• Putain ! Cinq Ans...

    C'est la rentrée. Nos chères petites têtes blondes se préparent à prendre le chemin de l'école, pendant que nous, parents, descendons à la cave planches à voile, chaises de plage et parasols et tremblons à la perspective de devoir arpenter les allées des grandes surfaces liste de fournitures scolaires en main. D'ailleurs, est-ce que quelqu'un pourrait m'expliquer pourquoi l'expérience des coopératives d'achat qui marchent si bien dans certaines écoles - avec l'avantage supplémentaire d'obliger les enseignants à standardiser leurs demandes, ce qui est peut-être un petit pas pour l'enseignant, mais c'est un grand pas pour l'humanité - ne sont pas généralisées. Voilà un champ que la « gauche radicale » pourrait investir. Cela lui permettrait de montrer qu'elle est capable d'organiser une activité solidaire avant de prétendre devant les électeurs organiser l'Etat. J'y reviendrai.

     

    Mais à côté de la joie des enfants de retrouver leur école et leurs copains - car, contrairement aux fantasmes de quelques soixante-huitards attardés, l'immense majorité des enfants aime aller à l'école - on sent chez les adultes un certain air de morosité dans cette rentrée. Surtout, paradoxalement, à gauche. A droite, c'est la guerre de tous contre tous, mais au moins la défaite a fait naître le désir de la reconquête. Chacun sent qu'il y a des équilibres à bousculer, des places à prendre, des futurs à écrire. A gauche, c'est tout le contraire: En 1981, il avait fallu deux ans pour que le rêve socialiste s'évapore. Trente ans plus tard, trois mois on suffit. Après une victoire sans enthousiasme et la nomination de l'équipe gouvernementale la plus terne et la moins enthousiaste de la Vème République (le fait qu'un Pierre Moscovici se prenne pour le ministre des finances vous donne une idée de l'état des choses), après un été poussif fait de symboles - le président qui voyage en TGV et baisse son salaire - alors que tous les clignotants sont au rouge, la gauche socialiste a perdu toutes ses illusions ou presque. C'est l'horreur: il va falloir gouverner cinq ans, dans un contexte économique très dégradé et qui, en l'absence d'une rupture avec le système euro-libéral que les socialistes ne sont même plus capables de concevoir et encore moins de réaliser, ne peut que se dégrader encore plus.

     

    Le 6 mai dernier, les socialistes ont gagné - et pour cinq ans - le droit de devenir les pères fouettards de la Nation, avec la mission d'administrer au peuple français les potions amères concoctées à Bruxelles. Pour refuser ce rôle, il faudrait la capacité d'imaginer quelque chose de différent. De toute évidence, les socialistes français en sont incapables. Trois mois après une victoire électorale sans véritable projet, ils en sont à organiser des « conférences » et « états généraux » de toutes sortes. On nous explique qu'il s'agit d'un exercice démocratique, que ces machins servent à faire participer la « société civile » aux décisions. Foutaises: l'exercice démocratique a déjà eu lieu, lors du débat électoral. C'est là que le peuple français approuve ou rejette un projet. L'idée qu'on va discuter pendant six mois pour élire un président qui ensuite aura besoin de six mois de discussions avec la « société civile » - en fait, les lobbies associatifs et syndicaux qui participent à ce genre de manifestation - pour savoir ce qu'il fera est une négation du processus démocratique lui-même. S'il ressort des « conférences » une politique opposée à celle qui avait été discutée pendant la campagne électorale, c'est une trahison. Et s'il en ressort la même, à quoi aura servi la « conférence » ?

     

    Chez la « gauche radicale », ce n'est guère mieux. La séquence électorale étant finie, quelques questions lancinantes se posent: à quoi sert un parti politique lorsqu'il n'y a pas d'élection en vue ? Comment maintenir les militants mobilisés et disponibles alors qu'on est marginalisé et que la seule perspective qu'on peut leur proposer est une logique de témoignage ? Les flottements actuels chez les partenaires du Front de Gauche sont la manifestation de cette problématique. Mélenchon, qui à défaut d'avoir une véritable vision politique reste un habile opérateur des médias, a réussi à se faire remarquer en critiquant le bilan du gouvernement. Mais Le FdG ne peut espérer tenir cinq ans en jouant le rôle du roquet qui mordille les chevilles des socialistes. A défaut de proposer une alternative crédible, cette critique deviendra vite lassante, et les militants que la dynamique électorale avait réussi à mobiliser iront voir ailleurs.

