• Un changement sans transformation sociale !

    Par Jacques Broda, sociologue.

    Samedi 21 juillet 2012 par  auteurs à lire

    Lepcf 52

    Un texte publié dans les pages idées de l’Huma et qui ouvre le débat sur l’analyse des résultats électoraux au fonds, sans se cacher derrière l’injustice du système électoral ou du contexte politique de la vague...

     

    Il reste que ce chantier de la « contradiction antagonique entre besoins et désirs, renoncements et courages » que l’auteur pointe, n’est qu’ouvert et qu’une analyse de classe des résultats est indispensable pour construire une réponse politique communiste...

     

    Pam

     


     

    « Ce que l’on finit par apprendre, c’est que ni dans l’expérience personnelle ni dans la politique, l’humain n’est à l’extrême. Je veux dire dans… l’absolu au bout des doigts, sans dialectique, sans médiation  : ce qui séduit d’abord, ce qui déçoit et laisse dans le vide. Ne pas se lasser de chercher l’infini dans le réel limité, l’utopie dans le changement…  » [1]

    Nous y avons cru, l’enthousiasme est réel, profond, les meetings chaleureux, j’ai souligné l’esprit du Prado, avec un bémol quant aux variantes populistes, la trop forte personnalisation du candidat Front de gauche.

    Des retrouvailles sans semailles ? Pourtant Freud nous a prévenus de la psychologie collective des foules et de leurs possibles dérives [2].

     

    Les jeunes dans leur majorité sont absents. L’illusion des présidentielles, sorte d’imaginaire collectif, est frappée d’un coup de réel aux législatives, par le degré d’abstention effarant, par le découpage scandaleux, et l’absence de projet commun. «  Nous appelons à battre Sarkozy sans rien demander ». Certes il fallait dégager la droite, mais les voix conquises doivent demander, exiger, revendiquer, une écoute vite tombée aux oubliettes. Le PS rafle la mise sur tous les tableaux.

     

    L’absence d’enthousiasme, de mobilisation, de participation aux législatives qui font la loi est pathétique.

     

    L’illusion de l’homme providentiel, fût-il de gauche, a plombé le travail politique en aval, comme si l’effort, le désir de politique, la mobilisation, l’engagement, le débat, la confrontation et l’action, ne pouvaient – dans notre pays – tenir au-delà de trente jours.

     

    Je glane dans l’Huma la fête à Alicante, le pays est au fond du trou, la fête bat son plein, quelques « Indignados » valeureux tentent de structurer le mouvement, mais aux élections Izquierda Unida patine.


     Certains, beaucoup de jeunes, font la fête, que ne lisent-ils le livre IV du Capital de Marx, les notes prémonitoires sur le marché mondial !


     Je croise un étudiant, il me dit avoir voté trois fois, présidentielle et législatives, mais il oublie le second tour des législatives. Cet oubli est un acte manqué ! L’acte de ne pas poser d’acte, d’une manière conséquente, continue et convaincue. La politique en appelle à des détours, des détours de production, de conscientisation, d’organisation. Se contenter de l’éphémère, de l’événementiel, du spectaculaire, nous envoie dans le mur. Que veut-il vraiment ce jeune ? Et quels moyens se donne-t-il pour l’obtenir ? L’Huma de vendredi 29 juin 2012, titre : «  82 % des Français jugent insuffisant le coup de pouce au Smic  ». Dans leur majorité, ils ont voté pour ! Pour le changement (de majorité) sans transformation sociale !

     

    Ce paradoxe, cette contradiction sont antagoniques avec tout changement réel, ils signent l’incapacité d’aller au bout de son désir, c’est-à-dire prendre des risques, s’engager, s’impliquer sur le long terme, aller au rapport de forces avec les marchés, vouloir ce que l’on dit, et dire ce que l’on veut, autrement que dans un rapport mou au politique. Le fameux pédalo.

     

    Les militants du Front de gauche ont semé, sillonné la campagne, à partir d’un programme béton, mais dans le fond, ils se sont heurtés à une indifférence profonde. Il manque 2 millions de voix, entre la présidentielle et les législatives ! À conscience égale, c’est inexplicable – à interroger l’effet personnel du candidat, il entraîne, mais ne résout pas la contradiction sur le fond –, on comprend, on se désole, on se révolte en son for intérieur.

     

    Tout ne vient pas des institutions, tout ne vient pas du vote utile, tout ne vient pas du découpage électoral !

     

    Ce rapport à la politique et au changement réel est en faillite, dans la brèche du renoncement et du non-désir s’engouffre l’attente passive et lascive d’un changement à temps partiel.

     

    Réactiver l’engagement, les ateliers législatifs, les luttes, certes, mais nous devons voir la réalité en face : la part de l’imaginaire en la politique fait des ravages au détriment du symbolique pour que rien ne change dans le réel.

     

    Le Front de gauche progresse chez les jeunes, résultat heureux, mais il demeure très loin derrière le Front national ! À vingt ans, c’est pathétique…

     

    Ne pas désespérer Billancourt, voir la réalité en face : la mutation anthropologique bouleverse le rapport au temps, aux valeurs, aux désirs, aux engagements.

    Une révolte n’est pas une révolution, nous le voyons clairement en Égypte. L’absence d’un programme, d’un parti, d’un front progressiste organisé fait cruellement défaut. Ici, en France, nous nous sommes donné cet outil, ce projet, il mord difficilement sur le réel, car le réel est coriace, y compris chez nos amis, nos voisins, le peuple. Nombreux me disent de ne pas culpabiliser les gens, le peuple. Culpabiliser non, responsabiliser oui. Chaque-un est responsable des actes qu’il pose ou ne pose pas.

     

    De nouveaux espaces s’ouvrent, nous devons croiser le fer sans complexe, dire avec force la responsabilité de chacun quant au devenir de tous, nommer et résoudre cette contradiction antagonique entre besoins et désirs, renoncements et courages.

     

    « Jamais nous ne pleurons assez quand nous voyons interdire

    Le geste créateur / Jamais nous ne pleurons assez quand nous voyons

    Que celui qui ose lutter est détruit

    Par les railleries, les embûches, les venins

    Et d’autres voies que nous savons

    Si sages si subtiles si expertes

                   Qu’elles ne peuvent même pas être décrites  »[3].


    article sur le site de l’humanité

    [1] L’humain est possible, de J.-P. Jossua. Presses universitaires de Strasbourg, 2003.

    [2] Psychologie collective et analyse du moi, de Sigmund Freud. Éditions Payot, Paris, 1966.

    [3] La Nudité de la vie, de Sophia de Mello. Éditions de l’Escampette, Bordeaux, 1996.

    URL article : http://lepcf.fr/Un-changement-sans-transformation


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