• Le mode de production capitaliste

    A. — Le capitalisme prémonopoliste

    Chapitre 12 — Le capital commercial et le profit commercial

    12.1. Le profit commercial et sa source.

    Le capital commercial et le capital usuraire sont antérieurs historiquement au capital industriel. Sous le régime de production capitaliste, ces formes du capital perdent leur ancien rôle indépendant ; leurs fonctions consistent désormais à servir le capital industriel. Dès lors, en régime capitaliste, le capital commercial et le capital porteur d’intérêts se distinguent foncièrement de leurs formes précapitalistes.

    Le capital industriel, comme on l’a déjà dit, prend dans le cours de son cycle successivement trois formes : la forme monétaire, la forme productive et la forme marchande, qui se différencient suivant leurs fonctions. Ces fonctions du capital industriel, à un certain degré de son développement, se distinguent l’une de l’autre. Du capital industriel occupé dans la production, se détachent le capital commercial sous la forme du capital du commerçant, et le capital de prêt, sous la forme du capital du banquier. À l’intérieur de la classe des capitalistes se forment trois groupes, qui participent à l’appropriation de la plus-value : les industriels, les commerçants et les banquiers.

    Le capital commercial est le capital appliqué dans la sphère de la circulation marchande. Dans la sphère de la circulation, il n’est pas créé de plus-value. D’où provient donc le profit du commerçant ? Si le capitaliste industriel s’occupait lui-même de la réalisation de sa marchandise, il devrait dépenser une partie de son capital pour aménager ses locaux commerciaux, embaucher des commis et engager d’autres dépenses nécessitées par le commerce. Il lui faudrait pour cela augmenter le capital avancé ou bien, avec le même capital avancé, réduire le volume de la production. Dans un cas comme dans l’autre, il y aurait diminution de son profit. L’industriel préfère vendre ses marchandises à un intermédiaire, au capitaliste commerçant, qui s’occupe spécialement de la vente des marchandises et en assure l’acheminement aux consommateurs. Cette spécialisation du capital commercial dans les fonctions de la circulation marchande permet de réduire la durée de la circulation et les dépenses qui lui sont liées. Le capital commercial, en assurant le processus de la réalisation des marchandises de beaucoup de capitalistes industriels, réduit par là-même la part du capital social détournée de la production dans la sphère de la circulation marchande. En chargeant le commerçant des opérations de réalisation des marchandises, le capitaliste industriel accélère la rotation de son capital, ce qui a pour effet d’accroître son profit. L’industriel trouve ainsi avantage à céder au commerçant une certaine part de la plus-value, qui constitue le profit du capitaliste commercial. Le profit commercial est une partie de la plus-value que l’industriel cède au commerçant pour la réalisation de ses marchandises.

    La réalisation des marchandises est assurée par le capital commercial au moyen de l’exploitation des employés de commerce. Le travail des salariés occupés à la réalisation des marchandises, c’est-à-dire à la transformation des marchandises en argent et de l’argent en marchandises ne crée ni valeur, ni plus-value, mais il offre au capitaliste commerçant la possibilité de s’approprier une partie de la plus-value créée dans la production.

    De même que le travail non payé de l’ouvrier crée directement de la plus-value pour le capital productif, de même le travail non payé du salarié du commerce procure au capital commercial une part de cette plus-value.

    ( K. Marx, Le Capital, livre 3, chap. 16. )

    La journée de travail des employés de commerce, tout comme celle des ouvriers occupés dans la production, se divise en deux parties : pendant le temps de travail nécessaire, ils assurent la réalisation de la plus-value créée dans la sphère de la production, qui compense les dépenses des capitalistes en achat de force de travail ; et pendant le temps de travail supplémentaire, ils travaillent gratuitement pour les capitalistes et leur assurent l’appropriation du profit commercial. Par conséquent, les travailleurs du commerce sont exploités par les capitalistes commerçants, de même que les ouvriers producteurs de marchandises le sont par les industriels.

    Afin de réaliser une masse déterminée de marchandises, le commerçant doit avancer, pour un certain temps, un capital d’une grandeur correspondante. De ce capital, il s’efforce de retirer le plus de profit possible. Si le taux du profit commercial est inférieur au taux moyen du profit, le commerce devient une occupation peu avantageuse ; dès lors les commerçants transfèrent leurs capitaux dans l’industrie, l’agriculture ou dans quelque autre branche de l’économie. Inversement, un taux élevé du profit commercial attire le capital industriel dans le commerce. La concurrence entre capitalistes fait que le niveau du profit commercial est déterminé par le taux moyen du profit, le profit moyen s’entendant par rapport à tout le capital, y compris le capital qui fonctionne dans la sphère de la circulation.

