• Les raisins de la colère

    Les Raisins de la colère (1939).

    John Steinbeck.

    Les raisins de la colère

    Les raisins de la colère

    Encore une fois, je ne choisis pas une nouveauté ou un best seller qui rempli les rayons de nos supermarchés, mais un grand classique de la littérature. John Steinbeck nous raconte, à travers l’histoire de la famille Joad, le destin de millions d’américains arrachés à leurs terres lors de la grande crise de 1929 pour être jeté sur les routes à la recherche d’un emploi en Californie. Il est intéressant, alors que les économistes comparent la crise actuelle à la crise décrite par Steinbeck, de lire « les raisins de la colère » pour prendre conscience des formes que peuvent prendre les luttes de classes si nous laissons la société glisser vers l’extrémisme bourgeois.

    Le livre est très long (plus de 600 pages), il m’est donc impossible de restituer toute sa richesse sans le recopier intégralement. Je vais donc me borner à parler de ce qui m’intéresse dans le cadre de ce site : l’analyse quasi-marxiste que fait Steinbeck de sa société. Pour ceux qui veulent faire une approche en douceur des Raisins de la colère, il existe une adaptation cinématographique (qui malheureusement laisse un peu de coté le coté militants de l’œuvre) qui date un peu mais qui a le mérite d’être très bien réalisée.

    Nous assistons donc à l’expropriation d’une famille de fermier, la famille Joad, qui se retrouve contrainte de quitter l’Oklahoma dans l’espoir de trouver du travail en Californie, où celui-ci semble être abondant d’après les nombreux tracts qui circulent dans cette région. Une grande partie de l’histoire raconte donc le périple de cette famille déracinée sur la fameuse route 66. La situation des Joad n’est pas un cas isolé. En fait des milliers de familles sillonnent la route vers la même direction, avec le même espoir, après avoir été chassées par les spéculateurs qui transformeront leurs terres, grâce à l’introduction du tracteur, en de gigantesques exploitations agricoles.

    Très tôt, Steinbeck aborde un des thèmes de prédilection de Marx (voir La question Juive) : la société est une société bourgeoise et les droits de l’homme sont les droits de l’homme bourgeois. La réflexion « la liberté dépend du fric que t’as pour la payer » résume à elle seule ce concept.

    Dans la même veine, les familles expropriées comprennent que l’expropriation des expropriateurs devient une nécessité vitale.

    Les familles de l’Oklahoma, que les californiens appellent péjorativement les Okies, découvrent une nouvelle société, modelée par les rapports de l’argent. Cette idée que l’argent détruit la vieille société et ses valeurs est également une idée que l’on retrouve dans le Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx.

    En effet, nous avons l’impression que les pauvres Okies se retrouvent plongés dans la société que Marx décrit dans son œuvre : la société Anglaise du XIXème siècle. Les Okies découvrent donc tour à tour la mise en concurrence des ouvriers pour faire baisser les salaires, la répression contre toute forme d’organisation ouvrière, la déshumanisation du travail, le « racisme social » et enfin le chômage.

    Tout comme dans un processus révolutionnaire, à l’école de la lutte des classes les exploités font vite leur apprentissage. Leur conscience s’élargit et les solutions à leurs problèmes font surface : organisation en syndicat pour renverser le rapport de force ; mise en place de comité avec des élus révocables dans les structures d’hébergements gérées par les travailleurs, qui est en somme une application concrète de la dictature du prolétariat (l’organisation en « Soviet » prônée par les révolutionnaires Russes).

    La critique des classes sociales antagonistes à la majorité de la population, c’est-à-dire les ouvriers, est également très marxiste. Il y a donc critique du marchand qui impose des transactions injustes à l’acheteur. Critique du propriétaire qui spécule sur la nourriture et qui préfère laisser pourrir sa récolte excédentaire alors que des milliers de personnes meurent de faim. Critique des curés qui relaient l’idéologie bourgeoise pour discipliner les travailleurs (« la religion est l’opium du peuple », Marx). Critique du capitaliste multimillionnaire qui possède des terres et des richesses dans un ordre de grandeur qui dépasse l’imagination des pauvres Okies qui se contenteraient d’un lopin de terre pour survivre.

    Les féministes trouveront également de quoi se satisfaire chez Steinbeck. En effet, les femmes, incarnées par « Man », la mère, semblent plus aptes à s’adapter, plus fortes pendant une période de crise où les hommes ont tendance à se laisser chavirer, plus pragmatiques et révolutionnaires également. Pendant toute la lecture, cette femme me faisait penser à ces mères russes qui ont initié la révolution avec pour mots d’ordre : « du pain ! ». Cette femme remet en question l’autorité masculine (incarné par « Pa », le père) et prend la tête de la famille, de façon naturelle, en faisant comprendre à son mari que celui-ci retrouvera son autorité et pourra la battre s’il le souhaite, lorsqu’ils auront de nouveau un toit et un travail…

    Manifestation de la faim après le krach de 1929

    Manifestation de la faim après le krach de 1929 (© - / Sipa)

    De même, il est intéressant de découvrir le sentiment de peur parmi les bourgeois face à la révolution communiste en Russie/URSS. A la moindre contestation, ou suspicion de contestation, les Okies sont accusé d’être des « Rouges », c’est-à-dire des communistes. Le simple fait d’être « Rouge », ou d’en être accusés, justifie l’intervention de la police, l’incarcération et toutes sortes de répressions. En somme, c’est la mise entre parenthèses de la démocratie, dans le sens noble du terme, pour éliminer la menace. Le comique de cette situation c’est que la plupart des Okies ignorent qui sont ces fameux Rouges.

    Cette peur des Rouges, nous le savons, mènera le monde vers toutes sortes d’extrémismes et de dictatures anti-ouvrières, prenant tour à tour la forme d’un nazisme rejetant clairement le communisme (liquidation de la révolution allemande, destruction du parti communiste et des syndicats), d’un stalinisme prônant un communisme qu’il n’applique pas et détruit sciemment (purge parmi les anciens révolutionnaires et mise en place d’un capitalisme d’état sous couvert de mesures dites socialistes) et de tout leurs avatars fascistes ou pseudo-communistes…

    Voilà tout ce qui fait à mes yeux l’intérêt de ce livre. Bien entendu l’histoire en elle-même est également poignante. Ce livre n’est pas un chef d’œuvre pour rien. Mais ne voulant pas gâcher le plaisir que vous aurez à le lire, je préfère ne pas vous dévoiler l’histoire.

    Quoiqu’il en soit le texte, même s’il est très long, reste accessible. La traduction est très bonne et c’est avec plaisir que l’on découvre avec quelle subtilité l’auteur (et les traducteurs) ont su rendre la couleur de l’accent « Okies » qui ressemble un peu aux patois de nos campagnes françaises.

    Pour finir, même si Steinbeck évoque cette idée à la moitié du livre et non à la fin, il rejoint les marxistes lorsqu’il explique que les capitalistes sont incapables de trouver des solutions, ne songent qu’à trouver les moyens d’abattre toutes révoltes et qu’en somme… le capitalisme creuse sa propre tombe.

    Jean-François Garcia


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