• Le mode de production capitaliste

    A. — Le capitalisme prémonopoliste

    Chapitre 17 — Les crises économiques

    17.1. Le fondement des crises capitalistes de surproduction.

    Dès le début du 19e siècle, depuis que la grande industrie mécanique a fait son apparition, le cours de la reproduction capitaliste élargie est coupé périodiquement de crises économiques.

    Les crises capitalistes sont des crises de surproduction. La crise se traduit tout d’abord par le fait que les marchandises restent invendues, parce qu’il en a été produit plus que n’en peuvent acheter les principaux consommateurs, les masses populaires, dont le pouvoir d’achat sous la domination des rapports de production capitalistes est extrêmement limité. Les « surplus » de marchandises s’amoncellent dans les entrepôts. Les capitalistes réduisent la production et congédient les ouvriers. Des centaines et des milliers d’entreprises ferment. Le chômage s’étend brusquement. Une multitude de petits producteurs de la ville et des campagnes se ruinent. La mévente des marchandises produites désorganise le commerce. Les liens du crédit se rompent. Les capitalistes éprouvent un manque extrême d’argent liquide pour effectuer leurs paiements. Et c’est le krach en Bourse : le cours des actions, des obligations et des autres valeurs s’effondre irrésistiblement. Une vague de faillites déferle sur les entreprises industrielles, les firmes commerciales et bancaires.

    La surproduction des marchandises pendant les crises n’est pas absolue, mais relative. C’est dire que le surplus de marchandises n’existe que par rapport à la demande solvable, et non point par rapport aux besoins réels de la société. En période de crise, les masses laborieuses manquent du plus strict nécessaire, leurs besoins sont satisfaits plus mal que jamais. Des millions d’hommes souffrent de la faim, parce qu’on a produit « trop » de blé ; les hommes souffrent du froid parce qu’on a extrait « trop » de charbon. Les travailleurs sont privés de moyens de subsistance précisément parce qu’ils ont produit tous ces moyens « en trop grande quantité ». Telle est la contradiction criante du mode de production capitaliste, lorsque, selon le socialiste utopiste français Fourier, « la pauvreté naît en civilisation de l’abondance même ». (Fourier, Textes choisis, p. 105, Classiques du peuple, Éditions sociales, Paris, 1953.)

    Des perturbations de la vie économique ont eu lieu souvent aussi sous le régime des modes de production précapitalistes. Mais elles étaient dues à des calamités naturelles ou sociales exceptionnelles : inondation, sécheresse, guerre sanglante ou épidémie qui ravageaient parfois des pays entiers, vouant la population à la famine et à la mort. Mais la différence essentielle entre ces perturbations économiques et les crises capitalistes est que la famine et la misère qu’elles entraînaient étaient la conséquence d’une production peu développée, d’une extrême pénurie de produits. Or, en régime capitaliste, les crises sont engendrées par l’accroissement de la production alors que le niveau de vie des masses populaires est misérable, par un « excédent » relatif des marchandises produites.

    Comme nous l’avons montré au chapitre 4, la production marchande simple et la circulation renferment déjà en elles des possibilités de crise. Mais les crises ne deviennent inévitables qu’en régime capitaliste, lorsque la production prend un caractère social, et que le produit du travail socialisé de milliers et de millions d’ouvriers fait l’objet de l’appropriation privée des capitalistes. La contradiction entre le caractère social de la production et la forme capitaliste, privée de l’appropriation des résultats de la production, contradiction fondamentale du capitalisme, constitue le fondement des crises économiques de surproduction. Ainsi, l’inévitabilité des crises a ses racines dans le système même de l’économie capitaliste.

    La contradiction fondamentale du capitalisme se manifeste sous forme d’une opposition entre l’organisation de la production dans les entreprises isolées et l’anarchie de la production dans l’ensemble de la société.

    Dans chaque fabrique prise à part le travail des ouvriers est organisé et subordonné à la volonté unique de l’entrepreneur. Mais dans la société prise dans son ensemble, par suite de la domination de la propriété privée des moyens de production, c’est l’anarchie qui règne dans la production ; elle exclut le développement harmonieux de l’économie. Aussi les conditions complexes qui sont nécessaires à la réalisation du produit social dans la reproduction capitaliste élargie sont-elles inévitablement détruites. Ces perturbations peu à peu s’accumulent jusqu’à la crise, qui se produit quand le processus de réalisation est entièrement désorganisé.

