• À la conquête des jours heureux

    Nés sous l’occupation, « les Jours heureux » hantent le patronat

    MICHEL ETIÉVENT

    Le 27 mai 1943, sous l’égide de Jean Moulin, les représentants des mouvements de résistance se regroupent sous l’autorité du Conseil national de la Résistance. Dix mois plus tard, paraît son programme : « les Jours heureux ». Un programme toujours combattu par le patronat.

    L’enseignement à retenir de la création du CNR, le 27 mai 1943, c’est le formidable espoir qu’elle allait susciter dans les rangs de la Résistance et audelà pour tous les révoltés des luttes du futur ! En effet, comment ces jeunes réunis en pleine clandestinité pouvaient-ils imaginer que le programme d’invention sociale qu’ils allaient forger deviendrait réalité deux ans plus tard dans une France qu’ils allaient libérer ? » Ces mots de Stéphane Hessel soulignent la portée du 27 mai 1943 : une éclaircie de dignité dans la désespérance de la guerre. Une éclaircie que le patronat français n’aura de cesse jusqu’à aujourd’hui d’éteindre. « Nous ne pouvons nous contenter des vieilles recettes d’autrefois, assure Laurence Parisot, parlant de la protection sociale. Nous avons besoin d’imaginer un nouveau modèle... Réformons vite nos systèmes qui sont archaïques. » Ce jour-là, 48, rue du Four, à Paris, dans l’appartement de René Corbin, s’unifie, sous l’autorité de Jean Moulin, l’ensemble des mouvements de résistance français. Ce jour-là, les résistances devinrent « la Résistance ». Posons le décor. Hiver 1942-1943. À l’Est, la guerre bascule. Embourbées à Stalingrad, les « armées nazies plient devant l’Armée rouge. La nouvelle court les maquis et accrédite l’idée que le IIIe Reich n’est pas invincible. Constant Paisant, un des FTPF qui s’illustrera en 1944 aux Glières, se souvient : « Ce coup fatal à l’Allemagne, c’était le vent de l’espérance. Il nous porta au long de nos combats, particulièrement dans la tragédie du plateau où allaient mourir plus de 150 camarades. »

    DE GAULLE MISSIONNE UN PRÉFET DE QUARANTE-DEUX ANS, JEAN MOULIN

    Autre bouleversement, le débarquement anglo-américain en Algérie, le 8 novembre 1942. La guerre se déplace vers le sud et engage une bataille entre les Alliés et le général de Gaulle, à Londres, pour le contrôle d’Alger et, par voie de conséquence, le leadership de la France libre. Les Américains, relativement bienveillants à l’égard de Vichy, parient sur le général Henri Giraud pour diriger la France sous future autorité américaine. De Gaulle souffre d’une vraie légitimité tant vis-à-vis de la résistance intérieure que des Alliés qui lui dénient la qualité de seul représentant de la France libre. Il lui faut gagner le soutien de la résistance française. C’est dans ce contexte qu’il missionne un préfet de quarante-deux ans, Jean Moulin, pour coordonner les différents mouvements de résistance.

    L’homme, révoqué par Vichy, a entrepris ce travail d’unification dès son entrée dans l’armée de l’ombre. Dès 1941, il lie contact avec les mouvements de résistance, unifie peu à peu la Zone Sud par la création de l’Armée secrète et des MUR, tandis que s’organise le rassemblement de la Zone Nord. Au terme de laborieuses négociations, alors que la Gestapo emprisonne et déporte en masse, Jean Moulin parachève la coordination des actions sur tout le territoire et assure un socle solide au futur gouvernement provisoire. Mais ce « noeud de résistance » qui unit les forces de toute appartenance politique, des communistes à la droite non collaboratrice, cache aussi un « noeud de méfiances ». Méfiance à l’égard du Parti communiste, force vive, implantée et fortement organisée, dont il s’agit de museler les prétentions, suspicion des mouvements de résistance à l’égard de Londres et de De Gaulle, dont ils redoutent l’hégémonie, méfiance extrême des mêmes mouvements à l’égard des partis politiques suspectés d’avoir précipité la faillite de la République en 1940.

