• "Nicolas Sarkozy a cherché à noyer son bilan dans une crise européenne et planétaire"

    Nicolas Sarkozy, le 27 octobre, sur France 2.

    Nicolas Sarkozy, le 27 octobre, sur France 2.France TV

    Après l'intervention en direct à la télévision de Nicolas Sarkozy, jeudi 27 octobre, Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde a répondu en direct aux questions des lecteurs du Monde.fr. Selon elle, "toute la stratégie de Nicolas Sarkozy ce soir a été de noyer son bilan dans une crise européenne et planétaire".

    • jijim : Pensez-vous que M. Sarkozy va redresser sa côte grâce à son intervention ?

    Françoise Fressoz : "Il a plutôt réussi son intervention dans un contexte extrêmement difficile pour lui puisque la France est menacée de perdre son triple A et que la principale annonce de la soirée a porté sur un nouveau plan d'ajustement budgétaire de 6 à 8 milliards d'euros qui s'ajoute à celui décidé en août et qui portait déjà sur 11 milliards d'euros. Autrement dit, il n'avait que des mauvaises nouvelles à annoncer. Il s'en est bien sorti car il a fait la pédagogie d'une crise qui n'est pas que française, mais qui est européenne et mondiale. Il a habilement ciblé les banques en expliquant aux épargnants et aux contribuables que le sauvetage de la Grèce ne leur coûterait rien. Il a évité d'employer le mot de rigueur qui a été fatal à François Mitterrand et à Jacques Chirac. Il s'est posé en président protecteur d'un modèle social. Disons que le discours politique qu'il a trouvé pour enrober la gravité de la crise était plutôt bien trouvé."

     
    • Pedro : Pourquoi Sarkozy n'a t-il pas tenté un coup d'éclat ?

    "Tout simplement parce qu'il n'était pas en mesure de le faire. La direction du Trésor, la semaine dernière, envoyait de grands signaux aux gouvernement pour l'adoption d'un plan de rigueur d'urgence afin d'éviter la perte du triple A qui permet à la France de s'endetter à moindre coût."

    • jijim : Ne pensez-vous pas qu'il a dramatisé la crise pour mieux montrer qu'il a sauvé la France et l'Europe ?

    "Je ne pense pas qu'il ait dramatisé la crise. Il a revanche tardé à l'expliquer aux Français ce qui lui a sans doute coûté politiquement ; c'est sur son silence que François Hollande a réussi à installer sa candidature. Et on voit bien que l'autre aspect de l'intervention de ce soir était destinée à répondre à la montée de M. Hollande. Ce soir, M. Sarkozy n'a pas seulement voulu être président, il a été aussi candidat en posant les lignes de clivage avec la gauche et avec François Hollande. Il s'est posé en président protecteur d'un modèle français qui aurait été mis à mal par des décisions prises par F. Mitterrand puis par L. Jospin et enfin par F. Hollande : retraites à 60 ans, 35h, hausse du nombre de fonctionnaires."

    • Jéjé : Un Président déjà en campagne ?

    "Assurément. N. Sarkozy a senti le danger de partir tard en campagne et en même temps, comme il l'a dit, il ne peut pas donner l'impression aux Français qu'il ne gère plus les affaires de l'Etat surtout dans le contexte actuel de crise européenne et mondiale. Il a donc profité de son intervention de ce soir pour donner quelques lignes directrices à la majorité qui semblait ces derniers temps complètement déboussolée faute d'une feuille de route précise pour attaquer les socialistes. Là, les termes de la confrontation se précise, N. Sarkozy reprend le slogan 'travailler plus pour gagner plus', il veut s'attaquer à la réduction des dépenses publiques et il continue d'affirmer contre toute évidence qu'il ne sera pas le président qui aura augmenté les impôts."

    • Guest : Comment analysez-vous les multiples attaques sur le programme de la gauche, et son passé (35h, retraite à 60 ans) ?

    "N. Sarkozy essaie de mettre F. Hollande face à ses contradictions. Le candidat socialiste a affirmé qu'il visait l'équilibre des finances pubilques à l'horizon 2017. Il s'est posé comme le candidat de gauche à la primaire le plus rigoureux. Donc N. Sarkozy l'attaque sur les dépenses supplémentaires qu'il veut engager : 60 000 postes suplémentaires dans l'Education nationale, le retour à la retraite à 60 ans pour ceux qui ont leur durée de cotisation. Il a par ailleurs attaqué la gauche sur l'idée d'une entrée de l'Etat dans le capital des banques en faisant craindre que cela risquait de coûter à l'Etat."

