• Quelles perspectives pour les quartiers populaires ?

    Société - le 2 Juin 2013

    Marseille manifeste contre les violences et pour la citoyenneté

    Excédés par la violence qui mine leurs cités, des habitants des quartiers populaires de Marseille, sont descendus samedi pour la première fois dans la rue pour réclamer la sécurité et "un avenir" pour leurs enfants, à l'appel du collectif marseillais du 1er juin contre toutes les violences.

    Ils étaient entre 700 et 1.500 selon la police ou les organisateurs, venus des quartiers populaires: de nombreuses mères de famille, des militants associatifs, des travailleurs sociaux, ou des élus qui ont répondu à l'appel du collectif du 1er juin, un mouvement constitué en février dernier après les assassinats de plusieurs jeunes sur fond de trafic de drogue.

    Pour l'un des animateurs de ce collectif, Patrick Cassina, directeur d'un centre social dans le 13e arrondissement, ce rassemblement "est une première depuis trente ans" et la marche des Beurs, la fameuse manifestation antiraciste de 1983.

    Vers 15 heures, les manifestants, venus des quartiers de La Busserine, les Bleuets, la Gavotte, la Castellane, les Flamands, Saint-Barthélémy ou Malpassé, qui s'étaient rassemblés au pied des marches de la gare Saint-Charles, ont défilé en cortège derrière deux larges banderoles proclamant: "Contre toutes les violences" et "quartiers populaires, nous sommes des Marseillais, égalité de droits et de traitement pour tous et partout".

    Ras-le-bol

    Si quelques participants semblaient habitués à battre le pavé, pour beaucoup c'était une première, comme ce groupe de Comoriens en tenue traditionnelle, ou Mokharia, une jeune habitante de la cité des Bleuets dans le 13e arrondissement. "Je suis une mère, une soeur, une amie, une voisine, une cousine", a dit la jeune femme voilée. Elle est venue pour exprimer "le ras-le-bol des habitants des quartiers nord d'être laissés pour compte" et réclamer "une égalité de traitement pour le logement et l'éducation".

    L'égalité était ainsi une thématique récurrente sur les banderoles, où l'on pouvait lire "égalité pour tous", "un avenir pour tous nos enfants" ou "sécurité dans nos collèges".

    D'un petit camion en tête de manifestation, Yamina Bechenni, l'une des chevilles ouvrières du collectif du 1er juin, et les autres animateurs de ce collectif, lançaient des slogans, repris par la foule, tantôt dénonçant les problèmes "Et la drogue... Y'en a marre. Et la violence... Et l'injustice...", tantôt plus revendicatif, "Marseille debout, pour tes enfants... debout, pour ta famille."

    Patrick Cassina explique qu'en début d'année, après l'un de ces règlements de comptes, "les parents ont commencé à exprimer une grande angoisse, les enfants étaient retirés des activités... par crainte. on (les travailleurs sociaux et les associations, ndlr) a rapidement décidé d'organiser un espace de parole".

    Le mouvement s'étend

    Le mouvement a fait alors tâche d'huile et plusieurs quartiers ont fait des réunions de parents, sur le même mode. "Les gens ont livré leurs expériences, les problèmes de logement, d'emploi, d'éducation" mais aussi la colère "d'être stigmatisés, caricaturés, assimilés à des trafiquants".

    "Les habitants souhaitent plus de sécurité mais ils ne veulent pas que la réponse (de l'État, ndlr) ne soit que sécuritaire", explique M. Cassina. Depuis deux mois, le collectif du 1er juin, organise des réunions hebdomadaires avec les habitants des quartiers et souhaite devenir "une force de propositions". Le 15 juin, une assemblée populaire se réunira pour définir "la suite à donner" au mouvement.

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    S.G.

