• La leçon de Nicosie

    par Serge Halimi, avril 2013

    Tout devenait impossible. Augmenter les impôts décourageait les « entrepreneurs ». Se protéger du dumping commercial des pays à bas salaires contrevenait aux accords de libre-échange. Imposer une taxe (minuscule) sur les transactions financières exigeait que la plupart des Etats s’y rallient. Baisser la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) requérait l’aval de Bruxelles…

    Samedi 16 mars 2013, tout a changé. Des institutions aussi orthodoxes que la Banque centrale européenne (BCE), le Fonds monétaire international (FMI), l’Eurogroupe et le gouvernement allemand de Mme Angela Merkel ont tordu le bras (tremblant) des autorités chypriotes afin que celles-ci exécutent une mesure qui, décidée par Hugo Chávez, aurait été jugée liberticide, dictatoriale, tyrannique, et aurait valu au chef d’Etat vénézuélien des kilomètres d’éditoriaux indignés : la ponction automatique des dépôts bancaires. Initialement échelonné entre 6,75 % et 9,90 %, le taux de la confiscation correspondait à près de mille fois le montant de cette taxe Tobin dont on parle depuis quinze ans. Preuve était donc faite : en Europe, quand on veut, on peut !

    Mais à condition de savoir choisir ses cibles : ni les actionnaires, ni les créanciers des banques endettées, mais leurs déposants. Il est en effet plus libéral de spolier un retraité chypriote en prétextant qu’on vise à travers lui un mafieux russe réfugié dans un paradis fiscal que de faire rendre gorge à un banquier allemand, à un armateur grec, à une entreprise multinationale abritant ses dividendes en Irlande, en Suisse ou au Luxembourg.

    Mme Merkel, le FMI et la BCE n’ont cessé de marteler que le rétablissement impératif de la « confiance » des créanciers interdisait à la fois l’augmentation des dépenses publiques et la renégociation de la dette souveraine des Etats. Les marchés financiers, prévenaient-ils, sanctionneraient tout écart en la matière. Mais quelle « confiance » accorder encore à la monnaie unique et à sa sacro-sainte garantie des dépôts bancaires si n’importe quel client d’une banque européenne peut se réveiller un matin avec une épargne amputée pendant la nuit ?

    Les dix-sept Etats membres de l’Eurogroupe ont ainsi osé l’impensable. Ils recommenceront. Nul citoyen de l’Union ne peut dorénavant ignorer qu’il est la cible privilégiée d’une politique financière décidée à le dépouiller du fruit de son travail au prétexte de rétablir les comptes. A Rome, Athènes ou Nicosie, des marionnettes indigènes semblent déjà résignées à mettre en musique les consignes données en ce sens par Bruxelles, Francfort ou Berlin, quitte à se retrouver ensuite désavouées par leurs peuples (1).

    Ceux-ci devraient tirer de cet épisode chypriote autre chose qu’une rancœur sans portée : le savoir émancipateur que pour eux aussi tout est possible. Au lendemain de leur tentative de coup de force, l’embarras de certains ministres européens trahissait peut-être leur crainte d’avoir démenti sans le vouloir trente ans d’une « pédagogie » libérale qui a fait de l’impuissance publique une théorie de gouvernement. Ils ont ainsi légitimé d’avance d’autres mesures un peu rudes. Elles pourraient un jour déplaire à l’Allemagne. Et viser des cibles plus prospères que les petits déposants de Nicosie.

    Serge Halimi

    (1) Cf. «  Fate of Island depositors was sealed in Germany  », Financial Times, Londres, 18 mars 2013. Aucun député chypriote n’a osé voter en faveur du plan de l’Eurogroupe et du FMI.

    http://www.monde-diplomatique.fr/2013/04/HALIMI/48965


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  • Selon que vous serez politicard ou quidam…

    cahuzac_sarkozy

    Le politicard est un être humain comme les autres. Enfin presque. Car un examen attentif permet tout de même de voir quelques différences avec un quidam ordinaire.

    Un seul exemple. Lorsque le quidam fait son marché, habillé comme un dimanche matin, c’est à dire mal, il déambule entre les étals à la recherche de tomates, de carottes ou de salades, jaugeant la qualité, comparant les prix. Le politicard, lui, ne va pas sur les marchés, il n’a pas que ça à foutre. Sauf les trois dimanches avant les élections, quelles qu’elles soient. Mais il ne vient pas pour les légumes. Endimanché, l’air faussement jovial, accompagné de quelques militants qui pourraient le cas échéant servir de gardes du corps, il distribue des tracts à la gloire de ses dons thaumaturgiques, comme celui de vaincre le chômage ou le marasme économique. Ou l’immigration chez quelques spécimens… Car on peut éventuellement observer quelques variations selon les partis… Enfin, sur les programmes, car dans la réalité, lorsqu’ils sont élus, les politicards appliquent principalement le programme de la Troïka et du MEDEF. Bref.

    Ce n’est pas le sujet du jour. On va plutôt brosser un portrait comparé du quidam et du politicard lorsque pour leur malheur (et dans les deux cas pour notre bien) ils sont confrontés à la justice.

    D’abord, le quidam ordinaire va au tribunal à pied. Ou en bus, en métro, en bagnole, en train (c’est de plus en plus loin). Ou carrément entre deux flics. Il arrive que le politicard y aille en jet privé. C’est une première différence.

    Autre différence, le quidam ordinaire se rend devant la justice à reculons, la trouille au ventre. Il fait profil bas. Il se tait. Il faut dire que personne ne lui demande ses impressions.

    Ce qui n’est pas le cas du politicard. Tout ce que le pays compte de journalistes, enfin ceux qui ne sont pas préposés à la surveillance de la couleur de la fumée de la Chapelle Sixtine, ou à la confection de radios-trottoirs sur la météo hivernale, veut absolument connaître ses sentiments.

    Dans ces circonstances contraires, le politicard s’exprime rarement directement. Il délègue son avocat (pardon, un de ses avocats), généralement choisi parmi les plus chers, et donc censément les plus efficaces de la place. Le stagiaire qui découvre le dossier un quart d’heure avant l’audience et qui se contentera de plaider d’un air faussement convaincu l’enfance malheureuse et la volonté de se réinsérer du prévenu, c’est juste bon pour le quidam, pas pour lui.

    L’avocat du politicard affirme donc sans rire que son client est heureux de pouvoir s’expliquer devant la justice, où sa bonne foi et son innocence éclateront évidemment devant la terre entière. D’ailleurs on se demande comment quiconque peut en douter.

    Un point commun entre les deux : le quidam comme le politicard sont “présumés innocents”. Le quidam qui vient de se faire gauler en flagrant délit de tirage d’iPhone dans le métro pour la troisième fois de la semaine est lui aussi présumé innocent. Cette rengaine sur la “présomption d’innocence” commence d’ailleurs à me les briser menues. Oui, avant d’être condamné, tout justiciable est présumé innocent.

    Mais chez le politicard, “présumé innocent” se transforme systématiquement en “forcément innocent”. C’est même la preuve de son innocence. Parce que c’est lui, enfin. Il ne peut pas être confondu avec cette racaille sordide. Il a quand même plus de classe, lui. Quand il soutire 150000 euros à une vieille dame, il choisit la plus riche du monde. Quand il va planquer quelques millions d’euros, ce n’est pas l’argent du braquage du tabac du coin, et il ne va pas le mettre chez Dragomir le fourgue d’Aubervilliers : c’est de l’argent de la corruption, de la fraude fiscale, ou de la rétrocommission, de l’argent qui sent le manteau de vison, le cuir Connolly ou la frégate taïwanaise, et qui va être mis au coffre par la banque UBS de Genève, qui même si “elle n’est pas forcément la plus planquée des banques”, connaît les bonnes manières avec ses riches clients. Comme le juge Van Ruymbecke va bientôt s’en rendre compte.

    Le voleur de téléphones baisse la tête et devant le juge, se contente de nier les évidences par principe, avant d’accepter, résigné à l’avance, sa condamnation. Il ne fera même pas appel, il veut en finir au plus vite. Et s’il n’est pas assez pauvre pour avoir un avocat gratuit, toute prolongation de la procédure lui coûtera trois mois de salaire. Souvent d’ailleurs, il ne comprend même pas la sentence, ne sait pas s’il va en taule ou non, son avocat commis d’office doit lui expliquer.

    Le politicard, lui, hurle à son honneur outragé, envoie sa clique de perroquets d’élevage inonder les médias avec les éléments de langage préparés par des marchands de lessive, et lance une armée d’avocats sur la trace d’une “question prioritaire de constitutionnalité” ou autre artifice de procédure destiné à noyer le poisson (et le dossier en même temps, la prescription n’est pas si loin…). Si la décision ne lui convient pas, il fera appel, il se pourvoiera en cassation, il invoquera la cour de justice européenne, ou que sais-je encore. Et si au final il était tout de même condamné, il prendrait le peuple à témoin pour hurler à l’erreur judiciaire.

    Sarkozy, après avoir menacé le juge et laissé son avocat hors de prix raconter des salades devant les médias, est donc remonté dans un jet privé pour rentrer chez lui et a lancé son armée de perroquets à l’assaut des médias.

    Au passage, quand je pense que certains analystes politiques grassement payés peuvent penser que Sarkozy reviendra se présenter en 2017… Un doute m’habite. Vous le voyez passer 5 années de plus avec un salaire minable de 12 696 euros nets par mois ? Alors qu’il peut gagner des millions en donnant des conférences ineptes, des conseils tarifés au prix fort, ou présider un fonds d’investissement dans un paradis fiscal ?

    Si nécessaire, le politicard demande à ses communicants de lui trouver une stratégie pour accréditer la thèse de son innocence bafouée, thèse qui il faut bien le dire, est assez improbable. Le juge ne met en examen que s’il dispose de preuves, ou du moins d’indices concordants. Et dans les deux affaires qui nous préoccupent, c’est de tout évidence le cas, tout le monde peut le voir. Sauf les aveugles, bien entendu.

    Comble de la clownerie, les communicants de Sarkozy lui ont conseillé un message sur Facebook. Sans même se poser la question du ridicule de la chose. Je uppose qu’ils ont dû lui expliquer ce qu’était Facebook. Sarkozy sur Facebook, c’est à peu près aussi improprobable que Balladur qui fait du stop, ou Ribéry qui étudie l’histoire de l’art. Qui peut croire à cette mise en scène grotesque, qui ne peut en fait que renforcer les soupçons ? Une seule explication : le politicard prend constamment l’électeur pour un épais crétin. Et puisque l’électeur continue à voter pour lui, l’assertion est en fait assez pertinente.

