• Internationale socialiste, la dernière estocade, par Jean-Luc Mélenchon

    Par Jean-Luc Mélenchon| 5 juillet 2013
    Internationale socialiste, la dernière estocade, par Jean-Luc (...)

    Dans le numéro d’été de Regards, Jean-Luc Mélenchon consacre un long article à la fin de l’Internationale socialiste, l’occasion pour lui d’exprimer son point de vue sur l’union de la gauche.

    Fin mai 2013, le SPD allemand a entériné la mort de la social-démocratie en créant l’Internationale progressiste. Jean-Luc Mélenchon analyse les maux responsables de cette lente agonie.

     

    La social-démocratie était déjà à l’agonie au commencement de ce siècle. Car à la fin du précédent, les Blair, Schröder et Zapatero l’avaient ostensiblement diluée, autant qu’ils le pouvaient, dans la marée du libéralisme triomphant. Puis elle s’est effondrée politiquement en Grèce. Ce fut certes sans le vacarme du mur de Berlin mais tout aussi violemment. Cela se passa dans Athènes assommée, quand Georges Papandréou capitula sans condition sous l’assaut du capitalisme financier caractéristique du nouvel âge du capitalisme. Papandréou était le Premier ministre du pays mais surtout président de l’Internationale socialiste. À présent, le dépôt de bilan vient d’être prononcé. Le SPD allemand, le plus ancien et le plus puissant parti de l’histoire de la social-démocratie mondiale, a lancé le 22 mai dernier à Leipzig une nouvelle structure internationale baptisée l’Alliance progressiste. Avec 70 autres partis, dont le PS français, les sociaux-démocrates ont ainsi franchi un nouveau pas dans la rupture avec l’histoire du socialisme et du mouvement ouvrier qu’ils avaient façonnée. Une froide logique est à l’oeuvre : comme ils détruisent l’État social qu’ils avaient créé, les sociaux-démocrates sabordent l’outil qui l’avait construit. Comment un courant idéologique et politique aussi puissant en est-il arrivé à assumer un tel suicide politique ? L’affaire vient de loin. Mais sa conclusion nous touche de près. Il est aussi vain de vouloir « aiguillonner » de tels partis que d’espérer les voir revenir à leur raison d’être. Toute stratégie de conquête du pouvoir pour renouer le fil de la lutte pour l’émancipation passe donc par une compétition sans ambiguïté avec ce mutant « progressiste » dont le centre de gravité est ancré dans la perpétuation de la société et l’économie de marché financiarisée actuelle.

    Le socialisme est né comme discours d’élucidation des causes des crises du capitalisme cherchant à y apporter une réponse globale de long terme. Mais dans les faits réels, c’est l’incapacité de la social-démocratie à penser et à affronter le capitalisme au-delà du seul cadre national qui l’a mise dans des impasses historiques successives. D’abord, en la rendant incapable de résister aux chocs des impérialismes lors de la guerre de 14. Puis impuissante à résister au basculement européen des capitalistes dans le camp fasciste dans les années 1930. En dépit de ces échecs historiques, la social-démocratie s’est reconstituée en Europe dans les ambiguïtés des lendemains de la Deuxième Guerre mondiale, face à la fois aux brutalités du soviétisme et à la déchéance des classes dominantes dans la collaboration avec le nazisme. Mais elle a continué à reproduire la vieille stratégie du XIXe siècle. Elle consistait à faire des prises d’avantages pour les travailleurs dans le cadre du capitalisme à l’échelon national. La mondialisation libérale, en submergeant le cadre national, a placé la social-démocratie dans une nouvelle impasse stratégique. Les partis de l’Internationale n’ont pas pris la mesure du changement de nature du capitalisme du fait de la financiarisation de l’ensemble de l’économie, et de son changement d’échelle avec la transnationalisation du capital. Dans le cadre national, le capitaliste industriel pouvait trouver intérêt à discuter avec les syndicats et à peser dans la définition des normes. Dans la mondialisation libérale, le capitalisme financier n’a plus besoin d’aucun compromis politique ou social en contrepartie de ses prélèvements sur le travail. Le rapport de force que lui donne sa transnationalisation est d’autant plus écrasant qu’il est mal compris ou qu’il passe pour une loi de la nature. Sous toutes les latitudes une pression terrible s’est donc exercée pour sanctuariser le marché, pour le mettre hors de portée de la régulation citoyenne. Ce nouvel âge du capitalisme est allergique à la souveraineté populaire. Dans ces conditions, le credo social-démocrate de la « régulation » du capitalisme sonne dans le vide et ne peut avoir aucune prise sur le réel. Comment réguler en effet une réalité entièrement construite pour échapper a l’exercice ? L’autre impasse stratégique est évidemment dans le postulat du « partage des fruits de la croissance ». Double aberration. Elle suppose une croissance sans fin dans un écosystème limité. Et elle suppose que le rapport de force antérieur au nouveau partage ne servira pas les dominants dans le rapport de force !

    La ligne démocrate

    Cette contradiction majeure du discours social-démocrate sur la régulation et la croissance explique que les sociaux-démocrates sont si démunis face à la crise actuelle. Comme ils se refusent à penser le dépassement du capitalisme et du productivisme, et la nécessité d’introduire des ruptures avec l’ordre actuel, ils en sont réduits à soutenir le sauvetage et le rafistolage à tout prix du système. Leur impuissance s’est accrue avec la chute de l’URSS qui a entraîné une nouvelle étape de transnationalisation du capital tout en dégradant le rapport de force au détriment des classes populaires dans chaque État-nation. Ce capitalisme apparemment triomphant a alors exercé une immense force d’attraction sur les partis socialistes eux-mêmes. Cela a entraîné la mutation progressive de la vieille social-démocratie européenne. Fascinée par le modèle nord-américain auquel l’attachaient les liens les plus divers, pas toujours avouables, elle a programmé son évolution en mouvement « démocrate ». Cette mutation a commencé avec les New Democrats de Bill Clinton avant d’arriver en Europe avec le New Labour de Tony Blair, dans les années 1990. Ces modernisateurs ont longtemps essayé d’isoler la France au sein du mouvement social-démocrate en raison de l’histoire particulière du socialisme français. Son ancrage dans la République et son attachement à la puissance de la loi comme instrument de l’intérêt général l’ont longtemps rendu rétif à la culture du contrat qui a permis à la social-démocratie de dévaler la pente des renoncements. Dix ans après la chute du Mur, la France de Lionel Jospin était ainsi le seul pays industriel à compter des communistes et des écologistes au gouvernement.

    La ligne « démocrate » repose sur quelques invariants idéologiques. Le premier est l’abandon de toute référence aux intérêts de classes en jeu dans le partage de la richesse. Jusqu’au point de perdre tout ancrage social du discours. La pauvreté, le chômage ou l’exploitation, ces réalités sociales sont progressivement effacées au profit de la figure du pauvre, du chômeur ou du salarié renvoyé à sa « responsabilité » individuelle. Les démocrates nient l’existence d’un conflit entre classes sociales. Une fois écartée la perception du conflit, les « démocrates » pensent s’appuyer sur le « compromis  » entre « partenaires » sociaux comme si la rationalité et la modération des appétits ne dépendaient d’aucun rapport de force social ou culturel. Le moteur de l’action passe alors sur le terrain de la compassion et de « l’ordre juste » où les droits universels cèdent la place à un improbable « sur mesure » compassionnel et où l’équité remplace l’égalité. L’appareillage conceptuel des démocrates enracine l’idée de contrat jusque dans la sphère intime des relations humaines, comme s’y est appliqué le théoricien du blairisme Anthony Giddens. Mais après les mots viennent les réalités. Du compromis au consensus il n’y a que l’espace de la capitulation, sort promis à tous ceux qui prétendent aborder un conflit en le niant.

    De ce point de vue, le SPD est l’exemple le plus abouti avec les réformes engagées par Gerhard Schröder au nom de son Agenda 2010. Baisses d’impôts pour les plus riches et les entreprises. Réduction de l’indemnisation des chômeurs. Hausse de l’âge de la retraite jusqu’à 67 ans et baisse des pensions. Des réformes qui ont entraîné l’explosion de la pauvreté, des chômeurs, salariés et retraités. Au point que l’espérance de vie des Allemands les plus pauvres a reculé. Ce dumping social a fracassé la parfaite égalité des nations sans laquelle la construction européenne est nécessairement une nouvelle forme de domination impériale. Le capitalisme décrépit des Allemands domine l’Europe actuelle et la soumet à ses intérêts les plus bornés.

