• Michael Roberts : "le taux de profit est la clé"

    Préambule : nous avons traduit un court article de Michael Roberts, économiste marxiste qui tient régulièrement à jour un blog très intéressant en langue anglaise : http://thenextrecession.wordpress.com/ ; répondant à un appel invitant les auteurs à expliquer la crise en 1 000 mots maximum, Roberts a relevé le défi et nous présente une analyse marxiste de la crise, en rupture avec les analyses malheureusement dominantes dans le milieu marxiste français, y compris au sein de notre parti, qui croit trouver dans l’insuffisance des salaires l’explication fondamentale de la crise actuelle. On pourra lire l’article dans sa version originale à l’adresse suivante :
    http://thenextrecession.files.wordpress.com/2012/07/urpe-summer-school-mr.pdf

    L'économie mondiale moderne est dominée par le mode de production capitaliste. Sous le capitalisme, l'argent est utilisé pour faire plus d'argent. Le profit est le moteur de la production, pas les besoins sociaux. Et la production capitaliste ne croît pas de façon linéaire. Elle est sujette à des crises récurrentes, des booms et des récessions, qui détruisent et dilapident une grande partie de la valeur créée antérieurement par la société (les travailleurs). Pendant les années 1880 et 1890, une grande partie de la production et de la richesse a été détruite aux Etats-Unis ; ce fut également le cas au cours de la Grande Dépression des années 1930. Maintenant, nous avons subi la première Grande Récession et nous sommes toujours dans la première Longue Dépression du 21ème siècle.


    Le mode de production capitaliste connaît des crises récurrentes, car il est miné par deux grandes lignes de faille. Premièrement, dans une économie monétaire, dont le capitalisme est l'incarnation par excellence, il y a toujours la possibilité d'une crise. Les détenteurs d'argent peuvent ne pas tout dépenser ou investir, mais en thésauriser une partie. S’ils le font pour une raison quelconque, cela peut provoquer une rupture du processus d'échange et créer une crise d'inadéquation des achats et des ventes.


    Deuxièmement, le système capitaliste de production pour le profit vacille si les profits créés sont trop faibles pour satisfaire les propriétaires des moyens de production. Or, il y a une tendance inhérente (au capitalisme) qui fait baisser le taux de profit. Il s'agit de la cause sous-jacente de toutes les récessions.


    Les capitalistes ne coopèrent pas entre eux pour produire les biens et les services dont la société a besoin. Au contraire, ils sont en concurrence les uns avec les autres pour maintenir et accroître leur profit. Pour ce faire, ils font travailler les travailleurs plus longtemps ou plus intensément, et ils ont recours de plus en plus à de nouvelles technologies pour accroître la productivité du travail afin de s'accaparer plus de valeur.


    Mais ce mécanisme est le talon d'Achille du capitalisme. Le coût de l'investissement dans de nouvelles installations, équipements, etc. augmente inexorablement par rapport à la taille et au coût de la main-d'oeuvre. Comme seul le travail peut créer de la valeur nouvelle (les machines, en elles-mêmes, ne peuvent pas le faire), la rentabilité de chaque nouvel investissement tend à baisser. Si la rentabilité baisse durablement, elle finira par provoquer une chute de la masse du profit extorqué. Alors les capitalistes cesseront d'investir et se mettront en « grève ». Une crise de la production en découlera. Les capitalistes essaient d'éviter cette crise de différentes manières : en essayant d'exploiter les travailleurs davantage, en cherchant à acheter les nouvelles technologies les moins chères, et en spéculant dans les sphères improductives de l'économie, à savoir le marché boursier, la banque et la finance, où ils cherchent le profit en jouant comme au casino. Mais ces choses ne peuvent fonctionner qu'un certain temps. Au final, la loi de la baisse du taux de profit se manifestera.

    Michael Roberts : "le taux de profit est la clé"
     
    Le taux de profit aux États-Unis est bien inférieur à ce qu'il était en 1948. Mais il n'a pas décru de façon linéaire. Après la guerre, il est resté à un haut niveau pendant « l’Age d’Or » entre 1948 et 1965. Ce fut aussi la période où la croissance économique était la plus forte de l’histoire américaine.

    Puis la rentabilité a diminué continûment de 1965 à 1982. La croissance du PIB a été beaucoup plus lente et le capitalisme américain (comme ailleurs) a connu des récessions importantes en 1974-1975 et 1980-1982.

    Puis, à l'ère de ce qu'on appelle « néolibéralisme », de 1982 à 1997, la rentabilité a augmenté. Le capitalisme a mis en branle des contre-tendances à la baisse du taux de profit, comme une augmentation de l’exploitation des travailleurs américains (baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée), l’extension géographique de l’exploitation de la main d’oeuvre (mondialisation), et la « spéculation » dans des secteurs improductifs (immobilier et montée du capital financier). Durant cette « période néolibérale », les récessions furent moins prononcées, même si la croissance économique a été moins rapide que pendant « l'Age d'Or », car une grande partie des profits a été détournée de l'investissement dans l’économie réelle.

    La rentabilité du capital a atteint un sommet en 1997, puis a commencé à décliner. Cela a posé les bases de la Grande Récession de 2008-2009. Cette crise et la dépression qui s’en est suivie et qui est toujours en cours, sont bien plus graves que tout ce que nous avons vu depuis les années 1930, en raison de l’immense accumulation de dettes et d’actifs financiers lors des deux dernières décennies, sans création de valeur réelle en parallèle. Au lieu de cela, des bulles alimentées par le crédit ont été créées, sur le marché des actions des entreprises de haute technologie (qui s’est effondré en 2000) et dans l’immobilier (qui s’est effondré en 2007). Le secteur financier improductif a pompé 40% de l’ensemble des profits capitalistes.

    Au final, cette bulle de crédit a éclaté, atrophiant le secteur bancaire et l’économie. Le niveau élevé de la dette du secteur privé a été exacerbé par la nécessité de l’État de renflouer les banques. Tant que ce surplus de dette n’aura pas été purgé, la rentabilité ne pourra pas être restaurée suffisamment pour relancer les investissements et donc la sera nécessaire pour « nettoyer » le système de ce « capital mort (toxique) ». La Longue Dépression va continuer jusque ce moment là.

    On ne pourra pas mettre fin à la Longue Dépression en augmentant les dépenses publiques  par une augmentation de l’endettement ou une hausse des taxes, car cela fera baisser la rentabilité du secteur capitaliste. Comme ce secteur reste dominant, la baisse de sa rentabilité signifie que de nouveaux investissements ne pourront pas avoir lieu pour rétablir les emplois et les revenus perdus. Le New Deal dans les années 1930 n'a pas réussi à mettre fin à la Grande Dépression, même s’il était beaucoup plus radical que l’ensemble des mesures proposées aujourd'hui par Obama. Son ampleur a été réduite en raison de l'opposition des capitalistes. Mais aussi, le New Deal n’a pas fonctionné parce qu’il ne pouvait pas restaurer le taux de profit – bien au contraire. En fin de compte, seule une guerre mondiale a sorti la main-d'oeuvre excédentaire du chômage (tout en tuant des millions de personnes dans le monde) et a mis fin à la crise.

    Sous le capitalisme, de terribles crises se reproduiront et les inégalités demeureront. La fin de la pauvreté et l’avènement de la prospérité pour la majorité ne pourra devenir réalité que si la propriété privée pour le profit est remplacée par la production planifiée démocratiquement pour satisfaire les besoins sociaux.
     

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