    Un âpre débat s’engage. Les contacts noués à Londres entre le Parti communiste et de Gaulle par l’entremise de Fernand Grenier ainsi que la reconnaissance par les Alliés d’un Comité français de libération nationale à Alger vont lever les derniers obstacles. Ils sont 19 (8 représentants des mouvements de résistance, 6, des partis politiques et 2, des syndicats de la CGT, réunifiée aux accords du Perreux en 1942, et CFTC) à se retrouver, le 27 mai 1943, sous la direction de Jean Moulin, assisté de deux secrétaires, Pierre Meunier et Robert Chambeiron, qui raconta plus tard : « La réunion, difficile à organiser, fut brève.

    Sécurité oblige. Jean Moulin rappela les buts de la France combattante... On a écrit beaucoup de choses sur l’âpreté des négociations ; en fait, tout se déroula dans une atmosphère d’unité patriotique. » L’atmosphère sera moins paisible quand le CNR se penchera sur l’élaboration d’un programme. On imagine les oppositions violentes de la droite à un ensemble de mesures qui vont conjuguer invention sociale et audace révolutionnaire. Le texte final est le fruit de neuf mois de discussions, de multiples moutures proposées par les différentes parties, débattues à Alger et au sein du CNR, dirigé par Georges Bidault à la suite de l’arrestation de Jean Moulin, le 21 juin 1943, puis par Louis Saillant (CGT), qui impulsera fortement la réflexion vers l’innovation sociale. Paru le 15 mars 1944, sous le titre les Jours heureux, le programme développe, en une première partie, « un plan d’action immédiate », qui lie appel à l’insurrection et développement de la lutte pour hâter la Libération. La seconde partie, plus politique, décline, au futur, liberté, démocratie économique et sociale et solidarité. Au fil des articles s’affine le visage d’une démocratie nouvelle où l’homme est la pierre angulaire de l’avenir. « Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec les angoisses du lendemain ». Les mots esnés quissent les grandes réformes à venir qui fondent une République de citoyens où l’homme est à la fois acteur et gestionnaire de sa propre vie. Dans ce programme, s’affiche la volonté de rompre avec l’ancien monde et d’ouvrir la fin du siècle sur l’invention sociale : « Instaurer une véritable démocratie sociale impliquant l’éviction des féodalités économiques et financières de la direction de l’économie... Droit d’accès aux fonctions de direction et d’administration pour les ouvriers... Retour à la nation des grands moyens de production monopolisés... Droit au travail... Presse libre et indépendante... »

    Le texte final est le fruit de neuf mois de discussions, de multiples moutures proposées par les différentes parties.

    SOIXANTE-DIX ANS APRÈS, CE PROGRAMME EST TOUJOURS D’UNE ACTUALITÉ BRÛLANTE

    L’audace au service d’un peuple avide de justice. La France de 1793, revisitée par ceux qui ont lutté, souffert, espéré. Le programme va inspirer toutes les grandes réformes des gouvernements de la Libération : nationalisations, fonction publique, Sécurité sociale, comités d’entreprise, retraites, statut des mineurs, des électriciens et des gaziers... Un visage de dignité rendu possible par le rapport de forces de l’époque : 5 millions d’adhérents à la CGT, 29 % des voix au PCF (et des ministres ouvriers tels Ambroise Croizat ou Marcel Paul...), une classe ouvrière grandie par sa résistance héroïque, un patronat sali par sa collaboration.

    Soixante-dix ans après, ce programme est toujours d’une actualité brûlante à l’image de la haine qu’il suscite chez le patronat. En témoigne Denis Kessler, un dirigeant du Medef qui, en 2007, incitait le gouvernement à se défaire au plus vite « d’un système ringard, hérité du CNR, de la CGT et des communistes ».

    Auteur de : Ambroise Croizat ou l’invention sociale (édition revue et augmentée, éditions Gap, 2012, 256 pages, 30 euros, port inclus). L’Histoire de la sécurité sociale, éditions Gap, 2013, 85 pages, 12,50 euros (port inclus).

    Envoyer ses coordonnées et un chèque à Michel Etiévent, 520, avenue des Thermes, 73600 Salins-les-Thermes.

