premières, la transformation des matières premières, la finition et la distribution des produits… Tout cela est un processus très strictement planifié, mais concocté en huis clos et avec la finalité unique de la chasse au profit, et non pour répondre aux besoins de la société. 

    Les grandes multinationales planifient aussi elles-mêmes la recherche et le développement, à nouveau non pas pour satisfaire les besoins de la société, mais pour réaliser les plus grandes marges de bénéfice possibles. Un exemple. Connaissez-vous la pilule Viagra pour femmes ? On a mis pendant des années des centaines de chercheurs là-dessus. Une recherche pour un problème qui, notons bien, n’existe même pas ! Pourquoi ? Simplement parce que les possibilités de profit auraient été énormes. Cela, ça intéresse le marché. Il y a sept fois plus d’argent investi dans le Viagra pour femmes que dans la recherche de médicaments contre des maladies tropicales qui menacent véritablement des millions de vies. On le voit bien, c’est le marché qui détermine la planification, et celle-ci n’est ni rationnelle, ni écologique, ni sociale. Nous devons aller vers une économie moderne, planifiée démocratiquement sous le contrôle de la population.

    Une vision de société, le socialisme

    Des explications plus détaillées quant à la vision du PTB sur le socialisme figurent sur cette page.

    http://www.ptb.be/nieuws/artikel/peter-mertens-ptb-les-grandes-lignes-du-socialisme-du-futur.html


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  • La Bulgarie se soulève !

    Nous publions cet article, initialement paru sur le site du Socialist Workers Party (Irlande), qui revient sur le mouvement social de grande ampleur ayant récemment contraint à la démission le gouvernement de droite en Bulgarie, et en tire quelques leçons politiques.

     

    Mercredi 20 février, le premier ministre bulgare, Boyko Borisov, démissionne 24 heures seulement après avoir déclaré qu'il ne démissionnerait pas. A la tête du parti de droite GERB1, Borisov avait, dans les jours précédents, hésité entre des concessions face à la révolte populaire croissante et la répression ouverte. Il avait alors fait la promesse de baisser de 8% le prix de l'électricité, tout en lançant la police anti-émeute dans une répression ouverte du mouvement de rue.

    « Chaque goutte de sang est une souillure pour nous » déclarait-il avant d'ajouter « Je ne peux pas voir le parlement entouré de barricades, ce n'est pas notre but, notre philosophie, nous ne pouvons pas nous protéger de notre propre peuple ».

    Le ministre des finances, Simeon Diankov, un officiel de la Banque Mondiale et architecte du cercle vicieux des budgets d'austérité, avait été démis de ses fonctions quelques jours avant la démission totale du gouvernement, ce qui n’a fait qu'encourager les masses dans leur mobilisation.

    Les manifestations dans 35 villes ont commencé avec l'augmentation du prix de l'électricité de 13%, imposée par le fournisseur d’électricité tchèque CEZ et quelques autres géants de l’énergie. Dans un pays où les retraites moyennes sont en dessous de 150 euros par mois et les salaires moyens autour de 400 euros, se profilait la possibilité de devoir payer 170 euros d'électricité par mois. Les compagnies se mettant même à demander 25 euros pour de simples demandes d’informations.

    La corruption massive des partis politiques traditionnels, issus de la période stalinienne, enrichis par la privatisation des entreprises d'État, avait déjà créé les conditions d'une colère montante dans la société bulgare. S’y est ajoutée l’austérité budgétaire, avec son cortège de régression sociale, de destruction des services publics, de baisses de salaire, de privatisation des dernières industries d'Etat, visant à réduire le déficit public à 0,5%. L’augmentation du prix de l'électricité a donc constitué, pour la plupart des gens, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.

    Des personnes ont ainsi commencé à se réunir devant les locaux de la CEZ pour brûler leurs factures en masse. Dans certaines villes, les voitures de l'entreprise ont même été brûlées, les dirigeants pourchassés dans la rue avec des boules de neige et des pierres. Dans les plus petites villes, les gens ont bloqué des routes. À Sofia les manifestants ont affronté la police anti-émeute à coup de morceaux d’asphalte et de tout ce qui pouvait leur permettre de repousser les flics. On a signalé deux cas d’auto-immolation – un symbole de la colère qui s'était accumulée au sein de la société bulgare. Les manifestations sont montées en intensité au fur et à mesure que la mobilisation adoptait davantage d’actions directes. Des tunnels ont été bloqués dans les montagnes par des manifestants venant de petites villes.

