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Tunisie : la "caravane de la libération" assiège le palais de la Kasbah
"Un mois, deux mois, trois mois! Jusqu'à la chute du régime !". Criant leur détermination, des milliers de Tunisiens, dont des jeunes venus du centre frondeur et déshérité du pays, ont entamé dimanche à Tunis le siège du palais de la Kasbah, qui abrite le Premier ministre.
"Le peuple vient faire tomber le gouvernement", proclame une banderole accrochée aux grilles du bâtiment, témoignant de la défiance de la rue à l'égard des autorités de transition, dominées par des caciques de l'ancien régime.
Une semaine après la chute du dictateur Ben Ali, la colère des Tunisiens ne faiblit pas. Partis du centre du pays, samedi matin, la "caravane de la libération" a rejoint la capitale dimanche matin. "Le peuple vient faire tomber le gouvernement", scandaient des manifestants, parmi lesquels de nombreux jeunes qui ont rejoint la capitale en alternant marche et trajets en véhicules. "Nous sommes venus de Menzel Bouzaiane, de Sidi Bouzid, de Regueb pour faire tomber les derniers restes de la dictature", a expliqué un vieil homme drapé dans un drapeau tunisien, Mohammed Layani.
Arrivés dans le centre de Tunis vers 07h30, les manifestants ont remonté l'avenue Habib Bourguiba, artère centrale et symbolique de la ville où se déroulent des manifestations quotidiennes, avant de s'installer pour un sit-in devant le ministère de l'Intérieur, où ils ont déployé un vaste portrait de Mohammed Bouazizi, le jeune vendeur de fruits qui s'était immolé par le feu le 17 décembre à Sidi Bouzid (centre-ouest), déclenchant les premiers mouvements de révolte qui allaient aboutir près d'un mois plus tard à la chute du régime.
La rue tunisienne proteste quotidiennement contre la mainmise de caciques de l'ancien régime sur le gouvernement de transition formé lundi.
La "Cararvanede la libération" devait à l'origine rejoindre Tunis à pied, en quatre ou cinq jours, mais les marcheurs ont expliqué dimanche qu'il n'y avait "pas de temps à perdre pour faire tomber le gouvernement". Ils étaient environ 300 au départ samedi matin de Menzel Bouzaiane, à 280 km au sud de la capitale, et en chemin, ils ont été rejoints par des centaines de manifestants. Avant d'arriver en centre-ville, les manifestants étaient suivis d'un convoi hétéroclite de camions, voitures, motos, camionnettes.
Cette manifestation, selon des témoignages, a été organisée de manière spontanée par des jeunes de la région. Des syndicalistes et des militants des droits de l'homme ont décidé de se joindre à leur mouvement.
Spécial Tunisie
La chronique de Taoufik Ben Brik : "foutez le camp, tout le monde est au courant !"
JournalisteÀ qui le tour ? En quatre semaines, la révolution du 14 janvier est venue à bout d’un dictateur considéré, longtemps, comme inamovible. Après «Ben Ali dégage !», la rue scandait : «RCD [parti au pouvoir], dégage !» À 13 heures tapantes, sur l’avenue Mohamed-V, une foule noire a occupé le siège du parti. Mais est-ce qu’on l’a effacé définitivement de la carte politique du pays ? Attendons voir… D’autres poches du régime résistent. Pour qui sonne le glas ?
La partie est serrée. Les mariols de l’ancien régime veulent sauver leurs dernières couilles, du moins ce qu’il en reste. Une évacuation sur un balai, comme les sorcières, via l’Arabie saoudite, pour rejoindre Ben Ali déchu, ne les intéresse pas. Ils ont une meilleure planque : Carthage. Ils s’y plaisent.
Dans le sauve-qui-peut, parmi les crabes, un Machiavel, certainement Abdewahab Abdallah, magouille : «Si on te bouscule et que tu tombes, dis que tu glisses.» La glissade ici, c’est croire et faire croire que d’ailleurs surgira un pire au carré, un pire à la puissance X ; que tout péril en cache un autre, plus ventru.
Sonnons le glas de la Sécuritate, provoquons le jour d’après. Faisons-leur croire que Ben Ali contre-attaque. Décrétons le désordre pour rétablir l’ordre. Promettons-leur la vie sous terre, barricadés dans leur 90 m2. Le samedi d’après le jeudi 14 janvier, les hélicoptères mitraillent des voitures de location, les militaires sont appelés au secours d’une population aux abois.
Les sirènes de détresse s’arment et s’alarment. Les déflagrations ébranlent Tunis City et son édifice. Rabbi, Dieu, qu’est-ce qui arrive ? Alzelzel, la terre qui déjante ? Mon Dieu, c’est terrible, la tempête, la grande tempête.
Mohamed Ghannouchi, Premier ministre toujours et pour toujours, prononce à El Jazira son discours de circonstance : « Au nom de Dieu, clément et miséricordieux, citoyens, citoyennes, patientez et faites patienter, Dieu est avec les patients. Résignez-vous et faites se résigner, Dieu est avec les résignés. La Tunisie est en danger. Restez chez vous jusqu’à nouvel ordre. »
Deux jours durant, Tunis ville était libérée des enfants de la balle. Sans occupants. Vaste. La Metropolis, vaste, de Fritz Lang. Les grabataires ont été piqués. Il faut éradiquer la rage.
Quant aux anciens caciques du régime, ils sont au dehors, les mains libres, avec des collabos triés sur le tas, Néjib Chebbi, Mustapha Ben Jaafar, Ahmed Ben Brahim, pour garder le magot, magouiller et faire rouler le guignard du casino.
Mais les chababs, le lundi d’après le jeudi 14, reviennent d’où ils viennent et crient : « Vous êtes confondus. Foutez le camp, tout le monde est au courant ! »
Jeudi 20 janvier, le pays manifeste, de Bizerte à Borj El Khadhra : « RCD, dégage ! » Le parti État, l’antre de tous les maux du pays (régionalisme, dictature, clientélisme, affairisme, corruption), est aussi l’entonnoir des caciques qui tenaient et tiennent encore les rouages du système Ben Ali. La révolution continue… se bat sur un nouveau front : l’intox.
Tags : regime, ben, centre, tunis, parti
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