    Ceux qui s’offusquent de la mise en examen de Sarkozy dans l’affaire Bettencourt n’ont qu’à lire le livre “Sarko m’a tuer” , et notamment le chapitre consacré au calvaire de Claire Thibout, comptable des Bettencourt, et le traitement “à la Poutine” (balle dans la tête en moins, par chance) qu’elle a dû subir. Sans parler de son copinage tellement énorme avec le procureur Courroye. Entraver la justice de manière aussi éhontée, c’est carrément plus grave que d’aller minablement taxer 150000 euros à une milliardaire. Rien que ça mériterait de la prison ferme.

    Il faut dire que Sarko a de qui tenir. Nourri au lait de Pasqua et de la Chiraquie. Chirac qui fut le plus redoutable gredin de la 5ème République, commettant un nombre de délits effarant (élections truquées, marchés publics bidonnés, racket des entreprises, emplois fictifs, “frais de bouche”…), et envoyant péter la justice avec des lois faites sur mesure pour lui. Ce n’est qu’en 2011, une vingtaine d’années après les faits, et alors que son gâtisme était avéré, qu’il a enfin fini par être condamné pour une infime partie de ses forfaits à deux ans de prison avec sursis (évidemment) pour « détournement de fonds publics », « abus de confiance », « prise illégale d’intérêts » et « délit d’ingérence », étant même qualifié par le tribunal d «initiateur et auteur principal des délits »

    Il est fort possible que dans cette affaire, Sarkozy s’en sorte, faute de preuves. J’espère simplement que d’ici là, la justice aura pu faire son travail dans d’autres affaires bien plus lourdes (et sorties également par Médiapart) comme l’affaire Karachi (où il y a eu mort d’homme), l’affaire Kadhafi (où les sommes en jeu sont 300 fois plus élevées que dans l’affaire Bettencourt), le scandaleuxissime deal avec Tapie (8 fois Kadhafi !), ou encore (cette fois c’est le Canard), le marché public douteux du “Pentagone à la française”, remporté pour plus de 3 milliards d’euros (8 fois Tapie) par son ami Bouygues.
    Autre chose qui m’afflige profondément, c’est le comportement des supporters des deux camps. “Supporters” est bien le mot. Le supporter, c’est le gars, qui voyant un gars de son équipe faucher de manière flagrante et par derrière un “salaud d’en face” se met à hurler à peine l’arbitre a-t-il sifflé : “salaud, pourri, mais y’a rien, bordel, il est tombé tout seul ! De toute façon c’est un bien fait pour sa gueule c’est un bâtard”. Et inversement, si un “salaud d’en face” effleure, même accidentellement, une de ses idoles, et que l’arbitre laisse jouer, c’est aussitôt la bronca “Salaud, vendu, fils de pute, y’a pénalty, là, hooooooooooooooooooooooouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu”

    Si la métaphore footballistique ne vous parle pas, pensez alors au Mandarom , à son gourou, et à ses disciples qui ont perdu jusqu’à la plus petite particule de sens critique.

    Quand on est de droite, Sarkozy est forcément innocent, simplement parce qu’il s’appelle Sarkozy. “Non mais sincèrement, vous le voyez abuser une vieille dame ?” Le juge, lui, est un médiocre qui “veut se payer un puissant”. Et Médiapart veut vendre des abonnements. Et la “gauche” au pouvoir a forcément instrumentalisé le juge pour faire un écran de fumée destiné à planquer Cahuzac.

    Quand on est de “gauche”, Cahuzac est forcément victime d’un coup monté de son adversaire UMP, et de Médiapart en difficulté économique qui cherche à racoler ses prospects par tous les moyens les plus vils. Personnellement, j’ai du mal à accepter qu’un mec de gauche puisse parfois être aussi con qu’un mec de droite. Mais quand on est supporter avant tout, il ne faut s’étonner de rien.

    Pire, si toi, petit blogueur sans réseau, qui as des idées de Gauche, tu oses émettre l’idée que Cahuzac pourrait ne pas être réellement représentatif de ce que devrait être la Gauche, ou que tout politicard ripou, qu’il soit de droite ou se prétende “de gauche”, doit être éradiqué du système, houlala, que n’as-tu pas dit là ? Mais malheureux, tu fais le jeu du FHaine ! Tu es l’idiot utile de Sarkozy !

    Ah oui, le FHaine. Il est encore en train de revenir au centre du jeu. Parce que deux tiers d’électeurs ont refusé (comme je les comprends) de venir arbitrer un duel grotesque entre une candidate Fhaine lambda et Mancel, escroc multiréciduviste et honte de la politique prétendûment repenti. Un symbole de ce que la “politique” est devenue, sous les cris d’indignation des politicards, de “gauche” comme de droite qui se succèdent tel le vortex d’un bidet qui se vide, et qui par leur nullité crasse, leur incompétence absolue, leur aveuglement impardonnable, et leur morgue infinie sont les principaux responsables de la situation.

    Et puis ça les arrange. Le Fhaine, c’est le repoussoir censé nous obligé à être “raisonnables”, et à aller voter pour un “socialiste” ou un UM”P” (à la rigueur un Bayrou), peu importe du moment que ce soit un politicard “normal” qui attend “le retour de la croissance” en payant la dette indue aux banksters, baissant les “charges” et les dépenses publiques, et promettant, comme le barbier qui demain rase gratis, que le “chômage baissera l’année prochaine” . There is no alternative®.

    Quant aux sarkozystes, leurs cris de gorets qu’on écorche sont tout simplement pathétiques. Quand Copé vient se porter garant de la moralité de son parrain, sur le mode “ça ne lui ressemble pas” (les mots exacts des marchands de lessive qui défendaient DSK… les mots qui font sourire aujourd’hui…), on ne sait plus si on doit rire ou pleurer. Et s’il n’y avait que Copé : même Carignon, le symbole même de la corruption, l’un des seuls politicards à avoir tâté du cachot, est venu montrer sa fraise à la télé pour défendre le Grand Homme. Sans parler des Balkany… Pour eux, on en est sûr, il vaut mieux rire pour éviter le désespoir. Si Al Capone avait été dispo, on l’aurait certainement entendu vanter les qualités de son ami Nicolas…

    Tout, il faut tout changer. Ce système est vicié du sol au plafond.

    Non seulement le système actuel n’interdit pas aux ambitieux incompétents de se présenter, mais c’est l’inverse ! Il empêche tout compétent non prétentieux d’avoir la moindre chance. Les médias des puissants n’invitent que ceux qui leur conviennent, distribuant bons et mauvais points (les bons points étant pour les plus serviles thuriféraires du libéralisme, y compris et surtout s’ils sont incompétents et malhonnêtes) n’hésitant pas à qualifier de “populistes”, (comme si s’occuper des intérêts du peuple était une insulte) ceux qui osent dévier des dogmes libéraux de l’exercice imposé. Quant à ceux qui ne passent pas dans les médias n’existent pas, c’est aussi simple que ça.
    Comme le dit Etienne Chouard, ces politicards devraient être nos esclaves, obéir à nos ordres, se mettre en quatre pour que nos souhaits se réalisent. Au lieu de ça, ils ont renversé le schéma, se sont érigés en statues du haut desquelles ils nous contemplent avec une suffisance insupportable. Réfléchissons ensemble aux moyens à mettre en oeuvre pour empêcher les médias et les carriéristes nuls et corrompus de piper le choix de nos représentants. Et de mettre en place une Démocratie, une vraie.

    Pourvu que les juges tiennent bon.

    http://www.superno.com/blog/2013/03/selon-que-vous-serez-politicard-ou-quidam/


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  • Droit de semer et propriété intellectuelle

    jeudi 28 mars 2013

    Gérard Le Cam, Sénateur des Côtes-d’Armor :

    Le droit de semer, c’est le droit de resemer sa récolte, de choisir librement ses semences, de procéder à des échanges, des sélections, des recherches. Comment dans le domaine du vivant concilier droit de propriété et les droits universels que les hommes tiennent de leur patrimoine commun ?

    La réglementation européenne évolue, avec la mise en place d’un brevet européen unitaire, la réforme de la PAC et celle du Certificat d’obtention végétale (COV). Au-delà, d’autres accords tentent d’imposer une vision ultralibérale de l’agriculture, en faisant de la recherche une bulle spéculative - une société qui détient 100 brevets a plus de valeur financière qu’une autre qui n’en détient que dix. Parallèlement, la protection juridique des opérations commerciales se développe - projet Acta, heureusement rejeté par le Parlement européen, accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. Face à une offensive des puissances financières telles que Monsanto ou Syngenta qui risque d’accaparer toute la filière semencière, l’Europe doit être ferme pour défendre les droits des agriculteurs, des obtenteurs et le COV.

    Il est essentiel de ne pas se tromper d’adversaire. La législation française a ouvert un conflit entre obtenteurs et paysans au prétexte de protéger le COV. Or la vraie menace vient du marché et des dérives du brevetage. Or la loi de 2011, en interdisant les semences de ferme sauf paiement a fait des agriculteurs des contrefacteurs potentiels. Les semences de ferme ne sont pourtant pas un obstacle à la recherche. Le système du COV et le principe de l’exception du sélectionneur ont dynamisé la recherche. Newton disait « avoir vu plus loin que les autres parce qu’il était juché sur les épaules des géants » ; le savoir se nourrit du passé. Cependant, les limites entre l’invention et la découverte se sont peu à peu effacées : comment accepter qu’un gène natif puisse faire l’objet d’un brevet ? C’est privatiser le patrimoine génétique mondial, l’héritage séculaire que nous ont laissé les paysans et la nature elle-même. Les conséquences dans le domaine agricole sont très graves. Limagrain verse à Monsanto au titre des brevets un montant équivalent aux bénéfices que réalise l’entreprise sur le marché américain grâce à la vente de semences.

    Face à l’appropriation capitalistique des végétaux, la France a mis en place le système du COV par la loi du 8 décembre 2011, bien différent du brevet : un autre obtenteur peut utiliser sans coût la variété protégée pour en créer une autre, c’est l’exception du sélectionneur. Avec le COV, la recherche est accessible à tous. Mais le COV n’interdit pas le brevet, il ne protège pas les agriculteurs et les obtenteurs contre ses effets dévastateurs : aux États-Unis, les agriculteurs achètent des semences brevetées pour ne pas se faire attaquer en cas de contamination de leur récolte... Le COV a cependant des inconvénients majeurs.

