• Grèves massives et révolte citoyenne en Slovénie

    slovenia-flags.jpgGrèves massives et révolte citoyenne en Slovénie : un mouvement populaire inédit dans la « Suisse des Balkans » fait tomber le gouvernement

     

    Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

     

     

    La chute du gouvernement conservateur, maître d’œuvre des politiques d'austérité, sous la pression populaire est révélatrice d'un mouvement de fond traversant la société slovène: entre luttes massives, mouvement spontané et absence de perspective politique.

     

    La « Suisse des Balkans », le qualificatif correspond moins que jamais à la situation sociale et politique de la Slovénie.

     

    En l'espace d'un an, le pays a connu quelques-unes des plus grandes grèves de leur histoire, un mouvement « citoyen » spontané massif pendant que son gouvernement était renversé sous pression populaire.

     

    La Slovénie a longtemps été présenté comme l'élève modèle à l'Est : un modèle social-libéral co-géré par de puissantes centrales syndicales, une population peu encline à la protestation dans un pays qui fut le premier pays de l'ex-Yougoslavie à adhérer à l'UE (2004) puis à l'Euro (2007).

     

    L'édifice s'est depuis écroulé sous la pression de la crise capitaliste et de l'intégration européenne.

     

    Depuis 2008, le gouvernement conservateur de Janez Jansa imposait des plans d'austérité que l'on connaît ailleurs : baisse des salaires des fonctionnaires de 15%, coupes drastiques dans l'éducation et la santé, allongement du temps de travail et déremboursements massifs dans la Sécurité sociale.

     

    Dans le même temps, le processus de privatisations s'accélère, notamment dans le secteur bancaire où la principale banque du pays NLB devrait être cédée au privé, tandis que le projet de recul de l'âge de départ à la retraite à 65 ans reste la prochaine étape pour le patronat.

     

    En parallèle, des scandales de corruption éclaboussaient le personnel politique, de droite comme le premier ministre Jansa, ou de centre-gauche comme le maire de Ljubljana, Zoran Jankovic.

     

    Entre grèves générales et réformes négociées : les ambivalences du puissant mouvement syndical slovène

     

    La première contestation est venue du puissant mouvement syndical slovène, impliqué dans la co-gestion du pays depuis l'indépendance, dans un pays où – cas rarissime en ex-Europe de l'est – plus d'un salarié sur trois est syndiqué.

     

    Ce mouvement syndical fort, organisé notamment dans l'Association slovène des syndicats libres ZSSS), avait obtenu le maintien d'une partie des acquis sociaux de l'époque socialiste, de certains pans de l’État social en échange de sa participation à la gestion loyale des affaires du capital.

     

    Le mouvement syndical, poussé par la pression populaire, a été à l'origine de deux victoires sur le gouvernement et l'austérité : les référendums de 2011 respectivement sur les contrats précaires pour les jeunes et sur la réforme des retraites prévoyant le recul de l'âge de la retraite à 65 ans.

     

    Ces derniers mois, les journées de grèves lancées dans le secteur public ont été les plus suivies depuis 1991 : plus de 100 000 grévistes en avril 2012 et en janvier 2013 pour protester contre les coupes dans le public, sur les 160 000 fonctionnaires que compte le pays.

     

    Toutefois, la culture du compromis du mouvement ouvrier slovène, du « dialogue social » prôné par la CES (Confédération européenne des syndicats) conduit désormais le mouvement à une impasse.

     

    D'une part, 14 des 21 syndicats de la fonction publique ont accepté de signer un accord d' « amendement » de la réforme en mai 2012 prévoyant des baisses réduites de salaire (8% au lieu de 15%), et un plan de licenciement revu à la baisse dans l'éducation nationale.

     

    D'autre part, si les syndicats ont longtemps fait planer la menace d'un référendum sur le budget 2013, ils ont retiré cette menace en décembre dernier « montrant leur respect de l’État du droit, et exigeant en retour du gouvernement le même respect de l’État social ».

     

    De fait, en dépit d'un potentiel de lutte inédit, le mouvement syndical, en particulier dans le bastion de la fonction publique, est privé de toute perspective politique hormis celle de la résistance conduisant à l'amendement des réformes.

     

    La vstaja : la naissance d'un mouvement spontané d'indignation face à la corruption

     

    En parallèle à la lutte organisée des syndicats, est né en Slovénie un mouvement spontané, empruntant certains traits aux « Indignados » espagnols ou au partisans du mouvement 5 étoiles en Italie, mais avec des spécificités locales incontestables.

