• EGYPTE : Une "autre analyse"

    La fête

    Dans leur immense mansuétude, après s’être octroyé le pouvoir législatif en dissolvant l’Assemblée, le pouvoir constitutionnel en invalidant de fait la nouvelle assemblée constituante, après avoir donné pleins pouvoirs à la police militaire et placé son budget au-dessus de la constitution, le Scaf a bien voulu reconnaître la victoire de Morsy aux élections.  

    Il n’y a pas de doute : c’est bien le candidat des Frères qui a remporté ce scrutin. Dans le cas contraire, il n’y aurait pas eu une semaine de tergiversations. En ce sens, les égyptiens avaient de bonnes raisons de fêter une avancée démocratique hier soir. Pour la deuxième fois de leur vie, on proclamait le résultat d’une élection non connu à l’avance. La précédente avait eu lieu pour les législatives.

    Il n’est pas sûr pour autant que ce soit les idéaux de la Révolution qui aient ainsi progressé. Mais c’était cela que voulaient croire les centaines de milliers d’égyptiens rassemblés cette nuit. Une fête populaire, très populaire, impossible à réduire à une victoire “islamiste” comme le sous-entendent certains commentateurs (voir la Une de Libé aujourd’hui). D’ailleurs étaient présents sur la place de nombreux abstentionnistes du second tour, peu amènes à l’encontre de Morsy et de son parti, contents malgré tout d’avoir échappé à l’annonce d’un retour de Moubarak-bis et à la fin certaine du processus commencé il y a un an et demi.

     

    Non, on ne psalmodiait pas le Coran sur la place, mais on chantait toutes les chansons populaires qui ont accompagné les rassemblements depuis le 25 janvier 2011, de l’hymne national à celui des Ultras, en passant par “Ya baladi” (Mon pays) de Dalida, repris en cœur par la foule. (extraits ici). On scandait encore “Du pain, la liberté et la justice sociale ! “, des exigences qui rassemblent toujours les égyptiens, et auxquelles Morsy et ses Frères devront faire face. Certes, ils pourront toujours dire qu’ils n’ont pas le pouvoir nécessaire pour réaliser les changements attendus, mais ils ont tout de même accepté un deal avec l’armée (dont nous ne connaissons pas tous les termes). La situation catastrophique du pays appelle des mesures radicales que le parti de la Justice et de la Liberté semble de toutes façons incapable de proposer.

     

    En choisissant d’associer les Frères au pouvoir – pouvoir qu’il garde en main pour l’essentiel- le Scaf a sans doute fait le calcul d’un retour à l’ordre, un ordre auquel la Confrérie appellera les égyptiens, sans trop se forcer d’ailleurs. Cette stratégie a un revers qui est, à mon avis, la seule vraie victoire de ces derniers jours. Les luttes sociales et l’opposition politique vont enfin être débarrassées du parasite permanent que constitue une organisation occulte dont les militants prennent leurs décisions ailleurs. L’armée n’ignorait pas le danger, elle qui a pris par avance des mesures permettant à la police militaire d’arrêter des civils. Une partie des gens qui étaient rassemblés hier soir auront la naïveté de faire confiance au nouveau pouvoir. Mais la majorité d’entre eux ne s’arrêteront pas en chemin : ils ont pris la parole et le mouvement de cette société est irréversible.

    Lu sur le blog de Sylvie Nony, prof au Lycée Français du Caire


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