    Depuis 1961, les conventions de l’Union pour la protection de l’obtention végétale (Upov) n’interdisent pas de développer une variété découverte dans le champ d’un paysan ; le COV valide l’appropriation gratuite des semences paysannes accompagnée d’une tolérance pour les semences de ferme. Dès 1970, le système est remis en cause, les semences fermières sont interdites. Mais il est difficile d’apporter la preuve de la contrefaçon ; dans les faits, la pratique des semences de ferme perdure. Dans les années 1980, un accord interprofessionnel tentera d’interdire le triage à façon. L’Upov connaît d’importantes transformations dans les années 1990 : la convention Upov de 1991 étend les droits d’un titulaire d’un COV aux « variétés essentiellement dérivées », notion très contestable scientifiquement et très fragile juridiquement. Erreur considérable ! En voulant protéger le COV on l’a affaibli, on a perdu la guerre et l’honneur contre la brevetabilité du végétal.

    Voir l’intégralité de l’intervention :

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    La loi scélérate du 8 décembre 2011 va-t-elle bientôt sévir ?

    La loi du 8 décembre 2011 relative au « Certificat d’Obtention Végétale » (COV), proposée par un sénateur UMP, soutenue par le gouvernement de Nicolas Sarkozy et votée par la majorité UMP, a gravé dans le marbre l’interdiction de semer le grain récolté et l’obligation, dans cette hypothèse, de payer des royalties aux semenciers-sélectionneurs dès l’usage en deuxième génération des semences vendues sur le marché.

    Bien que François Hollande, alors candidat à la présidentielle, se soit engagé1 à retirer ce texte, ses décrets d’application sont en cours de préparation.

    Pour comprendre les enjeux de cette loi, il faut en connaître le contexte technique : là où les méthodes de sélection agronomique n’ont pas réussi à rendre le grain stérile ou dégénérescent en deuxième génération (hybrides F1), les semenciers cherchent, par des méthodes juridiques cette fois, à recréer le marché captif extrêmement lucratif que les hybrides F1 leur ont permis de s’aménager.

    C’est ainsi qu’ils sont parvenus à interdire la reproduction de leurs semences par le biais des droits de propriété intellectuelle applicables aux variétés végétales (le COV), et à faire qualifier la semence récoltée de contrefaçon, sur le plan international d’abord (Convention UPOV dans sa version de 1991), puis au niveau européen (Règlement 2100/94) et plus récemment sur la scène nationale.

    Cela signifie donc qu’au delà d’un seul usage, la semence vendue ne peut plus être utilisée, même à des fins personnelles, sur l’exploitation.

    C’est un peu comme s’il n’était pas possible d’écouter un CD plusieurs fois ou qu’un logiciel informatique devait s’autodétruire passé un certain délai, pour obliger les consommateurs à racheter ces produits régulièrement. Ici les semenciers ont tiré parti du caractère auto-reproductible des semences pour prétendre que, au delà de la première génération et alors même qu’il s’agit du même matériel génétique, le droit d’usage du produit était expiré.

    C’est ainsi que la règlementation a mis en place, rappelons-le, une grotesque « Contribution VOLONTAIRE OBLIGATOIRE », faite, comme la dîme naguère, d’une fraction de la récolte obtenue, pour qui dans les campagnes oserait semer le grain récolté. Cela afin de « financer les activités de recherche » des semenciers-sélectionneurs…

    Mais par qui les agriculteurs se sont-ils laissés hypnotiser pour accepter une sémantique aussi arrogante ?

    Et comment les semenciers, menés par le Groupement National Interprofessionnel des Semences (GNIS), ont-ils réussi à imposer dans les esprits de nos députés l’idée que la survie de la sélection variétale impliquait d’interdire aux agriculteurs de semer une partie de sa récolte ?

    L’exposé des motifs de la proposition de loi, de même que les rapports réalisés par les parlementaires POINTEREAU et LAZARO fournissent une réponse.

    Ainsi parlait donc Thierry LAZARO le 9 novembre 2011 devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale :

    « le COV est un outil indispensable pour notre recherche. (…) je l’ai dit dans mon propos liminaire, sur les 74 entreprises françaises concernées, 70 % sont des PME familiales. Si l’on compte quelques coopératives importantes, elles n’ont rien à voir avec des groupes comme Monsanto. (…) notre secteur semencier n’a pas la puissance des multinationales. La vraie question consiste donc à savoir si nous disposons ou non des moyens de financer la recherche. »

    La proposition de loi commence également ainsi :

    « Le secteur semences français occupe une place prépondérante en Europe (1er pays producteur) et dans le monde (2ème exportateur mondial), notamment grâce à ses 73 entreprises de sélection de semences, dont une majorité de coopératives et de PME familiales. »

    => Il s’agit ici ni plus ni moins du baratin du GNIS sur le secteur semencier français.

    En effet, le groupement aime à entretenir les images d’Epinal d’une France agricole encore dominée par une majorité de petites entreprises familiales ou artisanales, et où les plus gros acteurs sont régulièrement présentés comme des « coopératives », attachées à un terroir régional et au monde paysan.

    Cette présentation des choses a l’avantage de masquer la toute-puissance des entreprises de sélection, les phénomènes de concentration, la présence étrangère et force ainsi l’apitoiement de nos décideurs publics.

    Mais la réalité est toute autre.

    En effet, le GNIS confond systématiquement, pour les besoins de la démonstration, entreprises de sélection et entreprises de production de semences, de même que leurs chiffres d’affaires respectifs.

    Or, en France, la sélection et la production de semences sont deux activités distinctes, aux enjeux très inégaux. Les activités de sélection représentent 71 entreprises, qui se dédient à l’obtention de « variétés » nouvelles et à l’enregistrement au Catalogue de ces obtentions. L’activité de production, quant à elle, représente 225 entreprises, qui ne font que multiplier les semences par des contrats signés avec environ 18.000 agriculteurs multiplicateurs, puis les conditionnent pour la vente. Ce dernier secteur n’est pas particulièrement intéressé à l’application stricte des droits de propriété intellectuelle.

    • Les semences de grandes cultures et fourragères

    Or, un « Palmarès des firmes de semences grandes cultures et fourragères » (les plus concernées par la pratique des semences fermières), publié récemment par la presse agricole, fait apparaître, après quelques regroupements d’entreprises appartenant aux mêmes groupes :

    un marché partagé entre seulement 35 entreprises, dont les dix plus grosses réalisent près de 74% du chiffre d’affaire global de tout le secteur.

    De plus, le reste des entreprises présentes sur ce marché, si, compte tenu de leur chiffre d’affaires individuel, peuvent être apparemment rattachées aux groupes des PME ou des TPE, un examen plus détaillé montre qu’elles sont pratiquement toutes des filiales de gigantesques groupes de l’agroalimentaire, ayant des implantations multinationales (Groupes Euralis, Florimond Desprez, Maïsadour, Saaten Union, Terrena, Barenbrug, Acolyance, Scael, Unéal, De Sangosse, etc.).

    C’est ainsi que, dans le palmarès précité, 12 entreprises seulement apparaissent comme des entreprises indépendantes.

    Enfin, au TOP 10 des plus grosses entreprises, 4 sont des multinationales étrangères (Pioneer, Monsanto, Syngenta, KWS)

    • Les semences potagères

    Quant au secteur des semences potagères, et au phénomène de concentration qui n’a pas manqué de s’y produire, les chiffres ne sont pas disponibles. Le GNIS ne publie que des chiffres généraux, qui, ici encore, cumulent les activités de sélection et de production.

    Cependant, un examen détaillé du Catalogue officiel français, pour quelques espèces, permet de se faire une idée :

    Sur 15 espèces2 potagères examinées, le géant Limagrain détient 61,16% des variétés F1 et 5 multinationales, en général, contrôlent 90% des variétés F1.

    Ces multinationales sont essentiellement les suivantes : Limagrain, Monsanto, Syngenta, Bayer, Sakata. Une seule est française, les 4 autres sont étrangères.

    Pour quelques espèces, parmi les 5 premiers groupes peuvent également se trouver les entreprises : Gautier, Rijk Zwaan, Hollar Seeds. Une seule est française, les 2 autres sont étrangères.

    => On est donc loin des 70 % de PME françaises avancés par le GNIS et repris par nos parlementaires injustement apitoyés. Et le régime du COV récemment renforcé bénéficie aux géants multinationaux de ce qu’il est légitime d’appeler « l'industrie semencière ».

    Quant à la nécessité pressante de permettre aux entreprises de sélection de financer leurs activités de « recherche » en ponctionnant les agriculteurs, notons que celles-ci sont loin d’être à plaindre sur le plan économique, à la différence de ceux-là :

    Le GNIS a publié une enquête rétrospective sur la période 2005-2011 aux termes de laquelle il apparaît qu’en 5 ans l’ensemble du secteur semences a fait une progression de 23%. Or les plus fortes progressions sont observées dans les secteurs oléagineux (+58 % - chiffre d’affaires qui passe de 162 M€ à 256 M€), céréales à paille (+26 % - CA qui passe de 270 à 341 M€) et pommes de terre (+25 % - CA qui passe de 129 à 161 M€), secteurs les plus directement concernés par le « problème » des semences de ferme !

    De plus, le prix des semences certifiées est exorbitant par rapport à celui de la semence fermière et il n’a pas cessé d’augmenter.

    Ainsi, les statistiques publiées par l’INSEE font apparaître une hausse de 414% du prix des semences et plants entre janvier 1975 et janvier 2013 .

    Comparé au coût des semences de ferme de maïs, par exemple, les semences commercialisées par les semenciers sont pratiquement cent fois plus chères, selon un ancien Directeur de Recherche à l’INRA et un professeur à l’Université Harvard.

    => Ce qu’il faut ici comprendre c’est que, comme dans la vente d’un CD, d’un logiciel informatique ou de tout produit manufacturé, le paysan n’a aucun lieu de « rémunérer le sélectionneur pour ses activités de recherche », puisque celui-ci a déjà perçu cette rémunération lorsqu’il lui a vendu ses semences pour la première fois.

    Ce qu’il fait sur son exploitation de ce travail de sélection qu’il a acquis, présent ou non sur la descendance de la première graine, ne devrait regarder que lui.

    Mais il faut se rendre à l’évidence : ce n’est en fait pas la rémunération d’un travail effectif de recherche que poursuivent les sélectionneurs, mais la recherche d'une rémunération sans travail, c'est-à-dire une situation de rente.

    Le législateur ne devrait pas se rendre complice de ces aspirations à la féodalité.

    Les semenciers, comme tous les autres acteurs de l’économie, n’ont aucun droit à rendre leurs consommateurs captifs, et leur prospérité ne devrait dépendre que de la mise sur le marché de produits innovants et séduisants pour leur clientèle.

