• Les désillusions du «made in China»

    Les désillusions du «made in China»

    LUNDI 28 JANVIER 2013

    RAPATRIEMENT D'ACTIVITÉS • Hausse des coûts, problèmes de qualité et de flexibilité: la délocalisation en Asie réserve parfois de mauvaises surprises. Des sociétés ramènent leurs activités au pays. Plus qu’une tendance.

    En arrière toute! Rossignol remballe une partie de sa production à Taïwan (20 000 paires de ski par an) et rentre en France. Elle a lancé mi-janvier la deuxième phase de son opération de rapatriement entamée en 2010. Et l’entreprise basée à Grenoble n’est pas la seule à plier bagage en Asie.
    Apple, Caterpillar, Lenovo, Meccano, Decathlon... Plusieurs grandes enseignes occidentales ont ramené au pays la totalité ou une partie de leurs activités ces derniers mois. Apple a annoncé en décembre le retour sur le sol américain en 2013 d’une ligne de production d’ordinateurs. Les PME s’y mettent ausssi, à l’image du vaudois AgoraBee SA, actif dans les GPS, qui viennent de quitter le marché chinois (voir ci-après).

    Explosion des salaires
    «Ce mouvement n’est pas étonnant car de nombreuses d’entreprises sont allées trop loin dans la production en Asie», estime Jean-Philippe Bonardi, professeur en économie à l’Université de Lausanne. «Ceux qui ont dit qu’il n’y avait pas de salut sans délocalisation se sont trompés. Ces transferts ne se sont pas toujours soldés par des avantages concurrentiels en termeS de coûts.»
    Nombre d’entreprises qui ont déplacé leur unité de production en Chine pour faire de grosses économies sur les coûts, à commencer par la main-d’œuvre, ont déchanté. C’était sans compter l’explosion des salaires – 400% entre 1996 et 2008 – et des charges sociales.
    Idem pour les coûts dépendants de la conjoncture, comme l’approvisionnement et le transport qui est directement lié au cours du pétrole: ils ont érodé la compétitivité des entreprises délocalisées. «Même si les salaires sont plus élevés en France, produire en France coûte moins cher que produire en Asie en raison de la diminution des coûts liés aux transports», affirme une porte-parole de Rossignol.
    Produire à bas coût à Shanghai ou Shenzhen n’est plus aussi attractif pour certaines sociétés. «Mais les deux principaux arguments d’un retour sont le manque de flexibilité dans la chaîne d’approvisionnement et les problèmes de qualité», insiste Stefan Kinkel, professeur de sciences appliquées à l’Université de Karlsruhe. L’allemand Steiff a ainsi rapatrié de Chine en 2008 la production d’ours en peluche en raison d’une fabrication bâclée.
    Des entreprises réalisent que la Chine, c’est finalement plus loin qu’elles ne l’imaginaient au départ. Comment garantir les standards de production et de livraison à 10 000 kilomètres de là? Comment répondre à des commandes de dernière minute à une telle distance? Alors qu’en regroupant sur le même site toutes les étapes de la production, elles peuvent mieux contrôler la ­fabrication et raccourcir les ­délais de livraison.

    Trop loin pour contrôler
    Si Rossignol a fait volte-face, c’est pour se rapprocher des clients et des matières premières qui servent à la fabrication des skis. «Plus on est éloigné de son marché, moins on est réactif», souligne Jean-Philippe Bonardi. «Si on veut rester concurrentiel, il faut pouvoir s’adapter rapidement aux demandes du client.»
    Les entreprises sont aussi handicapées, selon les secteurs, par les délais trop longs, la fluctuation des taux de change, la contrefaçon, la corruption, le manque de main-d’œuvre qualifiée... Des inconvénients qui favorisent un retour de balancier observé dans des pays comme les Etats-Unis, la France, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. Fin 2011, une étude de l’EEF (organisme représentant des milliers d’entreprises manufacturières britanniques) affirmait qu’une société sur sept avait rapatrié ses activités. En Allemagne, un pays qui a délocalisé à outrance, entre 2 et 3% des entreprises font pareil, selon Stefan Kinkel.

    L’aide au retour
    Ce rapatriement qui s’effectue au compte-gouttes pourrait  devenir un mouvement de fond, pressent David Bailey, professeur de commerce international à l’Université de Coventry: «La délocalisation montre ses limites, en raison de cette combinaison de salaires plus élevés, de coûts de transports en hausse, et de problèmes dans la chaîne d’approvisionnement. Ce contre-courant va devenir toujours plus important.»
    A condition que les gouvernements soutiennent le retour à la maison des fabricants. La France et les Etats-Unis ont montré l’exemple, en lançant un programme d’encouragement au retour. Produire dans son pays, c’est aussi dans l’air du temps. En cette période de crise et de conscience écologique, les consommateurs sont toujours plus friands de biens de proximité, histoire de soutenir l’industrie et les emplois du pays. Certaines sociétés comme Apple l’ont bien compris. Elles jouent la carte du rapatriement comme on lance une opération marketing. I

     

    La Suisse reste une exception

    Rares sont les entreprises suisses actives en Chine à suivre le mouvement de rapatriement d’activités. «Sur les 440 recensées, il y a peu de cas de retrait du marché», souligne Kilian Widmer, chef du bureau de Shanghai du Swiss Business Hub China. AgoraBee SA fait partie des exceptions. La société basée à Renens fabrique des GPS destinés aux suivis d’objets transportés. Elle a rappelé en 2012 de Chine son unité d’assemblage (25 000 pièces depuis la création). «Nous voulions pouvoir mieux servir les clients, avoir plus de réactivité et gérer la qualité depuis chez nous», explique le directeur Jari-Pascal Curty.
    Depuis Shanghai, Nicolas Musy, directeur de CH-ina, société de conseils, ne sent pas ce mouvement en sens inverse: «Au contraire, toujours plus d’entreprises suisses veulent entrer sur le marché asiatique.» TJ

    Nombreux retours gagnants en France

    Rossignol (ski), Smoby (jouets), Geneviève ­Lethu (vaisselle), Atol (lunettes)... Les retours gagnants d’Asie sont nombreux en France. Prenons Majencia, l’une des pionnières en la matière. Proche du dépôt de bilan en 2004 (20 millions d’euros de pertes), l’entreprise s’est refait une santé (1,8 million de bénéfice en 2011) depuis qu’elle a décampé de Chine. L’enseigne a rapatrié en 2006 la fabrication annuelle de 3000 caissons de bureau. «Les 20% que nous économisions grâce aux coûts bas de la main-d’œuvre étaient absorbés pour moitié par les coûts de transports» détaille Vincent Gruau. «Pour 10% de marges seulement, et avec les risques de hausse du prix du pétrole, il n’était plus viable de produire en Chine.»
    Résultat: depuis 2011, Majencia  est numéro un en France dans le secteur du mobilier de bureau. Et elle a même créé des emplois (l’effectif est passé 691 à 808 employés entre 2007 et fin 2012). «Ce retour est positif à tous les niveaux. Nous avons pu adapter notre produit à la ­demande de la clientèle, en étant plus réactifs et plus flexibles.» TJ

     

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