    Quelles perspectives pour les quartiers populaires ?
    Chômage, mal-vie, drogue, violence /
    vendredi, 31 mai 2013 / Rouge Midi

    Les règlements de compte qui ont ces deniers temps touché des jeunes de la cité phocéenne, ont provoqué une vive émotion au cœur de la ville et en particulier de ses quartiers populaires touchés par ces drames. Des femmes, mères, sœurs, cousines, amies des victimes ou de leur entourage ont décidé de réagir. Avec elles et d’autres habitants des quartiers populaires un collectif s’est créé qui appelle à une marche le 1er juin.
    Parallèlement, et avant d’avoir connaissance de l’initiative du 1er juin, le Cercle Manouchian invitait ce mardi 28 mai à une soirée de débat sur ce thème. Soirée riche et bienvenue à quelques jours de la marche.

    Philippe Pujol est le 1er intervenant de la soirée. Journaliste à La Marseillaise, remarqué pour une série d’articles sur la délinquance et les trafics de drogue à Marseille, il décortique devant une assemblée attentive les mécanismes des trafics de drogue et leur évolution. « Dans les années 60 Marseille fabriquait la drogue et l’exportait. Aux USA, grands consommateurs, on y assistait alors à une guerre des gangs pour la possession du marché et des emplacements. Aujourd’hui c’est l’inverse, Marseille est une ville d’importation et de consommation de la drogue et du coup on a le même problème qu’avaient les USA dans années-là. ». Et de détailler par le menu le fonctionnement du trafic, son organisation, ses liens avec le grand banditisme qui n’est pas le banditisme des cités. Il conclut en donnant des chiffres précis qui vont à l’encontre de ce que la médiatisation porterait à croire et rejoignent les études sur le sujet [1] : « Il n’y a pas plus de morts que dans les années 30. La nouveauté c’est que cela touche des très jeunes. Ce sont les petites mains qui meurent ».

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    Emmanuelle Hoareau, sociologue spécialiste de la prévention des risques dans la consommation de drogue, dans une longue intervention sur laquelle nous reviendrons, aborde les aspects de la loi en matière de consommation de drogue et les questions de société qu’ils révèlent. Si la loi punit fortement l’usage, la détention et la vente elle n’a pas pu les empêcher de progresser. « La loi stigmatise et n’aide pas les consommateurs à demander de l’aide. S’ils ne se sentent pas compris les usagers n’iront pas vers la prévention »… et encore moins à stopper peut-on en déduire. « Les professionnels de santé parlent de l’échec de la guerre à la drogue, guerre qui est très coûteuse et mobilise des sommes qui pourraient être utilisées à la prévention ». Echec d’autant plus grand que ce sont les usagers qui sont les plus ciblés « les grosses têtes de réseau ne sont jamais interpellées. Sur 130 000 interpellation liées au cannabis, la moitié des incarcérés sont des usagers ». A contrario les pays qui ont dépénalisé ou légalisé ont vu une baisse de la consommation et des trafics. Et de conclure « la prohibition ne donne aucun cadre, alors que la légalisation en donne un ».

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    Mohamed Bensaada, de l’association Quartiers Nord, Quartiers Forts, que les lecteurs de Rouge Midi connaissent bien, prend alors la parole : « Nous nous sommes pour une légalisation sociale de l’usage de la drogue. Il faut sortir de la morale et analyser froidement les choses. Il faut permettre aux petits trafiquants de rentrer dans la légalité. Le temps imposera cette réalité au-delà des contingences électoralistes. Il y a une logique capitaliste et de ce point de vue il n’y a pas de différence entre le trader et le dealer. »

    Serge Pinna, président de Rouges Vifs 13 est le dernier intervenant à la tribune : « L’augmentation du chômage, le recul des services publics dans les cités, laissent des populations à l’abandon. Pour ne pas remettre en cause des choix politiques et économiques désastreux pour le monde du travail, on a privé les gens des quartiers populaires d’offre politique dans laquelle ils se reconnaissent. Pour nous ce qui est primordial et ça a participé de la fondation de Rouges Vifs 13, c’est que ceux qui souffrent le plus du capitalisme soient à la tête du combat contre celui-ci »

    Très vite le débat s’engage avec et dans la salle, et Guillaume Vinçonneau, président du Cercle Manouchian et de la soirée a du mal à ne pas être débordé. Pêle-mêle :