    Que les semenciers souhaitent obtenir des semences de céréales ou d’oléagineux le même profit qu’avec les semences de maïs, pour lequel les hybrides F1 leur assure un marché captif, est une chose. Que cette prétention soit légitime en est une autre. Et qu’elle ait été reconnue par certains traités internationaux3 ne la rend pas immuable.

    Rappelons aussi que d’autres traités internationaux, signés par la France et l’Union Européenne, ont reconnu le droit inaliénable des paysans à semer le grain récolté. Il serait temps de donner application à ces traités là.

    Quant aux agriculteurs, il est urgent qu’ils reviennent à ce qu’ils n’auraient jamais dû abandonner : les variétés paysannes du domaine public, librement reproductibles.

    Rien ne les empêche de poursuivre le très prolifique travail de sélection qu’ils ont interrompus il y a 50 ans en se soumettant au dictat des technocrates de l’agronomie.

    C’est le message que véhicule, partout, l’association Kokopelli, qui milite pour la liberté et l’autonomie des paysans, et dont la collection est intégralement fertile et libre de droits.

    Kokopelli, le 26 Mars 2013

    1. Extrait de la lettre de François Hollande à la Confédération Paysanne lorsqu’il était candidat à la présidentielle : « la loi sur les COV soulève une incompréhension chez les agriculteurs français qui voient créer un prélèvement nouveau de 35 millions d’euros à leur égard et perdent un droit immémorial d’utiliser gratuitement les semences de ferme. Les socialistes ont proposé des évolutions et une discussion pour une autre loi. Ils n’ont pas été entendus. Il faudra y revenir. »
    2. Concombres, melons, aubergines, pastèques, radis, choux cabus, choux brocolis, choux-fleurs, piments/poivrons, laitues, pois potagers, carottes, fenouils, tomates, courgettes.
    3. Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture (TIRPAA) - V. article 9 particulièrement.

    http://ber60.over-blog.com


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  • Gary Klesch a acquis Arkéma pour 1 euro symbolique et siphonner les 100 millions de trésorerie

    Social-Eco - le 27 Mars 2013

    Les 1800 salariés de Kem One-Arkéma victime d'un prédateur financier

    Le tribunal de commerce de Lyon a placé ce mercredi le groupe chimique Kem One en redressement judiciaire. Les syndicats obtiennent que l'actionnaire principal, le financier Gary Klesch, soit écarté. mais l'entreprise a six mois pour se trouver un avenir.

    Dans son jugement rendu public mercredi, le tribunal de commerce a placé sous observation Kem One, sous supervision d'un administrateur judiciaire, Me Bruno Sapin, qui aurait pour mission "l'administration entière de l'entreprise", ce qui revient à en écarter son unique actionnaire, le financier américain Gary Klesch. Cet administrateur sera assisté de deux experts judiciaires.

    Pour les syndicats, ces désignations vont "permettre de mener une expertise financière, de suivre les flux financiers", a indiqué Franck Zarbo (FO). "Financièrement, personne n'y retrouve ses petits, il faut établir une comptabilité complète de l'entreprise afin de rassurer les fournisseurs et les clients", a renchéri Didier Chaix (CGT). Car l'histoire de Kem One, ex-Arkéma, est celle d'un dépeçage par un prédateur financier d'une entreprise qui avait 100 millions d'euros en caisse.

    Un euro symbolique

    Avant même de s’inquiéter pour leur avenir, les 1 800 salariés de Kem One en France ont de quoi être écœurés par le passé récent. Fin 2011, début 2012, le groupe Arkema, lui-même ancienne division chimie de Total, cherche à se délester de son pôle qui fabrique du PVC. Gary Klesch se présente: il est prêt à tout reprendre pour un euro symbolique. Tout? Les usines, les salariés et surtout près de 100 millions d’euros de trésorerie qu’Arkema laisse dans les caisses… Pour Arkema comme pour Klesch, c’est tout bénéf ! Début juillet 2012, les premiers transfèrent à un fossoyeur spécialisé dans la responsabilité sociale des plans de licenciement à venir et le second pompe les ressources immédiatement disponibles avant de les envoyer sur les comptes de ses holdings patrimoniales immatriculées à Jersey ou à Malte.

    Pour les salariés qui ont tiré toutes les sonnettes d’alarme depuis le départ, la potion est amère. «On ne l’a appris que plus tard, mais dès le premier jour du rachat effectif par Klesch, début juillet 2012, plus de 80 millions d’euros ont été transférés par une entité que nous ne connaissions pas, Kem One Trésorerie, sur un compte bancaire de la HSBC à Londres, explique Didier Chaix, délégué syndical central CGT de Kem One. Tout est très opaque et c’est très compliqué pour nous d’obtenir les réponses à nos questions dans les instances représentatives du personnel. Comme tous les actifs de Klesch sont à l’étranger, il faudrait qu’un juge d’instruction soit désigné afin de pouvoir remonter les circuits financiers…»

    «Ce prédateur doit être chassé»

    En quelques mois, le groupe a accumulé des dettes faramineuses et, aujourd’hui, Gary Klesch a l’air de vouloir se débarrasser d’une partie des installations. Pour le syndicaliste CGT, pas question de le laisser faire : «Ce prédateur doit être chassé purement et simplement. Nous allons demander des comptes à Arkema et à Total, qui ont utilisé Klesch pour faire la sale besogne. Le gouvernement doit intervenir fermement dans le dossier car, comme nous sommes sur une filière chimique très intégrée, des milliers d’emplois sont donc en jeu… »

    Depuis quelques semaines, la CGT réclame la « nationalisation provisoire » de Kem One, « le temps de retrouver un repreneur industriel, crédible et digne de ce nom ». En déplacement à Lyon, hier, Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, s’est dit « évidemment extrêmement préoccupé par le dossier Kem One, qui donne des signes de fragilité extrême ». « Nous avons appelé l’actionnaire repreneur, Gary Klesch, à prendre ses responsabilités et honorer les engagements qu’il avait lui-même pris », s’est-il contenté d’ajouter.

    La méthode Klesch pour piller une boîte. Le mécanisme est bien rodé. Gary Klesch, as des montages financiers mais piètre industriel, s’est constitué un tout petit groupe en reprenant des unités que des multinationales voulaient abandonner. Sa stratégie est de négocier pour reprendre à très bon compte des activités délaissées. Comme le relevaient déjà les experts mandatés par les élus du personnel d’Arkema au printemps 2012, dans un rapport auquel l’Humanité a eu accès, « afin de se placer dans la meilleure position possible, M. Klesch prend contact avec des groupes, si possible importants et profitables, et qui ne souhaitent pas être accusés d’avoir par une cession externalisé une restructuration. M. Klesch va utiliser cette “contrainte” pour obtenir du groupe vendeur des conditions de reprise qui devront permettre aux activités reprises, en l’absence de changements brutaux dans l’environnement économique, de poursuivre leurs activités sans restructuration pendant au moins deux ans ». Pour Kem One, Klesch n’aura même pas tenu si longtemps…

    • A lire aussi:

    Chez Kem One, le fossoyeur des emplois passe à l'action

    "Chacun doit prendre ses responsabilités", le point de vue de Gaby Charroux, député et maire de Martigues

    Thomas Lemahieu avec S.G.


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  • photo Fabien Perrier (DR)

    Monde - le 27 Mars 2013

    Dignité, liberté, égalité… le Forum social mondial veut un changement de société

    Forum social mondial. Tunis, envoyé spécial. Le Forum social s’est ouvert mardi dans une Tunisie divisée. Dans la manifestation de lancement, les femmes rappelaient qu’elles refuseraient de se faire confisquer leurs droits.

    Dans les rues de Tunis, des stands, des slogans, des banderoles… La onzième édition du Forum social mondial, la première dans un pays du Maghreb, a débuté. La ville semble vibrer au rythme de cet événement international. Mardi, la manifestation de lancement a vu plusieurs milliers de personnes se rassembler pour exiger, dans les rues de la capitale tunisienne, une rupture avec les politiques libérales qui dominent dans le monde. Les femmes, qui avaient ouvert les débats avec l’assemblée des femmes, étaient présentes en nombre.

    Alternatives

    Myriam Nobre, coordinatrice du secrétariat international de la Marche mondiale des femmes, est dans le cortège. Elle est venue du Brésil pour « exprimer la solidarité envers la lutte des femmes tunisiennes mais aussi pour dire que beaucoup d’enjeux qui concernent les femmes tunisiennes touchent, en réalité, toutes les femmes dans le monde ». Pour elle, « face au défi que représente la montée des conservatismes, il faut placer le féminisme au centre des débats et apporter des réponses à la question de la crise – des réponses qui soient différentes de l’austérité – ainsi qu’à celle des réactions qui affectent le corps de femmes. » Le FSM est, dit-elle, un moment important pour débattre de ces questions et proposer des alternatives.

    Ce mot revient aussi dans la bouche de Naïla Ouardi de l’association UniEs vers elles, une association féministe mixte franco-tunisienne. Elle vit entre la France et la Tunisie. « Il est important, et symbolique, que ce FSM se tienne dans ce pays », explique-t-elle. Car, après le soulèvement populaire qui a fait tomber le dictateur Ben Ali le 14 janvier 2013, la Tunisie reste à reconstruire. « Je participe à cette manifestation en tant que féministe et crois beaucoup en la lutte des femmes et féministes pour la libération de la Tunisie », souligne-t-elle. Libération ? « De la troïka [les partis qui dirigent le pays, NDLR], de la droite classique… » De ceux-là même qui essayent, aujourd’hui, de renvoyer les femmes au foyer.

    « Les femmes ont été partie intégrante de la révolution, rappelle la militante. Nous pensions qu’ensuite, le statut des femmes serait amélioré. Mais la déception a été grande ! Les femmes sont les grandes victimes », dit-elle, ainsi que ceux qui les défendent, le regard rivé sur une affiche arborant le portrait de Choukri Belaïd, le dirigeant de gauche assassiné. Il était en passe de réaliser un front populaire. « Il a été tué parce qu’il défendait la démocratie et la laïcité dans le pays. Certains veulent oublier que la liberté des femmes est une constituante intrinsèque de la Tunisie. Sans égalité, il n’y a pas de démocratie. »

    • A lire aussi sur le FSM:

    "Les femmes dans le monde arabe doivent s'unir"

    Un Forum social mondial de la dignité à Tunis

    Fabien Perrier

    Marche d'ouverture du Forum social mondial à Tunis

    Plusieurs milliers de militants, membres d'associations et simples citoyens ont parcouru les cinq kilomètres qui séparent la place du 14 janvier, dans le centre de Tunis, de la cité olympique d'El Menzah, plus au nord. La marche inaugurale du Forum sociale mondial qui se tient dans la ville jusqu'au 30 mars a réuni des participants de tous les continents.