     

    L’oeuvre du CnR est un projet de nouvelle République

    Georges Séguy, ancien résistant et déporté, fut secrétaire général de la CGT. Il pose un regard lucide sur les résistances contemporaines.

    ENTRETIEN

    STÉPHANE AUBOUARD

    Les membres du bureau du Comité national de la Résistance, en août 1944. De gauche à droite : Jacques Debû-Bridel, Pierre Villon, Gaston Tessier, Robert Chambeiron, Pascal Copeau, Joseph Laniel, Lecompte-Boinet, Georges Bidault, André Mutter, Henri Ribière, Daniel Mayer, Jean-Pierre Lévy, Paul Bastid, Auguste Gillot, Pierre Meunier et Louis Saillant. Musée Carnavalet/Roger-Viollet

    Georges Séguy, le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), soixante-dix ans après sa rédaction, est-il encore d’actualité ?

    GEORGES SÉGUY. Beaucoup de choses ont évolué, mais il faut continuer de s’y référer, car le programme du CNR n’était pas simplement un programme économique et social, c’était un projet de nouvelle République ! En ce sens, le programme reste plus que jamais d’actualité. Ne serait-ce que pour la retraite complémentaire, pour la santé, la Sécurité sociale, les droits syndicaux, la démocratie sociale... tout ce qui est attaqué aujourd’hui.

    Cet esprit d’union qui caractérisait le CNR, pourquoi a-t-on tant de mal à le faire ressurgir dans une période de crise pourtant très destructrice socialement parlant ?

    GEORGES SÉGUY. Ce qui manque, c’est la perspective et la lucidité politique susceptibles de faire comprendre que l’union est possible et nécessaire. Ce qui implique non seulement la lucidité, mais aussi l’engagement pour que cette lucidité se concrétise. C’est-à-dire qu’il ne faut pas seulement s’indigner. J’avais dit à Stéphane Hessel, quand il a publié son livre Indignez-vous ! : “Heureusement que toi et moi n’étions pas seulement indignés pendant la guerre !” C’est l’engagement qui compte ! De nos jours, il y a déjà de la bonne volonté, de l’indignation, suffisamment de forces disparates qui vont dans ce sens, mais il leur manque la lucidité politique pour savoir comment s’y prendre pour réunir autour de cette perspective d’union toutes les énergies nécessaires qui aboutiraient à un rapport de forces suffisant.

    Quel est l’ennemi commun aujourd’hui d’après vous ?

    GEORGES SÉGUY. Le capitalisme... la domination du grand capital. Les multinationales qui en sont à vouloir remettre en question le modèle social français directement issu du CNR. Il s’agissait d’un des modèles sociaux les meilleurs du monde, devançant même celui des pays socialistes qu’on a admiré abusivement... et ce modèle social français, ils sont en train de le détricoter comme le disait le patronat dès 1945, et comme la droite le redit aujourd’hui. Nous sommes donc dans une situation où le capitalisme n’est plus comme l’affirmaient autrefois les économistes du capital “l’évolution suprême du genre humain”, ils ne le disent plus d’ailleurs, mais ils veulent le maintenir en vie en exploitant plus durement encore le monde du travail et pas seulement dans les pays industrialisés mais à l’échelle de la planète. Ce sont des données nouvelles qui prouvent que l’intérêt commun des travailleurs d’un pays développé, comme celui d’une ex-colonie d’Afrique ou d’Asie, converge contre un ennemi commun. Il reste donc beaucoup d’efforts à faire pour que ceux qui sont pour une évolution sociale s’engagent par rapport à ça.

    Vous allez souvent dans les lycées et les collèges à la rencontre d’étudiants qui ont l’âge que vous aviez quand vous êtes entré dans la Résistance. Que leur dites-vous ?

    GEORGES SÉGUY. Je leur dis que de nos jours il faut être sensible aux enseignements de la Résistance. Y être sensible pour faire face aux dangers qui les menacent. Le 28 avril dernier, pour la Journée de la déportation, j’ai eu le plaisir de lire un texte qui a été publié par des déportés de toute sensibilité. Ce texte dit, je cite : “Nous devons dire aux générations nouvelles que c’est surtout dans les moments de crise que surgissent les discours anti-démocratiques xénophobes, racistes et antisémites, dans lesquels elles doivent discerner les thèses de ceux qui ont exterminé les juifs d’Europe, massacré les Tziganes, déporté et fusillé les résistants.