    Pourtant, François Hollande a rendu un hommage appuyé à ce désastre social lors de son discours à Leipzig pour les 150 ans du SPD : « Le progrès, c’est aussi de faire des réformes courageuses pour préserver l’emploi et anticiper les mutations sociales et culturelles comme l’a montré Gerhard Schröder. On ne construit rien de solide en ignorant le réel », a-t-il déclaré. Par ces mots, François Hollande a acté l’alignement du PS français sur ce qu’est devenu le SPD allemand. Il a ainsi fait sauter le dernier verrou qui subsistait en Europe face à la mutation « démocrate » de la social-démocratie. Hollande est acquis de longue date à cette orientation. Dans un texte de 1984 intitulé « Pour être modernes soyons démocrates  », il appelait déjà à « proposer un consensus stratégique entre nous [le PS] et les courants démocratiques du pays », « au-delà du clivage gauche-droite  ». Dans cette trajectoire « démocrate  », la campagne présidentielle n’a ainsi été pour Hollande qu’une parenthèse. Le dynamisme du Front de gauche l’a obligé à quelques embardées rhétoriques contre la finance ou les hauts revenus. Désormais, président de la République, il profite à plein de la monarchie présidentielle de la Ve République pour imposer totalement cette ligne idéologique à sa majorité et à son propre parti. Traité européen Merkozy, politique de l’offre, pacte de compétitivité, accord « Made in Medef » sur l’emploi, austérité budgétaire, privatisations etc. En un an, le ralliement de Hollande à la ligne « démocrate  » est total et spectaculaire. Avec Hollande président, le PS rompt explicitement avec son appartenance au mouvement ouvrier en refusant de voter la loi d’amnistie sociale. Cette destruction de l’État social que les « socialistes » avaient largement contribué à bâtir va se poursuivre avec une nouvelle régression des droits à la retraite. Quelle est alors l’identité politique d’un tel parti ? Je le nomme « solférinien  » pour décrire le parti dont le lien avec l’histoire socialiste se réduit à l’adresse de son siège historique, situé 10 rue de Solférino à Paris.

    Dans tous les pays qui ont connu cette mutation « démocrate », la destruction idéologique et culturelle de la gauche a ensuite entraîné sa disparition politique et électorale. Cela s’est vérifié et se vérifie encore en Allemagne. Entre la victoire de Schröder en 1998 et les dernières élections de 2009, le SPD est passé de 41 à 23 % des voix. Et les sondages pour les élections de septembre prochain n’indiquent aucune remontée après huit ans d’Angela Merkel.

    L’Italie est un autre exemple de cette faillite idéologique et électorale. Là-bas, l’ancien Parti communiste, devenu Parti des démocrates de gauche, se saborde en 2007, fusionnant avec une partie de la démocratie-chrétienne pour fonder le Parti démocrate. Le nouveau nom du parti efface toute référence à la gauche et affirme clairement l’objectif politique : l’alignement sur les démocrates américains. Après six ans d’existence, le bilan est terrible. En 2008, le nouveau Parti démocrate est battu laissant le champ libre à Silvio Berlusconi. En 2011, le Parti démocrate apporte son soutien au gouvernement non élu de Mario Monti et à sa politique d’austérité. En 2013, le Parti démocrate recule encore, ne devance la droite que d’un souffle et finit par former un gouvernement avec elle, comme le SPD avec la CDU en 2005. La boucle est bouclée.

    Les fronts du peuple

    Partout, cette orientation idéologique des principaux partis sociaux- démocrates conduit au naufrage. Partout, le rétrécissement de leur base sociale les pousse à rechercher des solutions artificielles d’union nationale pour faire avaler de force les politiques d’austérité. Face à cet effondrement historique de la « gauche » social-démocrate, une autre gauche a commencé à prendre la relève. En portant le drapeau de la résistance du peuple contre l’oligarchie, système qui lie les libéraux et sociaux-libéraux à la finance pour appliquer « la seule politique possible ». Sous le nom de révolution citoyenne, cette nouvelle prise de pouvoir du peuple a commencé en Amérique latine et se prolonge au Maghreb. Elle travaille désormais l’Europe en commençant par le Sud et ses marées citoyennes. Des fronts de partis y jouent un rôle de déclencheur social et culturel. Ils font naître alors des « fronts du peuple », mêlant dans un mouvement politico- social toutes les formes de la lutte contre la déchéance sociale et la catastrophe écologique. Des luttes aux urnes, ils se proposent de mettre la souveraineté populaire en état de changer radicalement le rapport de force économique et social. C’est pourquoi surgit partout comme une caractéristique commune, révélant la profondeur du processus populaire et la hauteur de son horizon, la revendication d’assemblée constituante. Ce point signale alors une volonté de souveraineté populaire qui est à proprement parler révolutionnaire si l’on veut se souvenir du caractère nécessairement autoritaire du nouvel âge du capitalisme. Mais pour entraîner durablement la société et changer profondément les valeurs aux postes de commande des institutions, cette énergie populaire a besoin de se repérer sur un horizon global. Il a besoin de construire un nouveau modèle de société. C’est le but de l’éco-socialisme, qui lie question sociale et impératif écologique au nom du progrès humain universel. Mais il ne le propose pas comme une utopie sur laquelle le réel devrait se régler. Il l’avance comme une réponse concrète aux exigences de l’intérêt général humain. Telle est la révolution nécessaire pour notre temps face à laquelle la mutation « progressiste  » ou démocrate de l’ancienne social-démocratie échoue comme un encombrement hostile.

     http://www.regards.fr/web/Internationale-socialiste-la,6874


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  • La marche des chômeurs et des précaires est arrivée à Paris

     

    logo_marche-petit-300x295.jpgPartis le 10 juin de toute la France, les 150 marcheuses et marcheurs sont arrivés samedi à Paris à la mi-journée... voici quelques photos prises par les copains venus soutenir l’arrivée de la marche des chômeurs et précaires, ce 6 juillet, place Stalingrad, à Paris.

     

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    Ci-dessous : Pascal Durand et Martine Billard

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    Ci-dessous :  Jean Dessessard, sénateur eelv de Paris

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     http://blogs.mediapart.fr/blog/ivan-villa/060713/la-marche-des-chomeurs-et-des-precaires-est-arrivee-paris


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  •  Pour le Parti communiste égyptien, la révolution continue après la chute de Morsi

    revolution-egypte.jpgLe triomphe de la révolution du grand peuple égyptien

     

    Communiqué du Parti communiste égyptien

     

    Traduction JC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

     

    Notre parti salue les masses du peuple égyptien, héroïque dans sa grande victoire sur les forces de la tyrannie, arriérées et communautaristes.

     

    Notre peuple a tourné, aujourd'hui, une page sombre de son histoire, rouvrant la voie vers la réalisation des objectifs de sa grande révolution : démocratie réelle, dignité humaine, justice sociale et une société civile moderne, ouverte et populaire. Nous avons déposé un président qui n'a pas tenu ses promesses, bradé les intérêts de la patrie et de notre peuple. Le peuple a donc repris sa lutte et sa révolution, commencée le 15 janvier 2011, pour qu'elle prenne une forme plus en adéquation avec ses aspirations, espoirs et sa nature de grand peuple civilisé.

     

    Cette victoire n'aurait pas été possible sans une résolution de fer, une persévérance et le rassemblement inédit de dizaines de millions de personnes pendant plusieurs jours consécutifs, construit par les masses de ce peuple insoumis.

     

    Nos vaillantes forces armées ont réaffirmé leur dévouement profond, leur loyauté absolue à notre peuple et son droit à vivre une vie dans la dignité et la liberté, elles ont donc répondu à sa demande, sont entrées dans la lutte révolutionnaire, et se sont placées comme un bouclier protecteur, une force pour réaliser ses exigences et objectifs.

     

    Les efforts magnifiques de la jeunesse égyptienne ont relancé la révolution– par leur imagination débordante, leur conscience aiguë et leur maturité d'analyse – ont redonné un élan à la révolution, récupérée par les forces obscurantistes. La pétition « Rebellion » a inspiré les masses, et a redonné un élan à leur action, une nouvelle vigueur énorme au mouvement.

     

    A été annoncée une nouvelle feuille de route sur laquelle toutes les forces politiques, la jeunesse révolutionnaires, les forces armées, les responsables des principales institutions religieuses en Egypte, le cheikh Al-Azhar et le pape de l'Eglise St-Marc, reflétant un consensus national, et non des idées étrangères à la nature, aux traditions et à l'identité de notre grande nation.

     

    La future feuille de route a ouvert grand la porte d'un changement de cap dans la révolution, vers la rédaction d'une constitution démocratique répondant aux aspirations de notre peuple, et à la formation d'un gouvernement national technique pendant la phase de transition.

     

    Notre parti lance un appel pour que la priorité absolue soit donnée à la réalisation des revendications des classes laborieuses, à leur droit à vivre dans la dignité et la sécurité.

     

    Notre parti demande également que Morsi soit porté devant la justice, lui et les piliers de sa clique et de leurs alliés terroristes, impliqués dans la politique de terreur exercée contre le peuple égyptien.

     

    Le Parti communiste appelle les masses égyptiennes à rester dans la rueet à continuer à rester vigilants afin de s'assurer de la victoire complète de la révolution et de mettre en échec les complots de nos ennemis.


    Vive la lutte du peuple égyptien !

