• Mon Premier mai, incognito

    Mon Premier mai, incognito dans le cortège Front national

    02/05/2011 | 18H12
    Crédits photo:  Charles Platiau / Reuters
     
    Au défilé du FN, il y a des frontistes, mais pas que. Des militants d'extrême-gauche se glissent dans la manif pour soutirer des infos et à l'occasion nous raconter leur journée. L'un d'entre eux a passé un 1er mai undercover sous le pseudo de Sacha Iskander. 

    En laissant traîner mes oreilles, j’ai entendu un tas de choses dithyrambiques sur Marine Le Pen : “elle est belle”, “on est tous amoureux d’elle”. Elle vivait son premier défilé de présidente du Front national et le dernier avant la présidentielle.

    Elle avait prévenu qu’elle ne voulait pas voir de skinheads, mais son opération nettoyage, c’est du flan. Pour l’habillage, il faut montrer que le FN est un parti respectable, raisonnable, “un parti comme les autres”, mais Marine Le Pen a besoin de garder des liens avec l’extrême-droite radicale. Elle en est prisonnière et complice. Une élection se gagne aussi avec des gens qui collent des affiches, vont sur le terrain, occupent la rue.

    Piocher les infos au plus près

    Ma première fois, c’était en novembre 2006, à la fête des Bleu-blanc-rouge. Forcément, on surveille leur presse, leurs sites, mais le but est de piocher des infos au plus près : voir s’il y a du monde, jauger les groupuscules, les familles politiques en présence, qui ils mettent en avant. On y va pour récupérer du matos, faire parler des gens le plus possible. Une fois à l’intérieur, c’est open bar, tu fais partie de la famille.

    Je me construis un personnage, jusqu’à présent jamais découvert. Lunettes de soleil, petit sweat, look passe-partout, rien de trop identifiable. Il faut apparaître le plus neutre possible parce qu’il y aura de tout : du MST (mocassin / serre-tête), du T-shirt Stooges et cheveux longs, jusqu’au crâne rasé à blanc. On doit se fondre dans le cortège, d’autant qu’on va en sortir, se mettre sur le côté, retourner avec d’autres groupes : il faut pouvoir se balader partout. Quand on repère un autre militant antifasciste, évidemment, on ne le connaît pas...

    J’ai croisé Farid Smahi, exclu de la direction au dernier congrès du FN. D’habitude c’est costard et cortège présidentiel ; là blouson en jean, esseulé et la larme à l’oeil. Même s’il garde sa carte de militant, il a perdu sa place. Marine Le Pen était acclamée : “présidente”. Jean-Marie Le Pen : “président”. Bruno Gollnisch, lui, passait presque inaperçu avec trois mecs du DPS (le service d'ordre du FN). La bataille est finie, on rentre dans le rang.

    “Le social, c’est le Front national”

    Le 1er mai c’est la fête du militant FN : presque leur seule manif dans l’année. Il devait y avoir 3000 personnes. Un gros cortège présidentiel avec beaucoup plus de journalistes que d’habitude et le service d’ordre en costard, très virulent quand ils devenaient envahissants. Sollicités par le DPS, quelques radicaux sont venus renforcer le carré de tête.

    Ensuite le cortège du Front national jeunesse, qui distribuait un T-shirt gratuit avec un flashcode pour iPhone. Tous les moins de trente ans étaient appelés à le rejoindre. Puis venait le Nord-Pas-de-Calais, le plus gros effectif des fédérations régionales. Annie Lemahieu, la virée de FO, trônait en tête avec une pancarte “exclue par mon syndicat”.

    A part elle, la fanfaronnade sur les syndicats et les travailleurs tombait un peu à plat. On attendait un cortège spécifiquement syndical : rien qu'une pauvre banderole portée par Fabien Engelmann, (exclu de la CGT) et Thierry Gourlot de la CFTC.

    A noter toutefois, la présence de plus de slogans axés sur la question sociale, peu utilisés auparavant : “le social c’est le Front national”, “la France aux travailleurs”, en plus des classiques “Français réveille toi, tu es ici chez toi” ou “Bleu blanc rouge, la France aux Français”.

    Je me balade beaucoup, je trouve un moyen d’engager la conversation sur un vêtement, un sigle, un petit événement. Ça me permet de passer le temps en compagnie de quelqu’un, de discuter. Il ne faut pas seulement poser des questions, mais aussi montrer qu’on est curieux et qu’on connaît des trucs. Mais pas trop, sinon ça fait le mec expert qu’on ne connaît de nulle part.