    Aujourd’hui, il est essentiel qu’elles reconnaissent dans d’autres discours les vociférations de Hitler et la voix soumise de Pétain. Ainsi averties, elles pourront combattre le danger s’il se présente.” Ce texte-là transmet les enseignements par essence des problèmes auxquels les jeunes sont confrontés en France aujourd’hui et que nous autres, jeunes résistants d’une autre époque, avons réussi à combattre et à vaincre.

    Vous avez été secrétaire général de la CGT de 1968 à 1982, le syndicalisme reste-t-il aujourd’hui un instrument de lutte et de résistance efficace ?

    GEORGES SÉGUY. Je suis un syndicaliste humaniste et républicain. Et je suis de ceux qui pensent que la liberté, l’égalité et la fraternité ne peuvent donner leur pleine valeur sans progrès social. Cela signifie que tout ce qui va contre le progrès social, tout ce qui tend à revenir en arrière par rapport à ce que le syndicalisme a obtenu en matière de progrès social, est contraire à la liberté, l’égalité et la fraternité, et donc contraire à l’esprit républicain. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une expérience du syndicalisme qui ne manque pas de similitude avec les préoccupations du syndicalisme de mon époque. La réunification de la CGT en 1943 avait donné un coup de fouet à la Résistance. Il faut s’inspirer de cela et se battre dans les entreprises. Contre l’ANI (accord national interprofessionnel), par exemple, c’est un retour en arrière, c’est un recul, c’est une régression... l’austérité est une régression ; les syndicalistes ont leur rôle à jouer pas seulement sur les revendications les plus évidentes, mais aussi sur la transformation de la société. Dès l’origine, le syndicalisme il y a plus de cent ans, s’est prononcé pour la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme. C’est-à-dire contre le capitalisme. Cependant, je pense qu’aujourd’hui un changement de société ne pourra s’accompagner sans la voie politique. Les forces sociales ne suffiront pas. Aussi, le Front de gauche, qui reste une idée, doit-il continuer à se renforcer et surtout à s’unifier. La division, voilà l’ennemi intérieur de tout temps.

    « Tout ce qui tend à revenir en arrière sur ce que le syndicalisme a obtenu en matière de progrès social est contraire à la liberté, l’égalité et la fraternité, et donc contraire à l’esprit républicain. »

    Une entreprise méthodique de casse

    YVES HOUSSON

    1er mai 1945, place de la Nation à Paris, SFIO et PCF demandent l’application immédiate du programme du CNR. keystone France

    Sécu, retraites, nationalisations... Les réalisations du programme du CNR ont été mises à rude épreuve, sous la pression du capitalisme financiarisé. Ses idéaux continuent de servir de référence dans les mouvements sociaux.

    L’info vient du Figaro : dans la course à la présidence du Medef, le favori, Pierre Gattaz, aurait accepté le soutien de la puissante Fédération des sociétés d’assurances (FFSA) contre la promesse de lui confier la gestion, pour le compte de l’ensemble du patronat, du dossier des retraites et de la protection sociale. La manoeuvre, qui intervient à quelques semaines du lancement, par le gouvernement Ayrault, de réformes sur les retraites et la dépendance, aurait été orchestrée par Denis Kessler, grand idéologue du Medef, ancien président de la FFSA. Et auteur d’une déclaration restée dans les mémoires militantes : en 2007, analysant les nombreuses réformes engagées par Nicolas Sarkozy, il dégageait « la profonde unité (de) ce programme ambitieux » : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. » Parole d’expert : dans la galaxie patronale, les assureurs se sont de longue date distingués en se plaçant à la tête de la croisade contre la Sécu.

    Près de soixante-dix ans après le grand oeuvre du CNR, sa liquidation reste une priorité pour le patronat. Et dans ce cadre, le « plan complet de Sécurité sociale » élaboré en 1945 constitue toujours la cible privilégiée.