    Dans leur course au profit le plus élevé, les capitalistes élargissent la production, perfectionnent les techniques, introduisent de nouvelles machines et jettent des masses énormes de marchandises sur le marché. C’est dans le même sens qu’agit la tendance constante du taux de profit à la baisse, tendance conditionnée par l’élévation de la composition organique du capital. Les entrepreneurs s’efforcent de compenser la chute du taux de profit en augmentant la masse des profits par l’extension du volume de la production, l’augmentation de la quantité des marchandises fabriquées. Ainsi est inhérente au capitalisme la tendance à l’élargissement de la production, à l’accroissement énorme des possibilités de production. Mais la paupérisation de la classe ouvrière et de la paysannerie a pour effet une réduction relative de la demande solvable des travailleurs. De ce fait, l’élargissement de la production capitaliste se heurte inévitablement au cadre étroit de la consommation des masses essentielles de la population. De la loi économique fondamentale du capitalisme il résulte que le but de la production capitaliste, le profit toujours plus grand, entre en contradiction avec le moyen d’atteindre ce but, l’élargissement de la production. La crise est la phase du cours de la reproduction capitaliste élargie dans laquelle cette contradiction apparaît sous la forme aiguë de la surproduction de marchandises qui ne trouvent pas d’écoulement.

    La base de la crise réside dans la contradiction entre le caractère social de la production et la forme capitaliste d’appropriation des résultats de la production. L’expression de cette contradiction fondamentale du capitalisme, c’est la contradiction existant entre l’accroissement colossal des possibilités productives du capitalisme visant à l’obtention d’un maximum de profit capitaliste, et la réduction relative de la demande solvable des millions de travailleurs, dont les capitalistes s’efforcent toujours de maintenir le niveau de vie dans les limites d’un minimum extrême.

    J. Staline, Rapport politique du Comité central au 16e Congrès du Parti communiste (b) de l’U.R.S.S., p. 12. Éditions en langues étrangères, Moscou, 1955.

    La contradiction fondamentale du capitalisme se manifeste dans l’antagonisme de classes entre le prolétariat et la bourgeoisie. Ce qui est caractéristique du capitalisme, c’est la rupture entre les deux conditions les plus importantes de la production : entre les moyens de production concentrés entre les mains des capitalistes, et les producteurs directs qui sont privés de tout, sauf de leur force de travail. Cette rupture s’affirme nettement dans les crises de surproduction, où l’on est en plein cercle vicieux : d’un côté, excédent des moyens de production et des produits, de l’autre excédent de la force de travail, des masses de chômeurs privés de moyens de subsistance.

    Les crises accompagnent inéluctablement le mode de production capitaliste. Pour supprimer les crises, il faut supprimer le capitalisme.

    17.2. Le caractère cyclique de la reproduction capitaliste.

    Les crises capitalistes de surproduction se renouvellent à des intervalles déterminés, tous les huit à douze ans. L’inéluctabilité des crises est déterminée par les lois économiques générales du mode capitaliste de production qui agissent dans tous les pays qui suivent la voie capitaliste de développement. Cependant le cours de chaque crise, les formes de ses manifestations et ses particularités dépendent aussi des conditions concrètes du développement de chaque pays.

    Des crises partielles de surproduction, qui frappaient telles ou telles branches de l’industrie, se sont produites en Angleterre dès la fin du 18e siècle et au début du 19e. La première crise industrielle, qui ait frappé toute l’économie d’un pays, a éclaté en Angleterre en 1825. En 1836, une crise commence en Angleterre et gagne ensuite les États-Unis. La crise de 1847-1848, en Angleterre, dans plusieurs pays du continent européen et aux États-Unis, a été au fond la première crise mondiale. La crise de 1857 frappe les principaux pays d’Europe et d’Amérique. Viennent ensuite les crises de 1866, 1873, 1882 et 1890. La plus aiguë de ces crises a été celle de 1873 qui a marqué le début du passage du capitalisme prémonopoliste au capitalisme monopoliste. Au 20e siècle, des crises eurent lieu en 1900-1903 (cette crise a commencé en Russie, où son effet a été beaucoup plus violent que dans n’importe quel autre pays), en 1907, 1920-1921, 1929-1933, 1937-1938, 1948-1949 (aux États-Unis).

