• Syrie : pourquoi la guerre et pourquoi maintenant ?

    Syrie : pourquoi la guerre et pourquoi maintenant ?

    Ali Akika

    Les grands évènements de l’histoire, comme la chute des empires ou l’émergence de nouvelles puissances, ne résultent pas de petits accidents, ils sont plutôt engendrés par les volcans dont la grande histoire a le secret. Ainsi, ce n’est pas un hasard si la chute de Grenade (1492) a eu lieu au moment de la découverte de l’Amérique (1492). Ce n’est pas non plus un hasard si c’est un Italien, Christophe Colomb (du pays de la Renaissance en Europe) qui fut armé par la puissante Espagne pour aller à la découverte du nouveau monde.

    Ces deux faits historiques nous ont fait assister à la naissance d’un nouveau mode de production, le capitalisme qui ouvre de nouveaux horizons balayant tout sur son passage par le feu et le fer. Les Indiens et les esclaves africains en savent quelque chose. Mais l’empire « arabo-musulman », stagnant dans le mode de production féodal avec son cortège de déchirures internes, va lui aussi en faire les frais et connaître son crépuscule (voir Ibn Khaldoun sur la décadence des sociétés). Les évènements auxquels nous assistons aujourd’hui dans le monde arabe sont aussi les produits de bouleversements de même nature que ceux que nous venons de décrire. Il faut bien entendu tenir compte de certaines particularités, fruits elles-mêmes du temps qui passe.

    Quels sont ces bouleversements de notre époque ?

    1) La mondialisation, nouvelle étape qualitative du capitalisme.
    2) La défaite militaire américaine en Asie face à la Chine (Corée) et au Vietnam ainsi que sa défaite morale et politique en Irak, Afghanistan….
    3) La chute du Mur de Berlin et l’implosion de l’URSS.
    4) Entrée en scène de pays dit émergents.
    5) Entrée fracassante de l’islamisme politique sur la scène mondiale.

    Le déclin des Etats-Unis, suite à leurs aventures militaro-impérialistes et l’implosion de l’URSS introduisent de nouveaux paramètres dans les relations internationales.

    Comment ces nouvelles données vont-elles « s’investir » dans le monde arabe ? Une des données, la mondialisation va être dévastatrice pour les sociétés de ce monde là. Pays vivant pour la plupart d’entre eux essentiellement de la rente pétrolière ou du tourisme, important 80% de leurs besoins, soumis à des régimes politiques où la démocratie est une denrée rare sinon une obscénité, cadenassés par un conservatisme mortifère et/ou infantilisant, la mondialisation est vécue à la fois comme un paradis fantasmé et un enfer redouté. La chute des deux superpuissances va fragiliser tous ces pays. Il y aura les orphelins comme Saddam Hussein et Kadhafi abandonnés par la Russie encore malade de l’éclatement de l’URSS et des frasques de son guignol Eltsine. Les roitelets et autres princes d’opérette se jetteront carrément dans le lit des Etats-Unis, incapables de défendre leurs frontières et paralysés par la peur panique de leurs peuples. Incapables de mettre sur pied une économie productrice de vraies richesses, allergiques aux progrès et à la démocratie, ne comprenant rien à la mondialisation et donc malmenés par celle-ci, ces pays se vidèrent de leur substance intellectuelle tout en abandonnant leurs populations à la misère et à des lendemains sans une once d’espoir. A cela, il faut ajouter le vide idéologique qui a été favorisé par le bouleversement des retombées de la mondialisation. Ce vide fut vite rempli par l’islamisme politique qui s’empressa d’occuper l’espace. Cette occupation de l’espace politique était d’autant plus facile que la démocratie vantée par l’Occident agit comme un épouvantail. Il ne faut pas oublier que cet Occident, hier prix Nobel des guerres coloniales et aujourd’hui voulant introduire « sa démocratie » dans ses chars accompagnés de missiles tirés à bonne distance « dans la plus belle tradition chevaleresque », n’a pas bonne presse. Ces leçons, ces mensonges, son hypocrisie et son arrogance dans tous les conflits qui saccagent le monde arabe l’ont disqualifié. Son aveuglement et ses préjugés lui font perdre la notion et de la réalité et de la justice. Ainsi, la France menace directement et militairement la Syrie, et quand le président de ce pays affirme que cette éventuelle agression ne restera pas sans réponse, il devient l’agresseur. Quand une députée du parti des Verts dit naïvement qu’elle fait confiance aux services secrets de son pays qui ont conclu à l’utilisation des gaz par la Syrie, on reste bouche bée. Cette naïve députée ne sait-elle pas que la raison d’être des services secrets est de fabriquer n’importe quoi pour déstabiliser l’ennemi. Ne sait-elle pas que tous les pays, à commencer par le sien, fabriquent des preuves. Par exemple contre les Irlandais de Vincennes, contre le bateau de Green Peace (vert comme elle) qu’ils ont fait sauter en Nouvelle-Zélande sans parler des exploits de la Main rouge pendant la guerre d’Algérie. Dans quelle misère est tombée cette classe politique !

