• Quelques remarques basiques sur les émeutes en Angleterre

    Par Danielle Bleitrach

     

    Publié 12 août 2011

     

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    Source : Histoire et Société

     

    Si le mouvement des « indignés » de Madrid et ceux qui tentent de le copier est un mouvement soft pratiquant le sit-in dans le centre ville ou les quartiers chics et émanant des couches moyennes pour l’essentiel,  les émeutes anglaises sont parties on le sait de Tottenham, dans le Londres prolétarien et les quartiers les plus touchés par la révolte demeurent malgré quelques incursions, les quartiers défavorisés et elles s’étendent selon le même modèle à d’autres villes, est-ce que pour autant on peut considérer que l’on est en train de rentrer dans une véritable mouvement comparable à celui du printemps arabe, avec l’entrée en lice des couches prolétariennes ?

     

    Ce sont des jeunes gens  qui ont lancé l’occupation  des places centrales, des jeunes encore qui dévastent les quartiers périphériques. Même si l’on parle dans un cas des couches moyennes et dans l’autre de  couches prolétariennes le fait n’est pas négligeable comme il n’est pas secondaire que la révolte tunisienne soit partie de l’immolation d’un jeune chômeur diplômé qui s’estimait harcelé par la police.

     

    Si je ne partage pas la vision d’un Louis Chauvet qui considère que la lutte des classes passe désormais par les classes d’âge, il est évident que ce sont les plus jeunes qui n’ont cessé d’être le terrain d’exercice de toutes les « innovations » politiques néo-libérales.


     Les privatisations des grands secteurs publics se sont opérés en créant systématiquement des strates de travailleurs, les uns encore protégés, les autres précarisés. Aujourd’hui avec la nouvelle vague de destruction des protections sociales et du service public ce sont ces catégories d’âge qui sont le plus frappées en particulier par le coût des études, l’impossibilité de fait à accéder aux diplômes…

     

    Sans parler de l’impossibilité de se loger. Sur toutes ces questions de nombreuses analyses existent et démontrent que ces sont les jeunes à qui l’on réclame des ajustements de plus en plus durs à la crise.

     

    Bien sûr l’extrême-droite va tenter de tirer vers des émeutes raciales, c’est faux même si la pauvreté frappe plus fort dans les couches issues de l’immigration mais aussi les femmes ce dont on parle peu. Si danger racial il y a, il ne vient pas nécessairement de celui qu’on imagine, il suffit de considérer qui sont les victimes en particulier le meurtre de trois hommes sortant de la moquée par un automobiliste déterminé à tuer.

     

    D’un côté la rumeur d’un danger provenant de minorités stigmatisés et des faits qui frappent ces mêmes minorités pour éviter sans doute de voir la nature du mal qui concerne l’avenir de tous nos enfants. Car ce qu’il faut bien mesurer c’est que les sociétés sont confrontées à ce moment que tout parent d’adolescent connaît bien, celui où l’enfant s’estime maltraité (et il l’est incontestablement ici) et fait front en découvrant sa toute nouvelle force et son appartenance à une classe d’âge avec tout ce que cela peut représenter de violence accumulée.

     

    Il faudrait encore souligner la contradiction entre l’amélioration des relations parents-enfants qui se combine avec le durcissement de ce que leur offre la société ou encore la place nouvelle des filles, pour elles aussi tout devient plus aigu. Qu’est-ce que l’on fait politiquement de tout ça ?

     

    Le caractère social mais fondamentalement apolitique de ces deux mouvements. Ce qui est sûr  c’est que personne ne paraît en mesure aujourd’hui d’appréhender le problème, qu’il s’agisse de la menace ou de la démagogie, leur utilisation paraît bien dérisoire et c’est peut-être ce qui nous inspire cette analogie avec la manière dont il convient d’user avec des adolescents mais l’analogie ne doit pas être poussée trop loin parce que c’est là le véritable challenge que devrait affronter une force politique révolutionnaire: imposer son leadership par la force de conviction de ses propositions. Ne jamais flatter mais ne pas jouer les donneurs de leçon impuissants, ne pas contribuer à cette caricature du politique.


     Car il y a au moins un point sur  lequel tous ces mouvements se ressemblent. Il s’agit de leur caractère « apolitique » , ou plutôt le fait qu’ils ne revendiquent aucune appartenance politicienne, ni programme, ni issue claire et qu’ils sont de ce fait très hétérogènes.

     

    Ce qui est pour un temps une chance parce qu’ils recrutent large mais peut s’avérer aussi la faiblesse congénitale de cette révolte. Ce sont des mouvements de rage, le fondement est social, mais il y aussi une dimension éthique, ils apparaissent comme  le fruit du dégoût et la traduction rustique d’un certain nihilisme.