    La période comprise entre le début d’une crise et celui d’une autre s’appelle cycle. Le cycle comporte quatre phases : la crise, la dépression, la reprise d’activité et l’essor. La phase principale du cycle est la crise qui constitue le point de départ d’un nouveau cycle.

    La crise est la phase d’un cycle dans laquelle la contradiction entre l’accroissement des possibilités de production et la réduction relative de la demande solvable se manifeste sous une forme violente et destructrice. Cette phase est caractérisée par la surproduction des marchandises qui ne trouvent pas de débouché, par un brusque effondrement des prix, la pénurie des moyens de paiement et un krach boursier générateur de banqueroutes nombreuses, par une réduction brutale de la production, l’augmentation du chômage, la baisse des salaires. La dépréciation des marchandises, le chômage, la destruction directe des machines, de l’outillage et d’entreprises entières, tout cela marque une destruction énorme des forces productives de la société. C’est en ruinant et faisant périr une multitude d’entreprises, c’est en détruisant une partie des forces productives crue la crise adapte brutalement, et cela pour un très bref délai, la production à la demande solvable.

    Les crises ne sont jamais que des solutions momentanées, violentes des contradictions existantes, des éruptions violentes qui rétablissent pour un moment l’équilibre troublé.

    K. Marx, Le Capital, livre 3, chap. 15.

    La dépression est la phase qui suit immédiatement la crise. Elle se caractérise par le fait que la production industrielle est à l’état de stagnation, les prix des marchandises sont bas, le commerce est languissant, il y a pléthore de capitaux disponibles. En période de dépression se créent les conditions d’une reprise d’activité et d’un essor ultérieurs. Les réserves accumulées de marchandises sont partiellement détruites, partiellement vendues à vil prix. Les capitalistes s’efforcent de trouver une issue à l’état de stagnation de la production en réduisant les frais de production. Ils cherchent à atteindre ce but, premièrement, en augmentant systématiquement l’exploitation des ouvriers, en réduisant les salaires et en intensifiant le travail ; deuxièmement, en rééquipant les entreprises, en renouvelant le capital fixe, en introduisant des perfectionnements techniques qui ont pour but de rendre la production bénéficiaire avec les bas prix qui se sont établis à la suite de la crise. Le renouvellement du capital fixe donne une impulsion à l’accroissement de la production dans une série de branches d’industrie. Les entreprises qui fabriquent l’outillage reçoivent des commandes et font appel, à leur tour, à toutes sortes de matières premières et de matériaux. C’est là l’issue de la crise et de la dépression et le passage à la reprise d’activité.

    La reprise d’activité est la phase du cycle pendant laquelle les entreprises se remettent des perturbations subies et procèdent à l’élargissement de la production. Peu à peu le niveau de la production atteint les proportions précédentes, les prix augmentent, les bénéfices de même. La reprise d’activité aboutit à l’essor.

    L’essor est la phase du cycle pendant laquelle la production dépasse le point supérieur atteint dans le cycle précédent, à la veille de la crise. Pendant la période d’essor on construit de nouvelles entreprises industrielles, des voies ferrées, etc. Les prix augmentent, les commerçants s’efforcent d’acheter le plus de marchandises possible, escomptant une hausse ultérieure des prix et poussant par là les industriels à élargir encore davantage la production. Les banques consentent volontiers des prêts aux industriels et aux commerçants. Tout cela permet d’élargir le volume de la production et du commerce bien au-delà de la demande solvable. C’est ainsi que se créent les conditions d’une nouvelle crise de surproduction.

    À la veille de la crise, la production atteint son niveau le plus haut, mais les possibilités d’écoulement paraissent encore plus grandes. La surproduction existe déjà, mais sous forme latente. La spéculation fait monter les prix en flèche et gonfle démesurément la demande des marchandises. Les excédents de marchandises s’accumulent. Le crédit cache encore davantage la surproduction : les banques continuent à accorder des crédits à l’industrie et au commerce, soutenant ainsi artificiellement l’extension de la production. Quand la surproduction atteint son point culminant, la crise éclate. Ensuite le cycle entier se renouvelle.