    La Sécu sapée dans ses bases, de réforme en réforme

    Les intérêts privés n’ont jamais accepté que soit soustrait à leur appétit l’immense gâteau des dépenses de santé, par la mise en oeuvre d’une assurance collective, fonctionnant selon le principe « chacun cotise selon ses revenus et reçoit selon ses besoins ». Un temps, du fait de son passé collaborationniste, le patronat se tiendra sur la réserve. Trêve rompue en 1967.

    Depuis les « ordonnances Jeanneney » de cette année-là, qui chassèrent la CGT de la gestion des caisses de Sécu et y firent entrer en force le patronat, jusqu’à la loi Bachelot (2009) supprimant le service public hospitalier, en passant par la loi Évin (1989) et la réforme Douste-Blazy (2004), qui ouvrirent grand les portes de la Sécu aux assurances privées, des coups très durs ont été portés à l’édifice. L’assurance maladie a fait l’objet d’un véritable dépeçage, au rythme des franchises, forfaits et autres déremboursements. La part des soins courants (hors hôpital) couverts par la Sécu est désormais inférieure à 50 %, le reste étant accaparé par le secteur privé.

    La retraite par répartition peu à peu dévalorisée

    Incarnation de la volonté, affirmée dans l’ordonnance de 1946, de « débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain », la retraite par répartition subit elle aussi des coups de boutoir répétés, avec les réformes mises en oeuvre depuis les années 1990. Les conditions d’accès à la retraite (durée de cotisation, âge du départ) se durcissent sans cesse, les règles de calcul et de revalorisation entraînent une baisse régulière du niveau des pensions. La confiance dans le système recule, tandis que le recours à l’épargne, par essence très inégalitaire, forme indirecte de privatisation, est de plus en plus encouragé.

    Haro sur les cotisations sociales

    Motivées par les déficits de la Sécu, que creuse le chômage, toutes les réformes s’appuient sur une campagne idéologique permanente présentant les cotisations sociales, principale source de financement de la Sécu, comme une « charge », un frein à l’emploi et à la compétitivité. Le patronat ne s’est jamais vraiment résolu à cet autre grand acquis de 1945 : ce principe de financement de la protection sociale, ce « deuxième salaire », socialisé, prélevé directement sur la richesse créée, et donc soustrait aux détenteurs du capital. D’où sa pression incessante pour obtenir des allégements de « charges », et leur transfert sur les ménages, via l’impôt.

    Le secteur public réduit comme peau de chagrin

    Depuis les nationalisations massives des banques et des grands moyens de production ainsi que des sources d’énergie en 1945, suivies d’une nouvelle vague en 1982, le secteur public a pratiquement été ramené à sa plus simple expression. Les politiques de libre concurrence, impulsées par Bruxelles, relayées par les gouvernements successifs, de droite et socialiste, lui ont fait la peau. Hormis, pour l’essentiel, la Caisse des dépôts, les Caisses d’épargne et La Banque postale, le secteur financier est presque entièrement privatisé, et la création récente de la Banque publique d’investissement ne change guère la donne. Par le biais du changement de statut (en société anonyme), de l’ouverture au capital privé, de la mise en concurrence, des fleurons comme EDF, GDF, la SNCF, La Poste sont de plus en plus gérés sous la contrainte de la rentabilité financière, au détriment du service public. Les « féodalités économiques et financières », chassées de la direction de l’économie au sortir de la guerre, imposent à nouveau leur loi.

    Des idéaux qui font de la résistance

    En dépit des coups donnés à ses réalisations historiques, les idées portées par le CNR font cependant de la résistance. En ont témoigné, entre autres, les puissantes mobilisations pour le droit à retraite en 2003 et 2010, les deux millions de participants à la « votation populaire » pour défendre le service public de La Poste en 2009, ou encore, récemment, le retour de l’idée d’appropriation publique des moyens de production, à la faveur de conflits sociaux (ArcelorMittal, Petroplus, etc.).

