• Mort à la Citadelle d’Amiens : Après l’accident, l’injustice

    Mort à la Citadelle d’Amiens : Après l’accident, l’injustice

    Par François Ruffin, 4/01/2013

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    Le mardi 8 janvier à 9 h 30, Gilles de Robien sera poursuivi pour « homicide involontaire » devant le tribunal correctionnel d’Amiens. C’est que onze ans plus tôt, le 22 février 2002, un jeune homme mourait écrasé par 600 kilos de pierres sur un « chantier d’insertion modèle ». Comme l’a prouvé l’enquête, aucune précaution n’avait été prise. Cet accident mortel s’est doublé d’une injustice : le parquet, la municipalité, voire les avocats, tous ont œuvré, sciemment ou non, pour que l’affaire soit enterrée. D’où les délais hors norme pour que le maire d’Amiens comparaisse enfin.

    Le contexte

    Au début des années 2000, sur l’ancienne citadelle d’Amiens, est lancé un chantier d’insertion – que les élus vantent volontiers comme « le plus grand d’Europe ». Il s’agit de fournir des centaines d’emplois précaires à proximité d’un quartier Nord au taux de chômage record. Le vendredi 22 février 2002, Hector Loubota, un jeune homme (19 ans) d’origine congolaise, est grimpé sur un échafaudage. Il s’applique à des travaux de maçonnerie par temps de pluie. D’un coup, un pan de mur s’effondre, et il meurt écrasé sous 600 kilos de pierres.

    L’enquête

    Dans le dossier d’instruction, l’expert M.Saissi rend un rapport accablant : le chantier a été lancé sans « aucune analyse des terrains », sans « étude préalable du bâti », sans « aucun suivi régulier », sans même « le nom d’une personne chargée de la sécurité » ! Il mentionne ainsi « l’absence d’étaiements » : la ville n’a planté aucun piquet pour soutenir le mur initial – qui ne tenait que grâce « à la terre et aux racines ». Des erreurs d’autant plus coupables que, dans les années 70, « cet ouvrage s’était déjà en partie effondré ». Il aurait fallu, avant de démarrer l’entreprise, estime l’expert, « procéder à des sondages, relever les fissurations, vérifier la stabilité du sol. » Aucun permis de démolir, ni de construire, n’avait d’ailleurs été déposé…

    L’attente

    « Je fais confiance à la justice de ce pays », avait commencé par dire M. Bernard Loubota, le père de la victime. Mais au printemps 2007, après cinq années d’attente, il commence à trouver le temps long : c’est qu’étrangement, les juges d’instruction se refilent le dossier – puis l’oublient. Lui écrit donc au procureur Beau, qui le reçoit dans son bureau : le magistrat lui garantit que l’affaire sera menée jusqu’à son terme. Prudemment, patiemment, le tribunal d’Amiens attend néanmoins que Gilles de Robien ne soit plus ni ministre, ni maire, ni député. Puis on met en examen un vague directeur de service, un inconnu, un « Monsieur Morelle ».

    L’entourloupe

    Monsieur Loubota ne réclame pas la tête du maire, ni de personne. Si la justice estime que c’est de la faute à Morelle, alors, va pour Morelle… Mais voilà que, à l’audience, l’avocat dudit Morelle sort une carte maîtresse. Une lettre – où, en 2000, avant de démarrer les travaux, l’architecte des Bâtiments de France recommande une expertise. Une lettre que Gilles de Robien a annotée, à l’intention de son adjoint Bernard Nemitz : « Bernard, ne pas signer sans m’en parler. Je ne suis pas certain qu’on ait besoin de l’architecte des bâtiments de France. » La preuve est fournie : le député-maire, directement, a refusé toute mesure de prévention. Une solution « écartée au niveau politique », comme l’invoque Monsieur Morelle. « C’est une cause exonératoire de responsabilité », plaide son défenseur.

    La relaxe

    À son tour, la substitut du procureur se lève. Elle ne dénonce pas le stratagème. Au contraire, elle assène : « Peut-être que nous n’avons pas mis en examen la bonne personne. Peut-être que nous aurions dû poursuivre le directeur général des services ou le maire d’Amiens. » Et du coup, elle ne requiert aucune peine contre le prévenu. Le 1er juillet 2009, le tribunal relaxe le lampiste. Après sept années de réflexion, les magistrats se sont donc « trompés ». Alors que la responsabilité du maître d’œuvre est manifeste dans ce décès, et qu’elle est reconnue par tous, miracle néanmoins : personne n’est coupable.

    Les avocats

    M.Loubota avait choisi, en première instance, une avocate amiénoise. C’est un tort : vivant sur place, elle était plus sensible aux pressions. Qui n’ont pas manqué :
    « C’est un dossier politique », lâche-t-elle. « Jamais, jamais je n’ai mis en cause Gilles de Robien directement.
    – Mais vous auriez dû, apparemment !
    – Écoutez. Alors que je n’ai jamais prononcé son nom, alors que ce n’était pas du tout dans mon intention, je me suis fait convoquer par mon bâtonnier : ‘J’espère que vous ne comptez pas créer des ennuis à Monsieur de Robien’, m’a-t-il prévenu. »
    Depuis, Monsieur Loubota a recouru à un avocat parisien moins gêné par le microcosme amiénois.

    La presse

    En 2002, on y consacrait tout un dossier [ à télécharger ici] quand Fakir était encore un journal local. Fakir, depuis, n’a pas lâché cette affaire. Mais tout comme pour les avocats : mieux vaudrait que la presse parisienne s’en mêle un peu, et ne laisse pas les notables locaux s’arranger une nouvelle fois entre eux.

    Télécharger le communiqué de presse

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