     

    Il faut dire que la « gauche radicale » ne s'est pas préparé à une situation qui est tout à fait nouvelle, même si elle était prévisible. Pour la première fois depuis la Libération, nous avons un gouvernement de gauche sur lequel le PCF - et à fortiori l'extrême gauche - n'a aucun poids. Sous la IVème République, avec un groupe parlementaire puissant, son réseau d'élus municipaux, et le prestige acquis dans la résistance, il exerçait une pression énorme sur les socialistes ne serais-ce que par son pouvoir de nuisance. Sous la Vème, tous les gouvernements de gauche ont eu besoin des voix communistes. Et jusqu'aux années 1990, le PCF, qu'il soit dans la majorité ou pas, avait un poids politique sur tous les gouvernements, de gauche comme de droite, à travers la « courroie de transmission » syndicale. 2012 marque une nouveauté: pour la première fois, le parti socialiste gouverne véritablement seul, et sans avoir besoin d'alliés à gauche. Cette configuration traduit un rapport de force infiniment défavorable au Front de Gauche. Disons-le clairement: son poids sur les évènements est comparable à celui de Cassandre sur la guerre de Troie. Et encore, Cassandre avait au moins la certitude que ses prédictions étaient exactes, ce qui est loin d'être le cas pour le Front de Gauche.

     

    Dans ce contexte, la stratégie gauchiste fondée sur l'action est une stratégie vouée à l'échec.

     

    Organiser des manifestations une fois par mois pour protester contre ceci ou cela, demander des « référendums » qui n'ont aucune chance d'aboutir ne peut que mettre en évidence la faiblesse du Front et épuiser les militants inutilement. Le Front de Gauche a attiré pendant la campagne électorale des milliers de sympathisants idéalistes persuadés que la victoire serait au bout de la campagne - à ce propos la lecture des commentaires sur le blog de Jean-Luc Mélenchon est éclairante - et qui après la défaite (1) croient encore au « grand soir » pour demain et sont déçus que leur idole ne le déclenche pas. Eh bien, c'est le moment de sortir de l'impatience infantile et comprendre que la politique est une affaire de long terme. Le problème de la « gauche radicale », c'est qu'elle n'est pas organisée pour travailler sérieusement et dans la durée. Elle n'a toujours pas compris que pour avoir une chance de peser sur les évènements, un candidat charismatique et un programme démagogique et vague ne suffisent pas. Qu'il faut un appareil de formation pour prendre en main les sympathisants et en faire des véritables militants. Qu'il faut des organes de réflexion capables d'attirer et d'organiser l'expertise pour produire un projet crédible. Qu'il faut enfin des instances de décision qui fonctionnent et qui transcendent les personnalités pour garantir la pérennité de l'institution au-delà des hommes.

     

    Ceux qui connaissent l'histoire du PCF le savent. Le Parti a pu peser en 1940 parce qu'il disposait d'un appareil patiemment construit, des militants formés et disciplinés, et une « vision » partagée au point que celui qui ne la partageait pas prenait la porte. Mais il faut aussi comprendre que le PCF n'a pas conquis la classe ouvrière seulement avec des promesses et des programmes. Sa force fut de mélanger une « vision » de long terme avec une pratique de terrain de court terme. Les militants communistes ne promettaient pas seulement l'avenir radieux, ils organisaient des associations sportives et des syndicats, des colonies de vacances et des maisons de la culture, des associations de voisins et des mouvements pour la paix dans une logique de contre-société qui se voulait une préfiguration de la société à construire plus tard.

     

    Et ce n'est pas le seul exemple de cette modalité: plus près de nous, c'est la stratégie de beaucoup d'organisations islamistes dans des pays comme l'Egypte ou l'Algérie, qui mélangent le prêche eschatologique avec une pratique très terre-à-terre de bâtir des réseaux de solidarité, d'aide sociale, de dispensaires médicaux... et même une « justice » alternative là où les tribunaux sont corrompus.

     

    Le Front de Gauche ferait bien de s'inspirer de ces exemples. Organiser un réseau de coopératives pour l'achat des fournitures scolaires et pour l'aide scolaire serait politiquement bien plus productif que les imprécations contre Ayrault ou les « marches » et « pétitions » diverses et variées. Car, comme disait mon grand-père qui était un sage, le chemin vers le cerveau des gens passe par leur estomac.

     

    Bien entendu, une telle politique nécessite des militants formés, disciplinés, et  - last but not least - qui soient prêts à donner de leur temps non pas quelques semaines dans la chaleur d'une campagne électorale, mais dans l'environnement difficile et quotidien d'un quartier et cela pendant des années (2). Ce qui, croyez-moi, n'est pas du tout évident si vous n'avez pas derrière vous une institution qui vous promet le paradis pour vos peines...

     

    Putain ! Cinq ans... c'est long, mes amis.

    Descartes

     

    (1) Car il s'agit bien d'une défaite. Je ne parle pas bien entendu de gagner l'élection présidentielle - seuls les partisans les plus aveuglés de Mélenchon pouvaient croire qu'il avait la moindre chance - mais de peser d'un poids suffisant pour pouvoir infléchir la position du PS. De toute évidence, Hollande n'a pas un instant craint un mauvais report des voix du Front de Gauche sur sa candidature et donc le besoin de faire la moindre concession dans son programme. Et les faits lui ont donné raison. Aux législatives, ce fut encore pire.

    (2) Pour ceux qui ne l'auraient pas encore vu, il faut se procurer le film « Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents communistes ». Je peux certifier, pour l'avoir vécu, que tout ce que raconte ce film est parfaitement exact. La scène de la lecture du journal à l'ancien déporté devrait être diffusée dans toutes les écoles de formation des militants.


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