    Vive la glorieuse révolution égyptienne !


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  • Histoire du projet de traité euro-atlantique...

    L’objectif ultime des libéraux de droite et de gauche : une Europe euro-américaine.

    mercredi 3 juillet 2013

    « L’Europe est (…) vouée à un destin analogue à celui du Canada, c’est-à-dire à être progressivement dépossédée de toute indépendance économique et culturelle à l’égard de la puissance dominante. En fait l’Europe vraiment européenne fonctionne comme un leurre dissimulant l’Europe euro-américaine qui se profile et qu’elle facilite en obtenant l’adhésion de ceux qui en attendent l’inverse exact de ce qu’elle fait et de ce qu’elle est en train de devenir. » Pierre Bourdieu, Vienne, 10 novembre 2000 et Contre-feux 2, Raisons d’Agir, 2001, p.68.

    Dans ce livre qu’avait voulu Pierre Bourdieu, « Europe la trahison des élites », (2004), je décrivais (p. 72 et suivantes) le processus préparé par la Commission européenne qui confirmait l’affirmation de Bourdieu : créer une zone transatlantique unique. Je fournissais en annexe le long « programme d’action » de la Commission qui décrivait les étapes à réaliser pour y parvenir. Ce document reçut l’aval des deux grands courants du Parlement européen, chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates, en ce compris les « socialistes » français. Mais jamais, les médias, dans leur écrasante majorité, n’en ont fait état.

    Le 7 mars 2006, consultant au Parlement européen auprès de la Gauche Unitaire Européenne, je signais une chronique intitulée « Le PET ou la disparition de l’Europe » (dont voici le lien : http://www.jennar.fr/?p=265 ). Le PET signifiait alors « Partenariat Economique Transatlantique ». Puis, c’est devenu le « grand marché transatlantique » (dont traite bien un petit livre de R. Cherenti et B. Poncelet publié en 2011 chez Bruno Leprince).

    A l’évidence, nous sommes confrontés à un projet patronal soutenu depuis plus de dix ans par les libéraux de gauche comme de droite. Après le temps des propositions et des programmations, voici venue l’heure de la mise en œuvre. Le Parlement européen vient de donner le feu vert à l’ouverture de négociations « en vue d’un accord de l’UE en matière de commerce et d’investissement avec les États-Unis ». Une phraséologie qui dissimule mal qu’il s’agit de créer une zone de libre échange très avancée, disons-le tout net, un marché commun, entre l’Union européenne et les USA.

    Même si elle n’a valeur que d’avis, il faut lire la Résolution présentée par le « socialiste » portugais Vital Moreira et adoptée le 23 mai par une majorité de parlementaires censés représenter et défendre les intérêts des peuples d’Europe : http://www.europarl.europa.eu/sides...

    C’est un texte absolument consternant. Prenons quelques-uns des motifs par lesquels le Parlement justifie la création d’un tel accord.

    D’abord, la tarte à la crème qui a toujours justifié l’alignement et la soumission des pays européens sur l’empire (avec quelques exceptions tellement rares qu’elles confirment largement la pratique courante) :

    « considérant que l’Union et les États-Unis partagent des valeurs communes et ont des systèmes juridiques comparables ainsi que des normes d’une rigueur analogue, même si elles sont différentes, en matière d’emploi, de protection des consommateurs et de protection de l’environnement »

    Où sont ces fameuses « valeurs communes » dont nous rabâchent les partisans d’une société du chacun pour soi dont les USA offrent le modèle exacerbé et dont la Commission européenne, depuis Delors, se fait le protagoniste ? Sur l’essentiel, nous différons totalement dans le rapport de la puissance publique avec le religieux. Même si force est d’observer un retour inquiétant de l’obscurantisme dans certains de nos pays, le puissant mouvement de sécularisation des peuples européens demeure une caractéristique dominante qui tranche radicalement avec le déisme ambiant qui sature la vie américaine. Dans les pays d’Europe ancrés depuis longtemps dans les pratiques démocratiques, l’intérêt général n’est plus dicté par les Églises.

    Dans ces mêmes pays s’est forgé, au cours de décennies de luttes, un modèle social original qui demeure une caractéristique majeure, même s’il subit depuis une trentaine d’années un processus de démantèlement voulu par les partisans de l’intégration dans le modèle américain.

    Nos systèmes juridiques sont profondément différents. En effet, mis à part l’usage de la common law uniquement dans deux pays, la Grande-Bretagne et l’Irlande – qui seraient ainsi soudainement devenus le modèle général pour toute l’Europe – tous les autres États pratiquent ce qu’on appelle parfois le droit romano-germanique et qu’il est plus correct d’appeler le droit continental puisqu’il est également pratiqué à l’est et à l’extrême-est de l’Europe, jusqu’au Japon. Que des parlementaires aient pu adopter une phrase invoquant des « systèmes juridiques comparables » donne la mesure soit de leur soumission, soit de leur ignorance. [1]

    Il y a un fossé entre la conception américaine des relations entre les entreprises privées et les partis politiques et ce qui se pratique dans la plupart des pays d’Europe. Le 23 janvier 2010, la Cour Suprême des États-Unis déclarait illégales les limitations imposées aux entreprises dans le financement des campagnes électorales. Désormais, les entreprises pourront, sans la moindre limite, choisir, organiser, financer et faire élire leurs candidats. Alors que dans sa Résolution, le Parlement européen « s’engage à jouer un rôle proactif pour collaborer avec ses homologues américains lors de l’adoption de nouvelles réglementations ». Des homologues transformés en représentants du patronat américain.

    De même, les normes en matière d’emploi, de protection des consommateurs et de protection de l’environnement ne sont en rien comparables puisque dans ces matières, aux États-Unis, c’est le primat de l’individu qui s’impose. L’État ne prend pas en charge l’intérêt général et laisse aux individus la liberté de se défendre face aux abus en tous genres et de recourir aux tribunaux. Comme l’observe Jean-Luc Mélenchon sur son blog :

    « Les États-Unis sont aujourd’hui en dehors des principaux cadres du droit international en matière écologique, sociale et culturelle. Ils ne souscrivent pas à plusieurs conventions importantes de l’OIT sur le droit du travail. Ils n’appliquent pas le protocole de Kyoto contre le réchauffement climatique. Ils refusent la convention pour la biodiversité. Ainsi que les conventions de l’Unesco sur la diversité culturelle. Autant d’engagements qui sont souscrits par les pays européens. Les standards réglementaires états-uniens sont donc dans la plupart des cas moins contraignants que ceux de l’Europe. Un marché commun libéralisé avec les États-Unis tirerait donc toute l’Europe vers le bas. »

    Nous sommes en fait devant deux conceptions radicalement différentes de la vie en commun.

    Une autre motivation laisse clairement apparaître le véritable objectif d’un tel accord :

    « considérant que l’Union est convaincue que le développement et le renforcement du système multilatéral sont un objectif essentiel ; considérant néanmoins que cela n’exclut pas la conclusion d’accords bilatéraux allant plus loin que les engagements de l’OMC et complétant les règles multilatérales étant donné que les accords régionaux comme les accords de libre échange permettent une plus grande harmonisation des normes et une libéralisation plus poussée qui favorisent le système commercial multilatéral »

    Telle est bien la volonté : aller au-delà des accords en vigueur à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Le fameux « cycle de Doha » lancé en 2001 et dont l’objectif était d’imposer au monde encore plus de libéralisation, encore plus de privatisations, encore plus de dérégulation est bloqué. Bloqué par les pays les plus pauvres et les pays émergents confrontés à l’intransigeance de l’UE et des USA, intransigeance exprimée avec zèle par le « socialiste » Pascal Lamy [2]. Puisque l’OMC n’est plus le cadre approprié pour de nouvelles avancées ultra-libérales, les accords de libre échange offrent la meilleure alternative pour les attentes patronales. C’est ainsi que l’UE tente d’imposer sa loi à l’Inde, aux pays d’Asie du Sud-Est, d’Amérique latine, d’Afrique. Et les USA font de même de leur côté.

    On retrouve, dans la Résolution du Parlement européen, qui a toujours soutenu les négociations à l’OMC, tous les thèmes habituels de ces négociations, c’est-à-dire tous les sujets sur lesquels le patronat des deux rives de l’Atlantique insiste depuis des années dans des cénacles comme la Commission Trilatérale, le Groupe de Bilderberg, le TransAtlantic Business Dialog, le Forum de Davos… : les droits de propriété intellectuelle (et donc le brevetage du vivant, la bio-piraterie, les OGM…), la liberté d’investir où on veut, comme on veut, ce qu’on veut, sans avoir à tenir compte des législations locales, la mise en concurrence de toutes les activités de services (y compris l’enseignement, la santé…), l’ouverture des marchés, le démantèlement des « barrières réglementaires », la libre circulation des capitaux, le commerce agricole, le caractère contraignant des termes de l’accord :

    la Résolution « souligne que ce partenariat doit être ambitieux et contraignant pour tous les niveaux d’administration des deux côtés de l’Atlantique, y compris les autorités de régulation et les autres autorités compétentes ».

