• Lettre ouverte à François Hollande : ne lâche rien !

     

    Lettre ouverte à François Hollande : ne lâche rien !
    Monsieur le Président-élu de la République,

    Vous devez votre victoire électorale, en partie à la mobilisation de vos militants, en partie au rejet de Nicolas Sarkozy et de sa politique éprouvé par nombre de nos concitoyens et en partie, surtout, à la mobilisation du Front de Gauche dont les électeurs se sont très largement reportés sur votre candidature au second tour de l'élection présidentielle.

    Je suppose que vous et vos lieutenants avez bien remarqué qu'à la Bastille, où le peuple de gauche a fêté votre victoire, la quantité de drapeaux rouge et vert du Front de Gauche, agités par la foule, flottaient au vent pour vous dire : « NE LÂCHE RIEN ! » D'ailleurs, je mettais en garde dans ces colonnes, La gauche n'a pas encore gagné.

    Les commentateurs politiques, surtout à l'étranger, s'en donnent à cour joie depuis lundi pour nous expliquer que votre équipe s'apprête à plier devant Angela Merkel et son diktat d'austérité à tous les étages de l'Europe. À titre personnel, je préfère ne pas accorder trop de crédit à ces rumeurs ou divagations, car je suis comme Saint-Thomas et je ne crois que ce que je vois. J'attends donc de vous voir à l'oeuvre.

    Reprenons.

    Dans l'Asia Times Online de lundi, l'excellent Pepe Escobar est dubitatif : Peut-on croire au changement de l'Europe ?

    Pour commencer, il voudrait "couper la tête au Roi Sarko". Doit-on rétablir la guillotine pour les élus de la République qui ont mal défendu leurs concitoyens - ou qui ont fait encore pire ? Je vous accorde qu'une seule guillotine n'y suffirait pas...

    Pepe Escobar a envie d'y croire. Doux rêveur, va ! Il salut toutefois au passage que votre discours, puis votre élection, ont fait revenir le mot croissance dans la bouche de plusieurs dirigeants européens - et non des moindres ! Toujours ça de gagné. Il évoque votre orientation vers les pays du BRIC pour un partenariat stratégique plus étendu. Il affirme même que vous seriez favorable à l'abandon du dollar comme devise de réserve mondiale et que celui-ci devrait être remplacé par un panier de devises. Info ou Intox ?

    Dans le Guardian d'hier, Ian Traynor nous expliquait Pourquoi les Allemands peuvent dormir tranquilles.

    Extrait :
    « Sur les eurobonds, Sapin était manifestement sceptique », déclarait un mémo envoyé à Berlin par l'ambassade d'Allemagne à Paris, que The Guardian se serait procuré. Sapin a également écarté les programmes de dépense importante ; pour tenter de réformer l'économie française, Hollande opterait pour des mesures favorisant l'offre, du type de celles que Berlin prône quotidiennement. »

    Tous les lecteurs n'auront peut-être pas relevé le passage essentiel, car technique, mais il ne s'agit rien d'autre que de l'orientation de votre politique économique à venir : une politique économique de l'offre (supply-side economics) qui constitue le pivot des politiques économiques néolibérales. J'exhorte vos collaborateurs à bien réécouter les discours de Jean-Luc Mélenchon en matière d'économie : il faut rompre avec l'économie de l'offre, qui cherche à vendre tout et n'importe quoi par la création de besoins imaginaires.

    Certes, me direz-vous, doit-on retourner à une économie strictement basée sur la consommation (demand-side economics) ? C'est un peu ce que souhaitait faire le FG en augmentant drastiquement le SMIC. Et c'est ce que fit en son temps le gouvernement de Pierre Mauroy, qui permit aux Allemands, bien mieux équipés que la France en capacité de production, de se refaire une santé à bon compte et qui plongea la France dans le marasme économique que l'on a connu alors, lequel marasme fut suivi par le tournant de la rigueur que prit Jacques Delors en 1983.

    Il n'est pas étonnant qu'avec l'orthodoxie économique dont le PS semble incapable de se défaire - parce qu'il n'existe d'autre alternative ? - le risque est grand de parvenir rapidement à un compromis avec tous les libéraux européens. Ce qu'il manque au PS, à mon avis, est la capacité de penser l'économie autrement. Mais pour ce faire, faudrait-il encore s'ouvrir à des pensées audacieuses et innovantes, bref, oser penser autrement et hors des sentiers battus. Penser l'alternate-side economics...

    Dans The Independent, John Lichfield, le correspondant de ce quotidien à Paris, rappelait que, selon Merkel, L'accord sur la zone euro n'est pas négociable.

    Pour John Lichfield, votre approche économique pour sortir de la crise est essentiellement keynésienne, c'est-à-dire, qu'elle privilégie une politique de grands travaux à l'échelle de l'Europe. C'est peut-être un peu réducteur...

    Là, un rapide décryptage de cet article nous indique que votre pensée ne se limiterait pas à la France et à ses problèmes, mais engloberait l'Europe tout entière. Toutefois, en filigrane, on comprend bien qu'étant donné l'impossibilité de la France à se financer toute seule, il vous faudra bien aller chercher des fonds européens, et donc proposer à nos partenaires de participer eux aussi à une telle politique de type keynésien. Mais comme Angela Merkel et Wolfgand Schaüble ne veulent pas en entendre parler, les Allemands vous accorderont au mieux quelques miettes financières pour financer de « petits » projets. Au final, ils pourront dire que cela n'était pas une bonne idée (vu qu'ils l'auront dépouillée de toute ambition dès le début).