    Ainsi, non seulement le capital des capitalistes industriels, mais aussi le capital commercial participent au processus d’égalisation du taux du profit, ce qui fait que capitalistes industriels comme capitalistes commerçants reçoivent le taux moyen du profit, proportionnellement au capital qu’ils ont dépensé. Par conséquent, les capitalistes industriels ne réalisent pas tout le profit créé dans l’industrie, mais seulement la partie de ce profit qui constitue le profit moyen du capital qu’ils ont investi. Les capitalistes commerçants vendent la marchandise au prix de production, qui comprend le profit moyen de l’industriel ainsi que celui du commerçant. Ainsi ils peuvent réaliser le profit moyen du capital qu’ils ont investi, grâce à la différence entre le prix d’achat et le prix de vente.

    Sous la forme du profit commercial, la source effective de l’accroissement du capital est encore plus cachée que sous la forme du profit industriel. Le capital du commerçant ne participe pas à la production. La formule du mouvement du capital commercial est : A — M — A′. Ici le stade du capital productif disparaît, la liaison avec la production est rompue en apparence. L’illusion se crée que le profit naît du commerce lui-même, par une augmentation du prix, en vendant les marchandises au-dessus du prix de production. En réalité, comme on l’a montré, c’est le contraire qui se produit : l’industriel en vendant la marchandise au commerçant au-dessous du prix de production, lui cède une partie de son profit.

    Non seulement le capital commercial participe à la réalisation de la plus-value créée dans la production, mais il exploite par surcroît les travailleurs en tant que consommateurs. Soucieux d’obtenir un profit supplémentaire, les capitalistes commerçants haussent par tous les moyens les prix, trompent les acheteurs sur le poids et la mesure, vendent des marchandises falsifiées, de mauvaise qualité.

    Une des sources du profit commercial est l’exploitation par le capital commercial des petits producteurs de marchandises. Les capitalistes commerçants obligent les paysans et les artisans à leur vendre les produits de leur travail à vil prix, et à leur acheter en même temps les outils, les matières premières et les matériaux au prix fort. La part des intermédiaires commerciaux dans le prix de détail des produits agricoles aux États-Unis, de 1913 à 1934, est passée de 54 à 63 %.

    Tout cela aboutit à l’accroissement de la paupérisation des travailleurs et aggrave encore les contradictions du capitalisme.

    12.2. Les frais de circulation.

    Le processus de circulation capitaliste des marchandises nécessite certaines dépenses. Ces dépenses, liées au service de la sphère de circulation, constituent les frais de circulation.

    Il faut distinguer deux sortes de frais capitalistes dans le commerce : premièrement, les frais de circulation proprement dits, qui se rattachent directement à la vente et à l’achat des marchandises, ainsi qu’aux particularités du régime capitaliste ; en second lieu, les frais occasionnés par la continuation du processus de production dans la sphère de la circulation.

    Les frais de circulation proprement dits forment la plus grande partie et une partie sans cesse croissante des frais de circulation du commerce capitaliste. Ils comprennent les dépenses liées à la transformation des marchandises en argent et de l’argent en marchandises. Ils comprennent les dépenses nécessitées par la concurrence et la spéculation, les dépenses de publicité, la majeure partie des dépenses destinées à payer le travail des employés de commerce, la tenue des livres comptables, la correspondance, l’entretien des bureaux commerciaux, etc. Ils n’ajoutent à la marchandise, ainsi que l’indiquait Marx, aucune valeur. Ils viennent en déduction directe du montant total de la valeur produite dans la société, et sont couverts par les capitalistes avec la masse générale de plus-value produite par le travail de la classe ouvrière. L’accroissement des frais de circulation proprement dits témoigne du gaspillage du régime capitaliste.

    Aux États-Unis les seuls frais de publicité, ayant été l’objet d’un recensement, furent en 1934 de 1,6 milliard de dollars ; en 1940, de 2,1 milliards de dollars, et en 1953 de 7,8 milliards de dollars.

    Avec le développement du capitalisme et l’aggravation des difficultés de réalisation des marchandises, il se forme un appareil commercial colossal doté d’une multitude d’échelons. Avant de parvenir au consommateur, les marchandises passent entre les mains de toute une armée de commerçants, de spéculateurs, de revendeurs et de commissionnaires.

    Les frais nécessités par la continuation du processus de production dans la sphère de la circulation comprennent les dépenses nécessaires pour la société et qui ne dépendent pas des particularités de l’économie capitaliste. Ce sont les dépenses pour la finition, le transport, l’emballage des marchandises. Chaque produit n’est prêt à la consommation que quand il est livré au consommateur. Les frais de finition, de transport et d’emballage des marchandises augmentent d’autant la valeur de leur production. Le travail fourni à cet effet par les ouvriers transfère à la marchandise la valeur des moyens de production dépensés et ajoute à la valeur des marchandises une valeur nouvelle.

