• Le peuple égyptien chasse le président (bis)

    Le peuple égyptien chasse le président (bis)

    En Égypte, un peu plus de deux ans après Moubarak, détesté par la population, c’est au tour du président Morsi d’être chassé du pouvoir suite à la révolte populaire massive. Le 25 janvier 2011, la révolution montrait que le peuple égyptien en avait fini avec la peur et la passivité. Depuis lors, il n’a cessé de montrer sa mobilisation et sa créativité dans ses revendications sociales et démocratiques. Une nouvelle fois, le président est renversé, même s’il existe bien des point d’interrogation quant au « coup de main » de l’armée.


    « L'opinion publique grandissante en Égypte était de plus en plus consciente que ce gouvernement et les Frères musulmans ne font que poursuivre les politiques du régime antérieur, de celui de Moubarak et de Sadate, avant lui, dit Samir Amin, éminent analyste politique égyptien. Non pas seulement sur le plan de la gestion politique très peu démocratique, mais également – et cela est peut-être plus important – dans les domaines économique et social. La politique du président Morsi est une politique super-réactionnaire ; il n’y a aucun changement par rapport à celle de Moubarak, aussi bien sur le plan social qu’économique. C’est une politique de soumission totale, intégrale, aux ordres de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et, derrière eux, les Etats-Unis. »[1]

    C’est ce qu’exprime également l’appel du vaste mouvement de protestation Tamarod (« Rébellion »): « Nous vous rejetons car la sécurité n’a pas été rétablie, car les plus pauvres sont toujours ignorés, car nous sommes toujours en train de mendier des prêts à l’extérieur, car aucune justice n’a été rendue pour les martyrs, car notre dignité et celle de notre pays n’ont pas été restaurées, car l’économie s’est effondrée et repose sur la mendicité, car l’Égypte continue de marcher dans les pas des Etats-Unis. » Ce manifeste de Tamarod a été signé par pas moins de 22  millions d’Egyptiens, sur une population de 85 millions. Les estimations du nombre de manifestants ce 30 juin vont de 5 à 17 millions – soit un cinquième de la population ! « Morsi a eu plus d’opposants en rue que de gens qui avaient voté pour lui », constate Brecht De Smet, spécialiste de l’Égypte[2]. Il s’agit donc là d’un des plus grands mouvements de masse dans l’histoire du monde arabe, et probablement bien au-delà.

    198 fois « légitime » ?

    Le président Morsi a été certes démocratiquement élu en mai-juin de l’an dernier, mais seulement avec 24% des voix au premier tour et 52% au second. Et c’était à l’époque en partie davantage un vote pour refuser son rival Shafik, lié à l’ancien régime de Moubarak, plutôt que pour donner carte blanche aux Frères musulmans[3]. Dans son long discours du 1er juillet, Morsi n’a cessé de marteler sa « légitimité » – il a prononcé ce mot pas mois de 198 fois. « Mais de quelle légitimité parle-t-il ? s’interroge le Parti communiste égyptien. Celle qui donnerait la liberté de détruire l’économie du pays, de dominer ses institutions, de saper sa souveraineté et de saboter son unité ? Est-ce que cela signifie rester au pouvoir à tout prix, même s’il est rejeté par tous ? La seule source de légitimité est le peuple, et cela s’est clairement démontré. »[4]

    Mieux avec l’armée ?

    Aujourd’hui, les mouvements politiques et sociaux, dans leur multiplicité et leur diversité –syndicats nouveaux et indépendants, partis politiques de gauche, ONG et comités de toutes sortes – n’ont pas encore pu suffisamment se structurer et orienter un processus révolutionnaire qui est en cours depuis des années pour le faire clairement triompher. En effet, sur les vagues du mouvement de masse, c’est à nouveau l’armée égyptienne qui tire à elle le pouvoir politique, ce qui remet la balle dans le camp d’une autre fraction et d’un autre instrument du grand capital – égyptien et étranger. Il est malgré tout un peu pénible de voir les manifestants de la place Tahrir saluer par des drapeaux les hélicoptères militaires. En Égypte, l’armée n’a en effet absolument pas des états de service sympathiques. Elle a servi les dictateurs précédents, Sadate, Moubarak et Tantawi, détient environ un tiers de l’économie égyptienne et est spécialisée dans la répression – y compris tortures et disparitions. Durant la période de transition après la chute de Moubarak, l’armée s’entendait à merveille avec les Frères musulmans. Tous deux avait comme intérêt commun de casser la révolte populaire. Cette armée peut donc difficilement, et pour la deuxième fois, s’ériger en « protecteur de la nation ». Elle constitue en effet elle-même un des plus grands obstacles pour un réel processus démocratique et est à la base des problèmes que l’Égypte combat.