    Quand on lit qu’il s’agit d’« harmoniser les normes » dans le cadre d’un accord de libre-échange entre les USA et l’UE, cela signifie très clairement un alignement pur et simple sur les normes américaines. Qui pourrait un seul instant penser qu’il en ira autrement ?

    Sans doute quelques naïfs. Mais surtout les cyniques praticiens de l’enfumage qui brandissent tout à la fois les promesses en termes de croissance et d’emploi et les « garanties » inscrites dans le texte de la Résolution du Parlement européen pour faire accepter l’essentiel : l’ouverture des négociations. Nous savons que le gouvernement « socialiste » excelle en matière d’enfumage (voir l’excellent livre de Laurent Mauduit, L’étrange capitulation).

    L’histoire des négociations commerciales internationales (OMC, zones de libre-échange) nous apprend en effet que les praticiens de l’enfumage recourent à deux procédés : présenter les avantages mirobolants d’un tel accord de libre-échange et introduire des « garanties » dans le mandat de négociation. Des avantages toujours démentis par les faits et des garanties qui ne durent que le temps de l’obtention du mandat de négociation.

    Côté avantages, la Résolution affirme sans rire qu’

    « un partenariat transatlantique ambitieux et de grande ampleur en matière de commerce et d’investissement pourrait, une fois complètement mis sur pied, apporter des profits substantiels à l’Union (119,2 milliards d’euros par an) et aux États-Unis (94,9 milliards d’euros par an) ; considérant que les exportations de l’Union vers les États-Unis pourraient donc augmenter de 28 % et le total des exportations de l’Union de 6 %, hausses qui profiteraient, au niveau de l’Union, tant aux exportateurs de biens et de services qu’aux consommateurs. »

    Des chiffres qui se fondent sur des postulats contestables s’agissant du nombre et de la valeur des barrières non tarifaires (les réglementations) qui seraient démantelées et de l’ampleur des effets produits par la suppression des droits de douane. Des chiffres qui viennent d’un centre d’études britannique entièrement consacré à la défense des thèses les plus libérales. Des chiffres qui, bien entendu, ne prennent pas en compte le coût humain et social des destructions d’emplois, des « réformes structurelles », de la paupérisation, de la dégradation de la qualité alimentaire et sanitaire de l’alignement sur le modèle américain.

    Côté « garanties », Mme Nicole Bricq, ministre PS du commerce, a des accents pathétiques pour se réjouir de l’inscription de telles « garanties » (http://proxy-pubminefi.diffusion.fi...). Et c’est vrai qu’on trouve des paragraphes – qui d’ailleurs sont en totale contradiction avec les motivations énoncées en début de Résolution – où on nous parle d’exception culturelle, de protection de l’audiovisuel, de protection des données à caractère personnel (qu’on fournit déjà aux USA), des pratiques européennes en matière d’OGM (alors que la Commission européenne n’a de cesse de les autoriser).

    Ces « garanties » ne servent qu’à amadouer les plus réticents de la sainte alliance sociaux-démocrates/chrétiens démocrates qui fait la pluie et le beau temps au Parlement européen. Et bien de prétendus socialistes sont tout disposés à se laisser convaincre. Enfin, ces « garanties » servent aussi aux médias toxiques (Le Figaro, Libé, Le Monde, la presse économique, les directeurs de pensée qui sévissent en radio et en télévision) toujours prompts à justifier l’inacceptable pourvu qu’il réponde aux attentes patronales.

    Nul ne s’étonnera que ces prétendues « garanties » inscrites dans la Résolution ne rassurent personne en dehors de ceux qui ne demandent qu’à l’être. Le passé des négociations commerciales internationales rappelle que de telles « garanties » sont vite oubliées par le négociateur unique qu’est la Commission européenne. Car, pendant les négociations, ceux qui sont à la manœuvre, ce sont les représentants des multinationales qui ont leurs grandes et petites entrées à la Commission. Pas les parlementaires. Ceux-ci, les négociations terminées, seront priés d’accepter le résultat final au motif qu’il s’agira d’un compromis. C’est ce qu’a bien compris, par exemple, la Confédération paysanne qui, dans un communiqué du 24 mai, prend les devants et souligne que

    « la pression des multinationales américaines derrière ce « partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement » n’est plus à démontrer. (…) La boite de Pandore risque de s’ouvrir. Depuis 20 ans, la Confédération paysanne, avec la Via Campesina Europe et international et de multiples partenaires de la société civile, a rejeté les cultures d’OGM, la confiscation des semences, l’importation des viandes bovines hormonées le poulet désinfecté au chlore et les carcasses de viande bovine trempées dans l’acide lactique pour dissimuler la médiocrité sanitaire des abattoirs américains. Le rejet de l’hormone laitière de Monsanto et le refus de produits animaux issus du clonage sont aussi à notre actif et ne doivent sous aucun prétexte être renégociés. Aucune justification ne peut être admise pour céder sur l’alimentation des Européens et le travail des paysans du continent. »

    Ne pas prendre au sérieux ces « garanties » est d’autant plus indispensable quand on sait que les États-Unis exigent qu’aucun sujet ne soit exclu des négociations comme le rappelle Élisabeth Delcamp dans son article sur Mediapart.

    Après le feu vert du Parlement européen, c’est l’organe de décision de l’UE, le Conseil des ministres – c’est-à-dire les 27 gouvernements – qui doit décider du mandat de négociation préparé par la Commission européenne. Ce mandat est important puisqu’il fixe les objectifs et les limites de la négociation pour la partie européenne C’est le Conseil qui ensuite autorise l’ouverture des négociations. Celles-ci seront conduites par celui qui a proposé le mandat de négociation, le Commissaire au commerce international, le très libéral Karel De Gucht. Il sera l’unique négociateur au nom des 27 États membres. En effet, en vertu de l’article 207 du Traité sur le fonctionnement de l’UE,

    « Ces négociations sont conduites par la Commission, en consultation avec un comité spécial désigné par le Conseil pour l’assister dans cette tâche, et dans le cadre des directives que le Conseil peut lui adresser. »

    Le Comité spécial dont il s’agit, autrefois baptisé comité 133 et aujourd’hui comité 207, est un des plus bel exemple de l’opacité qui sévit dans les institutions européennes. Ses travaux sont particulièrement discrets. On a pu relever que ce comité recevait, dans des réunions dites « informelles », pour débattre des négociations à venir ou en cours, les représentants de certains lobbies du monde des affaires. Jamais les organisations syndicales ; jamais les ONG actives dans les domaines des droits humains, du développement ou de l’écologie.

    La décision du Conseil des Ministres est attendue pour le 14 juin. On a compris, après les propos de Mme Bricq satisfaite des « garanties » obtenues et convaincue que cet accord de libre échange est « une chance pour la France » [3], que le gouvernement français donnera son feu vert. On aura ainsi, une fois de plus, la confirmation que le « socialisme » de Hollande, c’est celui de Pascal Lamy.

    Les négociations commenceront dès juillet.

    Raoul Marc JENNAR

    29 mai 2013



    [1] Le système anglo-saxon appelé « common law » s’appuie sur la jurisprudence issue des décisions des tribunaux ; le système continental s’appuie sur la loi décidée par les représentants du peuple.

    [2] Membre du comité directeur du PS de 1985 à 1994, Commissaire européen au commerce international de 1999 à 2004, directeur général de l’OMC de 2005 à 2013. Connu pour son adhésion aux thèses néo-libérales.

    [3] Voir l’article de ce ministre « socialiste »publié dans l’organe du patronat Les Echos du 19 mars 2013 :http://www.lesechos.fr/opinions/poi...

    http://lepcf.fr/L-objectif-ultime-des-liberaux-de


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  • vendredi 5 juillet 2013
    Qui est Edward Snowden ? - Discours de Glenn Greenwald, le journaliste qui a divulgué l’affaire Snowden/NSA au monde. (Niqnaq)

    Glenn GREENWALD

    A la Conférence Annuelle du Socialisme à Chicago la nuit dernière, Glenn Greenwald prononça un discours dans lequel il a relaté comment il avait été contacté et rencontré Edward Snowden la première fois. Il a parlé de sa surprise de le voir si jeune et comment sa détermination et sa conviction pour divulguer les fonctionnements internes de la NSA lui avaient inspiré le courage de publier les documents qui lui seraient transmis lors des trois ou quatre mois qui suivirent.

    Greenwald décrit comment les révélations sur la NSA ont non seulement exposé les Etats-Unis en tant qu’état sous surveillance mais aborde aussi la corruption et le pourrissement moral de l’establishment du journalisme dans ce pays. Il a également laissé à l’auditoire le message qu’il ne fallait pas craindre le “climat de peur” que le gouvernement américain souhaite imposer à ceux qui osent défier son pouvoir. Ce qui suit est la transcription de son discours après une introduction et un préliminaire au cours duquel il rendit hommage à Jeremy Scahill qui venait de le présenter à l’auditoire. Puis, après quelques réflexions, il décida de s’assoir sur une chaise pour le discours qui suit.