    « Mafia ! Mafia ! » est le slogan qui s'est rapidement imposé après la démission de Borisov. L'hostilité envers les partis politiques traditionnels s'est exprimée dans le refus de toute récupération politique au sein du mouvement, les gens étant largement dégoûtés de la droite et des réformistes de gauche. Le parti socialiste bulgare (PSB), issu du vieux parti communiste, fonctionne à présent comme un parti travailliste Blairiste. Pour mémoire, en 1997 des milliers de manifestants avaient pénétrés de force dans le Parlement pour faire tomber le gouvernement du PSB.

    Le mouvement récent a commencé à articuler des exigences à la fois économiques et politiques :

    -       mener les PDGs des principales entreprises devant la justice

    -       l’organisation de forums citoyens pour l’établissement d’une autre tarification de l’électricité

    -       la renégociation des contrats des 2 dernières années,

    -       une fin des privatisations

    -       une remise en cause complète du système des partis

    -       un contre-pouvoir aux politiciens et la possibilité de leur révocation

    -       une assemblée constituante.

     

    Qui sont les manifestants ?

    Selon le marxiste italien Antonio Gramsci, qualifier un mouvement de « spontané » revenait simplement à admettre ne pas avoir regardé ce mouvement d’assez près pour en comprendre les causes organiques.

    Dans le cas des manifestations bulgares, certains réseaux d’activistes ayant appelé à la mobilisation s’étaient déjà formés lors de luttes des années précédentes. Bien que les Bulgares vous diraient qu’ils sont apathiques, un simple coup d’œil aux nombreuses luttes dans un passé récent suffit à les démentir. Il y a d’abord eu la « révolution des tomates », une série de mobilisations contre l’incarcération d’un poète dissident, puis une longue grève du fret qui a vu de nombreux piquets de grève à travers le pays, luttant contre la privatisation du transport ferroviaire pendant des semaines. Les étudiants se sont par ailleurs mobilisés contre de nouvelles lois sur l’éducation, qui instauraient notamment une hausse des frais d’inscription. Enfin, en 2009, ce sont les paysans qui ont bloqué les routes à travers le pays.

    Deux des porte-paroles du mouvement actuel les plus souvent cités s’étaient déjà illustrés lors de la mobilisation contre l’ACTA (traité international pour lutter contre le téléchargement illégal et renforcer la propriété intellectuelle) et celle contre l’exploitation du gaz de schiste.  Angel Slavchev, une des figures principales des comités d’initiatives de Sofia contre l’exploitation des gaz de schiste, et qui travaille dans l’édition numérique, a aidé à mobiliser des milliers de personnes dans la rue en janvier dernier. […] Yanko Petrov, un autre activiste, a créé un réseau pour lutter contre l’ACTA. Ce sont ces réseaux de résistance, alliés à des couches d’activistes déjà rompus aux luttes, qui sont entrés en action pour appeler aux rassemblements qui ont ensuite puisé leur cohésion et leur ampleur dans la colère populaire contre les factures d’électricité.  

    En d’autres termes, si la colère populaire constitue bien l’élément spontané de la mobilisation actuelle, l’élément non-spontané tient dans les réseaux militants qui ont permis de fixer des objectifs et d’indiquer un chemin pour les atteindre. Des militants ont appelé à un rassemblement ce week-end2, pour décider de la stratégie à mettre en œuvre à présent, sans que soient très claires les raisons pour lesquelles ces décisions ne sont pas prises au cours d’assemblées ouvertes comme en Espagne durant le mouvement des Indigados3.

     

    Des divisions au sein du mouvement ?  

    Dans un appel à la télévision bulgare, Daniela Pelovska4 est apparue en tant que porte-parole du mouvement pour demander la fin des manifestations soi-disant récupérées par des éléments violents. Yanko Petrov et d’autres ont immédiatement dénoncé cette intervention, affirmant qu’elle « trahissait » le mouvement.

    De fait, jusqu’en 2005, Pelovska était membre de l’union des forces démocratiques, un rassemblement de droite. Elle avait notamment échangé un certain nombre de correspondances avec Borisov, en se référant à lui en tant que « cher général ». Son apparition à la télévision nationale était donc un stratagème évident déployé par l’État, coutumier de ce genre d’initiatives, pour diviser le mouvement.

     

    Où va la Bulgarie ?