    Chaque crise donne une impulsion à un renouvellement massif du capital fixe. Soucieux de rétablir la rentabilité de leurs entreprises dans le cadre d’une réduction brutale des prix, les capitalistes, tout en accentuant l’exploitation des ouvriers, introduisent de nouvelles machines, de nouvelles méthodes de production. Grâce au renforcement de l’exploitation de la classe ouvrière, à la ruine des petits producteurs, à l’absorption de nombreuses entreprises concurrentes, les gros capitalistes effectuent de nouveaux investissements de capitaux. Ainsi l’issue de la crise est assurée par les forces internes du mode capitaliste de production. Mais avec la reprise d’activité et l’essor s’accumulent de nouveau inévitablement les violations des conditions de la reproduction, les disproportions, les contradictions entre l’accroissement de la production et les cadres étroits de la demande solvable. En conséquence, après un délai plus ou moins long, inévitablement, commence une nouvelle crise de surproduction.

    Sans doute les périodes d’investissement du capital sont fort différentes, mais la crise sert toujours de point de départ à un puissant investissement ; elle fournit donc plus ou moins — au point de vue de la société prise dans son ensemble — une nouvelle base matérielle pour le prochain cycle de rotation.

    K. Marx, Le Capital, livre 2, t. 1, p. 171.

    Dans les branches-clés de l’industrie, la durée des principaux moyens de production, compte tenu de l’usure non seulement physique mais aussi morale, est en moyenne de dix ans environ. La nécessité du renouvellement périodique massif du capital fixe détermine la base matérielle de la périodicité des crises, qui se répètent avec régularité tout au long de l’histoire du capitalisme.

    Chaque crise prépare le terrain pour des crises nouvelles, encore plus profondes, ce qui fait qu’avec le développement du capitalisme leur force destructrice et leur acuité augmentent.

    17.3. Les crises agraires.

    Les crises capitalistes de surproduction, qui provoquent le chômage, la baisse des salaires, la réduction de la demande solvable en produits agricoles, engendrent inévitablement une surproduction partielle ou générale dans l’agriculture. Les crises de surproduction agricole s’appellent crises agraires.

    L’inévitabilité des crises agraires est la conséquence de cette même contradiction fondamentale du capitalisme qui constitue la base des crises industrielles. Cependant, ces crises comportent certains traits particuliers : elles sont généralement de plus longue durée que les crises industrielles.

    La crise agraire du dernier quart du 19e siècle, dans les pays d’Europe occidentale, en Russie, puis aux États-Unis, avait commencé vers 1875 et s’est poursuivie sous une forme ou une autre jusque vers 1895. Elle était due au fait que, le développement des transports maritimes et du réseau des voies ferrées aidant, du blé meilleur marché avait commencé à affluer en grandes quantités sur les marchés européens en provenance des États-Unis, de la Russie et de l’Inde. En Amérique, la production du blé était meilleur marché, par suite de la mise en culture de nouvelles terres fertiles et de la présence de terres vacantes sur lesquelles on ne prélevait pas la rente absolue. La Russie et l’Inde pouvaient exporter en Europe occidentale du blé à bas prix, les paysans russes et indiens, écrasés de lourds impôts, étant obligés de vendre leur blé à vil prix. Les fermiers capitalistes et les paysans d’Europe ne pouvaient, la rente étant élevée à l’excès par les gros propriétaires terriens, résister à cette concurrence. Après la première guerre mondiale, avec la réduction extrême du pouvoir d’achat de la population, une crise agraire aiguë éclatait au printemps de 1920, qui frappait surtout les pays non-européens (États-Unis, Canada, Argentine, Australie). L’agriculture ne s’était pas encore rétablie de cette crise que des signes évidents d’une nouvelle crise agraire se manifestèrent à la fin de 1928 au Canada, aux États-Unis, au Brésil et en Australie. Elle gagna les principaux pays du monde capitaliste, exportateurs de matières premières et de produits alimentaires. La crise s’étendit à toutes les branches de l’agriculture s’enchevêtra avec la crise industrielle de 1929-1933 et dura jusqu’au début de la deuxième guerre mondiale. Depuis la deuxième guerre mondiale une crise agraire se prépare de nouveau dans les pays exportateurs de produits agricoles (États-Unis, Canada, Argentine) ainsi que dans certaines branches de l’agriculture des pays de l’Europe occidentale.