    L’anarchie de la production capitaliste et les crises, la concurrence et la spéculation provoquent l’accumulation d’immenses stocks de marchandises, allongent et dévient leur acheminement, ce qui entraîne d’énormes dépenses improductives. Dans l’immense majorité des cas la publicité capitaliste tend, plus ou moins, à tromper les acheteurs. La publicité capitaliste impose un emballage inutile et coûteux des marchandises. Cela signifie qu’une partie sans cesse accrue des dépenses nécessitées par le transport, la conservation et l’emballage des marchandises se transforme en frais proprement dits, dus à la concurrence capitaliste et à l’anarchie de la production. L’augmentation des frais de circulation est l’un des indices de l’accentuation du parasitisme dans la société bourgeoise. Les frais du commerce capitaliste sont un lourd fardeau pour les travailleurs en tant qu’acheteurs.

    Aux États-Unis, les frais de circulation formaient en 1929 31 % et en 1935, 32,8 % du chiffre d’affaires du commerce de détail. Dans les pays capitalistes d’Europe, les frais de circulation forment à peu près le tiers du chiffre d’affaires du commerce de détail.

    12.3. Les formes du commerce capitaliste. Les Bourses de marchandises.

    Le développement de la production et de la circulation capitalistes entraîne le développement des formes du commerce de gros et de détail. Le commerce de gros est le commerce entre entreprises industrielles et commerciales ; le commerce de détail est la vente des marchandises directement à la population.

    Dans le commerce comme dans l’industrie, il y a concentration et centralisation du capital. L’éviction des petits et des moyens capitalistes par les gros a lieu aussi bien dans le commerce de gros que dans le commerce de détail. Dans ce dernier, la concentration des capitaux se réalise principalement dans la création de grands magasins et de magasins spécialisés. Les grands magasins mettent en vente toute sorte de marchandises ; les magasins spécialisés ne vendent qu’une sorte de marchandise, par exemple les chaussures ou les vêtements.

    La production de marchandises de même nature permet aux commerçants de faire le commerce de gros sur échantillons. Les marchandises courantes de même nature (coton, lin, métaux ferreux et non ferreux, caoutchouc, grain, sucre, café, etc.) se vendent et s’achètent sur échantillons et standards établis dans les Bourses de marchandises.

    La Bourse de marchandises est une forme particulière de marché où se fait le commerce en gros de marchandises de même nature et où se concentrent l’offre et la demande de ces marchandises à l’échelle de pays entiers, souvent même à l’échelle du marché capitaliste mondial.

    Les marchandises, qui font l’objet de transactions en Bourse entre capitalistes, ne passent pas directement de main en main. Les transactions se font généralement à terme : le vendeur s’engage à faire parvenir à l’acheteur une quantité déterminée de marchandises dans un délai fixé. Par exemple, on conclut au printemps des transactions pour la fourniture du coton de la récolte à venir, alors que celui-ci n’a pas encore été semé. En concluant un marché en Bourse, le vendeur compte que le prix de la marchandise en question aura diminué à la date fixée et qu’il en retirera la différence de prix ; l’acheteur, lui, escompte une hausse des prix. Souvent les vendeurs en Bourse ne disposent pas du tout des marchandises qu’ils vendent, et les acheteurs n’ont pas besoin des marchandises qu’ils achètent. C’est ainsi que les Bourses de marchandises deviennent le centre du commerce de spéculation. Les spéculateurs vendent et achètent le droit de propriété sur des marchandises auxquelles rien ne les rattache. La spéculation est étroitement liée à tout le système du commerce capitaliste dont le but n’est pas de pourvoir aux besoins de la société, mais de tirer du profit. Ce sont les gros capitalistes qui s’enrichissent principalement dans le commerce de spéculation. Celui-ci entraîne la ruine d’une grande partie des petits et moyens entrepreneurs.

    Dans les pays bourgeois, on pratique assez souvent le commerce à crédit ou à tempérament. Cette forme de commerce aboutit souvent au fait que la masse des consommateurs est obligée, pour régler les échéances, d’aliéner ses propres biens, n’étant pas à même d’acquitter ses dettes à l’échéance. Le commerce à crédit est utilisé souvent par les capitalistes pour réaliser des marchandises de qualité intérieure ou laissées pour compte.