    Quant à l’autre idéologie, le marxisme, elle connaît, c’est le moins qu’on puisse dire, une hibernation, suite, entre autres, aux échecs de l’URSS et à l’introduction d’un capitalisme sauvage en Chine avec la bénédiction du Parti communiste chinois. En résumé, nous assistons dans le monde arabe, comme à l’époque de l’Andalousie, à un face-à-face entre un capitalisme mondialisé et des sociétés à la fois fragilisées et traversées par une dynamique de luttes politiques. Dans ce face-à-face, les acteurs remplissent chacun de son côté leur rôle. Les peuples se révoltent sans demander la permission à personne pour se donner de l’oxygène et échapper à l’indignité de la misère. Le capitalisme mondialisé ne peut renoncer à ses tendances « naturelles » à savoir élargir ses territoires où il peut accaparer les richesses et déverser ses gadgets à bon marché. J’ouvre ici une parenthèse pour me débarquer des idéologues qui sévissent ici et là. En Europe, pour cacher les méfaits criminels de la mondialisation, on veut faire croire que les interventions extérieures se font pour favoriser et établir la démocratie. Chez nous, certains nous disent que les soulèvements populaires ne sont que le fruit des manipulations de puissances étrangères. Hier, l’Occident nous bassinait avec les guerres de libération qui seraient téléguidées par la main de Moscou. Aujourd’hui, des timorés chez nous voient la main de la CIA derrière les soulèvements comme si tous les peuples arabes étaient de simples marionnettes.*

    Ce genre de lectures réductrices des faits historiques brouillent les données et nous empêchent de comprendre l’histoire en train de se faire. Par honnêteté et rigueur intellectuelles, je me fonde uniquement sur des faits concrets et historiques que tout un chacun peut connaître et dont il peut « contrôler » la pertinence de leur place dans l’analyse que je propose.

    Les guerres donc « chez nous » se déroulent dans un champ occupé essentiellement par deux acteurs politiques locaux, à savoir le nationalisme (et la démocratie) et l’islamisme sous toutes leurs formes.

    L’issue de cette bataille intéresse évidemment les puissances étrangères qui possèdent de gros intérêts dans la région. Mais ce champ de bataille est ouvert à tous les vents, et ces vents là drainent derrière eux des puissances étrangères dominatrices. Et ces mêmes vents de la mondialisation introduisent des paramètres économiques, sociaux et culturels qui modifient les équilibres traditionnels de toutes les sociétés.