    La longue durée des crises agraires s’explique par les causes principales suivantes :

    Premièrement, les propriétaires fonciers en raison du monopole de la propriété privée de la terre obligent les fermiers, pendant les crises agraires également, à payer le même fermage» fixé par contrat, que précédemment. Avec la baisse des prix des denrées agricoles, la rente foncière est payée aux dépens des salaires des ouvriers agricoles, et aussi des profits et parfois même du capital avancé par les fermiers. Dans ces conditions, sortir de la crise par l’introduction d’un matériel modernisé et la réduction des frais de production devient très difficile.

    Deuxièmement, l’agriculture en régime capitaliste est une branche retardataire par rapport à l’industrie. La propriété privée de la terre, les survivances des rapports féodaux, la nécessité de payer aux propriétaires terriens une rente absolue et différentielle, tout cela fait obstacle au libre afflux des capitaux dans l’agriculture, retarde le développement des forces productives. La composition organique du capital dans l’agriculture est inférieure à celle de l’industrie ; le capital fixe, dont le renouvellement massif constitue la base matérielle de la périodicité des crises industrielles, joue dans l’agriculture un rôle beaucoup moins important que dans l’industrie.

    Troisièmement, les petits producteurs, les paysans, pendant les crises, s’appliquent à conserver le volume antérieur de la production, pour se maintenir à tout prix sur les lopins de terre qui leur appartiennent ou qu’ils louent, par un labeur excessif, par la sous-alimentation, par une exploitation forcenée du sol et du bétail. Cela a pour effet d’augmenter encore la surproduction des produits agricoles.

    Ainsi, la longue durée des crises agraires a pour base générale le monopole de la propriété privée de la terre, les survivances féodales qui s’y rattachent, ainsi que le retard de l’agriculture des pays capitalistes.

    Le poids principal des crises agraires retombe sur les larges masses de la paysannerie. La crise agraire ruine la masse des petits producteurs ; en rompant les rapports de propriété établis, elle accélère la différenciation de la paysannerie, le développement des rapports capitalistes dans l’agriculture. En même temps, les crises agraires exercent une influence destructrice sur l’agriculture des pays capitalistes en provoquant la réduction des surfaces cultivées, la baisse du niveau de la technique agricole, du rendement des cultures agricoles et de l’élevage.

    17.4. Les crises et l’aggravation des contradictions du capitalisme.

    Les crises économiques, explosions brutales de toutes les contradictions du mode de production capitaliste, aboutissent infailliblement à une nouvelle aggravation de ces contradictions.

    Les crises capitalistes de surproduction revêtent, la plupart du temps, un caractère général. Débutant dans une branche quelconque de la production, elles s’étendent rapidement à l’ensemble de l’économie nationale. Elles naissent dans un ou plusieurs pays, et gagnent de proche en proche l’ensemble du monde capitaliste.

    Toute crise amène une réduction brutale de la production, la chute des prix de gros des marchandises, ainsi que des cours des actions en Bourse, la diminution du volume du commerce intérieur et extérieur. Le volume de la production redescend au niveau où il se trouvait plusieurs années auparavant. Au 19e siècle, pendant les crises, le niveau de la vie économique des pays capitalistes était ramené en arrière de trois à cinq ans, et au 20e siècle, de dizaines d’années.

    L’extraction du charbon aux États-Unis est tombée pendant la crise de 1873, de 9,1 % ; en 1882, de 7,5 % ; en 1893, de 6,4 % ; en 1907, de 13,4 % ; en 1920-1921, de 27,5 % ; en 1929-1933, de 40,9 %. La production de fonte est tombée, pendant la crise de 1873, de 27 % ; en 1882, de 12,5 % ; en 1893, de 27,3 % ; en 1907, de 38,2 % ; en 1920-1921, de 54,8 % et en 1929-1933, de 79,4 %.

    En Allemagne, le volume général de la production industrielle est tombé pendant la crise de 1873, de 6,1 % ; en 1890, de 3,4 % ; en 1907, de 6,5 % et en 1929-1933, de 40,6 %.