    Qui est Edward Snowden ?

    … J’ai été contacté par Edward Snowden il y a de ça plusieurs mois. Il m’a contacté par mails. Il ne disait pas son nom. Il ne disait pas grand chose. Il disait simplement qu’il avait des documents qu’il pensait pourraient m‘intéresser ce qui devait devenir par la suite le plus grand euphémisme de la décennie. Mais il ne me disait pas grand chose le concernant et plusieurs mois ont passé parce que nous parlions d’un système de code et d’autres choses et ce n’est que lorsqu’il est arrivé à Hong Kong avec les documents qu’on a commencé à avoir des discussions substantielles à propos de lui, de ce qu’il faisait et quel genre de documents il avait. Et j’ai passé de nombreuses heures à discuter en ligne avec lui à Hong Kong mais j’ignorais, son nom. Je ne connaissais rien de son parcours, son âge, ni même où il travaillait. Et il essayait de me faire venir à Hong Kong pour lui parler et avant que je fasse ça, faire la moitié du tour du monde en avion, je voulais des garanties que ça en valait vraiment la peine, qu’il y avait une substance derrière ce qu’il disait. Donc il m’a envoyé un hors d’oeuvre, comme lorsque vous avez un chien, vous lui présentez un biscuit sous le nez pour le faire aller là où vous voulez qu’il aille. C’est ce qu’il a fait pour m’amener à Hong Kong. Ces documents, même si ce n’était qu’un petit échantillon, étaient les choses les plus extraordinaires que j’avais jamais vues. Je me souviens qu’après avoir lu les deux premières pages, j’étais littéralement étourdi, étourdi par une sorte d’extase et d’euphorie par rapport à ce qu’il avait en sa possession. Et comme la plupart d’entre nous lorsque nous communiquons exclusivement en ligne avec quelqu’un, j’ai commencé à former une sorte d’impression mentale de qui il était. J’étais plutôt certain qu’il était plus âgé, voire même la soixantaine. Qu’il était comme un cadre bureaucrate à l’intérieur d’une des agences d’état de la sécurité nationale, plutôt grisonnant et approchant la fin de sa carrière. Et la raison pour laquelle je pensais cela c’est qu’il avait à l’évidence un accès assez haut placé à des documents top secrets. Il avait aussi une vision incroyablement pénétrante et mûrement réfléchie sur la nature de l’appareil de sécurité nationale ainsi que sur sa propre relation avec cet appareil si bien que je me suis dit que ça voulait dire qu’il avait dû réfléchir à tout cela et interagir avec ces éléments sur une période de nombreuses années. Mais la vraie raison pour laquelle je pensais qu’il avait cet âge, approchant de la retraite, peut-être même approchant la fin de sa vie, c’est qu’il soulignait, et ce dès nos premiers contacts, le fait qu’il savait pertinemment que ce qu’il faisait allait pour l’essentiel bouleverser sa vie et probablement la détruire. Qu’il y avait de grandes chances, voire même inévitables, qu’il atterrisse probablement en prison, si ce n’est pire. Ou du moins, qu’il devrait fuir pour le reste de sa vie l’état le plus puissant du monde. Je n’y ai pas pensé consciemment, mais je pense que j’ai tacitement assumé que quiconque envisageait de faire un sacrifice de sa vie de cette ampleur était probablement quelqu’un qui avait pas mal souffert et était proche de la fin pour accumuler autant de bravoure.

    Quand je suis arrivé à Hong Kong et que je l’ai rencontré pour la première fois, je me suis trouvé désorienté et dans une confusion complète comme jamais je ne l’avais été dans ma vie. Non seulement il n’avait pas soixante-cinq ans, il avait vingt-neuf ans mais il avait l’air beaucoup plus jeune. Et donc, lorsque nous sommes allés dans sa chambre d’hôtel pour commencer à lui poser des questions (Laura Poitras, la caméraman, et moi-même) ce que je voulais comprendre par dessus tout était ce qui l’avait poussé à faire ce choix extraordinaire, d’une part parce que je ne voulais pas faire partie d’un évènement qui allait détruire la vie de quelqu’un si cette personne n’était pas complètement lucide et rationnelle vis à vis de la décision qu’elle était en train de prendre, mais aussi parce que je voulais vraiment comprendre, juste par curiosité personnelle, ce qui poussait quelqu’un qui a toute la vie devant lui, qui vivait en couple depuis un certain temps dans un cadre des plus désirables à Hawaï, dans un emploi stable relativement bien payé, à tout jeter ainsi pour devenir instantanément un fugitif et un individu qui allait probablement passer le reste de sa vie dans une cage. Plus je lui parlais, plus je comprenais et plus j’étais,dépassé et plus cela devenait une expérience formatrice pour moi et pour le reste de ma vie parce que ce qu’il me disait encore et toujours, de plusieurs façons, et toujours avec une attitude si pure et passionnée que je n’ai jamais douté un seul instant de son authenticité, est qu’il y avait dans la vie des choses plus importantes que le confort matériel, que la stabilité d’un emploi, ou bien que juste essayer de prolonger sa vie le plus longtemps possible. Ce qu’il n’a eu de cesse de me dire, c’est qu’il ne jugeait pas sa vie à l’aune de ce qu’il pensait de lui mais par les actions qu’il prenait à la poursuite de ces convictions. Lorsque je lui ai demandé comment il en était arrivé au point de vouloir prendre le risque qu’il savait qu’il prenait, il m’a répondu qu’il cherchait depuis longtemps un chef de file, quelqu’un qui arriverait et réglerait ces problèmes. Et puis un jour, il s’est aperrcu que ça ne servait à rien d’attendre, qu’être un chef de file, c’est s’engager soi-même d’abord et donner l’exemple aux autres. Ce qu’il disait au final, c’est qu’il ne voulait pas vivre dans un monde où le gouvernement US se permettait ces extraordinaires envahissements pour construire un système ayant pour objectif la destruction de toute vie privée individuelle, qu’il ne voulait pas vivre dans un tel monde, et qu’il ne pouvait, en bonne conscience, juste regarder et permettre que cela se passe ainsi, sachant qu’il avait le pouvoir d’aider à ce que cela s’arrête.

    La chose la plus frappante pour moi à ce sujet, je suis resté onze jours consécutifs avec lui, alors qu’il était toujours un inconnu parce que nous n’avions pas encore divulgué son identité, et je le regardais suivre les débats sur CNN, NBC ou MSNBC ou les autres chaines du monde ntier pour voir ce qu’il avait essayé de provoquer par les actions qu’il avait prises. Et je l’ai vu aussi une fois qu’on avait révélé qu’il était l’homme le plus recherché du monde, que les officiels de Washington l’appelaient un traître, voulaient sa tête. Ce qui était ahurissant et continue à l’être encore maintenant, c’est qu’il n’y avait en lui aucun un soupçon de remords, de regrets, ou de peur. C’était un individu complètent en paix avec le choix qu’il avait fait parce que ce choix qu’il avait fait était tellement incroyablement puissant, j’étais incroyablement inspiré d’être à côté de quelqu’un qui avait atteint un tel degré de tranquillité parce qu’il était tellement convaincu d’avoir fait ce qui était juste et son courage, sa passion m’infectèrent au point que j’ai juré que quoi que je fasse dans la vie avec cette histoire et au delà, j’allais dédier ma vie à faire justice à l’incroyable acte de sacrifice personnel qu’Edward Snowden a accompli. Et cette énergie, je le constatais alors, infecta tout le monde au Guardian, qui est une organisation médiatique assez grande, et je suis la dernière personne à faire l’éloge d’une organisation médiatique, même une pour laquelle je travaille, surtout une pour laquelle je travaille. Pourtant j’ai vu depuis quatre semaines, les rédacteurs du Guardian, les rédacteurs en chef qui ont dirigé le Guardian depuis des années, s’engager dans un journalisme intrépide et courageux en ignorant jour après jour le climat de terreur et les menaces dun gouvernement US et en disant nous allons continuer à publier toute information que nous pensons devoir publier pour le bien commun.