    Comme des puissances bien installées dans « nos » régions veulent maintenir le statu quo pour continuer à siphonner le pétrole de la région et protéger Israël, leur enfant chéri, ils élaborent leurs stratégies et fourbissent leurs armes pour influer sur le cours des événements. Se pose à eux un dilemme cornélien. Quels sont les acteurs du champ politique avec lesquels ils peuvent s’entendre ? Leur dilemme cornélien est en réalité de façade ; en réalité, ils ont fait leur choix, ça sera l’islamisme. Car ils pressentent que la dynamique de la mondialisation a plus de chance de servir les forces démocratiques. La mondialisation en effet a tous les défauts, y compris celui de briser les racines féodales de l’économie et de la culture. Ces « défauts » sont un danger pour leurs protégés, ces princes d’opérette qui se satisfont d’acheter des clubs de footballs. L’Occident a fait l’expérience des forces populaires (hier l’Iran de Mossadegh, et aujourd’hui le Venezuela qui ont nationalisé leur pétrole). Il sait que ces forces populaires d’aujourd’hui ne braderont pas les richesses du pays et trouveront des alliés (qui ont manqué à Mossadegh) parmi les pays émergents qui ont connu la domination coloniale ou tout simplement les affres du sous-développement (voir Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Argentine etc). En revanche, avec les islamistes, ces puissances occidentales avec leur légendaire pragmatisme, trouvent toujours un modus vivendi(**). Cet arrangement est d’autant plus facile à trouver que les islamistes sont des partisans zélés de l’économie du marché et adeptes d’un conservatisme à toute épreuve. Marché et conservatisme ne sont-ils pas les deux mamelles des sociétés dites libérales ?

    Il faut donc cerner la dynamique propre à tous les acteurs de l’histoire pour mieux saisir les liens qu’ils entretiennent entre eux. Il ne faut pas commettre l’erreur qui détourne de l’identification du facteur qui régit tel ou tel phénomène.

    L’histoire nous enseigne que tous les phénomènes sociaux réagissent d’abord à leurs contradictions internes.

    Le facteur extérieur peut intervenir pour jouer un certain rôle sur les dits phénomènes mais, sur le long terme, les contradictions internes reprennent le dessus. Les chars de Bush, une fois partis d’Irak, les vieilles et solides contradictions de ce pays s’en donnent à cœur joie. La France et ses 132 ans de présence dans notre pays a repris le chemin du retour et nous nous débattons aujourd’hui avec nos contradictions (culture féodale, tribalisme, bigoteries et intolérance religieuse etc.).

    Pour rester dans les bouleversements dans le monde arabe, nous avons vu que les Occidentaux, pris au dépourvu en Tunisie et en Égypte, ont pris le train en marche. Comme ils ne pouvaient pas arrêter le mouvement enclenché, ils se sont appuyés sur leurs « alliances internes » pour accompagner les évènements en sacrifiant les Ben Ali et autres Moubarak. Ceux-ci n’étaient plus des agents sérieux sur lesquels ils pouvaient compter. En revanche, ils se sont cassé les dents en Iran lors de l’agitation qui a suivi l’élection de Ahmadinejad et aujourd’hui en Syrie où ils connaissant un fiasco diplomatique. Ils essaient mais ne peuvent modifier de l’extérieur les données internes de ces sociétés qui ont des ressources pour résister.

    Ces quelques repères conceptuels et politiques nous éclairent sur les attitudes des pays arabes face à la mondialisation et leurs rapports avec l’Occident. Cet éclairage nous permet de mieux saisir les différences entre les processus qui se déroulent en Tunisie, en Égypte, douloureux certes, mais sans commune mesure avec le carnage en Syrie qui se fait avec la bénédiction de pays arabes valets des Occidentaux. Il est visible que ce carnage est dû à la position de la Syrie sur l’échiquier de la région. La Syrie, ami de l’Iran, bête noire de l’Arabie et ennemi irréductible d’Israël, constitue un obstacle fort gênant pour les rêves fous de ces pays qui fondent leur identité et leur histoire sur la religion. Il faut donc donner la place qu’il mérite à chaque paramètre.

