• On demande à l’Espagne de prendre des mesures très lourdes

    Entretien

    Sterdyniak : "on demande à l’Espagne de prendre des mesures très lourdes sur le plan social et inefficace sur le plan économique"

    On demande à l’Espagne de prendre des mesures très lourdesHenri Sterdyniak est directeur du Département économie de la mondialisation de l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE), et professeur à l’Université Paris-Dauphine et membre du collectif des économistes atterrés. Il nous livre ses explications et analyses sur la crise dans laquelle s'enfonce l'Espagne.

    Les banques espagnoles ont été capitalisées à plusieurs reprises et sont de nouveau en difficulté. Quelles sont les raisons de leurs difficultés ?

    Henri Sterdyniak. Elles sont claires. L’Espagne a vécu sur une bulle immobilière qui s’est effondrée et donc naturellement, les banques espagnoles enregistrent beaucoup de créances non recouvrables. Elles ont fait des prêts à des promoteurs qui eux-mêmes ont fait faillite, ce qui se traduit par des faillites au niveau des banques.
    L’autre élément est que l’Espagne est en récession, sa croissance est extrêmement médiocre. Elle a un taux de chômage vraiment élevé. Un certain nombre de ménages ont donc des difficultés à rembourser leurs prêts, et les entreprises ont des difficultés financières, donc on a un cercle vicieux dans lequel l’Espagne est entraînée : les banques sont en difficulté, elles font moins de crédit et du coup, ça aggrave encore la situation des banques et tout cela contribue à plonger l’Espagne vers le bas.

    Vous évoquez la spirale infernale dans laquelle est l’économie du pays. Pourtant, le gouvernement s’apprête à verser de nouveau des milliards aux banques espagnoles. Comment expliquer cette ambiguïté entre l’austérité appliquée depuis longtemps en Espagne et cette recherche permanente d’argent pour les banques ?

    Cela reflète le déséquilibre profond des banques en 2007. Elles avaient massivement prêté au secteur immobilier et donc tout à fait naturellement, l’effondrement de ce secteur devient extrêmement coûteux. En plus, il faut voir que tous les crédits qu’ont pu faire les banques espagnoles, en particulier les dettes publiques qu’elles détiennent sont devenus des crédits risqués puisque les marchés les considèrent comme tels. Et donc les banques sont obligées d’avoir des fonds propres en face de ces crédits risqués. Ce qui génère des besoins de liquidités extrêmement importants dans la mesure où le gouvernement espagnol s’est refusé à faire défaut sur une partie de la dette bancaire. C’est extrêmement coûteux car il faut rembourser les créanciers des banques.

    Le gouvernement Rajoy a annoncé à plusieurs reprises des chiffres de déficit public revus à la hausse, comme l’avait fait, en Grèce, Georges Papandreou entre octobre 2009 et mai 2010. Un scénario à la grecque est-il à craindre pour l’Espagne ?

    Le problème de l’Espagne est un problème général en Europe. En 2010, son déficit public est important : 9,3% du PIB et on lui demande de faire des efforts extrêmement lourds pour réduire ce déficit. Le gouvernement espagnol prend cet engagement. Le problème est que du coup, la croissance économique est très mauvaise en Espagne, il n’y a pas de reprise économique. Et à ce moment là, lorsque l’on augmente les impôts, ça pèse sur la croissance, ça freine les recettes fiscales, et du coup, le gouvernement n’est pas capable de tenir ses engagements. En plus se pose la question régionale en Espagne : une grande partie des efforts doit être fournie par les régions. Elles doivent plutôt « faire faire » ces efforts par les ménages, en réduisant les dépenses de santé, d’éducation, ce qui n’est pas populaire en Espagne. On est dans une histoire où l’on demande à l’Espagne de prendre des mesures très lourdes sur le plan social et inefficace sur le plan économique. L’Espagne a été incapable de tenir cet engagement. Elle s’était engagée à fournir un effort budgétaire représentant 4 points du PIB, ce qui est énorme. En fait, elle n’a fait que 2 points, ce qui est déjà beaucoup. Le problème est qu’elle s’est engagée à faire autant d'efforts en 2013. Là encore, cet engagement est impossible à tenir. On a une contradiction entre ce qu’un pays peut supporter et les exigences de la Commission. Le pays ne va pas atteindre ces objectifs et se retrouvera soumis à la spéculation ou aux craintes des marchés financiers sans que l’on voit d’issue à la crise. En plus, cela se passe dans un contexte où l’ensemble de la zone euro est en croissance quasi-négative (-0,1% à -0,2% du PIB pour l’ensemble de la zone euro), ce qui n’est pas porteur pour l’Espagne.
    Elle ne pourra pas tenir ses engagements ce qui génère des craintes de crise financière et politique. La zone euro ne fonctionne pas : c’est le problème. L’Espagne n’a pas un déficit supérieur à celui des Etats-Unis qui, eux, ne sont pas attaqués par les marchés financiers, ne prennent pas d’engagements démesurés de déficits publics que l’on impose à l’Espagne.