    12.4. Le commerce extérieur.

    Comme on l’a déjà dit, l’avènement du capitalisme a été lié à la création d’un marché mondial. D’après Lénine, le capitalisme est le résultat d’une

    circulation des marchandises largement développée, qui dépasse les limites d’un État. C’est pourquoi il est impossible d’imaginer une nation capitaliste sans commerce extérieur, et une telle nation n’existe d’ailleurs pas.
    ( V. Lénine, « Le développement du capitalisme en Russie », Œuvres, t. 3, p. 58 ; publié aussi dans K. Marx, Le Capital, livre 2, t. 2, Annexes, p. 205. )

    Le commerce extérieur du capitalisme s’élargit dans le cours du développement de la circulation marchande qui dépasse les limites des marchés nationaux. L’extension du commerce mondial traduit par elle-même le développement de la division internationale du travail, liée à la montée des forces productives. Mais, pour les capitalistes, le commerce extérieur est un moyen d’augmenter leurs profits. Dans leur chasse au profit, les capitalistes recherchent sans cesse de nouveaux débouchés et de nouvelles sources de matières premières. Le caractère limité du marché intérieur par suite de l’appauvrissement des masses et la mainmise des gros capitalistes sur les sources de matières premières intérieures accentuent l’effort de ces derniers pour établir leur domination sur les marchés extérieurs.

    Le commerce extérieur n’a pris un large développement qu’à l’époque du capitalisme. En l’espace de cent ans, de 1800 à 1900, le chiffre d’affaires du commerce mondial a augmenté de plus de douze fois et demie, passant de 1,5 milliard de dollars à 18,9 milliards de dollars. Dans les trois décennies suivantes, il a été multiplié par plus de 3,5, atteignant 68,6 milliards de dollars en 1929.

    Le commerce extérieur est une source de profit supplémentaire pour les capitalistes des pays bourgeois plus développés, car les articles industriels se vendent dans les pays sous-développés à des prix relativement plus élevés, tandis que les matières premières s’achètent dans ces pays à des prix inférieurs. Il est aussi un des moyens d’asservissement économique des pays sous-développés par les pays bourgeois développés, et un moyen d’élargissement des sphères d’influence des puissances capitalistes.

    Ainsi, par exemple, pendant plus de 250 ans (de 1600 à 1858) la Compagnie anglaise des Indes orientales a pillé l’Inde. L’exploitation rapace de la population indigène par la Compagnie des Indes orientales a eu pour résultat la transformation en déserts de nombreuses provinces de l’Inde : les champs n’étaient pas cultivés, les terres restaient couvertes de broussailles, la population dépérissait.

    Le commerce extérieur consiste en exportations et importations. Le rapport entre la somme des prix des marchandises exportées par un pays, et la somme des prix des marchandises importées par ce pays durant un certain temps, par exemple en l’espace d’un an, constitue sa balance commerciale. Si les exportations dépassent les importations, la balance commerciale est active ; dans le cas contraire la balance commerciale est passive.

    Le pays, dont la balance commerciale est passive, doit couvrir le déficit en puisant à des sources telles que les réserves d’or, les recettes fournies par les transports de marchandises appartenant à des pays étrangers, les revenus de ses investissements de capitaux dans d’autres États, et, enfin, au moyen d’emprunts à l’étranger.

    La balance commerciale ne met pas en évidence toutes les formes des rapports économiques entre pays. Ces rapports trouvent une expression plus complète dans la balance des comptes. La balance des comptes est le rapport entre la somme de tous les paiements qu’effectuent les autres pays à un pays donné, et la somme de tous les paiements qu’effectue ce pays aux autres.

    Le caractère des relations économiques entre les pays détermine aussi la politique du commerce extérieur des États capitalistes. L’époque du capitalisme prémonopoliste a vu se former deux types principaux de politique commerciale : la politique de la liberté commerciale (libre-échange) et la politique de protection de l’industrie nationale (protectionnisme), principalement par l’établissement de droits de douane élevés sur les marchandises étrangères.

    Résumé du chapitre 12

    1. Le capital commercial sert à la circulation du capital industriel. Le profit commercial est une partie de la plus-value, que l’industriel cède au commerçant.

    2. L’exploitation par le capital commercial de ses travailleurs salariés lui permet de s’approprier une partie de la plus-value créée dans la production. Le capital commercial exploite les petits producteurs de marchandises par un échange sans équivalence. Les ouvriers et les autres couches de travailleurs sont exploités par le capital commercial en tant qu’acheteurs d’objets de consommation.

    3. Les dépenses liées au service de la sphère de la circulation constituent les frais de circulation. Les frais de circulation se divisent en frais de circulation proprement dits qui se rattachent directement au service de l’achat et de ta vente des marchandises, et en frais occasionnés par la continuation du processus de production dans la sphère de la circulation. Le développement du commerce capitaliste entraîne l’accroissement des dépenses improductives dans la sphère de la circulation.

      Le commerce extérieur est déterminé par la division internationale du travail. En régime capitaliste il est l’un des moyens d’asservissement économique des pays moins développés au point de vue industriel par les puissances capitalistes industrielles plus développées.


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