    • samir : Pouquoi tant de haine vis a vis des 35 heures qui ont été plus que retouchées durant son quinquennat ?

    "N. Sarkozy n'a pas remis en cause le principe des 35 h depuis 2007 alors qu'une partie de la majorité le réclamait. Il a compris que c'était une mesure de société qui a été plutôt bien admise et populaire. Mais maintenant que la France est dans cette situation d'une quasi récession et qu'il n'y a plus d'argent pour relancer la machine, la seule piste qui reste à la droite c'est le travail. 'On ne s'en sortira qu'en travaillant plus', voilà ce que martèle N. Sarkozy, ce qui lui permet en plus de s'arrimer à l'Allemagne en vantant les réformes engagées par Gerhard Schröder. Donc, il semble dire à F. Hollande : 'si vous voulez être sérieux et pérenniser le fonctionnement du couple franco-allemand, vous devez faire campagne pour le travailler plus'. Et ce type d'argument peut en effet être une gène pour F. Hollande dans la campagne."

    • iléane : Mais travailler plus pour gagner plus, qui peut encore y croire ?

    "C'est là dessus que la contre offensive de F. Hollande est attendue. Au fond, toute la stratégie de N. Sarkozy ce soir a été de noyer son bilan dans une crise européenne et planétaire. Or il a des responsabilités, avant même l'apparition de la crise on voyait bien que le slogan ne marchait pas. La détaxation des heures supplémentaires a couté au budget de l'Etat sans se réveler efficace donc on peut s'attendre à une contre attaque forte du candidat socialiste sur le bilan de N. Sarkozy d'avant la crise."

    • Guest : Que dire du rapprochement de notre économie avec celle de l'Allemagne ?

    "N. Sarkozy découvre ce que tous ses prédecesseurs avaient eux mêmes touchés du doigt dans la douleur : la France ne peut pas être gouvernée sans être en phase avec l'économie allemande. Il faut se souvenir des déclarations de N. Sarkozy arrivant à l'Elysée en 2007 et se méfiant de toute idée de rigueur budgétaire. Il avait l'illusion comme F. Mitterrand, que la France pouvait faire de la relance seule ; la mise à niveau ce soir a été plutôt sévère mais N. Sarkozy a obstinément refusé le mot de rigueur afin de ne pas se retrouver dans la même situation que François Mitterrand en 83 et Jaques Chirac en 95."

    • Guest : L'intervention de ce soir était-elle plus spécialement destinée à une catégorie précise de Français ?

    "Non, l'intervention n'était pas du tout catégorielle. Elle était destinée à combler une longue absence médiatique et à faire le maximum de pédagogie sur une crise qui inquiète de plus en plus les Français et qui mine le pouvoir politique dans la mesure où les marchés semblaient faire la loi."

    • stefdebx : Donc, à votre avis, sous couvert de répondre a cette crise, vient-il de rentrer en campagne ?

    "Officiellement, rien n'est décidé puisqu'il a précisé qu'il prendrait sa décision fin janvier début février. Mais on peut considérer que c'était sa première adresse aux Français comme président-candidat. Il a fixé les termes de la confrontation avec la gauche. Il a donné une feuille de route à son camp."

    Le Monde.fr

    Quand Fillon jugeait "irresponsable" que "l'Europe prenne ses pertes" en Grèce

    Le premier ministre, François Fillon, à l'Assemblée nationale, mardi 25 octobre.

    Le premier ministre, François Fillon, à l'Assemblée nationale, mardi 25 octobre.AFP/MEHDI FEDOUACH

    La phrase a été quelque peu oubliée. Elle avait pourtant fait du bruit. Le 18 septembre, Dominique Strauss-Kahn donnait à TF1 une interview-vérité, essentiellement consacrée à ses ennuis judiciaires, mais pas seulement. L'ex-président du FMI y évoquait également la crise grecque, et proposait une solution.

    "La dette de la Grèce (...) il faut la réduite à tout prix. À tout prix, sauf, au prix de la stagnation, voire de la récession. Alors, le chemin de crête est difficile (...) les européens ont du mal à le suivre (...) parce qu'ils ne veulent pas prendre la mesure de l'ampleur du problème (...) On peut dire, les Grecs paieront tout seuls. Mais ils ne peuvent pas. Ou on peut dire, parce que nous sommes dans une Union, que nous allons partager cela (...) Le problème c'est que pour ça, il faut accepter de reconnaître qu'il faut “prendre sa perte”. Il y a une perte, il faut la prendre". Dominique Strauss-Kahn jugeait que "pour prendre la perte, tout le monde doit la prendre. Les États, vous avez raison, et les banques".