    Le dimanche 24 février, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans toute la Bulgarie. Le gouvernement a démissionné sans qu’aucun autre parti ne soit prêt à assurer la transition, de peur que la colère populaire montante ne fasse de l’exercice du pouvoir un cadeau empoisonné. Les élections qui doivent se tenir en mai constituent à présent le principal espoir du gouvernement, qui espère que cette échéance électorale fera naître des dissensions au sein du mouvement, ce qui rend d’autant plus urgent un questionnement sur la manière de continuer la lutte. L’Etat ne manquera pas de tenter de récupérer quelques figures emblématique du mouvement.

    Comme l’écrivait Chris Harman à propos de telles situations :

    « Toute mobilisation réussie passe par deux phases. Dans la première, le mouvement éclate à la face du monde, prenant ses opposants par surprise et apportant une joie à ses partisans dont l’intensité est d’autant plus grande que le temps qui sépare ce mouvement du précédent est important. Il semble alors que le seul moment cinétique de la lutte est suffisant pour la faire avancer, de démonstrations de force en démonstrations de force. Ceci a pour effet d’unir ses adhérents en les poussant à minimiser de vieilles divergences d’opinion ou de stratégie. Mais ceux contre qui le mouvement se dresse n’abandonnent pas simplement. Une fois passé le choc initial ils rassemblent leurs propres défenses et tentent de bloquer la marche en avant de la mobilisation. A cet instant des discussions tactiques surviennent nécessairement au sein du mouvement, même entre ceux qui avaient juré d’enterrer leurs vieilles discordes dans l’intérêt du consensus ».

    Les militants en Bulgarie doivent porter des revendications permettant de lier le mouvement aux lieux de travail et à la force des travailleurs organisés, comme beaucoup l’ont fait dans la mobilisation des Indignados en Espagne, où les assemblées n’ont pas disparu : elles se déroulent à présent dans les hôpitaux et les écoles, où les travailleurs se retrouvent et votent sur des problèmes qui les concernent directement.

    Ces assemblées ont été une composante cruciale permettant de mettre la pression sur les centrales syndicales, afin que celles-ci appellent à des grèves de masse, ainsi qu’un élément clé dans l’accroissement de la confiance des travailleurs en lutte. Le modèle de mobilisation propre aux Indignados – défiance envers les partis traditionnels, mobilisation de masse menant à des occupations de places et de routes – émerge de nouveau en Bulgarie, et nous serons amenés à voir ce type de mobilisations se répéter, encore et encore, dans le futur.

                 

    La « démocratie » en régime capitaliste fait désormais l’objet d’un questionnement croissant dans la conscience des masses populaires. Le travail des anticapitalistes5 consiste ainsi à pointer la nature anti-démocratique du système économique qui se masque derrière la démocratie formelle du Parlement. L’exigence de révocabilité des politiciens constitue une revendication qu’on se doit de porter, mais n’oublions pas d’exiger aussi la révocabilité des PDGs !

    La révolte bulgare montre à quel point des explosions révolutionnaires sont susceptibles d’émerger. Nous devons nous tenir prêt et construire des réseaux militants permettant de donner des objectifs à la colère populaire. Il importe d’apprendre du militantisme de ces protestations, de pousser sans cesse à l’intensification des luttes et de ne jamais laisser le peuple sans perspectives.

    Nous devons ainsi nous montrer plus ambitieux : il s’agirait ainsi de mettre en œuvre des campagnes permettant d’impliquer de larges segments de la population dans des assemblées prenant des décisions. Ainsi devrions-nous prendre des initiatives pour stopper toute activité en Irlande le 1er mai, en bloquant les rues et les ponts. Ce travail commence maintenant ; la Bulgarie indique le chemin.

     

    Traduction : Pierre Hodel et Yann Lecrivain

    Photographie: Constantin Alexandrakis

     

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    • 1. En français : « Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie » (Ndlr).
    • 2. Le week-end du 23-24 février (Ndlr).
    • 3. Sur ce mouvement, voir cet article publié dans nos colonnes (Ndlr).
    • 4. Femme d’affaires, celle-ci cherche à surfer sur le mouvement pour satisfaire ses propres ambitions politiques (Ndlr).
    • 5. Nous avons choisi de traduire « socialists » par « anticapitalistes », de manière à ne pas entretenir la confusion avec les partis prétendument « socialistes », tels que le PS français (Ndlr).
    date: 
    10/03/2013 - 17:48
    James O'Toole
     

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