• Irlande, le faux bon élève de l’austérité

    Irlande, le faux bon élève de l’austérité

    MERCREDI 13 MARS 2013

    UNION EUROPÉENNE • Bruxelles et la Banque centrale européenne veulent prouver que l’austérité permet de sortir de la récession. L’Irlande va leur servir de vitrine déformante.

    «L’Irlande sort de la crise et inspire l’Europe du Sud.» Ce titre barre la une du quotidien Le Monde, vendredi 22 février1. Il ne manque qu’une série de points d’exclamation pour retranscrire l’effet que produit chez le lecteur cette phrase écrite en caractères gras. Une fantaisie que ne s’est pas autorisée le titre le plus prestigieux de la presse française. Les sous-titres reprennent la mélodie de l’austérité, qui tourne en boucle depuis des années: «Les sacrifices de Dublin paient: le coût du travail a chuté, la croissance revient.» «Les réformes en Espagne et au Portugal créent la possibilité d’un rebond.» «En matière de compétitivité, France et Italie restent à la traîne.» Pour quelle raison l’Irlande, un pays qui enchaîne les plans d’austérité depuis 2010, est-elle soudain portée au pinacle? «Dans un environnement déprimé où la zone euro est promise, au mieux, à une croissance nulle en 2013, l’Irlande, avec un produit intérieur brut (PIB) attendu en hausse de 1% à 1,5%, fait figure de ‘success story’», selon Le Monde

      Au-delà de cette croissance tout de même bien modeste, présenter l’Irlande comme sortie d’affaire, c’est faire volontairement un trait sur l’Europe réellement existante. Le 7 février dernier, après un an et demi de tractations, le pays a obtenu de la Banque centrale européenne (BCE) un moratoire de vingt-cinq ans (!) sur le remboursement d’une partie importante des sommes empruntées en catastrophe lors de l’explosion de la bulle immobilière, en 2010.   
     
        Cadeaux en rafales
     
    Avec 64 milliards d’argent frais, l’Irlande avait alors sauvé ses banques de la faillite, évitant du même coup un effet domino qui aurait envoyé toutes celles de l’Union européenne (UE) au tapis. Le report concerne 30 milliards d’euros sur lesquels Dublin n’aura que les intérêts à payer jusqu’en 2038, date à partir de laquelle le remboursement du prêt proprement dit s’étalera jusqu’en 2053. Cela allège l’effort des finances publiques irlandaises de 20 milliards pour le quart de siècle à venir, même si la BCE se rattrapera largement après (lire ci-dessous).
     
      Longtemps, Angela Merkel a refusé un tel deal. Si bien que Der Spiegel se montrait assez alarmiste lors du voyage de la «dernière chance» effectué par le premier ministre irlandais en Bavière, en janvier dernier: «Si les Allemands refusent, il est probable que l’Irlande devra être renflouée une deuxième fois cet automne.» En effet, le montant de son endettement public est supérieur de 22% à son produit intérieur brut. Aujourd’hui, ce scénario s’éloigne.
     
        A contrario, le geste de la BCE – conforme à la volonté de la Commission européenne et de l’Eurogroupe – a pour but de prouver que l’austérité imposée sur le continent n’est pas la cause de la récession mais sa solution. L’économiste irlandais David McWilliams ne voit aucune générosité dans ces évolutions: «Du point de vue de l’Union européenne, un défaut sur la dette irlandaise doit être évité à tout prix. (...) L’UE a besoin d’une victoire en Irlande car toute sa stratégie fondée sur l’austérité repose sur la sortie de ce pays du plan de sauvegarde l’an prochain2
     
        Au point qu’une nouvelle aide se prépare. Début mars, les ministres des Finances de l’UE ont recommandé à la Troïka (FMI, Commission européenne et BCE) d'accepter un report de 15 ans du remboursement d’autres dettes contractées par Dublin. Sont notamment concernés, 10 milliards d'euros de prêts qui avaient été accordés par le Fonds européens de stabilité financière (FSEF) et 18 milliards apportés par le FMI. Une demande bien accueillie par la directrice générale de ce dernier, Christine Lagarde.   
     