    En Russie, pendant la crise de 1902-1903 la production de fonte a diminué de 17 %, celle du pétrole de 10 %, celle des rails de 30 %, celle du sucre de 19 %.

    Les États-Unis, à la suite de la crise de 1857, se sont trouvés ramenés en arrière, pour l’extraction du charbon, de 2 ans ; pour la production de la fonte, de 4 ans ; pour les exportations, de 2 ans et pour les importations, de 3 ans. À la suite de la crise de 1929, les États-Unis se sont trouvés ramenés en arrière, pour l’extraction du charbon, de 28 ans ; pour la production de la fonte, de 36 ans ; pour la production d’acier, de 31 ans ; pour les exportations, de 35 ans ; pour les importations, de 31 ans.

    L’Angleterre, à la suite de la crise de 1929, s’est trouvée ramenée en arrière, pour la production du charbon, de 35 ans ; pour la production de la fonte, de 76 ans ; pour la production d’acier, de 23 ans ; pour le commerce extérieur, de 36 ans.

    Les crises économiques font la démonstration éclatante de la rapacité du capitalisme. À chaque crise, qui voue des millions d’hommes à la misère et à la famine, des quantités énormes de marchandises qui ne trouvent pas de débouchés sont détruites : blé, pommes de terre, lait, bétail, coton. Des usines entières, des chantiers navals, des hauts fourneaux sont mis en sommeil ou jetés à la ferraille ; on détruit des emblavures de céréales et de cultures industrielles, on abat des plantations d’arbres fruitiers.

    Au cours des trois années de crise 1929-1933, on a démoli aux États-Unis 92 hauts fourneaux ; en Angleterre, 72 ; en Allemagne, 28 ; en France, 10. Le tonnage des navires détruits au cours de ces années s’élève à 6 500 000 tonnes.

    L’action destructrice des crises agraires ressort des données suivantes. Aux États-Unis, de 1926 à 1937, plus de 2 millions de fermes ont été vendues pour dettes. Le revenu de l’agriculture est tombé de 6,8 milliards de dollars en 1929, à 2,4 milliards en 1932. Dans le même temps, la vente des machines agricoles et de l’outillage est passée de 458 millions de dollars à 65 millions par an, soit sept fois moins. L’emploi des engrais chimiques a diminué de près de moitié. Le gouvernement des États-Unis a pris toutes mesures pour réduire la production agricole. En 1933, on a détruit, par un nouveau labour, 10,4 millions d’acres de plantations de coton, on a acheté et détruit 6,4 millions de porcs, on brûlait le blé dans les foyers des locomotives. Au Brésil, on a détruit près de 22 millions de sacs de café ; au Danemark, 117 000 têtes de bétail.

    Les crises entraînent des maux sans nombre pour la classe ouvrière, les masses essentielles de la paysannerie, pour tous les travailleurs. Elles provoquent un chômage massif qui voue à une inaction forcée, à la misère et à la famine, des centaines de milliers et des millions d’hommes. Les capitalistes utilisent le chômage pour intensifier l’exploitation de la classe ouvrière, pour abaisser sensiblement le niveau de vie des travailleurs.

    Le nombre d’ouvriers occupés dans l’industrie de transformation aux États-Unis, pendant la crise de 1907, a diminué de 11,8 %. Pendant la crise de 1929-1933, le nombre d’ouvriers de l’industrie de transformation américaine a diminué de 38,8 % ; le montant des salaires payés a baissé de 57,7 %. D’après les chiffres des statisticiens américains, de 1929 à 1938, par suite du chômage, on a perdu 43 millions d’années-travail.

    Les crises augmentent dans une notable mesure les privations des travailleurs, leur peur du lendemain. Ne trouvant pas à s’employer durant des années, les prolétaires finissent par perdre leur qualification ; à l’issue de la crise, beaucoup d’entre eux ne peuvent plus retourner à leur travail. Les conditions de logement des travailleurs s’aggravent à l’extrême, le nombre des sans-foyer en quête d’un gagne-pain se multiplie. Dans les années de crise, les suicides dus au désespoir sont en progression rapide ; la mendicité et la criminalité augmentent.