     

    Du Brésil au Maroc en passant par la République du Congo, la diversité des participants au Forum s'est retrouvée dans cette marche. Une Française de l'association des "Amis de la vie" se tourne vers un Tunisien :"Merci, vous nous avez offert la Révolution." Ambiance festive et bon enfant.

    Elgenia, et sa marionnette Joe, posent avec une famille tunisienne. Elle représente la Radio Margarida (Amazonie/Brésil).

    Le portrait de Chokri Belaid, l'avocat et militant politique assassiné le 6 février 2013 dans le quartier d'El Menzah où ont convergé les participants à la marche, a été brandi par de nombreux participants. Comme Brahim Haggui, militant du parti des patriotes démocrates unis de Chokri Belaid. Il dit: "Nous voulons savoir qui a tué Chokri Belaid. On ne cherche pas l'assassin mais les commanditaires. Être ici, c'est aussi un message à tous nos amis démocrates pour leur dire qu'ils ont perdu un allié avec la mort de Chokri."

    Le militant du PPDU, Brahim, tient le portrait de Chokri Belaid.

    L'autre thème très présent est la Palestine. Une marche dédiée à cette cause doit d'aileurs clotûrer le FSM, ce samedi.


    Les militants associatifs algériens au Forum social mondial de Tunis from Sophia A on Vimeo.

     

    En dépit des difficultés rencontrées par des dizaines de militants algériens bloquées à la frontière avec la Tunisie, le drapeau national était bien présent dans le cortège. Un groupe de militants a exprimé sa solidarité à nos voisins aux cris de "Algérie. Tunisie. Un seul pays!"

    La Ligue algérienne des droits de l'homme est composée d'une délégation de 17 personnes. Habitué de ce type de rassemblement, le président de la Ligue souhaite qu'il s'établisse des relations pérennes entre les participants, au delà de la période du Forum. Il dit: "Si on vient ici cinq jours, et qu'on ne se voit plus pendant un an, ce n'est pas la peine. Il faut mettre en place des ateliers et un suivi après le Forum."

    Les Imazighen tunisiens veulent faire entendre leur voix, à l'occasion du FSM. Pas moins de cinq associations du pays sont présentes, dont l'Association tunisienne de la culture Amazigh et l'association Azro.

    Un Tunisien porte le drapeau algérien. "Par solidarité. Nous sommes des frères", dit-il.

    Pour permettre le passage du cortège, la circulation a été coupé dans le centre ville en début d'après-midi. Avec neuf forgons de police en queue de manifestation et des agents tout au long du parcours, le dispositif de sécurité était conséquent.

    Jusqu'à l'arrivée à la cité Olympique, l'ambiance est resté festive. Les discours de participants du Mali, de l'Uruguay ou encore des États-Unis ont été traduits en arabe et en langue des signes. L'intervention de Basma Belaid, la veuve du militant politique, a été trés applaudie.  Elle a notamment rendu hommage aux martyrs de la Révolution tunisienne, parmi lesquels elle inclut son mari. La soirée s'est terminée en musique, avec un concert du Brésilien Gilberto Gil. À la sortie, une Tunisienne s'exclame: " J'ai dansé avec le monde entier. C'était trop beau!"


    Afficher Forum Social Mondial Tunis Mars 2013 sur une carte plus grande

    Sophia Aït Kaci
    http://www.elwatan.com/actualite/marche-d-ouverture-du-forum-social-mondial-a-tunis-27-03-2013-208158_109.php

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  • Botte allemande sur drapeau grec : le metteur en scène Dimitris Kollatos arrêté

    Par Okeanos

     27 mars 2013 -

     

    Dimitris KollatosLe metteur en scène Dimitris Kollatos a été arrêté aujourd'hui pour avoir placé sur le balcon de sa maison une version modifiée du drapeau grec, avec une botte allemande et d'autres représentations suggérant la soumission du pays aux puissances étrangères.

     

    Dimitris Kollatos est bien connu tant pour ses activités artistiques (réalisateur, metteur en scène, acteur et écrivain) si discutées, que pour son activisme politique.

     

    Pendant la dictature des colonels en Grèce (1967-74), Kollatos vivait à Paris où, en tant que directeur du Théâtre d’Art, il monta 20 pièces de théâtre, dont La femme de Socrate et Philippe Pétain. En France, il réalisa également deux films, Le banquet (1972), où il s’interroge sur l’homosexualité et l’amour et La France de Giscard (1985), dans lequel il approche la France giscardienne des années 1970 d’un œil critique, voire hérétique. (plus d'infos sur Dimitris Kollatos sur grecehebdo).

     

    Dans l'attente de savoir si il sera inculpé ou libéré, le réalisateur, dont le domicile est proche de l’ambassade d'Allemagne à Athènes, aurait indiqué au site newsit.gr que son arrestation serait le résultat d'une plainte de l'ambassade allemande auprès des autorités grecques.

     

    Le drapeau à l'origine de l'arrestation (sources : newsit.gr) :

    Le drapeau (source : www.newsit.gr)

     

    Quand la police et le procureur sont intervenus à son domicile, Kollatos aurait refusé d'enlever le drapeau et c'est la police qui s'en est chargée.

     

    Selon les dernières information, le metteur en scène était encore à la station de police de Syntagme et devrait être libéré plus tard dans la journée. Il devrait être interrogé jeudi par le procureur.


    SOURCE : OKEANEWS

     

    http://www.okeanews.fr/botte-allemande-sur-drapeau-grec-le-metteur-en-scene-dimitris-kollatos-arrete/

    http://comite-pour-une-nouvelle-resistance.over-blog.com/


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  •  Kem One ne s'emmerde pas

    Pourquoi s'emmerderait-il Kem One (ex-Arkema), spécialisé dans le PVC et qui a réalisé un chiffre d'affaires de 1,1 milliards d'euros en 2011? Ce lundi, il a annoncé au CCE qu'il va se mettre en redressement judiciaire sur 6 sites en France. Cela concerne 1 800 emplois et 10 000 autres indirects. Le financier américain Gary Klesch, qui s'est mis dans l'affaire il y a deux ans, est plutôt considéré par un roi du "capitalisme vautour " par Wall Street.

     

    Dites, monsieur Montebourg made in France, pour ces emplois à Kem One, on les ajoute ou on les retranche à la somme que vous avez sauvée. On ne sait plus trop bien où vous en êtes avec votre compère Sapin du bois dont on fait des cercueils pour l'emploi. Le chômage a connu un 22e mois consécutif d’augmentation en février et frôle le record de 1997, soit 4,7 millions de demandeurs d'emplois recensés à ce jour.

     

    La gangrène du chômage

     

    A cela s'ajoute un pouvoir d'achat en baisse, selon l'INSEE qui vient de publier les comptes nationaux de 4e trimestre 2012: une baisse historique depuis 1984!

    Et l'augmentation des retraites au 1er avril 2013 de 1,3% (à laquelle on défalque 0,3% pour la Casa) en est l'exemple flagrant. Les 0,3%, c'est les vieux qui se prennent en charge lorsqu'ils seront si vieux qu'ils ne pourront pas tenir debout. Tant qu'à faire, pourquoi pas une cotisation sur les chômeurs pour se payer leurs indemnités de chômage.

     

    Ah, la côte de popularité de François à l'Elysée et de Ayraultport de Notre Dame des Landes est en chute libre. Pour un peu, on n'y aurait pas cru.

     

    Bon, je disais que Kem One ne s'emmerdait pas. Et vous du gouvernement ou de l'Elysée, ça vous gratouille ou ça vous chatouille?

    http://le-blog-de-roger-colombier.over-blog.com/article-kem-one-ne-s-emmerde-pas-116571063.html


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  • Ouvrons le débat sur l'avenir de la zone euro et de son probable éclatement !!!

    Dans l'entretien vidéo ci dessous, Jacques Sapir évoque fort justement la question de l'avenir de l'Euro mais aussi la question de la Russie.

     

    Pour ma part je pense qu'il est temps que notre parti, le Parti Communiste Français prenne en compte l'analyse de Jacques sapir d'un probable éclatement de la zone euro, après le dernier épisode chypriote.

     

    Pourquoi s'enfermer dans la dogme de l'euro alors que les faits nous donnent raison dans notre rejet de la monnaie unique et notre demande à l'époque d'un référendum ?

     

    Il devient donc urgent de poser le problème en grand de la zone euro, au risque dêtre dépassé par les évenements alors qu'initialement, rappelons le, nous étions favorable à une monnaie commune qui prenne en compte les disparités économiques de chacun des états de la zone euro.

     

    Je pense qu'un débat sur cette question monétaire s'impose désormais au PCF  d'autant plus que notre positionnement politique en l'état est selon moi incompréhensible par le commun des mortels.

     

    Ci dessous une entretien fort intéressant de Jacques Sapir que je vous recommande de prendre le temps de regarder.

    Très instructif !

     

    Hervé POLY

     

     
     

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  •  Seul le gaz chypriote intéresse les vautours européens
    de : arnold
    mercredi 27 mars 2013 - 15h56
     

    Un peu d’histoire sur Chypre !

    Chypre c’est un problème gréco-turc. Vous pouvez déjà retenir cette idée. Chypre est en face de la Syrie (ce qui est très loin de Bruxelles), tout en étant membre de l’Union européenne de facto pour sa partie sud (environ 1 300 000 habitants, majoritairement grecs, avec une minorité turque ainsi que britannique installée dans des enclaves militaires sous souveraineté de la Couronne britannique). Le territoire de l’île est aujourd’hui divisé entre trois souverainetés de facto : chypriote, turc et britannique. Vous pouvez traduire que c’est un joyeux bazar sur cette île et depuis longtemps. La République de Chypre, qui est la seule internationalement reconnue, dispose d’un siège à l’ONU et est membre de l’Union européenne (UE). Elle est réputée exercer sa souveraineté sur l’ensemble de l’île ; cependant elle ne contrôle en pratique que la partie méridionale (environ 50 % du territoire, 10 % étant contrôlés par la Grande-Bretagne) ; celle de la partie nord (40 % du territoire occupés par l’armée turque depuis 1974, y compris une partie de sa capitale Nicosie) autoproclamée République turque de Chypre du Nord (RTCN) le 13 novembre 1983, qui n’est reconnue que par la Turquie. La Ligne verte dite « ligne Attila », la sépare du reste du pays. Chypre est rentrée dans l’Union européenne en 2004 et l’Union se disait réticente à accepter une île divisée (on la comprend). Cette adhésion est due en grande partie aux pressions diplomatiques de la Grèce, qui menaçait de bloquer les 9 autres adhésions prévues en 2004 (Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Slovaquie et Slovénie) si Chypre en était exclue. Le statut de l’île est donc devenu un point de contentieux majeur des relations entre la Turquie et l’Union européenne. Néanmoins sur le terrain, des progrès ont été faits vers un statut fédéral de l’île. Les deux entités ayant ouvert des points de passage dans la Ligne Attila et permis aux habitants de chaque côté de se rendre dans l’autre ! Voilà en quelques paragraphes la réalité de l’organisation de l’île de Chypre. Avouez que c’est déjà compliqué.