    Hassen : « Une légalisation n’entrainerait-elle pas une hausse de la consommation ? Il faut revoir le modèle économique des quartiers »
    Karima de quartier nord, quartier fort : « L’ensemble de la jeunesse n’est pas dans les trafics. Ce n’est pas parce qu’on légalise que l’on répond à la question sociale »
    Jean Claude, candidat du Front de gauche aux dernières législatives : « lors de ma campagne, chez nombre de jeunes que j’ai rencontrés, cette question de la légalisation était la première voire la seule qu’ils me posaient. La peine n’est pas dissuasive et tôt ou tard la légalisation s’imposera ».
    Fatima : « On voit des choses folles. Ce sont les acheteurs qui demandent de la sécurité pour pouvoir se fournir tranquillement !! Il y a des dealers qui ont pris la place des politiques et des bailleurs ». Et de citer tel quartier où les dealers ont acheté des jeux pour les enfants de la cité… « On est victimes de violences, celle du chômage, celle des cités dégradées, des violences policières. On veut que ça s’arrête c’est pour ça qu’on fait la marche du 1er juin. Comment faire de la politique quand on a le frigo vide ? La 1ère urgence c’est de manger ».
    Charles de Rouges Vifs 13 : « Dans ce département on a connu deux exemples d’organisation des plus exploités dans les quartiers populaires. Celle des chômeurs et celle des sans-papiers. Il y a eu jusqu’à 80 permanences hebdomadaires de quartier : c’est donc la preuve que c’est possible y compris dans les conditions les plus difficiles. La démarche du collectif du 1er juin est à encourager car elle est l’œuvre des habitants eux-mêmes. La question centrale c’est qui possède les richesses et comment elles sont redistribuées » « Les lois de décentralisation ont produit un monstre » Karima reprend la parole : « Il y a dans nos quartiers des formes d’organisation par exemple contre l’ANRU [2]. On a besoin de politiques publiques volontaristes. »

    La soirée s’achève (tard) sans véritable conclusion (tant les débats passionnés se poursuivent) si ce n’est de se revoir le 1er juin.
    Comme dira plus tard Fatima : « ce qui était bien c’est qu’on avait la sensation de se comprendre et de parler tous de la même chose ».
    Au-delà des 23 premières propositions que fait le collectif du 1er juin et qui sont des éléments concrets de changement du quotidien de la vie des gens, reste à travailler ensemble tout un programme de changement de société et lutter pour le faire aboutir. A voir la détermination des présentes et présents jeudi soir nul doute que la lutte continuera d’être au rendez-vous.

    Le 1er juin, rendre visibles les quartiers populaires

    Karima et Fatima, toutes deux habitantes du 14ème arrondissement de Marseille s’expriment sur la marche du 1er juin et la démarche du collectif créé à cette occasion.
    Karima : nous voulons rendre visibles les quartiers populaires non à travers le prisme des médias et des politiques, mais dans leur réalité. Nous sommes des victimes et non des complices des trafics et de la délinquance. Nous portons un discours fort sur l’éducation, l’emploi, la formation. Le 1er juin est une étape. D’ores et déjà le 15 juin est prévu un pique-nique à l’Agora [centre social d’un ensemble de cités du 14ème NDR] avec des collectifs d’habitants. Nous voulons réhabiliter la politique. Des questions nous sont posées :comment on s’organise ? Comment on construit une conscience politique ?

    Fatima : Tout est parti d’une maman des Oliviers [cité du 13ème arrondissement] suite à un meurtre qui a eu lieu dans la cité en février dernier. Le collectif et toute la réflexion qui l’accompagne est le fruit des habitants. C’est parti de la violence mais notre réflexion est bien plus large. Elle part de la base. Le collectif ne juge pas les gens pris dans des problématiques compliquées où se mêlent chômage, misère, logements dégradés et trafics. On avance ensemble. On veut que ça change.

    [1] Violence de quoi parle-t-on ? Laurent Muccielli dans Sciences Humaines avril 2013

    [2] Agence Nationale de Rénovation Urbaine, dispositif de rénovation des quartiers anciens auquel les habitants reprochent le manque de concertation et les choix

    http://www.rougemidi.fr/spip.php?article7868


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