    Si vous parlez à Edward Snowden et vous lui demandez, comme je l’ai fait, ce qu’il l’a inspiré, il parle d’autres individus qui se sont engagés courageusement dans une situation similaire, comme Bradley Manning ou ce vendeur tunisien qui s’est immolé et a déclenché une des plus grandes révolutions démocratiques de ces quatre ou cinq derniers siècles. Ce dont j’ai commencé à me rendre compte à propos de tout cela, c’est deux choses. Premièrement, le courage est contagieux. Si vous faites un acte courageux en tant qu’individu, vous changerez littéralement le monde, parce que vous allez affecter les gens de votre entourage immédiat qui ensuite affecteront d’autres puis ceux-la encore d’autres. Vous ne devriez jamais douter de votre capacité à changer les choses. L’autre chose dont je me suis rendu compte, ce que vous êtes en tant qu’individu ou ce que représentent, en terme de pouvoir, les institutions que vous défiez, tout cela n’a aucune importance. M. Snowden n’a jamais eu son bac. Ses parents travaillent pour le gouvernement fédéral. Il a grandi dans un milieu modeste de la classe moyenne au sein d’une communauté militaire en Virginie Il a rejoint l’Armée US parce qu’il pensait que la guerre en Irak était noble. C’est quelqu’un qui a zéro privilège, zéro pouvoir, zéro position, zéro prestige, et pourtant, lui tout seul, a littéralement changé le monde… une des choses que j’ai réalisées assez tôt est que non seulement lui mais aussi toutes les personnes qui auraient à faire quelque chose dans la publication de ces articles, nous allions être attaqués et diabolisés de la manière que Jeremy a décrite. On voit toutes sortes d’attaques sur lui qui sont absurdes et contraires à la réalité. On entend des affirmations de la part de psychologues de salon du genre qu’il serait narcissique. Je ne suis même pas sûr qu’ils sachent ce que cela veut dire, mais c’est devenu le scénario qu’ils récitent tous. C’est quelqu’un qui aurait pu vendre ces documents à des services de renseignement pour des millions et passer le reste de sa vie secrètement enrichi au delà de ses rêves les plus fous et il n’a rien fait de tout cela. Au contraire, il s’est mis en avant et est devenu une cible pour le bien de nous tous. Ou alors ils essaient de remettre en question ses motivations et disent que c’est quelqu’un qui cherche la célébrité, ou une “pute pour la célébrité” qui est leur phrase préférée en ce moment. J’ai passé ces trois dernières semaines à me faire harceler par les plus ridicules stars des médias des US qui sont complètement désespérés pour obtenir un entretien avec Edward Snowden et le mettre dans leur émission quotidienne. Il aurait pu être une des personnes les plus célèbres dans le monde. Il est bien plus du genre reclus que “pute pour la célébrité”. Il a refusé toutes ces propositions d’entretien parce que sa vraie motivation pour faire ce qu’il a fait est exactement ce qu’il a dit, c’est, non pas se rendre célèbre, mais de rendre compte aux gens des Etats-unis et du monde de ce qui est en train de leur être fait en secret par le gouvernement US. La raison pour laquelle c’est toujours une habitude pour les gens comme Edward Snowden d’être diabolisées, la raison pour laquelle il est important de leur attribuer une maladie psychologique, comme ils l’ont fait avec Bradley Manning, comme ils essaient de faire avec tous les déclencheurs d’alerte, comme ils l’ont fait avec Daniel Ellsberg, c’est parce qu’ils savent précisément ce que j’ai dit, que le courage est contagieux. Et qu’il va être un exemple pour d’autres gens qui vont venir donner l’alerte sur le devant de la scène en ce qui concerne la tromperie, l’illégalité et la corruption des choses qu’ils font dans l’ombre. Ils ont besoin de faire un exemple négatif pour que cela ne se reproduise pas et c’est la raison pour laquelle les gens comme Edward Snowden sont diabolises et attaqués et c’est pourquoi c’est à chacun de nous qu’il revient de le défendre pour le maintenir comme le noble exemple qu’il est et pour qu’il ait une juste reconnaissance. Voilà les choses sur lesquelles j’ai personnellement ouvert les yeux dans cette affaire et je suis sûr que je n’ai pas encore réfléchi à toutes les implications et je continuerai à le faire dans le temps. Mais j’ai une certitude c’est que cette expérience sera une expérience formatrice pour moi et pour des millions de gens dans le monde entier et par bien des manières.

    Traduction : Pierre MILLE

    Article paru le 28 juin 2013, http://niqnaq.wordpress.com/2013/06/30/i-shall-be-interested-to-see-wh...

    http://avicennesy.wordpress.com/2013/07/02/discours-de-glenn-greenwald...
    http://avicennesy.wordpress.com/2013/07/02/discours-de-glenn-greenwald-le-journaliste-qui-a-divulgue-laffaire-snowdennsa-au-monde-i-qui-est-edward-snowden/
    http://www.legrandsoir.info/qui-est-edward-snowden-discours-de-glenn-greenwald-le-journaliste-qui-a-divulgue-l-affaire-snowden-nsa-au-monde-niqnaq.html

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    BASTA !

    http://www.bastamag.net/article3181.html

    Justice

    Médias censurés sur l’affaire Bettencourt

    Par Agnès Rousseaux (5 juillet 2013)

    Mediapart et Le Point viennent d’être condamnés par la Cour d’appel de Versailles. Ils doivent retirer de leurs sites, sous huit jours, « toute publication de tout ou partie de la retranscription des enregistrements illicites réalisés au domicile de Liliane Bettencourt ». Sous peine de devoir payer 10 000 euros par jour de retard, et par infraction constatée. Cette diffusion, estime la Cour d’appel dans son arrêt du 4 juillet 2013, est une atteinte à la vie privée de la milliardaire.

    Une décision qui concerne « un millier d’articles, près de deux mille billets de blogs, des dizaines de milliers de commentaires », rappelle François Bonnet, directeur éditorial de Mediapart. Car chaque phrase ou brève citation de ces enregistrements sont désormais interdites. « Faudra-t-il aller relire un par un les presque 2 millions de commentaires postés sur Mediapart ? », s’interroge le journaliste, qui fait le calcul : avec l’ensemble des articles et billets de blogs actuellement en ligne sur l’affaire Bettencourt, Mediapart serait condamné à verser 752 millions d’euros par mois !

    Une telle décision constitue une « atteinte insupportable au droit de l’information, une lecture ahurissante de la convention européenne des droits de l’homme, un coup de gomme stalinien effaçant l’un des événements les plus importants du quinquennat Sarkozy », estime François Bonnet. Il s’agit d’effacer « ce qui est devenu une page d’histoire de ce pays : comment la femme la plus riche de France, à la tête d’un des plus grands groupes mondiaux, fraudait le fisc, dissimulait ses avoirs, négociait avec le pouvoir politique, celui-ci faisant pression sur la justice ». La Cour d’appel a tranché : les médias sont sommés de ne pas en parler. Et les lecteurs de ne pas en débattre.

    La décision de la Cour d’appel ne sera effective qu’après demande d’exécution de l’arrêt par le plaignant. Raison pour laquelle Mediapart demande à Madame Bettencourt et son tuteur de ne pas procéder à cette exécution. Le site prévoit aussi un pourvoi en cassation (mais celui-ci ne suspend pas la décision, qui devra être mise en œuvre en attendant le résultat du pourvoi).

    « Sale temps pour les lanceurs d’alerte », titre Mediapart, qui rappelle que les révélations sur la fraude fiscale de Liliane Bettencourt ont notamment permis aux pouvoirs publics d’opérer un redressement fiscal qui dépasse les 100 millions d’euros. Les enregistrements de l’Affaire Bettencourt sont d’ores et déjà disponibles sur d’autres sites, et plusieurs médias ont annoncé qu’ils publieraient les enregistrements si Mediapart est contraint de les retirer de son site.


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    Le discrédit de la parole du président François Hollande
    QUAND LES RODOMONTADES DÉBOUCHENT SUR DES CAPITULATIONS /
    jeudi, 4 juillet 2013 / Bernard Cassen /

    Secrétaire général de Mémoire des luttes, président d’honneur d’Attac

    Certains dirigeants politiques sont capables de faire un « sans faute », du moins pour un temps. François Hollande, lui, vient de faire la démonstration inverse, celle du « tout-faux » : en alternant rodomontades et génuflexions débouchant sur des capitulations, il vient de perdre sur tous les tableaux en Europe et en Amérique latine.

    Après que le président de la République ait crié sur tous les toits qu’il jugeait « inacceptable » l’espionnage des institutions de l’Union européenne (UE) et de ses propres services par la National Security Agency (NSA), son gouvernement a piteusement obtempéré aux ordres de Washington en refusant à l’avion du président bolivien Evo Morales de pénétrer l’espace aérien français dans son vol de retour vers La Paz. Simultanément, les gouvernements espagnol et italien prenaient la même décision, visiblement sous injonction parallèle des Etats-Unis. Le prétexte : le lanceur d’alerte Edward Snowden, aurait pu se trouver à bord.

    Les explications emberlificotées de François Hollande qualifiant de simple « contretemps » le blocage pendant treize heures à Vienne de l’avion présidentiel bolivien, au mépris des conventions internationales, pas plus que les « regrets » exprimés par Laurent Fabius, n’ont pu empêcher un fiasco diplomatique. Pour tenter de réparer les dégâts, la dernière version officielle en date de l’incident fait porter le chapeau non pas aux autorités politiques françaises, mais aux fonctionnaires chargés des procédures de survol du territoire : ils auraient cru avoir affaire à deux avions boliviens et non pas à un seul… Il faudrait alors imaginer que les fonctionnaires espagnols et italiens auraient été victimes du même malentendu au même moment ! La ficelle est énorme. Attendons une prochaine version, un peu plus crédible... Peut-être la NSA, qui écoute tout ce beau monde, pourrait-elle rendre publics ses enregistrements ?