    Mais tout l'intérêt de l'article de John Lichfield est de résumer les diverses pensées économiques en donnant la parole à quatre personnalités d'outre-Manche (méfiez-vous toutefois de la perfide Albion). Le lib-dem dissident vous soutient à fond pour mettre la croissance au premier plan en Europe et en Grande-Bretagne. Le président de Goldman Sachs Asset Management livre une pensée en demi-teinte : mais pour lui la poursuite d'une trop grande rigidité de la rigueur budgétaire n'est pas raisonnable et il faut réformer suffisamment la politique de l'offre pour créer de la croissance à long-terme (comprendre : la supply-side economics ne répond pas à tout et une dose de « Hollande » pourrait être la bienvenue). Le directeur du NIESR, qui n'a visiblement pas trouvé dans son think tank la solution à la quadrature du cercle, pense qu'il faut ralentir le rythme de la consolidation dans certains pays européens et que votre programme reflète une meilleure appréhension des réalités auxquelles la zone euro est confrontée. Enfin, un ancien membre de la commission monétaire de la Banque d'Angleterre laisse entendre que l'entêtement de Merkel sur son programme d'austérité est une idiotie.

    Dans CounterPunch, Diana Johnstone, une ancienne analyste de la CIA et militante infatigable contre l'hégémonie nord-américaine, pose une bonne question : Les Eurocrates de Bruxelles vous laisseront-ils les mains libres ?

    Son analyse est sans appel : les décisions importantes sont prises à Bruxelles et vous aurez toujours beau vous démener comme un diable, vous subirez toujours leurs diktats. Exit donc une réforme économique en profondeur en l'état, puisque nous avons abandonné notre souveraineté à des technocrates non-élus, et, selon elle, votre domaine d'intervention se limitera à quelques changements sociétaux mineurs en France et, peut-être, à une légère amélioration du pacte euro-atlantique. À part sauver la face, grâce à quelques concessions mineures de la part des Allemands, vous n'y pourrez pas grand chose.

    Ceci nous conduit à l'avertissement lancé dans le Guardian par Seumas Milne, Si la gauche ne prend pas la tête de la révolte en Europe, d'autres le feront.


    Ecoutez bien le passage dans le discours qu'a proncé aujourd'hui la Reine d'Angleterre sur la facilitation des licenciements ! La perfide Albion est associée comme d'habitude à l'Allemagne réactionnaire pour le plus grand mal du reste de l'Europe (nous avons connu cela à deux reprises au cours du siècle passé, ce qui nous a directement conduit à deux guerres mondiales dont la première cible, pour des raisons impérialistes, était encore et toujours la France).

    Certes, ce n'est pas le Front de Gauche qui a remporté les élections en France (merci de me le rappeler, direz-vous), mais c'est bien Syriza qui les a remportées en Grèce. Et, contrairement à ce qu'en ont dit les commentateurs politiques et politisés des grands médias, ce n'est pas l'extrême-droite qui est ressortie vainqueur avec ses maigres 7% (même si c'est fort inquiétant), c'est Syriza, le parti frère du FG, qui a remporté 17% et peut avoir la main sur l'avenir de la Grèce.

    Bien entendu, en France, on ne peut pas dire la même chose, puisque le Front National a pesé pour 18%, score que l'extrême-droite française avait déjà réalisé en 2002 !

    Mais le risque est bien là. Soit la gauche « libérale » se tourne vers la gauche « radicale » pour proposer un véritable changement de société, et cela dans toute l'Europe, soit il sera impossible d'enrayer la montée des nationalismes et nous savons tous où cela nous mènera.

    Concluons.

    Le peuple français (en particulier celui de gauche) vous regarde - et au-delà, toute la gauche européenne - et espère. À titre personnel, je le répète : je ne veux pas trop écouter pour l'instant ceux qui prédisent un consensus avec les Allemands, dans lequel vous lâcheriez les quelques bonnes idées que vous avez développées ces derniers temps. Certes, l'orthodoxie de la pensée qui anime vos collaborateurs ne constitue pas un signe réellement encourageant. Mais, vous, Monsieur le Président-élu, qui avez su attendre votre heure pour accéder à la plus haute fonction de la République, qui avez su reconquérir pas à pas le pouvoir face aux forces réactionnaires (dans les régions, dans les départements, dans un grand nombre de municipalités...), saurez-vous conquérir le pouvoir au niveau européen contre les forces obscures autrement plus dures et plus puissantes de l'argent - du très grand capital ?

    Alors, Monsieur le Président-élu de la République Française, je vous exhorte à nouveau : NE LÂCHEZ RIEN !

    Ne lâchez rien sur les paradis fiscaux !

    Ne lâchez rien sur la taxe des transactions financières ! (A commencer par le FOREX qui devrait être lourdement taxé.)

    Ne lâchez rien sur la politique de GRANDS travaux que vous souhaitez pour l'ensemble de l'Europe !

    Ne lâchez rien sur le peu de souveraineté qu'il nous reste !

    Ne lâchez rien sur la « règle d'or » ! (En période de croissance, on rembourse ses dettes ; en période de récession, on s'endette pour relancer la croissance - base du keynésianisme.)

    Ne lâchez rien à Angela Merkel et Wolfgang Schaüble ! (Ils s'apprêtent à connaître les mêmes déboires que les autres en matière économique.)

    Ne lâchez rien aux Eurocrates !

    Ne lâchez rien aux marchés financiers ! (Entendre Goldman Sachs et JP Morgan.)

    Je vous prie de croire, Monsieur le Président-élu, dans les espoirs et les rêves que le peuple de gauche a placés en vous.

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