    Les crises amènent l’aggravation des contradictions de classes entre le prolétariat et la bourgeoisie, entre les masses essentielles de la paysannerie et les propriétaires fonciers, les Usuriers et les paysans riches qui les exploitent. Durant la crise, la classe ouvrière perd beaucoup des avantages qu’elle a conquis dans une longue et âpre lutte contre les exploiteurs et l’État bourgeois. Cela montre aux ouvriers que le seul moyen de remédier à la misère et à la faim est de supprimer l’esclavage salarié capitaliste. Les plus larges masses du prolétariat, que les crises vouent aux pires privations, acquièrent une conscience de classe et un esprit révolutionnaire. L’incapacité de la bourgeoisie à diriger les forces productives de la société sape parmi les couches petites-bourgeoises de la population la foi en l’immuabilité du régime capitaliste. Tout cela amène une aggravation de la lutte de classes dans la société capitaliste. L’État bourgeois, pendant les crises, vient en aide aux capitalistes par des subventions en argent, dont le poids en dernière analyse retombe sur le dos des masses laborieuses. Utilisant son appareil de violence et de coercition, l’État aide les capitalistes à conduire l’offensive contre le niveau de vie de la classe ouvrière et de la paysannerie. Tout cela augmente la paupérisation des masses laborieuses. D’autre part, les crises montrent l’incapacité totale de l’État bourgeois à maîtriser si peu que ce soit les lois spontanées du capitalisme dans les pays capitalistes, ce n’est pas l’État qui dirige l’économie, au contraire, c’est l’État lui-même qui est dominé par l’économie capitaliste, soumis au grand capital.

    Les crises sont l’indice le plus frappant du fait que les forces productives créées par le capitalisme dépassent le cadre des rapports de production bourgeois ; aussi ces derniers sont-ils devenus une entrave au progrès des forces productives.

    La crise prouve que la société actuelle pourrait sortir infiniment plus de produits destinés à améliorer les conditions de vie des travailleurs, si la terre, les fabriques, les machines et le reste n’avaient pas été accaparés par une bande de propriétaires privés qui tirent des millions de la misère du peuple.

    V. Lénine, « Les leçons de la crise », Œuvres, t. 5, p. 89.

    Chaque crise rapproche l’effondrement du mode de production capitaliste.

    Gomme c’est dans les crises que se manifestent de façon particulièrement nette et aiguë les contradictions insolubles du capitalisme, qui témoignent de l’inéluctabilité de sa fin, les économistes bourgeois cherchent par tous les moyens à cacher la vraie nature et les causes des crises. Voulant escamoter l’inéluctabilité des crises en régime capitaliste, ils déclarent d’ordinaire que les crises sont dues à des causes fortuites, que l’on peut soi-disant écarter, tout en maintenant le système capitaliste d’économie.

    Dans ce but, les économistes de la bourgeoisie proclament qu’en fin de compte la cause des crises réside soit dans la rupture de l’équilibre entre les branches de la production, soit dans le retard de la consommation sur la production, et ils proposent pour guérir le capitalisme des crises de recourir à certains procédés de « consommation » comme la course aux armements et les guerres. En réalité l’absence d’équilibre dans la production, de même que la contradiction entre la production et la consommation ne sont pas des défauts fortuits du mode capitaliste de production, mais les formes inévitables de: la manifestation de la contradiction fondamentale du capitalisme, qui ne saurait être supprimée tant qu’existe le capitalisme. Certains économistes bourgeois vont même jusqu’à prétendre que les crises sont le résultat du déplacement des taches solaires, qui exerceraient une influence sur les récoltes, et, par conséquent, sur l’ensemble de la vie économique.

    Dans les intervalles entre les crises, les défenseurs de la bourgeoisie proclament d’ordinaire à grand renfort de diffusion la fin des crises et l’entrée du capitalisme dans la voie d’un développement sans crises ; la crise suivante révèle l’erreur de telles affirmations. Invariablement la vie met en lumière l’inconsistance totale des remèdes de toute sorte proposés pour guérir le capitalisme des crises.