    Les skins s’étalaient un peu partout, bien lookés. On reconnaissait les marques habituelles : du Fred Perry, du Lonsdale, du Harrington, jean serré Adidas aux pieds, deux-trois treillis, des tatouages, et quelques boucles de ceinture 88 ou croix celtiques, que le DPS allait demander discrètement de cacher sous les T-shirts. Le FN veut garder ces petits jeunes sous la main, sinon ils pourraient ne pas voter.

    On sentait de l’espoir : “ça va venir”, “les gens en ont marre”. Ils ont 2012 en tête. “On sera peut-être pas premiers du second tour, mais on y sera et on gagnera en 2017.” Seul le FN était visible ; les membres d’autres groupes respectent la tête de gondole électorale et se rattraperont au 9 mai.

    J’ai aperçu le Mouvement d’action sociale (groupuscule partisan de la mouvance autonome et enracinée), Serge Ayoub, le GUD en blouson de cuir et lunettes noires, des militants du Parti solidaire français. Mais ils ne distribuaient pas de tracts et n’affichaient pas leur appartenance.

    J’ai écouté les dix premières minutes du discours, après je devais partir. Il est important de réussir sa sortie, sans se faire repérer ni pister. On me dévisageait un peu plus que les années précédentes. Comme tout le monde est massé et qu’il y a un peu de passage à cause du Louvre, j’en profite pour me barrer en douce. Il y a eu pas mal de violences contre des militants dernièrement : des tabassages, des portes défoncées, un cocktail molotov sur un local...

    Espionnage et contre-espionnage

    Je vois ce genre d’opérations comme l’espionnage de mes ennemis politiques les plus chers. Je n’ai aucune sympathie pour les cadres, pour les idéologues. Par contre, je me suis déjà senti en empathie avec le public, dans un meeting à Hénin-Beaumont. Une empathie sociale. Marine Le Pen a ému la salle entière sur ces usines fermées et transformées en lofts pour bobos “qui veulent faire peuple”. On sentait une fierté ouvrière incroyable, qui frissonnait de plaisir en écoutant cette fille de milliardaire.

    Ces gens-là ont raison d’être en colère et d’en vouloir à plusieurs dizaines d’années de politique antisociale. Sauf qu’ils se trompent de colère, se trompent d’ennemi, et se font berner. Ça me fait mal au coeur de voir ma classe sociale se faire berner. Je ne peux pas dire “les gens qui votent FN sont des cons”, ce serait trop simple. Il ne faudrait pas leur parler ? On fait quoi, on les extermine ? Si j’y vais, c’est aussi pour comprendre pourquoi ça marche.

    Cette année, les cortèges régionaux avaient plus de gueule. Pas un défilé de déambulateurs, plus divers en terme d’âges et de catégories sociales. Je ne sais pas dans quelle mesure il s’agit de nouveaux adhérents ou d’anciens remobilisés. J’ai rencontré une petite vieille BCBG qui me disait venir pour la première fois, prendre la température alors qu’elle votait UMP. Si Sarkozy a bien réussi à siphonner le FN en 2007, il rate son coup cette fois-ci.

    En dépit du ripolinage, le fond programmatique du Front national reste le même : un parti antisocial, de droite révolutionnaire, qui nécessite une vigilance antifasciste permanente. Depuis 2002, clairement, on assiste à une banalisation du racisme, avec tout un travail de pollution lexicale. Assez peu de forces du mouvement social intègrent la dimension antifasciste dans leur militantisme, malgré un renouveau de la prise de conscience du danger ces derniers temps.

    “Le racisme c’est pas bien” à la SOS Racisme a marché pour mobiliser, mais politiquement c’est un échec. S’appuyer sur le droit à la différence a ouvert la voie au différentialisme de la Nouvelle droite. Il faut repolitiser : les réponses doivent être politiques pour battre en brèche la préférence nationale et revendiquer de nouveau l'égalité des droits.

    Chaque fois que je me retrouve dans une initiative d’extrême-droite, je me demande dans quelle mesure je m’habitue à ce discours. En fait je ne m’y fais pas, mais je suis blindé. Dans un cortège où tout le monde le fait, je dois crier “Marine présidente”, même si ça m’écorche les lèvres.