    Ce qu’il faut retenir

    L’île de Chypre est prise dans un conflit ethnico-religieux entre Grecs et Turcs. L’île de Chypre est géographiquement située au Moyen-Orient et à une centaine de kilomètres de la Syrie. Pendant les années de guerre civile au Liban Chypre était d’ailleurs un réceptacle de réfugiés et également une plaque tournante pas uniquement financière mais aussi pour l’armement et le trafic d’armes international, ou encore pour les agents secrets du monde entier. Pour l’Europe, Chypre est un véritable porte-avion en méditerranée à portée de toute une région stratégique (d’où aussi les bases britanniques sur place). Chypre dispose désormais de réserves de gaz prouvées très importantes (224 milliards de m3) qui lui permettraient alors que le gouvernement chypriote s’apprête à donner les permis d’exploitation d’encaisser des ressources financières importantes (entre 30 et 100 milliards d’euros). Alors comme vous le voyez l’affaire chypriote se complexifie grandement dès que l’on met tout cela dans une perspective plus géopolitique, mais ce n’est pas tout.

    Le gaz chypriote un enjeu pour « l’indépendance énergétique européenne » ?

    Elle s’appelle « Aphrodite » et fait tourner la tête de tous. Il y a de quoi. La nappe de gaz (Aphrodite) qui se niche sous la mer à plus de 100 kms de la côte sud de l’île va probablement, à elle seule, bouleverser l’avenir du pays. Dépendante en grande partie du gaz russe, l’Europe se verrait bien confier en échange de son aide financière (forcément payante) l’exploitation des ressources de gaz chypriote estimées à 224 milliards de m3. Évidemment en face, les Russes voient cela comme une menace sur leur capacité à négocier avec l’Europe puisque le gaz chypriote permettrait à l’Europe d’éloigner les « chantages » russes à l’approvisionnement. Moscou perdrait sa capacité de « nuisances » donc de facto ses capacités de négocier avec l’Europe. Mais ce n’est pas tout. La seule base navale russe est située dans un pays pour le moins instable et juste en face de Chypre… la Syrie ! Le problème là encore, c’est que la Russie qui soutient Bachar el Assad risque de se voir sortir de Syrie en cas de défaite du régime actuel soutenu par Moscou (ce qui explique en partie sa résistance depuis plus de deux ans maintenant). Si les Russes devaient quitter la Syrie, Chypre située à une centaine de kilomètres pourrait rendre le « déménagement » beaucoup plus facile et permettre à Moscou de conserver une base en Méditerranée. Enfin, Chypre est devenue en 20 ans un refuge pour les fonds plus ou moins opaques des oligarques russes et gère plusieurs dizaines de milliards d’euros… russes ! Soyons honnêtes, si demain Chypre fait faillite, c’est les Russes qui perdront de l’argent, beaucoup, beaucoup d’argent. Alors les Russes comme nous venons de le voir ont quelques raisons sérieuses de soutenir Chypre, pour ne pas dire de « racheter » Chypre. Mais évidemment l’Europe n’est pas d’accord, mais alors pas du tout d’accord. Chypre doit trouver 17 milliards d’euros pour financer ses banques. Mais elle a beaucoup perdu lors de la crise grecque : les Européens (notamment les Allemands) ont contraint les créanciers à abandonner la moitié de la valeur des créances sur l’État grec, ce qui a déjà fait perdre 4,5 milliards d’euros à Chypre. De surcroît, les filiales des banques chypriotes en Grèce ont aussi perdu de l’argent. C’est là la cause principale de la crise à Chypre qui trouve donc son origine dans la façon dont les européens ont traité la crise grecque !

    L’hypocrisie hallucinante des dirigeants européens !

    Côté face, tout le monde se renvoie la balle, personne ne voulait être méchant avec le pauvre et gentil petit peuple chypriote en allant lui voler ses dépôts. Hollande dit ce n’est pas moi, j’étais contre, les Allemands ce n’étaient pas eux non plus, les Espagnols n’ont pas eu non plus cette idée… bref, c’est la faute à personne ! Pourtant cette décision n’est pas venue par l’opération du Saint-Esprit !

    Alors pourquoi l’Europe n’est pas d’accord

    D’abord parce que l’Europe a besoin du gaz chypriote. Que les Anglais veulent conserver leurs bases à Chypre ce qui leur permet d’assurer une présence en Méditerranée sans avoir à investir dans un porte-avion. Que les Grecs et les Chypriotes pour des raisons évidentes sont très proches, les systèmes financiers grecs et chypriotes sont en plus fortement imbriqués et c’est Chypre qui finance pour une part non négligeable la Grèce. Or pourquoi le système chypriote vacille ? Parce qu’il y a quelques mois, l’Europe a imposé des pertes fortes sur les créances grecs notamment au système bancaire chypriote qui devait être soutenu… et enfin même si les Russes sont nos « grands » amis moins ils sont puissants mieux toute l’Europe se porte surtout les anciens pays de l’Est qui n’ont qu’une peur… le retour de l’Empire soviétique dont ils ne gardent pas un souvenir impérissable. Alors côté pile les Européens mettent une pression hallucinante sur Chypre même si pour jouer les gentils à la télé et face à l’émotion suscitée partout en Europe par cette décision de voler les comptes bancaires des simples gens, on dit que personne n’est responsable de cette catastrophe !

    L’Europe organise le blocus monétaire de Chypre

    C’est le titre d’un article du Figaro. Ainsi pour le Figaro, la BCE a sorti son arme de dissuasion massive : le blocus monétaire. En effet, la Banque centrale européenne (BCE) vient d’indiquer qu’elle cessait d’alimenter en liquidités les banques chypriotes tant que Nicosie n’accepte pas le plan de sauvetage alors que mercredi 20 mars la même BCE prenait acte du rejet par le Parlement chypriote de ce plan et qu’elle ferait face en donnant les liquidités nécessaires… Il faut dire qu’entre temps, les Chypriotes sont allés négocier directement une aide éventuelle de Moscou et ont mis en concurrence deux « fournisseurs » d’aides potentiels, la Russie et l’Europe. Tout bonnement inacceptable pour les Européens. Ainsi la BCE a prévenu qu’elle n’alimenterait plus les banques chypriotes en liquidités, tant que le plan de sauvetage UE-FMI ne serait pas accepté. « Les liquidités d’urgence de la BCE ne sont disponibles que pour les banques solvables, or les banques chypriotes ne sont pas solvables tant qu’elles ne seront pas recapitalisées rapidement », a indiqué Jorg Asmussen, l’un des membres du directoire de la BCE. Alors pour le moment et cela risque de durer plus longtemps que prévu, le ministre des Finances chypriote et le gouverneur de la banque centrale de l’île (dont le prénom est Panikos) n’ont pas d’autre choix que de laisser les banques fermées jusqu’à nouvel ordre… Sans blague ! Il vaut mieux car sinon nous pourrions voir en vrai ce qu’est la matérialisation d’un risque systémique au sein de l’euro !! Le Figaro conclu son article en disant que « si la situation se prolonge, le blocus monétaire peut très vite se transformer en blocus économique. Du jamais vu dans l’Union européenne ! » Et c’est vrai. L’Europe non seulement a organisé le vol sur les comptes bancaires des Chypriotes, mais les Chypriotes opposant une résistance aux braqueurs, l’Europe ne s’est pas arrêtée contrairement à ce que l’on tente de nous faire croire. Non. L’Europe organise le blocus économique de l’un de ses membres. Je laisse à chacun le soin de tirer les conclusions de tels agissements de l’Europe, mais pour ma part, je constate que l’Europe ne recule plus devant rien. Il faut dire que les enjeux ne sont pas uniquement économiques. Chypre représente un enjeu géostratégique, et vous avez la preuve que l’économique n’a aucun poids lorsqu’il s’agit de géostratégie. C’est toujours le politique qui prime sur l’économique… et l’économie de Chypre sera laminée si cela est nécessaire mais l’Europe ne perdra pas Chypre ou alors au prix d’un combat de Titans. L’Europe ne veut pas laisser Chypre sortir de l’Union pour la voir aller se jeter dans les bras de Moscou. Que feront les Chypriotes ? Que feront les Russes ? Jusqu’où ira l’Union Européenne dans les rapports de forces ? Si Chypre sort de l’euro, la Grèce pourtant déjà « sauvée » plusieurs fois va s ‘effondrer, et les élections allemandes qui sont en septembre… loin beaucoup trop loin ! « Entre sauver de la banqueroute un État souverain et protéger les milliards des blanchisseurs russes, le choix est vite fait ». Voilà le genre de platitudes auxquelles nous habituent les élites européennes. S’ensuivent, pour bien asseoir ces banalités, des amalgames entre les dépôts des banques chypriotes et les fortunes en milliards des oligarques russes. Ces derniers, majoritairement séjournent à Londres, à New York ou à Moscou, et n’utilisent Nicosie que comme un chainon, certes bienveillant, pour investir à travers le monde ou rapatrier en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou en Russie leurs fonds issus d’activités aussi bien « intégrées » que frauduleuses. Mais, comme aux comptoirs de bistrot, plus c’est gros et mieux ça passe, d’autant plus qu’il y a toujours des médias qui, à la manière du poivrot de Wolinski, n’y trouvent rien à redire, approuvant (et perpétuant) les contre-vérités et les approximations à l’infini.

    Enfin, comment avoir confiance dans les institutions européennes alors que ces dernières ont :

    1/ demandé aux Grecs d’annuler un référendum sur l’euro ce qui est une violation de la liberté des peuples à l’autodétermination.

    2/ viré manu militari Berlusconi (élu) au profit de Mario Monti (désigné d’office) ce qui est une violation des choix démocratiques d’un peuple souverain fussent-ils mauvais (les choix).

    3/ demandé aux autorités chypriotes de faire mains basses sur les comptes bancaires des gens au mépris le plus total du principe de propriété privée ce qui constitue une violation de ce droit.