    Il faut comprendre pourquoi tel paramètre est opératoire ici et impuissant ailleurs. Il faut comprendre pourquoi de tels facteurs se combinent et que la mayonnaise finit par prendre. Enfin, pourquoi des facteurs internes se conjuguent avec des éléments externes dans un pays et pas dans un autre.

    Pourquoi la guerre maintenant ?

    Une guerre ne se déclenche pas sur un coup de tête, elle n’est déclenchée que lorsque des intérêts des pays sont menacés, quand des puissances se lancent dans une aventure qui peut rapporter gros comme on dit vulgairement. Les guerres ininterrompues depuis la première guerre du Golfe en 1991 sont le produit de cet ouragan appelé « mondialisation ».

    Chaque acteur de la scène du Moyen-Orient noue des alliances dans la région. Les uns pour se protéger, les autres pour maintenir leurs intérêts convoités par d’autres. Tant qu’un équilibre n’est pas trouvé entre les nouvelles puissances et les anciennes qui ne veulent rien lâcher de leurs privilèges, les guerres semblent être le nouvel horizon dans cette région du monde. Hier, c’est le pauvre Irak en train de se fortifier qui a été perçu comme un danger. Aujourd’hui, le « méchant » Iran cherche à se développer jusqu’à construire une industrie du nucléaire. Et ça fait peur à qui ? Tiens tiens ! A l’Arabie Saoudite et Israël. Et comme on ne peut pas surprendre l’Iran comme le naïf Saddam Hussein, on commence par le couper de ses alliés du coin, l’isoler pour mieux le défaire. Et la pauvre Syrie paie pour que les sentinelles de l’obscurantisme, l’Arabie Saoudite et Israël atteignent leurs objectifs. Mais pour toutes ces puissances qui s’agitent, les aventures guerrières aujourd’hui sont plus risquées. Poutine n’est pas Eltsine, et les Iraniens ne sont-ils pas les inventeurs du jeu d’échec qui comporte comme on le sait d’infinies combinaisons possibles. Mais surtout les peuples du monde arabe sont sortis et n’évacueront plus les places publiques. Après moult sacrifices, ces peuples finiront par imposer l’équilibre qui leur sied.

    L’Asie a bien imposé le respect à l’arrogant Occident. Cet objectif est à la portée du monde arabe. Ce monde comme l’Asie est l’héritier d’une grande civilisation, il n’y a aucune raison de ne pas parvenir à se faire respecter. Pour cela, il faut avoir en tête le déclin du monde arabe après la chute de Grenade. Cela est possible si on sait « négocier » notre rôle dans la mondialisation et nous en défendre. Si on ouvre les vannes de la connaissance, si on cesse ces rivalités et guéguerres qui se nourrissent des balivernes du tribalisme, du chauvinisme et autre philosophie de Monoprix etc. Si on fait tout ça, les rodomontades du père fouettard F. Hollande qui veut punir un pays dont l’âge se confond avec celui du Temps, ne nous feront pas peur, elles nous feront plutôt rire. Punir, il a sorti ce mot de l’arsenal du vocabulaire religieux du temps où les papes et les rois de droit divin punissaient les récalcitrants qui osaient les défier. Il oublie juste que nous sommes au XXIe siècle. Il devrait se souvenir que le socialisme auquel en principe il adhère est né au XIXe siècle, précisément pour dénoncer et abattre le capitalisme dont il est aujourd’hui le petit soldat et le supplétif du grand frère américain ayant lui-même quelque parenté avec l’Afrique esclavagisée par le même capitalisme.

    Ali Akika
    cinéaste

    *) L’Iran, bien que République islamique, n’a pas au mis au rancart son nationalisme ni oublié sa grandeur depuis Darius.

    **) J’ai écrit ici même des articles sur les bouleversements dans le monde arabe pour ne pas revenir ici par le détail.

    lesoirdalgerie.com

    * http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2013/09/19/article.php++cs_INTERRO++sid=1543...
    URL de cet article 22548
    http://www.legrandsoir.info/syrie-pourquoi-la-guerre-et-pourquoi-maintenant.html

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