    A d’autres endroits, tu as envie de vomir. Mais même face à un vrai négationniste, qui t’explique que Auschwitz c’est pas possible, tu dois rester le plus neutre possible. Les fachos viennent aussi aux réunions et manifs antifascistes, on fait de l’espionnage et du contre-espionnage. C’est de bonne guerre.

    Sacha Iskander

    Propos recueillis par Camille Polloni et Anne Laffeter

    http://www.lesinrocks.com

    

    Défilé du FN: la liberté, mais pas trop quand même

    01/05/2011 | 22H07
    Crédits photo:  A droite de la banderole, le syndicaliste FN Fabien Engelmann (Anne Laffeter).

    Cheveux longs, idées courtes : pour la traditionnelle fête de Jeanne D'Arc, Marine Le Pen demandait aux militants FN trop typés skinhead de faire un effort vestimentaire. Ils ont à moitié obéi. 

    "Marine c’est notre Jeanne d’Arc, elle va sauver la France." Premier défilé du 1er mai du Front national sous la présidence de Sainte Marine. Le thème ? La liberté. Mais pas trop quand même. C’était la fête de la patronne, fallait pas la gâcher. Le défilé se devait d’être à l’image de la stratégie mariniste de dédiabolisation et d’ouverture du parti.

    Des consignes ont été données en amont aux secrétaires départementaux : faire gaffe au look des militants qui souhaiteraient prendre le bus pour monter à Paris.

    "Marine Le Pen a prévenu que tout ce qui ressemble de près ou de loin à un skinhead sera exclu manu militari. Sont exclues toutes les tenues vestimentaires type treillis, Rangers, etc.", stipule un courrier de la direction

    Les jeunes au look skin, plutôt présents ces dernières années, n’étaient donc pas les bienvenus.

    Comme on est un peu mauvaise langue, la première chose qu’on cherche dans la manif, c’est le skin. Pour ne rien vous cacher y’en avait pas mal. Les mauvais esprits s’amusaient même à remarquer que les treillis, casquettes et bérets étaient très tendances cette année chez les fans de Jeanne d’Arc.

    "C’est ma tenue habituelle y’a pas de raison d’en changer, tout le monde porte des treillis", se justifie un sympathisant en pantalon militaire.

    Un jeune de la sécurité en bombers-rangers : "ce n’est pas significatif d’avoir des rangers, ils en ont dans l’armée, dans les usines, sur les chantiers." Plus loin, un groupe de Skins, peut-être un peu plus casual que d’hab. Pourtant, ils confirment bien être venus de province en bus affrété par le FN. Sans problème. "C’est pas les skins qui sont interdits, seulement le look", explique l’un d’eux. Le secrétaire départemental ne devait pas s’y connaitre en skin. L’un d’eux porte en effet un blouson Thor Steinar, une marque néo-nazie importée d’Allemagne.

    Plus loin, les membres du FNJ et du service d’ordre (DPS) distribuent des tee-shirts la "France bleu Marine" à tour de bras. Ils ont deux avantages. D’abord, de faire grossir les troupes estampillées Marine Le Pen et de créer ainsi un sentiment de plébiscite, d’unanimité derrière la chef. Les FNJ, propres sur eux, conviaient au mégaphone tous les moins de trente ans à les rejoindre pour grossir leurs troupes.

    Ensuite, de cacher ses vilains petits objets ou marques fachos que les médias ne sauraient voir : croix celtiques, tatouages, tee-shirts, ceintures 88 (soit Heil Hitler en langue skin). Rien n’est imposé, le service d’ordre demande gentiment. Aujourd’hui, ce sont les 23% de Marine dans l’opinion qui compte. Le reste c’est du folklore groupusculaire. Devant l’Opéra, les FNJ scandent "France Nation Révolution", "le social c’est le FN" avant d’entamer la Marseillaise. Ils agitent des dizaines de drapeaux bleus, avec le mot liberté en imprimé.

    Trois jeunes discutent. Luc, 17 ans, militent au FN depuis deux ans. Ses parents sont socialistes et ouvriers. Pour venir, il a dû leur dire qu’il allait à la messe.

    "Un jour j’ai collé un sticker du FN dans ma chambre, j’ai pris une baffe."