     

    Pour moi, c’était « un engagement instinctif »

    Cécile Rol-Tanguy est une de ces femmes de l’ombre qui ont résisté contre l’occupant allemand. ENTRETIEN

    GRÉGORY MARIN

     

    Marseille, 1944. Des maquisardes brandissent les fusils qu’elles ont utilisés pour combattre les nazis. Rue des Archives/BCA

    Moins nombreuses que les hommes, les femmes étaient pourtant un rouage essentiel dans les réseaux clandestins de la France occupée. A-t-on trop tardé à reconnaître leur rôle ?

    CÉCILE ROL-TANGUY. Mon mari (Henri Rol-Tanguy, commandant FTP de la région parisienne – NDLR) a été le premier à rappeler le rôle des femmes dans la Résistance, dès septembre 1944. Cela dit, ça n’a pas été répercuté. On l’a dit, puis vite oublié. On faisait peu de cas des femmes à ce moment-là. Dans mon cas, je n’ai pas attendu que mon mari revienne de démobilisation. Je viens d’une famille syndicaliste, communiste, mon père avait été arrêté pour reconstitution de ligue dissoute (le syndicat CGT des producteurs d’électricité), j’avais été élevée dans un « chaudron ». Alors, quand le syndicat des métallos m’a demandé si j’acceptais de taper à la machine pour les comités populaires de la métallurgie qui commençaient à se former, fin juin début juillet 1940, j’ai dit oui, comme un réflexe. Je ne savais pas où était Henri après la débâcle, je ne savais pas où était mon père, qui venait de quitter la prison de la Santé, je venais de perdre ma première fille, le lendemain de l’entrée des Allemands dans Paris... À part ma mère, plus rien ne m’attachait. Des années plus tard, j’ai compris que c’est cet engagement instinctif qui m’avait aidée à passer ce cap difficile.

    Vous aviez conscience d’intégrer quelque chose d’important ?

    CÉCILE ROL-TANGUY. Je prenais mes responsabilités. On ne parlait pas encore de Résistance, alors. Mais je ne pouvais pas regarder défiler les Allemands dans Paris, alors que j’avais été élevée dans l’antifascisme, que j’avais de tout temps vu des immigrés chez mes parents, antifascistes allemands et italiens placés par le Secours rouge... Me suis-je bien rendu compte sur le moment de mon engagement ?

    Qui étaient-elles, ces femmes qui ont choisi l’ombre ?

    CÉCILE ROL-TANGUY. Il y avait des femmes volontaires, mais pas tellement... La période était très difficile, elles pensaient avant tout à leurs enfants, à leur mari parti.

    Mais quelques-unes s’y sont mises. J’en connaissais une, compagne d’un ancien brigadiste en Espagne, dont le mari avait été emprisonné, qui a dit : « Je prends sa place pour faire la liaison pour le Parti. » Elle n’était même pas communiste ! J’avais beaucoup sympathisé avec elle. Quand je transportais des grenades, des pistolets dans le landau de mon fils, elle me disait : « Pourquoi fais-tu ça ? » Elle a été arrêtée, envoyée à Auschwitz, elle n’est pas revenue. Il y a un centre de formation dans le 19e arrondissement de Paris qui porte son nom : Angèle Mercier. Ça me remue encore d’en parler, mais c’est aussi pour toutes celles-là qu’il me faut encore témoigner.

    À quoi ressemblait votre quotidien ?

    CÉCILE ROL-TANGUY. J’étais secrétaire, alors je tapais les tracts, les affichettes. On faisait aussi les liaisons, c’est-à-dire transmettre des messages, à l’écrit aussi bien qu’à l’oral, des documents, des tracts, prévenir les uns et les autres des rendezvous secrets... D’ailleurs, quand Henri est arrivé à Paris, après la démobilisation, c’est moi qui l’ai conduit à la liaison.

    Cet engagement des femmes leur a valu une place nouvelle dans la société. Le droit de vote par exemple, est-ce une reconnaissance ?

    CÉCILE ROL-TANGUY. J’ai toujours dit que ce n’était pas le général de Gaulle qui a donné le droit de vote aux femmes. On l’a gagné. On ne pouvait faire autrement que de nous le donner, c’est évident.

    « Je ne pouvais pas regarder défiler les Allemands dans Paris, alors que j’avais été élevée dans l’antifascisme. »

    http://www.humanite.fr/


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