    4/ organisé le blocus économique et monétaire de Chypre pour obtenir une obéissance totale… ce qui constitue un cas grave d’oppression sur un peuple. Enfin que Mme Lagarde et la Troïka cessent d’employer le mot « solidarité », à le salir jusqu’à l’écœurement. Que l’Allemagne et ses laquais européens, dont la France, arrêtent de parler de « solution juste et équilibrée » chaque fois qu’ils mettent un pays et son peuple à genoux. Que la BCE arrête de parler d’accord chaque fois qu’elle pratique un chantage éhonté. Que nos élites politiques cessent de parler de « démocratie » chaque fois qu’elles passent outre l’avis des peuples et de leurs parlements, pris à la gorge, pour imposer leurs solutions, mille fois mises en échec par la réalité et ses cohortes de chômeurs, d’entreprises en faillite, d’usines en friche et de services de l’Etat réduits en peau de chagrin.

    À part le peuple chypriote, les retraités anglais, grecs, russes, néerlandais, etc., qui avaient leurs économies dans les deux plus grandes institutions financières de Chypre, tout le monde dans la finance trouve son compte, à commencer par les oligarques russes, qui, jusqu’à hier, étaient l’excuse de l’intransigeance européenne. L’accord colonial, que dis-je, d’occupant cynique imposé à ce pays n’a pas de précédent. L’économie et la société de Chypre feront un bon en arrière de plusieurs décennies.

    Avis aux peuples italien, français, espagnol, portugais... S’ils veulent croire encore que des mots comme Sécurité sociale, santé publique ou école pour tous ont encore un sens. Tout ce qui ne génère pas de l’argent (à la manière que le conçoit Mr Schauble et Mme Lagarde), est désormais insignifiant. Et tant pis pour les citoyens européens…

    http://bellaciao.org/fr/spip.php?article134364

    Lire l'article du 22 Février 2012

    http://pcautunmorvan.eklablog.com/chypre-oeil-du-cyclone-en-mediterranee-orientale-a40895602


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    "Retour à Marx. Pour une société post-capitaliste"

    Extraits du dernier livre d’Yvon Quiniou

    Introduction : le communisme au regard des transformations historiques

    Il peut paraître curieux d’écrire aujourd’hui un livre qui a pour ambition déclarée de prendre position en faveur du communisme. Même si certains penseurs à la mode, comme Alain Badiou ou Slavoj Žižek, ont tenté de lui rendre toutes ses lettres de noblesse dans l’opinion publique, leur réflexion, malgré leur talent, ne se situe ni au niveau d’intelligence socio-historique, ni à celui d’intelligence économique qui était ceux de Marx, et on ne peut pas dire qu’elle emporte réellement l’adhésion, qu’elle ouvre une perspective convaincante à « l’Idée » communiste, surtout quand on voit à quel point leurs travaux (ou d’autres) sont déconnectés des luttes et des rapports de forces politiques réels. Cela peut d’ailleurs expliquer leur succès médiatique auprès de ceux qui ne jurent que par le libéralisme économique : sans impact, sans danger, donc succès garanti [1] ! Du coup, ce qui demeure, malgré un réveil incontestable de l’intelligence critique et un refus, confus mais réel, d’un capitalisme confronté à une crise mondiale qui suscite un peu partout des résistances à son encontre, c’est un scepticisme généralisé à l’égard de ce qui pourrait le remplacer. Cela est net, sinon aveuglant, non seulement dans la conscience collective ordinaire mais aussi chez les acteurs professionnels de la politique ou ses spécialistes dans les médias, y compris à gauche. Et je ne suis même pas sûr que, chez ceux qui se réclament encore explicitement du communisme – j’entends ici les divers partis d’Europe occidentale qui continuent de se référer à cette identité et dont l’influence commence heureusement à remonter –, la référence maintenue à ce concept corresponde toujours à une conviction profonde, à l’abri du doute. D’où le constat amer, sinon désespérant, que l’alternative au capitalisme que Marx a formulée et qui a pour nom « communisme », paraît massivement non crédible, sans consistance réelle : ni politique avec le règne de la démocratie complète qu’il entendait promouvoir, ni socio-économique avec la suppression des classes et celle de l’exploitation du travail qui leur est liée, ni anthropologique, avec sa visée d’un homme émancipé, mû par autre chose que la recherche concurrentielle de la richesse matérielle, ni enfin, sans consistance du point de vue de ses effets revendiqués dans l’ordre de la liberté personnelle et du bonheur, effets qu’une politique digne de ce nom devrait ambitionner d’apporter aux hommes, à tous les hommes [2].

    Pourquoi ce scepticisme ? À sa racine il y a bien entendu un événement fondamental qu’il faut affronter en toute lucidité : l’échec des régimes de type soviétique que la révolution bolchevique a mis en place, directement ou indirectement, à partir de 1917. Car c’est bien au nom de cet échec, incontestable, que l’idéologie libérale dominante, particulièrement conquérante depuis la chute du mur de Berlin, et qui a infesté une large partie de la gauche dite « socialiste », déclare que l’histoire aurait définitivement invalidé sur le fond le projet communiste et que son concept serait donc désormais nul et non avenu. Il devrait être rangé au compte des utopies, généreuses peut-être dans l’idéal – les meilleurs esprits le concèdent –, mais en réalité sans possibilité d’incarnation et, surtout, du fait même de cette impossibilité, considéré comme inévitablement totalitaire et meurtrier – l’histoire l’ayant donc censément absolument démontré1. Cependant, ce diagnostic ne peut se comprendre que si l’on croit pouvoir appliquer légitimement le concept de « communisme » à ces régimes pour les définir dans leur vérité politique. Or il y a là un contresens fondamental, qui aura constitué ce que j’appelle l’imposture sémantique du xxe siècle – laquelle imposture, fort logiquement quand on en est prisonnier, bloque toute pensée d’un avenir radicalement nouveau, réellement post-capitaliste, puisqu’elle s’accompagne d’un constat de décès généralisé et apparemment irréversible concernant le communisme. C’est donc à cette imposture sémantique qu’il faut s’attaquer, sans préjuger d’ailleurs du futur historique, mais en faisant le ménage, si j’ose dire, dans les mots et les concepts afin d’avoir une intelligence exacte de ce qui s’est passé et donc de ce qui pourrait se passer dans l’histoire à venir. Qu’est-ce donc en réalité, et à l’inverse de ce que le siècle dernier nous a présenté, que le communisme ? Et surtout, pourquoi peut-on dire, sur la base d’une simple exigence de rigueur intellectuelle et, à ce niveau de la réflexion, sans aucun parti pris favorable, que le communisme n’est pas mort étant donné qu’il n’a existé nulle part ?

    Le communisme suppose préalablement le capitalisme développé

    Que l’histoire obéisse à une nécessité qui s’enracine dans la production économique et que la raison peut comprendre, constitue un thème central chez le Marx de la maturité. C’est bien pourquoi son œuvre théorique ressortit aux sciences et, plus précisément, aux sciences sociales, lesquelles, comme les sciences en général, ne sauraient exister sans les présupposé du déterminisme et de la légalité – obéissance à des lois objectives – des phénomènes qu’elles étudient, quelle que soit leur complexité et l’apparence de désordre ou de contingence qui peut les caractériser à première vue [3]. Cette idée est présente chez lui dès qu’il entreprend de comprendre l’histoire – et l’homme en elle – dans L’idéologie allemande, sur la base matérielle de la production des moyens d’existence. Et on la retrouve fortement revendiquée dans Le Capital, spécialement dans la préface à la première édition, quitte à ce que ce soit sous des formes ou avec des formulations qui font problème. C’est ainsi que dans cette préface – mais c’est vrai aussi de ce qu’il dit dans la postface à la seconde édition allemande – il assume pleinement la comparaison de la marche de l’histoire à celle de la nature, qui veut qu’une nécessité du même ordre (ce qui ne signifie cependant pas identique) régisse le développement de la réalité dans les deux cas, et que les lois qui déterminent les phénomènes sociaux, même si ce sont des lois tendancielles, « se manifestent et se réalisent avec une nécessité de fer » [4]. Enfin, le Manifeste communiste lui-même, bien avant Le Capital, parlant de la révolution communiste à venir sur la base des processus historiques qu’il a précédemment expliqués, annonce clairement que la chute de la bourgeoisie et la victoire du prolétariat « sont également inévitables » [5]. Certes, bien des formes d’expression de cette nécessité historique doivent être non seulement critiquées mais rejetées, précisément quand elles la font passer pour inévitable ou inéluctable, comme c’est le cas dans les deux citations précédentes : non seulement quand elles assimilent sans réserve importante le développement de l’histoire à celui de la nature mais, autre possibilité, quand elles pensent le devenir historique sous la catégorie hégélienne de la « négation de la négation » – les sociétés de classes nient le communisme primitif et le communisme du futur niera cette négation [6]– en lui attribuant, ce faisant, une nécessité absolue, de type métaphysique, qui doit tout à la spéculation et rien à la science [7]. Il n’en reste pas moins vrai que, derrière la gangue d’un vocabulaire qu’il faut rectifier pour lui restituer son sens profane véritable, c’est bien d’un authentique déterminisme historique qu’il s’agit, lequel, s’il ne définit pas toujours dans le détail ce qui doit nécessairement se produire, à savoir la révolution communiste, nous dit clairement, comme on l’a vu plus haut, à quelles conditions, elles absolument nécessaires, elle peut se produire, ce qui n’a rien à voir avec une fatalité. En effet, autant que l’expression d’une nécessité historique implacable, on peut y voir, sous cet angle déterministe, l’énoncé de conditions à la fois de possibilité et d’impossibilité, que tout déterminisme stipule. Dire quelles sont les conditions matérielles sans lesquelles cette révolution ne peut avoir lieu et réussir, ce n’est pas forcément dire qu’elle aura nécessairement lieu, mais c’est affirmer qu’avec elles, elle peut avoir lieu et que, sans elles, elle ne peut se produire et réussir. Ce n’est donc pas formuler une prophétie, sur un mode quasi religieux, qui nous garantirait un futur souhaité, comme on l’a longtemps cru sous l’égide du « marxisme-léninisme », tout en prétendant lui apporter un fondement scientifique fourni par des lois de l’histoire. Mais dire que, si l’avenir est ouvert sur une perspective de transformation radicale, c’est à certaines conditions dont l’absence voue immanquablement l’expérience révolutionnaire à l’échec. C’est donc une leçon de réalisme et de patience politiques, sans le moindre renoncement, que nous enseigne alors ce point de vue qui ressortit bien d’une science matérialiste de l’histoire. Celle-ci, quand elle est bien comprise (ce qu’elle n’a pas été) est loin d’alimenter le risque de l’utopie ou le danger de la dictature, comme le prétend Comte-Sponville, trop pressé d’en finir avec ses enthousiasmes de jeunesse [8]. Au contraire, elle sape à la base la tentation de l’utopie, elle l’interdit même, et permet d’éviter en principe la séduction du volontarisme qui mène tôt ou tard à la dictature.