         Rôle de composition
     
    De son côté, Dublin a compris tout l’intérêt qu’elle peut retirer de ce rôle de composition. «Nous voulons servir d’exemple et redonner de l’espoir à tous les pays européens endettés», répète Eamon Gilmore, le vice-premier ministre irlandais, depuis janvier lorsque le pays a pris la présidence l’UE.
     
        Mais pour cela, le moratoire doit passer au second plan. Le Monde résume d’ailleurs ce deal particulièrement avantageux en une seule phrase: «L’accord conclu avec la BCE il y a quelques semaines, en allégeant le poids de la dette héritée de la crise bancaire, aide beaucoup.» C’est tout.
     
      «Ce type d’article peut être lu un peu partout en Europe. Il est calqué sur le discours des autorités européennes et des banquiers», remarque Ronald Janssen, chargé de l’étude des politiques économique et monétaire à la Confédération européenne des syndicats. L’économiste basé à Bruxelles juge cet optimisme infondé. «Les statistiques publiées par l’Irlande sont biaisées», prévient-il. En effet, le régime fiscal très avantageux de l’impôt sur les bénéfices pousse de nombreuses multinationales à y déclarer des profits qui ont été réalisés ailleurs. Ces écritures comptables gonflent artificiellement le montant des exportations, diminuent en apparence les coûts salariaux et camouflent en partie l’endettement public. En réalité, le coût de la main-d’œuvre n’a que peu baissé. «Supprimé en 2010, le salaire minimum a été rétabli l’année suivante lors de l’arrivée au pouvoir du gouvernement actuel. A titre de comparaison, le salaire grec moyen a reculé de 20%», ajoute Ronald Janssen.
     
      L’excédent commercial ne résulte pas d’un bond des exportations, mais de l’effondrement des importations (-25%), lui-même engendré par la fonte des revenus des Irlandais sous les coups de la rigueur. Comment pourrait-il en être autrement avec un chômage record (15%), alimenté notamment par les coupes dans l’emploi public? Et, avec l’une des proportions les plus élevées parmi les membres de l’UE de jeunes ayant quitté les études et se retrouvant sans emploi?
     
        Constat accablant
     
    La dite «austérité à visage humain» s’est ici traduite également par la diminution des allocations pour les chômeurs, des pensions pour les fonctionnaires à la retraite et des prestations familiales. Les associations humanitaires dressent un constat accablant. Selon Social Justice, un Irlandais sur dix ne mange pas à sa faim. A force de rogner les contours de l’Etat social, «les gens sont poussés dans la pauvreté et ne peuvent accéder aux biens de base comme la nourriture, le chauffage ou l’éducation», explique Paul Geoff Meagher, président de la congrégation Saint Vincent de Paul. Celle-ci aide désormais près de deux fois plus de personnes (+80%) qu’au début de la crise. En dépit de tous les tours de passe-passe, la crise n’est pas finie pour les Irlandais.
     
    • 1. Sorti le vendredi à midi, mais est daté du samedi 23
    • 2. The Independent du 12 mars

     

    en lien avec cet article: 
     

    Cadeau empoisonné

    Le moratoire de vingt-cinq ans obtenu par l’Irlande avant les premiers remboursements des 30 milliards d’euros de dette contractée en 2010 pour renflouer ses principales banques est bien utile pour maquiller les comptes actuels.    A terme, c’est loin d’être un cadeau. En fait, l’accord va augmenter considérablement la facture pour les Irlandais. Le Sinn Fein (le Parti républicain, gauche) l’a expliqué au parlement de Dublin: en étalant le remboursement sur quarante ans, contre les vingt ans prévus initialement, la masse des intérêts va gonfler et la facture finale devrait approcher 60 milliards, contre les 45 milliards attendus.    Mais d’ici là, l’exemple austéritaire de Dublin aura déjà joué le rôle qu’on lui a attribué.
     

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