• Mourir à vingt ans...

    Je voudrais écrire aujourd'hui sur le double assassinat d'Echirolles. Deux jeunes sans histoires, Sofiane Tadbirt et Kevin Noubissi, sont morts. Une poignée de jeunes, leurs assassins présumés, sont derrière les verrous et passeront certainement de longues années en prison. Deux vies perdues, une douzaine de vies foutures, et cela sans compter la peine des parents et amis qui ont perdu un être cher ou qui iront pendant de longues années visiter un enfant, un frère en prison. Et tout ça pourquoi ? Pour un "mauvais regard" croisé par hasard et qui déclenche, comme dans une tragédie, la mécanique mortelle.

     

    Qu'avaient-ils dans la tête, cette quinzaine de jeunes qui ont fondu sur les deux victimes pour leur ôter la vie à coups de battes et de couteaux ? Ont-ils seulement imaginé quelle pouvait être la suite de leur équipée sauvage ? Pensaient-ils que Kevin et Sofiane allaient, après avoir reçu plusieurs coups de couteau mortels, se relever et reprendre leur vie comme si de rien n'était ? Croyaient-ils vraiment que dans cet âge de caméras de surveillance, dans un lieu fréquenté où l'agression aurait certainement de témoins, ils ne seraient pas identifiés ? Qu'après leur acte ils pourraient continuer à mener une vie normale comme si rien d'anormal ne s'était passé ?

     

    Certains enquêteurs ont commenté que les jeunes interrogés ne semblent pas réaliser la gravité des faits. Et ce n'est pas nouveau: on avait pu constater le même phénomène dans d'autres affaires récentes, par exemple celle du "gang des Barbares".  Tout se passe comme si une partie de nos jeunes avait perdu contact avec le monde réel. Comme s'ils vivaient dans un de ces films de violence américains où le héros peut dézinguer des dizaines de figurants pendant deux heures au couteau et au révolver pour ensuite coucher avec l'héroïne sans que personne ne songe à lui passer les menottes. Ou dans l'un de ces dessins animés où un personnage peut être criblé de balles, découpé en rondelles et jeté sous un train et se relève dans la scène suivante comme si de rien n'était. On parle de "lynchage". A tort: la loi de Lynch s'enonce par le classique "oeil pour oeil, dent pour dent" qui institue une proportionnalité entre l'offense et la réponse. Le problème, à Echirolles et ailleurs, est qu'une partie de la jeunesse a perdu tout sens des proportions. Une mauvaise note justifie qu'on poignarde un professeur, un "mauvais regard" qu'on assassine deux jeunes. Il n'y a plus aucune hiérarchie entre les offenses qui permette une hiérarchie dans les réponses.

     

    Le sens moral n'est pas inné. Il doit être formé. L'enfant, le jeune ne comprennent que très graduellement cette règle de proportionnalité. Or, comment on forme nos jeunes ? Il suffit de regarder les programmes de télévision, les sorties de cinéma, les derniers jeux vidéo pour constater qu'il y a un point commun à une majorité d'entre eux: la violence aveugle et disproportionnée. Nos petits écrans sont pleins de gens qui flinguent, poignardent, torturent, étranglent pour un oui ou pour un non, en toute impunité et sans le moindre remords. On présente comme des héros des personnages qui se font justice eux mêmes, en dehors de toute règle divine ou humaine; des flics qui exécutent le "méchant" sans autre forme de procès (la loi, c'est bien connu, est trop laxiste...). Peut-on dans ces conditions s'étonner que des jeunes nourris de ce genre de situations finissent par croire qu'il est normal de cribler de balles ou de coups de poignard celui qui vous a offensé ?

     

    Dans cette société de divertissement, la violence et la mort sont désincarnées. On rigole en voyant des figurants  torturés ou tués. On ne nous montre jamais la souffrance de ses parents, de ses amis, de ceux qui l'aiment. Parce que cette souffrance montrée à l'écran rendrait le "divertissement" inopérant et nous obligerait à nous poser des questions morales. La télévision, le cinéma, les jeux vidéo nous construisent un monde où la mort est présente mais la souffrance est bannie.

     

    Il nous faut éduquer nos jeunes dans l'idée, essentielle, que la violence n'est pas un jeu, et que dans une société démocratique il n'existe qu'une seule violence légitime: celle que l'Etat exerce dans le cadre des lois. Toutes les autres, quelqu'elles soient, doivent être dénoncées comme illégitimes. Quelque soient les intentions - nobles ou moins nobles - qui motivent leurs auteurs. Les grévistes qui saccagent une sous-préfecture comme les émeutiers qui mettent le feu aux voitures, aux écoles, aux gymnases reçoivent chez certains une indulgence plenière. C'est une erreur: dès lors qu'on admet qu'un individu ou un groupe d'individus peuvent légitimement user de la violence, tout est permis. Ceux qui, à gauche comme à droite, appellent à des actes violents ou les justifient commettent un crime contre la jeunesse.

     

    Dans une société qui s'ensauvage de plus en plus, il faut se lever pour défendre la civilisation. Au risque de paraître réactionnaire, je vous dirai ma conviction que le temps est venu de révaloriser la règle plutôt que la rébellion, le respect plutôt que l'insolence, la discipline collective plutôt que le chacun pour soi. La violence doit redevenir un tabou social, un "impensable". Le politique qui proposera d'interdire aux jeunes la violence à la télévision, au cinema, dans les jeux vidéo; le politique qui dans son propre discours laissera de côté le langage de guerre civile pour s'adresser avec respect à tous les électeurs aura mon suffrage.

     Descartes


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