• Référence(s): que se passe-t-il sous le règne de Normal Ier?

    Référence(s): que se passe-t-il sous le règne de Normal Ier?

     
    Moins programmatique que pragmatique, le chef de l'Etat serait le produit d’un mélange indéterminé «des» gauches historiques et nous perdrions notre temps à vouloir lui donner une origine et une saveur. A voir...

    Normal Ier. Reprenons la lancinante chronique du règne de Normal Ier là où nous l’avions laissée. À ce propos. Convient-il encore de chercher les mots qui ne fâcheraient pas? Est-ce toujours pertinent? En un temps où le vocabulaire s’affadit et où l’on n’évoque plus que la surface des choses pour ne heurter aucune oreille, où l’ont ne dit plus «orage» mais «épisode pluvieux», ni «il va peut-être mourir» mais «son processus vital est engagé», même les mots du nouvel Héritier ont longtemps perdu crudité et saveurs canailles. Il a fallu attendre que son action devienne enfin lisible pour que, lui, retrouve un peu d’embonpoint et de friponnerie verbale, et nous, de quoi analyser le sens de ses actes sans être totalement risible. Soyons donc prudent – mais ferme.

    Lecture. La phrase qui suit comprend un risque: sept mois à l’Élysée auront donc suffi pour nous décevoir, nous décontenancer ou nous conforter, selon ce que nous pensions avant le 6 mai dernier. Ce président, qui incarnerait plusieurs personnages «des» gauches historiques, reste aux yeux de certains une véritable énigme idéologique. Historiens, philosophes, sociologues et même anthropologues sont régulièrement conviés au chevet de sa politique pour en décrypter la lecture pratique et/ou symbolique. Beaucoup s’y cassent les dents – hors les habituelles références au delorisme (en priorité), au jospinisme (sa frilosité sociétale), au rocardisme (sa politique contractuelle), au mitterrandisme (cela va de soi), au mendésisme (sortez vos manuels) et même, n’en jetez plus, au jaurésisme (sic). Comme si la célèbre stratégie de synthèse du personnage, transformée depuis peu en méthode dite «du râteau», s’appliquait également à ceux qui commentent son action.
    Plus on tente de ratisser large avec lui, plus on aurait de chances de récupérer un bout de la vérité. Dans le genre «je vise à peu près juste», nous accorderons un bon point à l’historien socialiste Alain Bergounioux pour cette formule si tordue qu’elle en devient géniale: «Pour l’instant, Hollande projette ce qu’il a été dans ce qu’il fait.» Traduisons. Moins programmatique que pragmatique, Normal Ier serait donc le produit d’un mélange indéterminé et nous perdrions notre temps à vouloir lui donner une origine et une saveur. Un membre du cabinet d’Ayrault entrevoit la difficulté en ces termes: «Nous travaillons à la construction d’une nouvelle gauche, le hollandisme est forcément en devenir.» Et lorsque nous lui demandons s’il n’a pas l’impression de participer à une certaine «trahison de
la gauche», l’homme répond, paisiblement: «Le président n’a pas encore voulu dévoiler totalement sa vérité politique.»

    Saint-Simon. Le philosophe Pierre Musso, lui, qualifie le hollandisme de «saint-simonisme», référence au penseur du XIXe siècle, Henri de Saint-Simon (1760-1825), dont il est l’un des spécialistes. «La grande thèse du philosophe, postérieure à la Révolution française, explique Musso, était que le changement social devrait être pacifique, maîtrisé et même “insensible” pour éviter les deux écueils qui menacent dans toute situation de crise: l’anarchie et le despotisme.» Saint-Simon l’écrivait noir sur blanc: «Aucun changement ne peut s’effectuer que par degrés, au temporel comme au spirituel.» Soit, admettons les contraintes d’un prima: l’avenir est aussi réel que le présent est illusoire. Mais si l’illusion en politique consiste à agir sur ce qui se voit, le changement des hommes par exemple, et si l’intelligence suprême commande de s’extraire absolument de cette illusion pour «voir loin» et changer de point de vue sur la conjoncture présente en l’insérant dans l’histoire, franchement, quels sont les actes fondamentaux du gouvernement actuel – du côté de l’économique et du social, les vraies matrices – qui pourraient nous laisser penser qu’ils réorientent l’à-venir et tentent de changer la vie, quand tout nous pousse à croire au contraire que s’accumulent renoncements et reniements?

    Démarche. Nous aurions même pu nous étouffer, à la lecture d’une tribune de Pierre Moscovici donnée fin novembre à Libération et intitulée «Notre révolution copernicienne». Le ministre de l’Économie y justifiait le virage austéritaire par la cohérence que le gouvernement donne «à l’ambition progressiste». Vous avez bien lu. Et il poursuivait: «Être de gauche, c’est agir sur le réel au nom des valeurs de solidarité et de justice, mais aussi viser l’efficacité économique, sans laquelle, faute de moyens, celles-ci restent lettre morte.» Enfin il définissait ainsi la démarche du gouvernement: «Parce qu’elle est réformiste, sociale-démocrate, par essence et par conviction, elle est aussi révolutionnaire.» Nous aussi, nous avions soudain du mal à décrypter ce socialisme-là… (À suivre.)

    [BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 14 décembre 2012.]

    Mémoire(s): Normal Ier converti au zapatérisme?

     
    Doit-on considérer que le libéralisme politique et culturel est un tropisme typiquement social-démocrate? Ce qui expliquerait la conversion non négligeable de socialistes au libéralisme économique...

    François Hollande et Laurence Parisot.
    Normal Ier. (Suite.) Le spectacle de la souffrance d’autrui se donne à voir – à lire plutôt – dans la danse macabre des mots reçus au Palais. Ces temps-ci, les êtres écorchés par la vie écrivent beaucoup à Normal Ier, autant de traces visibles livrées aux tourments d’inquiétudes obsessionnelles. Dans le palmarès des troubles exprimés, la progression de la pauvreté des couches populaires arrive en tête (du genre «la gauche ne peut pas laisser faire ça» ou «que retiendra l’Histoire du quinquennat si la situation des plus démunis ne change pas, au moins un peu?», etc.), suivie de près, de très près même, par les fortes inquiétudes du peuple de gauche face aux politiques conduites (du genre «vous avez été élu pour un changement de société» ou « un nouvel échec du PS au pouvoir sonnerait le glas de tout espoir et pourrait bien emporter toute la gauche », etc.). Des mots pour prémunir tout écart du monde réel.

    Gégé. Sans doute Normal Ier se serait-il passé de «l’affaire» Depardieu. Pour des raisons qui nous échappent (des blessures intimes? des rancœurs? le ras-le-bol borderline d’un voyou finalement plus «mégalo» que ses personnages et moins «peuple» qu’annoncé?), notre Gégé national, si brillant à l’écran, a légitimé la plus caricaturale attitude ultralibérale que nous puissions imaginer: les soutiens de Laurence Parisot et de toute la droite réunifiée en témoignent. La France lui a tout donné? Lui pense qu’elle lui a trop pris. Une simple affaire de proportion? En vérité, l’acteur se comporte en sarkozyste de base, singeant les patrons du CAC 40, qui réclament toujours plus malgré la santé parfois poussive de leurs entreprises et qui, une nouvelle fois, se sont allègrement augmentés durant l’année 2012…
    Alors? Les Français d’en bas, las des polémiques fiscales – eux savent ce que coûte une augmentation de 
la TVA –, attendaient de l’hôte du Palais qu’il fixe le cap et tape sur les doigts de l’insolent. Résultat? Normal Ier a soutenu 
la démarche de son premier ministre vis-à-vis de l’acteur… tout en prenant ses distances sur la forme. Moitié-moitié. Comme d’habitude. Dans le texte: «Moi, plutôt que de blâmer tel ou tel, je veux saluer le mérite de ceux qui ont certes beaucoup, mais qui acceptent de payer leurs impôts en France, de produire en France, de faire travailler en France et de servir leur pays.» Ou encore: «Bien sûr qu’il faut dire à un moment un certain nombre des réprimandes morales. (…) Après, il y a les mots qui doivent être utilisés.» Indécision ou tempérance? Qui le sait?

    Songe. Doit-on considérer que le libéralisme politique et culturel est un tropisme typiquement social-démocrate, donc que son versant économique serait l’apanage de «la droite»? Doit-on même aller plus loin dans le raisonnement et croire, par exemple comme le philosophe Jean-Claude Michéa, qu’ils sont les deux faces d’une même pièce, le «développement du premier ayant créé les conditions de légitimation et l’environnement intellectuel propice au déploiement du second» ? Certains le pensent. Ce qui expliquerait la conversion non négligeable de socialistes au libéralisme économique et, plus globalement, aux idées sociolibérales que tente de rendre cohérentes Normal Ier lorsqu’il marie l’austérité et la baisse du coût du travail comme moteur de son action économique et sociale… Au Palais, un conseiller nous le confessait cette semaine: «Pour nous, la parenthèse “libérale” s’est ouverte en 1983. Beaucoup ont espéré que l’élection du 6 mai
la refermerait, au prétexte que le candidat socialiste avait fait de la finance son adversaire le temps d’une campagne. C’était croire à un songe.» Et devant notre mine atterrée, il ajouta: «Les militants sont troublés par le pacte de compétitivité, les hausses de la TVA, Florange, la fausse réforme des banques? Attendons le retournement de la conjoncture et on en reparlera!»

    François Hollande et José Luis Zapatero.
     
    Zapatérisme. Mais beaucoup de socialistes parlent déjà. Perplexes, désorientés ou désespérés. Le député Malek Boutih dit traverser un «trou noir» quand il s’agit pour lui de définir le pouvoir actuel: «Nous sommes devant un objet non identifié, qui absorbe notre énergie. Et ce n’est pas la surutilisation des sujets de société qui va le combler.» Quant au leader de l’aile gauche du PS, Emmanuel Maurel, il met en garde: «Le risque, c’est le “zapatérisme”: on fait le mariage pour tous et en même temps on flexibilise le marché du travail, sans augmenter les salaires, et à la fin, on se fait laminer. Je ne voudrais pas que le hollandisme se résume à n’être que du social-défaitisme.» La mémoire, plus cruelle des maîtresses. Souvenons-nous. Une petite espérance suivie d’une déception. Éternel recommencement ? Répétons-le encore et encore: rien de pire que la peur amputée de l’espoir… (À suivre.)

    [BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 21 décembre 2012.]

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