     Et là encore il convient d’approfondir : si les indignés ou le printemps arabe désignent un vide politique, les émeutiers d’Angleterre s’engouffrent par effet de masse dans une brèche. Depuis des décennies désormais s’est imposé la vision d’un monde politique dont on ne peut rien attendre, pas de véritables différences entre les partis en lice mais des querelles politiciennes… le spectacle que vient récemment de donner la principale puissance du monde face à sa dette abyssale, l’irresponsabilité.

     

    Pourtant rien ne naît en face, dans les émeutes anglaises,  apparaît clairement l’impossibilité de construire un peuple le mouvement est celui de la foule imprévisible, avide, pilleuse,  ce qui a été aussitôt utilisé par le pouvoir pour encourager ces figures tout aussi inquiétantes, les bons citoyens venus faire la propreté.


     Le pouvoir et les médias prétendent  isoler les fauteurs de troubles sur des bases raciales mais aussi celle d’une jeunesse qu’il faut mater.  Le vide politique plus la division sont et restent les meilleures armes d’une classe qui joue sa propre survie et n’a rien d’autre à offrir qu’une accumulation de plus en plus injuste et de plus en plus dévastatrice.

     

    Laisser se créer un feu que l’on peut manipuler pour éviter la contagion et le rassemblement est une vieille tactique mais elle peut s’avérer dangereuse désormais.


    Le capital s’en sort plutôt bien au vu de ce que sont encore ces révoltes qu’il s’agisse des indignés ou des émeutiers. Il est tout de même extraordinaire alors que cette étape de la crise, la pression sur les services publics en particulier, est le résultat de la manière dont les Etats ont assumé la crise du secteur privé, les banques en particulier, ce fait soit si peu dénoncé, ignoré même.

     

    Certes les politiciens de gauche en parlent, mais le discours politique de ces gens-là relève désormais de l’énumération, du calendrier à la Borgès (les animaux vus de loin, ceux peints avec une plume, ceux qui ont des poils, etc…), il y manque justement la logique politique…

     

    Donc cet incroyable scandale, ce holdup qui a fait que tout notre argent a été déversé dans l’escarcelle du privé pour racheter sa gestion catastrophique sur le plan financier est passée comme une lettre à la poste et on s’apprête à déverser un nouveau pactole pour rassurer les investisseurs.

     

    Comme on leur fait défilé armée et police pour montrer que les coffres sont à l’abri… Comme n’a été  à aucun moment dénoncé  le  coût dément des expéditions guerrières, comment après le fiasco de l’Irak, celui de l’Afghanistan a-t-on réussi à vendre l’expédition en Libye? Mystère !

     

    Il ne se trouve pas une force politique capable de faire le lien entre cette mobilisation des ressources collectives au seul profit des capitaux privés qu’il s’agisse des Banques ou des complexes industrialo-militaire et ce dont on prive nos enfants, non toutes les forces politiques susceptibles de représenter une alternative votent sans problème les crédits politique aux expéditions guerrières, admettent la politique économique et financière dominante et pleurent des larmes de crocodile sur nos troupes héroïques.

     

    Sur ce dernier point il faut dire que cette occultation est puissamment aidée par la vision raciale  cela permet de confondre ennemi intérieur et ennemi extérieur et à réclamer plus de police comme plus d’armée. Les institutions comme la police, mais aussi l’école sont dans le même temps  les fantassins en première ligne des conséquences ce désamour ce qui peut être tout sauf une révolution, on sait que le nazisme flatta la révolte des fils…

     

    Il n’y a aucune perspective chez les jeunes émeutiers simplement une protestation très individualiste du droit à la participation au gâteau et un modèle de révolte qui est passé par le prisme médiatique et ses déformations par exemple celui du printemps arabe comme résultat des réseaux sociaux.

     

    Au moment même où l’empire Murdoch, ses manipulations sont au cœur de l’actualité, la jeunesse n’a pas d’autre appréhension du monde que ce que lui distille ce monde médiatique…  Il y manque de la conscience de classe, d’où leur tomberait-elle ?

     

    Si on relit Marx, le Capital et la manière dont il lie accumulation du Capital à la paupérisation, avec le développement des « invalides » du Capital et la lumpen prolétarisation d’une partie de la jeunesse nous pouvons nous dire que nous avons dans cette jeunesse au chômage, en perte d’avenir quelque chose de cet ordre mais plus personne pour faire le lien entre accumulation capitaliste et violence retournée contre soi-même de ce pillage des quartiers prolétarien au suicide au travail: no futur!.

     

    Nous sommes devant un simulacre et rien de plus dangereux que les simulacres de « Révolution » quant à leurs issues réelles.

     

    Danielle Bleitrach


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