     

    Le mouvement est né d'une révolte contre les scandales de corruption, d'un rejet indifférencié de la caste politique slovène – centre-gauche ou droite – ainsi que d'une vague et puissante aspiration au changement, motivé par le rejet des politiques d'austérité.

     

    Ce mouvement voit le jour à Maribor, deuxième ville du pays, en novembre 2012. Une ville dirigée par un politicien de droite Franc Kangler, chantre des mesures de libéralisation et de privatisation, adepte des mesures autoritaires et trempé dans de multiples scandales de corruption.

     

    Le dernier a mis le feu aux poudres : un partenariat public-privé conclu par la Mairie pour équiper la ville d'une cinquantaine de radars dont 95% des recettes auraient été engrangées par l'opérateur privé.

     

    La révolte (vstaja) de Maribor est un mouvement spontané, né de l'indignation face à la corruption de la caste politique locale, animé par de jeunes étudiants à partir des réseaux sociaux.

     

    De début novembre à la mi-décembre, de 10 à 20 000 « citoyens indignés » occupent la place de la Liberté pour exiger le départ du maire qui, après avoir tenté de s'accrocher, doit démissionner sous la pression populaire fin décembre 2012.

     

    Fort de ce succès historique, la « révolte citoyenne » (vstaja) s'étend aux autres villes du pays, Kranj, Nova Gorica et surtout la capitale Ljubljana où chaque premier samedi du mois, depuis le début de l'année, 10 à 20 000 manifestants exigent le départ de toute la « caste politique » nationale.

     

    Un mouvement traversé par de profondes contradictions

     

    Ce mouvement spontané reste néanmoins traversé par de profondes contradictions.

     

    D'une part, il porte l'aspiration à un changement radical, relayé par les mots d'ordres dominant la manifestation du 9 mars, allant au-delà de la simple indignation : « Nous ne voulant pas un nouveau gouvernement mais des changements révolutionnaires », « Pas de paix sans justice ! ».

     

    1353167908-antiausterity-protests-underway-in-slovenia_1606.jpgL'intégration européenne et la « dictature du capital européen » sont de plus en plus contestées dans les manifestations tandis que les drapeaux de la défunte Yougoslavie refleurissent.

     

    Les illusions tombent sur cette classe politique slovène née de l'effondrement de l'ex-Yougoslavie, sur des pères de l'indépendance, tel Janez Jansa, fondateur et leader du mouvement d'opposition SDZ en 1989, fossoyeur de la Yougoslavie communiste et partisan zélé de l'Union européenne.

     

    Toutefois, le mouvement est aussi caractérisé par son absence de perspectives politiques claires au-delà du 'Dégage' ou du 'Qu'ils s'en aillent tous' recyclés en « Gotovo je » et « Gotovi so » (« Ca suffit, ils sont finis! ») empruntés au mouvement OTPOR serbe, lui-même financé par les ONG américaines.

     

    A Maribor comme à Ljubljana, le mouvement ne tient pas sur une idéologie partagée, un projet alternatif commun : seul le même rejet de la « classe politique » corrompue, de l'austérité, et une aspiration confuse à une « démocratie participative » et à un « modèle social » équitable.

     

    Dans les discours, des références appuyées au modèle socialiste yougoslave renaissent – y compris dans ses aspects auto-gestionnaires – sans qu'ils ne viennent appuyer souvent concrètement autre chose qu'un projet de retour au « pacte social » des années 1990.

     

    Ses limites sont aussi celle de sa composition sociale, très largement jeune et étudiante, encore peu connectée avec le monde du travail et les luttes des fonctionnaires et des ouvriers, et se reconnaissant plus dans le terme de « peuple » (narod) que dans un vocabulaire de classe.

     

    Des limites provenant aussi de l'absence d'organisations de classe, tant sur le plan syndical que politique, après la chute du communisme et l'indépendance du pays en 1991.

     

    La perspective de fondation d'un « Parti citoyen » avancé par certains, à partir de l'expérience de Maribor, rapprocherait le pays d'un scénario à l'italienne avec le mouvement 5 étoiles de Grillo.

     

    Un mouvement unissant toutes les tendances de la société autour de revendications hétéroclites (anti-Europe, anti-austérité, anti-immigration, anti-politique...), parfois progressistes, mais sans projet alternatif conséquente ni idéologie cohérente.

     

    En Slovénie, comme ailleurs en Europe de l'Est, dans ce qui fut jadis l’îlot de prospérité paisible de l'ex-Yougoslavie, toutes les illusions sont toutefois déjà tombées sur les bienfaits de la restauration capitaliste et de l'Union européenne. 


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