     

    Cette sortie de Dominique Strauss-Kahn avait aussitôt déclenché les foudres de François Fillon. En meeeting à Pons, en Charente-Maritime, le 19 septembre, le premier ministre avait fortement critiqué l'idée de M. Strauss-Kahn, qu'il qualifiait "d'irresponsable". "Cela signifie que le laxisme budgétaire d'un Etat est financé par les autres,  cela signifie des pertes pour tous les pays qui ont prêté à la Grèce", jugeait-il.

    Et le premier ministre d'ajouter : "Certains dans leur panique envisagent de couvrir ou d'exclure tel pays incapable d'assumer les contraintes de la monnaie unique (...) Ceux qui jouent avec l'idée que l'Europe renonce au remboursement des prêts consentis à la Grèce, bref 'prenne ses pertes', ont-ils réfléchi aux conséquences de ce type de décision ? Ceux qui mettent en avant cette solution pensent qu'il s'agit d'une recette miracle qui allègerait la contrainte qui pèse actuellement sur la Grèce. Mais rien n'est moins certain."

    Pour François Fillon, alors, "si la Grèce faisait défaut sur ses engagements, ce serait à court terme plus de difficultés pour ce pays, avec une récession encore plus sévère, avec un chômage encore plus élevé, et des difficultés supplémentaires pour trouver à l'extérieur les sources de financement dont il a besoin pour se redresser".

     L'ACCORD DE MERCREDI PROCHE DE LA SOLUTION DÉCRITE PAR DSK

    Au-delà de la rivalité politique et de l'attaque contre un ex-adversaire putatif, François Fillon visait aussi, dans cette sortie musclée, à assurer que la France avait toute confiance dans le plan de sauvetage grec adopté le 21 juillet et attaqué par les marchés, qui doutaient de la capacité de la Grèce à tenir ses engagements de réduction du déficit et à rembourser ses emprunts. La solution d'un effacement de la dette était alors refusée en bloc par la BCE et la France.

    Un peu plus d'un mois après l'intervention du premier ministre contre "DSK", la donne a fortement changé. Le poids des mesures de rigueur nécessaires au remboursement de la dette enfoncent la Grèce dans la récession. D'où la décision européenne de prendre en charge une partie de cette dette, un choix proche de la stratégie alors exposée par DSK, entre autres. L'accord européen signé dans la nuit du 25 au 26 octobre prévoit l'effacement de la moitié de la dette grecque, qui sera en partie réglée par les banques, pour 100 milliards d'euros, et en partie aussi réglée par les Etats, qui vont devoir abonder le Fonds européen de stabilité financière, à hauteur de 130 milliards d'euros.

    De fait, donc, si la Grèce n'est pas en "défaut" au sens financier, elle a bien "fait défaut sur ses engagements", pour reprendre les mots de François Fillon. Et l'Union européenne a bel et bien accepté de prendre en charge une partie de la dette de ce pays, qui reste confronté à une période de rigueur sévère. Le scénario de récession redouté par le premier ministre reste donc possible. L'accord européen, jugé inachevé et qui fait appel à l'aide des pays émergents, soulève nombre de questions. Il n'en reste pas moins que le plan "irresponsable" proposé par DSK a finalement été en partie mis en place.

    Matignon à tenu à préciser au Monde.fr que le premier ministre visait dans son discours le fait que DSK évoquait lors de son interview un abandon des créances grecques par les Etats, et que c'est cet abandon que le premier ministre visait. Ses services indiquent que le plan conclu dans la nuit de mercredi 26 à jeudi 27 octobre ne conduit pas à l'abandon de ces créances détenues par les Etats. Dont acte.

    Toutefois, les Etats européens vont, au terme de l'accord, financer 100 milliards d'euros de prêt supplémentaire à la Grèce, et pourraient être amenés à aider les banques affaiblies par l'annulation d'une partie des créances d'Athènes. De fait, la Grèce se trouve dans une situation de tutelle très proche d'un défaut de crédit. Et les banques et l'Europe sont bel et bien en train de "prendre leurs pertes", même si celles-ci pourront être, à terme, remboursées par Athènes.

    Samuel Laurent


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