    Il dézippe son sweet à capuche. Un tee-shirt France Bleue Marine apparait. "On le porte parce qu’il faut le porter, ils nous forcent un peu", dit-il en rigolant, "mais il est moche." Il n’aime pas non plus les nouveaux drapeaux bleus. Ça fait UMP. C’était mieux blanc-blanc-rouge. Plus clair. Et ce mot liberté dessus ? Pas très FN, la liberté. Ça fait socialiste. Il est un peu perturbé par les orientations de Marine Le Pen, mais tient à préciser que "le discours est différent dedans : il est plus dur".

    Il préfère Jean-Marie et Bruno Gollnisch, ex prétendant au trône.

    "Ils représentaient plus les valeurs patriotique et catholique, Marine représente les Juifs et Israël, mais là où elle est bien c’est qu’elle rassemble beaucoup de monde."

    Si les idolâtres se pâment -"elle est belle", "charismatique"-, ceux qui ne sont pas des gros fans reconnaissent qu’elle fait du bon boulot. Son discours social fait mouche. Elle draine large, rassure et attire des gens qui n’ont jamais voté FN. Comme Eric, 27 ans, prof d’histoire dans le Marais. Royaliste, il dit voter UMP par dépit mais est de plus en plus attiré par le FN.

    "Le FN a plus de dignité que les bourgeois pourris par l’argent de Neuilly ou que les nouveaux riches."

    Il vit dans le 16eme dans un 30 mètres carrés. "C’est le seul quartier où on se sent bien dans Paris, dans le 18ème les rues sont dégueulasses et je ne parle pas de l’immigration ! Je ne suis pas raciste mais je suis contre l’invasion, c’est normal qu’il n’y ait pas un blanc dans le 93 ? Même mes élèves étaient choqués quand je les ai emmenés, ils s’amusaient à compter les femmes voilées".

    Selon la police, 3200 personnes ont défilé. Légèrement plus que l’année dernière. En tête, le cortège présidentiel était plus imposant que d’habitude et drainait l’attention médiatique. Marine Le Pen était entourée par un essaim de caméras et de photographes (en mode Ségolène Royal version 2007). Bruno Gollnisch, lui, est arrivé plus incognito.

    La direction avait promis de mettre en avant les syndicalistes estampillés FN. Il y a bien ceux qui se sont fait jeter par leur syndicat, mais Fabien Engelmann a l’air bien seul à porter sa petite banderole. On est loin de la démonstration de force de l’entrisme FN dans les syndicats. "Daniel Durand-Ducaudin n’est pas loin", précise Engelmann,  "il y en a d’autres mais ils ne veulent pas venir par peur de se faire filmer et de se faire exclure". 

    Il y aussi Annie Lemahieu en tête du cortège du Nord Pas de Calais. Et puis c’est tout. On attend les outings. Cette année, dans le cortège, il n’y a pratiquement que le FN qui est visible. Pas de groupuscules qui tendent des tracts, pas de groupes venus de l’étranger, pas de drapeaux d’autres organes. L’ancien skinhead et parrain des jeunes nationalistes révolutionnaires, Serge Ayoub, est resté discret, contrairement à l’année dernière.

    En fin de cortège, il y avait bien le GUD, le PSF (parti solidaire français, un groupuscule néo-nazi), mais ils étaient tous deux bien encadrés par le DPS. Le message est clair :

    "tu es toléré mais tu t’affiches pas et si possible tu respectes le dress code imposé par la nouvelle direction".

    Pour s’exprimer en toute liberté, les plus ultra attendent peut être le défilé du 9 mai (en mémoire de Sébastien Deyzieu, militant nationaliste mort dans une course poursuite avec la police en 1994).

    A noter, la faible présence des cathos tradis intégristes. Sont-ils heurtés par le discours social, républicain et prolo de Marine Le Pen ? Où se sont-ils rendus à Rome pour la béatification du Pape Jean Paul II ? Difficile à dire. A noter également, le cortège était mois âgés que d’ordinaire et plus métissé socialement. Un sondage qui vient de paraitre dans Lyonmag montre que le FN devient un vote d’adhésion.

    "Il se passe quelque chose avec les classes moyennes, pour qui le vote FN devient acceptable" constate pour Lyonmag le politologue Jean-Yves Camus. La vague bleue marine fait plutôt mal.

    Anne Laffeter

    http://www.lesinrocks.com


    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :