• Notre messe quotidienne

    Notre messe quotidienne

    Cela pourrait surprendre certains d’apprendre que dans notre beau pays laïque, on peut entendre chaque jour sur le service public de la radiodiffusion un office religieux. Et pourtant c’est vrai. Si vous ne me croyez pas, allumez votre radio vers 8h20 et réglez-là sur France Inter. Vous aurez alors l’occasion d’écouter le Révérend Père Bernard Guetta prononcer les mots rituels : « Credo in Evropa omnipotentis… ».

     

    Que le sermon nous appelle à tourner nos espoirs non pas vers un dieu barbu et miséricordieux mais vers une sorte de force de la nature ne changer rien au caractère religieux du message. L’Europe de Guetta est comme le Dieu de mon curé : ses voies sont impénétrables. Et de la même manière que pour mon curé dieu peut permettre Auschwitz tout en étant infiniment bon, pour Guetta le fait que son dieu reste les bras ballants alors que notre continent s’enfonce dans la récession, le chômage de masse et l’insignifiance au niveau internationale n’ébranle nullement sa foi. Pour mon curé, Auschwitz est la manifestation d’une foi insuffisante de la part des hommes, qui n’ont pas assez suivi la voie de leur dieu. Pour Guetta, c’est pareil.

     

    La chronique de Guetta ce matin était une illustration jusqu’à la caricature de cette vision mystique du projet européen. Elle commençait par suggérer à François Hollande le message à tenir lors de sa prestation télévisée de jeudi soir : « François Hollande devrait dire que le président de la république française ne peut pas grande chose tout seul ». Sur ce sujet, Guetta brode pendant cinq minutes alors que tout auditeur qui connaît un peu Guetta sait – c’est le propre du rituel de se répéter – quelle sera la chute inévitable : « il faut donc avancer vers l’union de l’Europe ».

     

    Que la France ne peut pas grande chose toute seule est une évidence. Mais cela ne date pas d'hier. Contrairement à ce qu’essayent de nous faire croire ceux qui prétendent nous couper de toute référence au passé, cela n'a rien à voir avec la mondialisation. Depuis que la politique existe la question des alliances extérieures, de l'amitié, l’échange, la confrontation ou le combat avec les autres a été un élément essentiel dans les délibérations des gouvernants. Péricles pouvait-il quelque chose « tout seul » ? Non, bien entendu. Il lui fallait tenir compte en permanence des rapports compliqués avec les autres cités grecques, et encore plus avec les puissances non-grecques comme la Perse ou l’Egypte. Louis XIV ou Napoléon ont passé l'essentiel de leur temps à gérer la politique extérieure de la France, laissant tout comme De Gaulle l'essentiel de la politique intérieure à leurs ministres de confiance. Ce n’est pas pour rien que la force armée et la diplomatie sont depuis des temps immémoriaux les attributs de la puissance régalienne. Guetta et consorts font semblant de découvrir une vérité nouvelle – sur le mode du « vous comprenez, le monde n’est plus celui que vous avez connu » - alors qu’elle est vieille de deux mille ans. L’état souverain, que ces gens détestent, n’a jamais été ni agi « seul ». Au contraire: l'Etat nation surgit en grande partie du besoin de gérer les rapports d'amitié ou d'inimitié avec les autres.

     

    En partant de cette prémisse vraie mais banale, Guetta nous enferme dans une fausse dichotomie : puisqu’on ne peut pas agir seul, il faut l’unité de l’Europe. Il oublie que l’Europe n’est pas, loin de là, la seule manière de ne plus être seul. Il y a un grand nombre de pays souverains qui arrivent à agir avec d’autres sans pour autant abandonner toute possibilité de politique nationale autonome en cédant des compétences essentielles à une bureaucratie sans visage. La Norvège ne paraît pas être en train de sombrer dans la misère et la récession, et pourtant elle est « seule » au sens que donne à ce mot Bernard Guetta, puisque les norvégiens ont refusé de faire partie de cette « Europe unie » qui semble-t-il est la seule solution aux problèmes économiques. L'Islande a géré une crise gravissime, bien plus grave que la notre, et s'en sort bien grâce au fait qu'elle a gardé le contrôle de ses frontières et de sa monnaie. Il faut croire donc que les premiers ministres norvégien ou islandais peuvent faire beaucoup de choses "tout seuls" - à minima, de restaurer la croissance de leurs économies. Pourquoi le président français aurait-il moins de possibilités ?

     

    La prétendue "impuissance du politique" fait partie des « tartes à la crème » dont nos médias eurolâtres ont le secret. C'est d'ailleurs le dernier arguments des partisans de la construction européenne maastrichienne, qui ont vu tous leurs autres arguments être impitoyablement refutés par les faits. Les citoyens peuvent contempler chaque jour les oeuvres de "l'Europe qui protège" et "l'Euro monnaie de croissance" et constater les résultats. C'est pourquoi les eurolâtres en sont réduits à la vieille antienne "devant les puissances émergentes, sans l'Europe nous ne sommes rien". Avec elle non plus, en fait. L'affaire du Mali montre combien l'action d'un Etat décidé vaut mieux que celle de 27 indécis. Le  discours qui présente la puissance européenne en contraste aux impuissances nationales est un dogme sans rapport avec les faits. Dans la pratique, dans les rapports internationaux, les ministres des affaires étrangères de la France, de la Grande Bretagne ou de l'Allemagne pèsent infiniment plus que la baronne Ashton et sa troupe de bras cassés.

     

    Le problème, c'est que la doctrine de l'impuissance du politique plaît à l'establishment. Et si elle plaît, c'est parce qu'elle justifie par avance toutes les lâchetés, tous les abandons, tous les opportunismes. Car si le politique est impuissant, il n'est responsable de rien. Comment peut-on reprocher de ne rien faire à celui qui de toute manière n'a aucune influence sur les évènnements ? La doctrine de l'impuissance permet aux politiques de se justifier devant le peuple avec des discours du genre "je veux bien mais je ne peux point". On expliquera alors qu'on avait les meilleures intentions du monde et le meilleur programem qui soit, mais "vous comprenez, les autres gouvernements européens  n'ont pas voulu...". C'est d'ailleurs ce que ce gouvernement nous raconte depuis maintenant neuf mois. Mme Merkel est finalement un alibi bien commode à tous les abandons.

     

    Mais le discours de l'impuissance fait le lit du populisme. Face à tous ces partis qui se battent à mort pour s'asseoir dans le fauteuil, et qui une fois assis nous expliquent ensuite qu'ils ne peuvent rien faire - sauf, bien évidement, s'ils arrivent à mettre d'accord la bureaucratie bruxelloise et les 26 autres gouvernements européens, autant dire mission impossible - il y aura d'autres qui affirmeront, à tort ou à raison, avec des idées simplistes ou au contraire en ayant bien réflechi, qu'ils peuvent faire des choses. Qu'ils ne sont pas, eux, touchés par l'impuissance. Comment reprocher au peuple d'aller chaque fois plus écouter ceux qui, à défaut de faire grande chose, au moins proposent une perspective qui rend les gens acteurs de leur avenir, et non ses victimes ?

     

    Le préalable à toute politique de redressement, c’est le combat contre cette idéologie poisseuse de l’impuissance. Le politique national, même « seul », peut beaucoup. Pour commencer, il peut choisir avec qui et comment il va travailler pour ne plus être « seul ». Contrairement à ce que prétendent les eurolâtres, la grande majorité des eurosceptiques français ne propose pas le repli frileux à l'intérieur des frontières. L'eurosceptiscisme français - ce n'est pas le cas dans d'autres pays - est généralement plus proche de la vision jacobine d'une France éclairant le monde que de la vision girondine de la "petite France" réduite au village et au "pays". Et pour l'euroscepticisme jacobin, loin de chercher un quelconque repli il s’agit au contraire de sortir du « repli européen » qui prétend faire de l'Europe l'horizon indépassable de notre politique nationale et internationale.

     

    L’église catholique a construit son pouvoir sur un discours de résignation. Pendant plus de mille ans, elle a appelé chacun à se résigner à son sort et à se soumettre dans l’espoir d’une récompense hypothétique dans l’au-delà. L’église européenne utilise exactement le même raisonnement, nous enjoignant de nous soumettre à l’ordre bruxellois dans l’espoir d’une récompense le jour où « l’unité européenne » étant achevée, nous aurons franchi les portes du paradis. Dans les deux cas, c’est une imposture. Il est grand temps de faire comme nos grands ancêtres de la Renaissance européenne et des Lumières, et de dire haut et fort que l'homme est maître de son destin et peu se gouverner par la Raison. Et de repousser la pensée religieuse dans le domaine privé.

    Descartes


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