    Le peuple, dans toute sa diversité, a tout intérêt à continuer à rester dans la rue pour réclamer la liberté, la démocratie et la justice sociale, à poursuivre l’élan du processus révolutionnaire.

     Année record de mobilisations en Égypte

    Selon un récent rapport publié par l’International Development Center (IDC), 5.544 manifestations ont eu lieu en Égypte durant les cinq premiers mois de l’année 2013. Les chiffres des mois de mars, avril et mai (respectivement 1.354, 1.462 et 1.300 manifestations) font de l’Égypte, selon l’IDC, le pays qui enregistre le plus de mobilisations au monde. Nouvel indicateur, s’il en était besoin, du caractère inachevé (et toujours en cours) du processus révolutionnaire égyptien.

    Les deux tiers de ces manifestations concernent des questions économiques et sociales, qu’il s’agisse de protestations contre l’augmentation du coût de la vie, les coupures d’électricité ou la mauvaise qualité des services sociaux, ou des nombreuses grèves et manifestations de salariés du public et du privé, qui revendiquent notamment des augmentations de salaires, de meilleures conditions de travail, le départ de patrons, d’administrateurs autoritaires et/ou proches de l’ancien régime.

    Les grèves sont souvent massives et contribuent très largement à paralyser l’appareil de production égyptien, contraignant les autorités et les représentants du secteur privé à réagir, parfois par la force, souvent par la négociation. Elles ont lieu dans l’ensemble des grandes villes d’Égypte, au premier rang desquelles Le Caire et Alexandrie, mais également Suez, Port-Saïd, Mansourah ou al-Mahallah al-Koubra, qui abritent des dizaines de milliers d’emplois dans le secteur industriel.

    On pourra ainsi citer, à titre d’exemple, la mobilisation historique des dockers du Port de Sokhna, sur le Canal de Suez, en février dernier. 1.200 salariés ont complètement cessé le travail durant 16 jours, occupant le port et paralysant totalement les entrées et sortie de marchandises. Ils revendiquaient notamment l’obtention de réels contrats de travail, la fin de la période d’essai de 3 mois au cours de laquelle ils pouvaient être licenciés sans motif, ou encore des indemnités pour les salariés blessés au travail. Ils ont en grande partie obtenu gain de cause, suite à une médiation gouvernementale, avec des pertes estimés à 192 millions de livres égyptiennes (plus de 20 millions d’euros).

    Autre exemple significatif, la grève des conducteurs de train de l’Egypt National Railway (ENR), menée en avril dernier pour obtenir notamment des augmentations de salaires et des congés payés. Cette grève, massive et menée à l’échelle nationale pour la première fois depuis 1986, a duré deux jours et s’est achevée dans la confusion, avec des promesses faites par les autorités après avoir tenté de contraindre les conducteurs à travailler en les enrôlant de force dans l’armée, déclenchant un véritable tollé du côté des syndicats.

    Ces grèves et manifestations, peu relayées par la presse internationale, montrent que l’Égypte post-Moubarak est loin d’être rentrée dans le rang, et que la chape de plomb soulevée en janvier 2011 n’est pas retombée.

    Repris d'un article de Julien Salingue, www.contretemps.eu, 2 juillet 2013

    [1]          www.cameroonvoice.com/news/article-news-9971.html

    [2]    De Ochtend, www.radio1.be

    [3]    http://www.dewereldmorgen.be/artikels/2013/07/03/morsi-de-chronologie-van-een-falende-president

    [4]    http://www.solidnet.org/egypt-communist-party-of-egypt/cp-of-egypt-morsis-speech-hammers-the-last-nail-in-the-coffin-of-his-regime-and-his-group-ar-en

    http://www.ptb.be/nieuws/artikel/le-peuple-egyptien-chasse-le-president-bis.html


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