    Quelles sont alors, plus précisément, ces conditions et sous quelle forme la politique doit-elle s’en emparer ? C’est paradoxalement le Manifeste – paradoxalement vu son statut de simple manifeste et étant donné qu’il est antérieur aux analyses empiriques plus approfondies qui suivront – qui est le plus explicite et le plus convaincant sur celles-ci. Le tableau qu’il nous fournit, dans sa première partie, de la réalité capitaliste de son temps, est en effet, pour qui l’aborde sans préjugés, saisissant par son actualité – sous la réserve d’une remarque essentielle que je ferai par la suite et dont je demande au lecteur d’en retenir l’idée d’ores et déjà –, en raison d’un argument simple qui contredit une « idée reçue » trop largement répandue : quelles que soient les remarques empiriques de détail qu’il peut faire sur ce qui se passe dans tel ou tel pays, à cette époque précise, spécialement en Angleterre, et qui pourraient nous faire croire que, peignant une société située dans l’espace et dans le temps, le tableau qu’il nous offre du capitalisme serait complètement dépassé – on n’est plus au xixe siècle, n’est-ce pas ! –, c’est au contraire la description et l’explication (partielle, bien entendu) d’un système qu’il nous présente, le système capitaliste, qui n’était qu’embryonnaire à son époque mais dont il a su dégager les mécanismes essentiels de fonctionnement, économiques et sociaux, avec ses effets destructeurs sur la vie des hommes au travail [9]. De plus, en analysant ses lois internes d’évolution (conformément à ce que j’en ai dit plus haut), il a su anticiper le devenir mondial du capitalisme tel qu’il se déroule aujourd’hui sous nos yeux, puisque, dit-il, « le travail industriel moderne, l’asservissement moderne au capital, aussi bien en Angleterre qu’en France, en Amérique qu’en Allemagne, ont dépouillé le prolétaire de tout caractère national » [10] ; et c’est bien à « l’exploitation du marché mondial » que nous avons déjà affaire, à l’époque, exploitation grâce à laquelle « la bourgeoisie envahit le globe entier » et « donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays » [11]. Qui ne voit, sauf à être ou à se faire aveugle (par mauvaise foi), que c’est exactement ce qui passe et se déploie pleinement présentement, près de deux siècles après, à un degré encore plus renforcé et sous des formes pour une part inédites, bien évidemment, et que cela rend, il faut le dire, parfaitement ridicule le propos de Michel Foucault, affirmant dans Les mots et les choses, que « le marxisme est dans la pensée du xixe siècle comme un poisson dans l’eau […], partout ailleurs il cesse de respirer » [12]. En l’envisageant de ce double point de vue de son fonctionnement et de ses tendances évolutives, Marx nous indique alors clairement comment le capitalisme lui-même produit les conditions objectives qui vont rendre nécessaire – c’est-à-dire inévitable, selon lui, dans ce texte – le passage à une autre société, le capitalisme accumulant donc les présupposés objectifs de son propre dépassement, selon une vue profonde que L. Sève développe souvent dans ses travaux et que je partage totalement [13]. Et du même coup – ce point est en creux dans cette même thèse et c’est lui qu’il faut prioritairement retenir – il produit les conditions de possibilité (mais non la nécessité inéluctable) d’une révolution communiste sans lesquelles celle-ci ne pourrait, sinon avoir lieu en tout cas réussir. Ces conditions sont de trois sortes : économiques, sociales et politiques.

    Retour à Marx. Pour une société post-capitaliste, édition Buchet-Chastel

    [1] Pour la petite histoire, je signale que Badiou – dont j’admire par ailleurs la capacité de conceptualisation et dont je suis proche parfois, on le verra ici même – se déclare partisan du non-vote et que Rancière – autre contestataire à la mode – a préconisé l’abstention aux dernières élections : drôle de manière de s’engager en faveur d’un idéal d’émancipation dont la démocratie politique ne peut être que la base !

    [2] L’objectif du « bonheur de tous » est expressément assigné à l’activité politique dans la République par le préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : la République est organisée de telle sorte que « les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous ». Cette affirmation ne fait que reprendre ici une idée essentielle formulée par Rousseau dans le Contrat social. À ce propos, je me souviens d’un magnifique dessin de Wolinski, dans L’Humanité des années 1970, à l’époque où la gauche du programme commun discutait des nationalisations, qui représentait un couple idyllique assis sous un arbre et s’interrogeant : « Il faudrait nationaliser le bonheur ! ». Le terme « pouvoir » ne figurait malheureusement pas dans l’exclamation. C’est dommage ! Car ainsi complétée et rendue plus modeste – « Il faudrait pouvoir nationaliser le bonheur » –, la formule est parfaite car elle indique la direction dans laquelle la politique doit s’orienter : créer, entre autres, les conditions, mais seulement les conditions, collectives du bonheur individuel.

    [3] Ce propos engage une position épistémologique que j’assume entièrement, mais que beaucoup contestent aujourd’hui. Elle revient à dire que la catégorie de contingence ou de hasard n’est pas heuristique ou productive en sciences : comprendre scientifiquement le réel, dans quelque domaine que ce soit, ce n’est pas rechercher la part de contingence ou du hasard qu’il comporte, mais tenter de comprendre, à l’inverse, en quoi les phénomènes sont déterminés et essayer de trouver les lois du déterminisme qui les produit, donc réduire la part de contingence ou de hasard qu’ils semblent contenir. Je partage ici totalement les réticences de R. Thom à propos de la fascination pour l’aléatoire (ou le hasard) dans la philosophie contemporaine des sciences, quand il dit, par exemple, que celle-ci « témoigne d’une attitude antiscientifique par excellence » (in La querelle de déterminisme, ouvrage collectif, Pa ris, Le Débat/Gallimard, p. 62). On la retrouve dans le champ du marxisme, avec un intérêt surprenant pour « le matérialisme de la rencontre » qu’a défendu Althusser dans ses derniers écrits, position matérialiste elle-même surprenante venant d’un penseur qui a mis longtemps en avant la scientificité du marxisme.

    [4] Cf. Le Capital, op. cité, respectivement p. 37 et 36. L’idée de « tendances » est bien chez Marx – donc celle de « lois tendancielles » – mais elle n’abolit pas celle de nécessité. M. Vadée, dans son beau livre Marx penseur du possible (Paris, Méridiens-Klincksieck, 1992), a insisté sur cet aspect des choses, quitte à l’exagérer en négligeant ce dernier point.

    [5] Karl Marx, Manifeste du part communiste, Paris, Editions sociales, 1978, chap. I, p. 47.

    [6] Ou encore, voir par exemple Le Capital (L. I, ch. XXXII, fin), quand il explique que le capitalisme a ruiné la petite propriété individuelle et que son renversement va la rétablir, en quelque sorte en niant ce qu’il a nié. « C’est la négation de la négation » dit Marx, en faisant se télescoper au surplus ce processus de type dialectique et spéculatif avec un processus naturel, puisqu’il est censé lui conférer une « fatalité comparable à « celle qui préside aux métamorphoses de la nature » (Ibid, p. 567). Certes, on peut discuter du statut de cette formulation – propos purement réflexif ou concept directement explicatif – mais elle est bien là. On n’est plus dans « la libre et scientifique recherche » dont il se réclame superbement, mais dans le prophétisme dialectique hégélien, au moins quant au langage !

    [7] Ceci dit et pour être totalement honnête, on ne peut rejeter a priori l’idée que le communisme doive nécessairement se produire un jour et qu’il soit donc, de fait, inévitable. C’est ce que pensait Joseph Schumpeter, donnant raison au pronostic de Marx, tout en prétendant tout faire politiquement pour s’y opposer. Voir le début de Capitalisme, socialisme et démocratie (Paris, Payot, 1990) dans lequel il défend cette idée. C’est ainsi que dans la préface à la première édition édition de cet ouvrage où il se définit comme un « non-marxiste qui croit à l’importance unique du message de Marx », il affirme carrément « qu’un type de société socialiste émergera inévitablement de la décomposition non moins inévitable de la société capitaliste » (p. 10) ! On ne peut donc réfuter (ni prouver, d’ailleurs) cette idée par avance et donc la récuser ; on ne peut que contester son affirmation dogmatique ou les formulations de celle-ci.

    [8] Voir supra. J’indique qu’après avoir écrit un livre au titre curieux, Le capitalisme est-il moral ? (Paris, Albin Michel, 2004) et pris à contre-pied par la crise généralisée de celui-ci, avec ses dérives scandaleuses, il a éprouvé le besoin de répondre, dans la postface une deuxième édition (2009) à mes objections comme à celles de Marcel Conche et de Lucien Sève, mais sans renoncer à l’idée que la référence à la science et à la nécessité historique chez Marx soit porteuse d’un danger totalitaire.

    [9] Voir à nouveau ce que disait M. Godelier autrefois, parlant du Capital (mais c’est transposable en partie au Manifeste) et qui selon moi n’a pas pris une ride : « Le Capital n’est pas un livre d’histoire et [...] malgré de nombreuses allusions à l’histoire de pays européens, de l’Angleterre surtout, Marx n’a pas écrit une histoire du capitalisme anglais ou hollandais, etc. Le Capital se propose de faire la théorie de la logique invisible de fonctionnement du mode de production capitaliste. » (Rationalité et irrationalité en économie, op. cit., t. II, p. 128).

    [10] Marx, Manifeste, op. cit., ch. I, p. 45.

    [11] Ibid, p. 35.

    [12] Michel Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, 1996. C’est l’occasion d’indiquer que le rapport de Foucault à Marx est fortement biaisé, quoique la mode soit à le valoriser. En réalité, Foucault est philosophiquement un nietzschéen, théoriquement un anti-marxiste et politiquement un libéral. Il l’a clairement déclaré dans ses entretiens avec R.-P. Droit, Michel Foucault, entretiens, Paris, Odile Jacob, 2004

    [13] Voir par exemple ce qu’il dit sur la « teneur de nécessité » qu’on trouve dans la conception marxienne de l’histoire et sur les « présupposés du communisme » que le capitalisme accumule en son sein, dans Penser avec Marx aujourd’hui. T. I. Marx et nous, p. 225-238. Dans son débat avec J. Bidet, je suis d’accord avec lui sur ce double point. Je ne le suivrai pas, en revanche, sur l’importance qu’il donne à la dialectique hégélienne pour penser cette nécessité.

    http://www.lafauteadiderot.net/Retour-a-Marx-Pour-une-societe


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