    Plus encore que les deux autres comparses de Washington dans cette affaire – l’Espagne et l’Italie - la France, dont beaucoup de Latino-américains croyaient qu’elle avait un président « socialiste », subit le contre-coup de son alignement atlantiste. On aura noté que son ambassade en Bolivie a été la cible privilégiée de manifestants indignés par le traitement subi par leur président. On apprend également que Caracas a reporté la tenue de la commission mixte franco-vénézuélienne qui devait se tenir ces prochains jours.

    Les gouvernements de l’Hémisphère, pourtant bien plus vulnérables aux pressions et représailles de Washington que ceux du Vieux Continent, constatent que la nouvelle « arrière-cour » des Etats-Unis n’est plus l’Amérique latine, mais l’Europe, et que c’est tout juste si cette dernière ne revendique pas sa servitude volontaire. La condamnation de Paris, Madrid et Rome par l’Union des nations sud-américaines (Unasur) et par l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba) montre que les affinités « latines » - facilitant parfois l’avancement des dossiers économiques et commerciaux - ne sauraient compenser l’atteinte à la dignité de la « Grande patrie » latino-américaine que représente l’affront fait à Evo Morales. L’épisode laissera des traces.

    Deuxième coup de menton de François Hollande, débouchant lui aussi sur une claque : celui relatif au début des négociations sur le Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement (TTIP) initialement prévu pour le 8 juillet (http://www.medelu.org/L-alibi-de-l-emploi-pour-un-grand). Le président français, relayé par Laurent Fabius, avait demandé qu’elles soient différées jusqu’à l’arrêt des agissements des services secrets américains dans les institutions et les gouvernements européens. Angela Merkel, suivie par la plupart des Vingt-sept - devenus Vingt-huit le 1er juillet après l’adhésion de la Croatie à l’UE - et évidemment par la Commission européenne - a sèchement dit « non ». L’affaire était alors close et la date du 8 juillet confirmée. Tout au plus François Hollande s’est-il vu concéder la tenue simultanée, mais sans échéances et encore moins d’obligation de résultats, de « groupes de travail » Etats-Unis/UE sur la protection des données privées et sur les activités de renseignement. Il va sans dire que ces discussions ne sauraient interférer avec les négociations du TTIP…

    Certains pourront se demander s’il n’est pas trop facile d’incriminer le seul François Hollande, alors qu’il n’est ni plus ni moins atlantiste que ses collègues du Conseil européen et que la Commission de Bruxelles. Ce serait oublier qu’il avait le pouvoir de résister à Barrack Obama dans la traque d’Edward Snowden. Jacques Chirac, dans des circonstances infiniment plus graves, avait refusé à George Bush d’embarquer la France dans la guerre en Irak. Le président français pouvait aussi tenir la dragée haute à Angela Merkel et aux commissaires européens pour le TTIP, la décision, dans ce dernier cas, devant être prise à l’unanimité des membres de l’UE.

    C’est le gouffre entre, d’un côté, les propos publics martiaux et les engagements électoraux et, de l’autre côté, les capitulations en catimini qui pose problème et discrédite la parole présidentielle…

    http://www.medelu.org/Le-discredit-de-la-parole-du


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  • Le peuple égyptien chasse le président (bis)

    En Égypte, un peu plus de deux ans après Moubarak, détesté par la population, c’est au tour du président Morsi d’être chassé du pouvoir suite à la révolte populaire massive. Le 25 janvier 2011, la révolution montrait que le peuple égyptien en avait fini avec la peur et la passivité. Depuis lors, il n’a cessé de montrer sa mobilisation et sa créativité dans ses revendications sociales et démocratiques. Une nouvelle fois, le président est renversé, même s’il existe bien des point d’interrogation quant au « coup de main » de l’armée.


    « L'opinion publique grandissante en Égypte était de plus en plus consciente que ce gouvernement et les Frères musulmans ne font que poursuivre les politiques du régime antérieur, de celui de Moubarak et de Sadate, avant lui, dit Samir Amin, éminent analyste politique égyptien. Non pas seulement sur le plan de la gestion politique très peu démocratique, mais également – et cela est peut-être plus important – dans les domaines économique et social. La politique du président Morsi est une politique super-réactionnaire ; il n’y a aucun changement par rapport à celle de Moubarak, aussi bien sur le plan social qu’économique. C’est une politique de soumission totale, intégrale, aux ordres de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et, derrière eux, les Etats-Unis. »[1]

    C’est ce qu’exprime également l’appel du vaste mouvement de protestation Tamarod (« Rébellion »): « Nous vous rejetons car la sécurité n’a pas été rétablie, car les plus pauvres sont toujours ignorés, car nous sommes toujours en train de mendier des prêts à l’extérieur, car aucune justice n’a été rendue pour les martyrs, car notre dignité et celle de notre pays n’ont pas été restaurées, car l’économie s’est effondrée et repose sur la mendicité, car l’Égypte continue de marcher dans les pas des Etats-Unis. » Ce manifeste de Tamarod a été signé par pas moins de 22  millions d’Egyptiens, sur une population de 85 millions. Les estimations du nombre de manifestants ce 30 juin vont de 5 à 17 millions – soit un cinquième de la population ! « Morsi a eu plus d’opposants en rue que de gens qui avaient voté pour lui », constate Brecht De Smet, spécialiste de l’Égypte[2]. Il s’agit donc là d’un des plus grands mouvements de masse dans l’histoire du monde arabe, et probablement bien au-delà.

    198 fois « légitime » ?

    Le président Morsi a été certes démocratiquement élu en mai-juin de l’an dernier, mais seulement avec 24% des voix au premier tour et 52% au second. Et c’était à l’époque en partie davantage un vote pour refuser son rival Shafik, lié à l’ancien régime de Moubarak, plutôt que pour donner carte blanche aux Frères musulmans[3]. Dans son long discours du 1er juillet, Morsi n’a cessé de marteler sa « légitimité » – il a prononcé ce mot pas mois de 198 fois. « Mais de quelle légitimité parle-t-il ? s’interroge le Parti communiste égyptien. Celle qui donnerait la liberté de détruire l’économie du pays, de dominer ses institutions, de saper sa souveraineté et de saboter son unité ? Est-ce que cela signifie rester au pouvoir à tout prix, même s’il est rejeté par tous ? La seule source de légitimité est le peuple, et cela s’est clairement démontré. »[4]

    Mieux avec l’armée ?

    Aujourd’hui, les mouvements politiques et sociaux, dans leur multiplicité et leur diversité –syndicats nouveaux et indépendants, partis politiques de gauche, ONG et comités de toutes sortes – n’ont pas encore pu suffisamment se structurer et orienter un processus révolutionnaire qui est en cours depuis des années pour le faire clairement triompher. En effet, sur les vagues du mouvement de masse, c’est à nouveau l’armée égyptienne qui tire à elle le pouvoir politique, ce qui remet la balle dans le camp d’une autre fraction et d’un autre instrument du grand capital – égyptien et étranger. Il est malgré tout un peu pénible de voir les manifestants de la place Tahrir saluer par des drapeaux les hélicoptères militaires. En Égypte, l’armée n’a en effet absolument pas des états de service sympathiques. Elle a servi les dictateurs précédents, Sadate, Moubarak et Tantawi, détient environ un tiers de l’économie égyptienne et est spécialisée dans la répression – y compris tortures et disparitions. Durant la période de transition après la chute de Moubarak, l’armée s’entendait à merveille avec les Frères musulmans. Tous deux avait comme intérêt commun de casser la révolte populaire. Cette armée peut donc difficilement, et pour la deuxième fois, s’ériger en « protecteur de la nation ». Elle constitue en effet elle-même un des plus grands obstacles pour un réel processus démocratique et est à la base des problèmes que l’Égypte combat.

    Le peuple, dans toute sa diversité, a tout intérêt à continuer à rester dans la rue pour réclamer la liberté, la démocratie et la justice sociale, à poursuivre l’élan du processus révolutionnaire.

     Année record de mobilisations en Égypte

    Selon un récent rapport publié par l’International Development Center (IDC), 5.544 manifestations ont eu lieu en Égypte durant les cinq premiers mois de l’année 2013. Les chiffres des mois de mars, avril et mai (respectivement 1.354, 1.462 et 1.300 manifestations) font de l’Égypte, selon l’IDC, le pays qui enregistre le plus de mobilisations au monde. Nouvel indicateur, s’il en était besoin, du caractère inachevé (et toujours en cours) du processus révolutionnaire égyptien.