    17.5. La tendance historique du développement du capitalisme. Le prolétariat, fossoyeur du capitalisme.

    Le capitalisme étant devenu le régime dominant, la concentration de la propriété entre les mains d’un petit nombre a progressé à pas de géant. Le développement du capitalisme amène la ruine des petits producteurs qui vont grossir les rangs de l’armée des ouvriers salariés. La concurrence s’aggrave entre capitalistes, ce qui a pour résultat qu’un capitaliste l’emporte sur beaucoup d’autres. La concentration du capital rassemble d’immenses richesses entre les mains d’un cercle de plus en plus étroit de personnes.

    Tout en développant les forces productives et en socialisant la production, le capitalisme crée les conditions matérielles du socialisme ; en même temps, il engendre son fossoyeur en la personne de la classe ouvrière qui assume le rôle de dirigeant et de guide de toutes les masses laborieuses et exploitées. Le progrès de l’industrie s’accompagne d’un accroissement des effectifs du prolétariat, du développement de sa cohésion, de sa conscience et de son organisation. Le prolétariat se dresse avec toujours plus de résolution pour la lutte contre le capital. Le développement de la société capitaliste s’accompagne d’une aggravation des contradictions antagonistes qui lui sont propres et d’un renforcement de la lutte de classe, préparant ainsi les conditions nécessaires pour la victoire du prolétariat sur la bourgeoisie.

    L’expression théorique des intérêts vitaux de la classe ouvrière est le marxisme, le socialisme scientifique, qui présente une conception du monde cohérente et harmonieuse, Le socialisme scientifique apprend au prolétariat à s’unir pour la lutte de classe contre la bourgeoisie. Les intérêts de classe du Prolétariat coïncident avec ceux du développement progressif de la société humaine ; ils se fondent avec les intérêts de l’immense majorité de la société, car la révolution du prolétariat signifie la destruction non point de telle ou telle formes d’exploitation, mais la destruction de toute exploitation en général.

    Si à l’aube du capitalisme, un petit nombre d’usurpateurs, en la personne des capitalistes et des propriétaires fonciers, a exproprié les masses populaires, le développement du capitalisme rend inévitable l’expropriation du petit nombre des usurpateurs par les masses populaires. Cette tâche est accomplie par la révolution socialiste, qui socialise les moyens de production et supprime le capitalisme avec ses crises, son chômage et la misère des masses.

    Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centralisation des moyens de production arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans l’enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L’heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés.

    K. Marx, Le Capital, livre 1, t. 3, p. 205.

    Telle est la tendance historique du développement du mode de production capitaliste.

    Résumé du chapitre 17

    1. Les crises économiques sont des crises de surproduction. Le fondement des crises est la contradiction entre le caractère social de la production et la forme capitaliste, privée de l’appropriation des produits du travail. Les formes par lesquelles s’exprime cette contradiction sont, premièrement, l’opposition entre l’organisation de la production à l’intérieur des différentes entreprises capitalistes et l’anarchie de la production dans l’ensemble de la société ; en second lieu, la contradiction entre le large développement des possibilités de production du capitalisme et la réduction relative de la demande, solvable des masses laborieuses. La contradiction fondamentale du capitalisme se manifeste dans l’antagonisme de classes entre le prolétariat et la bourgeoisie.

    2. La période comprise entre le début d’une crise et celui d’une autre s’appelle cycle. Celui-ci comporte les phases suivantes : la crise, la Répression, la reprise d’activité, l’essor. La base matérielle de la périodicité des crises capitalistes est la nécessité du renouvellement périodique du capital fixe. Avec les crises industrielles s’enchevêtrent les crises agraires qui se distinguent par leur longue durée, résultat du monopole de la propriété privée de la terre, des survivances féodales et du retard de l’agriculture en régime capitaliste.

    3. Les crises capitalistes signifient une destruction gigantesque des forces productives. Elles causent des maux infinis aux masses laborieuses. Dans les crises se manifeste de façon saisissante le caractère historiquement limité du régime bourgeois, l’incapacité du capitalisme de continuer à diriger les forces productives qui ont grandi dans son sein. Pour supprimer les crises, il faut supprimer le capitalisme.

    4. La tendance historique du développement du capitalisme est que, d’une part, il fait progresser les forces productives et socialise la production, créant ainsi les conditions matérielles du socialisme ; que d’autre part, il engendre son fossoyeur en la personne du prolétariat qui organise et dirige la lutte révolutionnaire de tous les travailleurs pour la libération du joug du capital.


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