    L’Espagne a pourtant une dette inférieure à celle de l’Allemagne ou de la France. Avoir le regard fixé sur la dette n’est-il pas une erreur ?

    La Commission européenne regarde le déficit, relativement important pour l’Espagne. Les marchés regardent la dette publique mais aussi tout le problème lié aux banques. C’est pourquoi les marchés spéculent, sont craintifs vis-à-vis du cas espagnol. Le problème de la zone euro est qu’il y a des pays en difficulté qui n’ont pas les moyens de sortir de ces difficultés. Ils sont englués dans les règles de la zone euro, ne peuvent dévaluer comme ont pu le faire les pays scandinaves. Ils n’osent pas prendre des grandes mesures où ils s’en prendraient aux créanciers des banques. Ces pays sont donc condamnés à des politiques d’austérité qui ne rassurent pas les marchés financiers, ne permettent pas de réduire les dettes et déficits publics, qui aggravent la situation des banques et des entreprises. Et donc, on ne sort pas de ce cercle. La solution consistant à dire « les pays ne peuvent pas dévaluer car ils sont dans la zone euro mais en échange, ils bénéficient d’une forte solidarité de la zone euro » ne s’applique pas en l’espère car pour avoir une forte solidarité de la zone euro, il faudrait que l’Espagne accepte de demander l’aide du FESF, d’être soumise elle-aussi comme l’Irlande, la Grèce, le Portugal, à la troïka, ce qu’elle veut éviter.
    On a une situation où l’Espagne est complètement coincée entre les contraintes de la zone euro qui l’empêche d’avoir une politique forte et l’absence de réelles solidarités à l’intérieur de la zone euro. Et par ailleurs, les marchés sont extrêmement attentifs ; ils se disent que l’Espagne va craquer, la zone euro ne va pas pouvoir venir à son secours, donc l’Espagne est un maillon faible, et donc ça renforce les difficultés de l’Espagne. Comme dans tous les pays du sud, ils sont coincés. On a une zone euro qui ne fonctionne pas et des marchés à l’affût de l’éclatement de la zone euro. La situation n’est donc pas gérable.

    Pour vous, l’hypothèse de l’implosion de la zone euro est-elle à prendre réellement au sérieux ?

    C’est une menace sérieuse. La zone ne fonctionne pas. Tous les 15 jours, il y a des mouvements spéculatifs contre la Grèce, contre l’Espagne… Les pays sont en permanence soumis au chantage : soit pratiquer l’austérité qui amène à la récession, soit être victime de la spéculation des marchés financiers. Et l’Europe est incapable d’avoir la solidarité nécessaire qui devrait être un conditionnel pour sauver la situation. L 'Europe est également incapable d’avoir un programme de croissance puisque l’on voit des divergences profondes entre ceux qui disent que pour faire de la croissance, il faut arrêter l’austérité et faire de l’investissement productif et ceux qui disent que pour faire de la croissance, il faut faire plus d’austérité et flexibiliser les marchés des biens et du travail – c’est la position allemande. Dans le cas de l’Espagne, on a déjà un taux de chômage de 24% : flexibiliser le marché du travail, on ne voit pas en quoi ça pourrait aider.
    Le problème de l’Europe est que l’on n’a pas de stratégie de croissance, pas de stratégie claire vis-à-vis des marchés. Il y a un risque évident d’implosion. Avec l’Allemagne qui dit qu’il n’y aura pas de solidarité si le pacte budgétaire n’est pas mis en œuvre, et en même temps un pacte budgétaire qui   contraint tout le monde à faire des politiques d’austérité qui brisent la croissance, on voit pourquoi  la zone euro est  extrêmement fragile et elle n’a pas trouvé un mode de fonctionnement satisfaisant.
    Il faut changer la zone euro et il y a deux manières de la changer : la manière française et la manière allemande qui sont incompatibles.


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