    Les deux tiers de ces manifestations concernent des questions économiques et sociales, qu’il s’agisse de protestations contre l’augmentation du coût de la vie, les coupures d’électricité ou la mauvaise qualité des services sociaux, ou des nombreuses grèves et manifestations de salariés du public et du privé, qui revendiquent notamment des augmentations de salaires, de meilleures conditions de travail, le départ de patrons, d’administrateurs autoritaires et/ou proches de l’ancien régime.

    Les grèves sont souvent massives et contribuent très largement à paralyser l’appareil de production égyptien, contraignant les autorités et les représentants du secteur privé à réagir, parfois par la force, souvent par la négociation. Elles ont lieu dans l’ensemble des grandes villes d’Égypte, au premier rang desquelles Le Caire et Alexandrie, mais également Suez, Port-Saïd, Mansourah ou al-Mahallah al-Koubra, qui abritent des dizaines de milliers d’emplois dans le secteur industriel.

    On pourra ainsi citer, à titre d’exemple, la mobilisation historique des dockers du Port de Sokhna, sur le Canal de Suez, en février dernier. 1.200 salariés ont complètement cessé le travail durant 16 jours, occupant le port et paralysant totalement les entrées et sortie de marchandises. Ils revendiquaient notamment l’obtention de réels contrats de travail, la fin de la période d’essai de 3 mois au cours de laquelle ils pouvaient être licenciés sans motif, ou encore des indemnités pour les salariés blessés au travail. Ils ont en grande partie obtenu gain de cause, suite à une médiation gouvernementale, avec des pertes estimés à 192 millions de livres égyptiennes (plus de 20 millions d’euros).

    Autre exemple significatif, la grève des conducteurs de train de l’Egypt National Railway (ENR), menée en avril dernier pour obtenir notamment des augmentations de salaires et des congés payés. Cette grève, massive et menée à l’échelle nationale pour la première fois depuis 1986, a duré deux jours et s’est achevée dans la confusion, avec des promesses faites par les autorités après avoir tenté de contraindre les conducteurs à travailler en les enrôlant de force dans l’armée, déclenchant un véritable tollé du côté des syndicats.

    Ces grèves et manifestations, peu relayées par la presse internationale, montrent que l’Égypte post-Moubarak est loin d’être rentrée dans le rang, et que la chape de plomb soulevée en janvier 2011 n’est pas retombée.

    Repris d'un article de Julien Salingue, www.contretemps.eu, 2 juillet 2013

    [1]          www.cameroonvoice.com/news/article-news-9971.html

    [2]    De Ochtend, www.radio1.be

    [3]    http://www.dewereldmorgen.be/artikels/2013/07/03/morsi-de-chronologie-van-een-falende-president

    [4]    http://www.solidnet.org/egypt-communist-party-of-egypt/cp-of-egypt-morsis-speech-hammers-the-last-nail-in-the-coffin-of-his-regime-and-his-group-ar-en

    http://www.ptb.be/nieuws/artikel/le-peuple-egyptien-chasse-le-president-bis.html


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  • jeudi 4 juillet 2013
    Egypte : Ah les cons ! S’ils savaient !

    cide

    L’armée égyptienne, la seule au monde cotée en bourse, n’a pas supporté un jour supplémentaire de déstabilisation de la Bourse du Caire. Alors pour ceux qui, dans les rues du Caire, fêtent cette entourloupe de mauvais présage, je n’ai pas mieux que la célèbre phrase de Daladier : Ah les cons ! S’ils savaient !


    Pourtant, on la savait pas encore arrivée au bon port cette vieille Égypte. Pas seulement parce que, comble de malheur, son Nil, dont elle est la généreuse donation, n’est plus à sa portée. Pas seulement parce que, non plus, ses ennemis l‘attendent au tournant, tous les tournants. Mais surtout, parce que ses enfants s’entredéchirent et refusent le compromis.

    Or, sur plus de 7000 ans, l’Egypte n’a eu de constant que ses sorciers. Et ceux-ci se sont révélés cette fois plus malfaisants que toutes les plaies d’Egypte. Et pour cause, ils venaient de rouvrir la boite de Pandore que, candidement, l’on a cru fermée à jamais.

    Il leur faut donc maintenant beaucoup d’ingéniosité illusionniste pour nous présenter autrement la destitution d’un président démocratiquement élu que d’un coup d’état en bonne et due forme. Maquillé, certes, opportuniste, peut-être ! Mais un coup d’Etat tout de même.

    En fait, l’armée égyptienne, la seule au monde cotée en bourse, n’a pas supporté un jour supplémentaire de déstabilisation de la Bourse du Caire. La démocratie et l’avenir du peuple égyptien, eux, attendront.

    La vérité c’est que les sorciers d’Egypte ont trouvé leur Pharaon. Un petit général d’opérette d’une armée marchande dont le dernier exploit date de huit siècles. Et ces assassins d’espoir se sont jetés à ses pieds comme jadis Cléopâtre dans le lit de César. Et ils étaient tous consentants. Le grand sorcier d’Al-Azhar, avait déjà sa fatwa du matin, toute chaude, et sur mesure. Le Pope copte marmonnera, lui, ses prières d’usages.

    El Baradai, l’occidentaliste, épelera honteusement des mots d’une langue qui, désormais, ne parle pas, ne comprend plus. Bien sur les arrestations commenceront de sitôt. Ils viseront d’abord le Président, sa famille et ses collaborateurs. Puis les membres de son parti politique, puis ils engloberont tous les Frères musulmans. En suite, prenant goût au embastillement, les militaires mettront dans les casernes tous les autres. Alors, les coups pleuvront de toute part, pour tous et contre tous. Du déjà vu, quoi, en Algérie notamment.

    Alors pour ceux qui, dans les rues du Caire, fêtent cette entourloupe de mauvais présage, je n’ai pas mieux que la célèbre phrase de Daladier. Ce dernier de retour de Berlin après avoir cédé sans contrepartie la Tchécoslovaquie à Hitler, et rassuré après avoir pris peur de la foule qui s’est massée dans l’Aéroport pour l’accueillir, s’exclama tout naturellement : Ah les cons ! S’ils savaient !

    Cide

    http://www.legrandsoir.info/egypte-ah-les-cons-s-ils-savaient.html

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  • Chômeurs, chômeuses et précaires
    en marche pour nos droits !


    La "marche des chômeurs et précaires pour leurs droits"
    a débuté le 10 Juin à La Réunion
    et arrivera le 6 Juillet à Paris, place Stalingrad.

    La compagnie Jolie Môme participera en chanson à l’arrivée, à 12h30, le 6 Juillet. Voir ICI

    De nouvelles négociations relatives à l’assurance chômage et spécifiquement aux annexes 8 et 10 doivent se tenir d’ici la fin de l’année 2013.
    Alors que l’on parle de "sécurisation de l’emploi", nous ne pouvons accepter le risque de voir à nouveau les droits sociaux amputés, nous ne pouvons laisser le Medef décider seul de nos droits, se rendre maître de nos conditions de vie.

    Cette marche a pour objectif d’alerter l’opinion et de mettre les pouvoirs publics face à leurs responsabilités.
    Nous, chômeurs, chômeuses et précaires, pour qui les portes du « dialogue social » sont toujours fermées, souhaitons que nos propositions concernant Pôle emploi et la négociation Unédic soient entendues.

    Côté plus spécifiquement intermittents, des démarches pour les droits sont également en cours ; lors de l’AG du 17 Juin autour des annexes 8 et 10 à Paris, appel a été lancé pour soutenir la marche.

    PARCE QU’IL FAUT QUE CA CHANGE !!

    Trouvez la plateforme revendicative de la marche, les parcours et villes événements, l’actualité... sur le site :

    Nous, chômeurs, chômeuses et précaires,
    En Marche sur Paris pour nos droits !

    et signez la pétition :
    Moi, citoyen-n-e solidaire de la marche des chômeurs et précaires 2013, je soutiens leur initiative en signant la pétition !

     

    6 Juillet 12h30
    Parole de Mutins :
    Arrivée à Paris de la marche des chômeurs et précaires

    Parole de mutins
    Samedi 6 juillet à 12h30
    à Paris, Place Stalingrad

    Pour accueillir l’arrivée des "Chômeurs et Précaires en marche pour leurs Droits".

    Dernière étape de la marche : départ à 10h porte de Clichy, pour arriver place Stalingrad.
    La Compagnie Jolie Môme accueillera les marcheurs dès 12h30 avec "Parole de mutins !"

    Ce sera le lancement d’une après-midi revendicative et festive, alternant spectacles et de prises de paroles, en conclusion de cette marche [1] et pour préparer la suite !!!

     

     

    [1] Pourquoi une marche ?
    Les marches sont un moyen de mobilisation politique pour rendre visible, dans l’espace public, ce qui tend à être masqué ou détourné dans l’espace médiatico-politique. Elles s’accompagnent de moment d’expressions, de partage et de solidarité, et sont, pour les organisations appelantes et solidaires du mouvement, un moment privilégié pour porter leurs revendications et appeler les gouvernants à en tenir compte.

    http://www.cie-joliemome.org/spip.php?article809


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