• RUSSIE. "Nous vivons un moment historique"

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                            Ce samedi, à Moscou. (Photo : Olga Maltseva-AFP)

    De Moscou,

     

    C’est sous une pluie glaciale que la Russie vient, cet après-midi, d’entamer son dégel démocratique.

    Place du Marais, à Moscou, ils sont venus par dizaines de milliers (cent mille, disent certains) jeunes et vieux, libéraux et communistes, hommes et femmes, manifester ensemble leur mépris pour ce pouvoir qui a ouvertement falsifié le résultat des élections législatives – et pour exiger leur annulation. Jamais, depuis vingt ans, une telle foule n’avait été rassemblée à Moscou.

     

    Le pouvoir avait tout fait pour les dissuader. La mairie de Moscou a institué au dernier moment un examen ce jour pour les élèves de 14 à 16 ans afin de les détourner de la manifestation. Un ponte du ministère de la Santé a mis en garde contre les risques de propagation de maladies, en cas de grand rassemblement. Poutine a implicitement accusé les organisateurs de la manifestation d'être des agents américains. Et surtout des milliers de policiers et de militaires en armes, des centaines de véhicules blindés et même un grand nombre de chiens policiers ont été déployés dans le centre-ville pour effrayer les apprentis manifestants. Mais, cette fois, rien n’a marché.  

     

    Ce samedi, c’est la classe moyenne moscovite qui était dans la rue. Calme, pacifique mais déterminée. Vladimir, 55 ans, est un militaire à la retraite. Il a voté pour le parti libéral Iabloko. C’est sa première manifestation. Il dit : « Je viens parce que j’en ai assez de cette corruption du pouvoir, de ses mensonges permanents. La fraude aux dernières élections, ça a été la goutte d’eau. Les hommes du Kremlin savent que l’on sait qu’ils vont truquer et ils le font quand même. Ce mépris me dégoute. Il faut qu’ils partent.»

     

    Rimma, 72 ans, a été choquée par le tour de passe-passe entre Poutine et Medvedev. « Ils décident de s’échanger les postes, et nous n’avons rien à dire ! Ils se moquent de nous. Ca ne peut plus durer ». Et elle ajoute : « Il faudra bien un jour qu'ils rendent au peuple les milliards de dollars du pétrole dont ce clan s'est accaparés  ».

     

    Micha est ouvrier spécialisé, il a 27 ans. Il a voté communiste. « On nous a volé le vrai score du PC. Il faut de nouvelles élections, dit-il. Nous reviendrons manifester tant qu’elles n’auront pas lieu. C’est à nous, au peuple, de décider de ce qui est bien pour nous, pas à Poutine.»

     

    La cible c’est bien lui, le « leader national ». Au début du meeting, les orateurs désignent d’abord à la vindicte le président de la commission électorale, l’inénarrable Chourov, qui, un jour, a déclaré que « Poutine avait toujours raison »… Un responsable de "Golos", l'ONG qui a traqué les fraudes, explique que Russie Unie n'a pas obtenu 49%, comme Chourov l'affirme, mais moins de 30%. Selon lui, le Parti Communiste a recueilli 24%; la Russie Juste 19 ou 20%, Iabloko 5 à 6%... Il faut donc limoger ce Chourov.


    Mais bientôt, les slogans les plus repris sont « Poutine dehors », « Poutine en Tchétchénie » ou « Une Russie sans Poutine. » Pas une fois ou presque le nom de Medvedev n’est mentionné comme s’il n’existait déjà plus.

     

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     Tous les chefs de l’opposition qui ne sont pas en prison s’expriment les uns après les autres. Il y a les anciens, comme l’ex vice-premier ministre de Boris Eltsine, le fringuant Boris Nemtsov, ou l’éternel chef des libéraux, ancien conseiller économique de Gorbatchev, Gregori Yavlinski, ou encore l’ancien député Vladimir Ryjkov.


    Il y a aussi les nouveaux, ceux qui sont apparus sur la scène publique ces derniers mois : des figures de la société civile comme l’écologiste Irina Chirikova, le journaliste Oleg Kashin ou le célèbre écrivain Boris Akounine (très applaudi) ; et des activistes politiques de la nouvelle génération comme Ilya Ponomarev.


    Tous attendaient ce réveil depuis des années. « Nous vivons un moment historique. Nous irons jusqu’au bout », affirment-ils. Ils annoncent déjà une nouvelle manifestation pour samedi prochain et surtout le 24 décembre, date à laquelle, disent-ils, toutes les revendications doivent être satisfaites et notamment, au-delà du limogeage de Chourov, l'annulation du résultat des élections, l'établissement d'une date pour la tenue d'un nouveau scrutin et le changement de la loi électorale de façon à permettre à tous les partis d'opposition de concourir.


    Un seul leader semble se dégager. Il s’appelle Alexeï Navalny. Il a une trentaine d'années. C’est un blogueur très populaire qui milite contre la corruption en exposant des scandales sur son site internet, Rospil.info. A propos du parti de Poutine, Russie Unie, il a inventé une formule choc qui est reprise par toute l'opposition : "Le parti des voleurs et escrocs". Certains s'inquiètent de sa participation à un rassemblement de nationalistes, il y a quelques semaines.


    Navalny n’était pas là cet après-midi. Le pouvoir a commis l’erreur de l’arrêter lors de la précédente manifestation, le 5 décembre, et de le condamner à 15 jours de prison. Cet après-midi, il était dans toutes les têtes et tous les discours. Quand il sortira, normalement juste avant le meeting du 24 décembre, Navalny ne sera plus seulement un héros du net mais une figure majeure de la politique russe - l'opposant principal de Vladimir Poutine. Lui rêve d'être son tombeur.


    Une révolution est-elle en marche ? Le mot a été sifflé par la foule, il terrifie les Russes. Mais si, dans les jours qui viennent, le "leader national" ne trouve pas une parade intelligente, c’est peut-être bien de cela qu'il s'agira.

    http://globe.blogs.nouvelobs.com


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