• Les modes de production précapitalistes I

    Chapitre 1 — Le mode de production de la communauté primitive

    1.1. L’apparition de la société humaine.

    L’homme est apparu au début de la période actuelle de l’histoire de la Terre, dite période quaternaire, qui compte selon les savants un peu moins d’un million d’années. Dans différentes régions d’Europe, d’Asie et d’Afrique au climat chaud et humide vivait une espèce très évoluée de singes anthropomorphes dont l’homme est descendu à la suite d’une longue évolution qui passe par toute une série de stades intermédiaires.

    L’apparition de l’homme a marqué un tournant décisif dans le développement de la nature. Ce tournant s’est opéré lorsque les ancêtres de l’homme se sont mis à confectionner des instruments de travail. L’homme commence à se distinguer foncièrement de l’animal au moment où il se met à fabriquer des instruments, aussi simples soient-ils. On sait que les singes se servent souvent d’un bâton ou d’une pierre pour abattre les fruits de l’arbre ou se défendre quand ils sont attaqués. Mais jamais aucun animal n’a confectionné même l’outil le plus primitif. Les conditions d’existence incitaient les ancêtres de l’homme à fabriquer des instruments. L’expérience leur suggéra qu’ils pouvaient utiliser des pierres aiguisées pour se défendre en cas d’attaque ou pour chasser. Ils se mirent à confectionner des outils de pierre en frappant une pierre contre une autre. Ceci marque le début de la fabrication des outils. Et c’est par la fabrication des outils que le travail a commencé.

    Grâce au travail, les extrémités des membres antérieurs du singe anthropomorphe sont devenues les mains de l’homme, ainsi qu’en témoignent les restes du pithécanthrope (être intermédiaire entre le singe et l’homme) trouvés par les archéologues. Le cerveau du pithécanthrope était beaucoup moins développé que celui de l’homme, mais déjà sa main se distinguait relativement peu de la main humaine. La main est donc l’organe, mais aussi le produit du travail.

    À mesure que les mains se déchargeaient de tout emploi autre que le travail, les ancêtres de l’homme s’habituaient de plus en plus à la station verticale. Quand les mains furent prises par le travail, s’accomplit le passage définitif à la station verticale, ce qui joua un rôle très important dans la formation de l’homme.

    Les ancêtres de l’homme vivaient en hordes, en troupeaux ; les premiers hommes aussi. Mais entre les hommes un lien était apparu, qui n’existait pas, et ne pouvait pas exister, dans le règne animal ; ce lien, c’était le travail. C’est en commun que les hommes fabriquaient des outils, en commun qu’ils les mettaient en œuvre. Par conséquent, l’apparition de l’homme a aussi marqué le début de la société humaine, le passage de l’état zoologique à l’état social.

    Le travail en commun a entraîné l’apparition et le développement du langage articulé. Le langage est un moyen, un instrument à l’aide duquel les hommes communiquent entre eux, échangent leurs idées et parviennent à se faire comprendre. L’échange des idées est une nécessité constante et vitale ; sans elle les hommes ne pourraient se concerter pour lutter ensemble contre les forces de la nature, la production sociale elle-même ne pourrait exister.

    Le travail et le langage articulé ont exercé une influence déterminante sur le perfectionnement de l’organisme de l’homme, sur le développement de son cerveau. Les progrès du langage sont étroitement solidaires des progrès de la pensée. Dans le processus du travail, l’homme étendait le champ de ses perceptions et de ses représentations, il perfectionnait ses organes des sens. À la différence des actes instinctifs des animaux, les actes de l’homme au travail prirent peu à peu un caractère conscient.

    Ainsi, le travail est la condition fondamentale première de toute vie humaine, et il l’est à un point tel que, dans un certain sens, il nous faut dire : le travail a créé l’homme lui-même.

    ( F. Engels, « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme », Dialectique de la nature, p. 171,
    Éditions sociales, Paris, 1952. )

    C’est grâce au travail que la société humaine est née et qu’elle a commencé à se développer.

    1.2. Les conditions de la vie matérielle dans la société primitive. Le perfectionnement des instruments de travail.

    L’homme primitif dépendait dans une très large mesure de la nature environnante ; il était complètement écrasé par les difficultés de l’existence, de la lutte contre la nature. Ce n’est qu’avec une extrême lenteur qu’il est parvenu à dompter les forces de la nature, par suite du caractère rudimentaire de ses instruments de travail. Une pierre grossièrement taillée et un bâton ont été ses premiers outils. Ils continuaient en quelque sorte artificiellement les organes de son corps, la pierre prolongeant le poing et le bâton le bras tendu. Les hommes vivaient en groupes comptant au plus quelques dizaines de membres : un nombre plus élevé d’individus n’aurait pu trouver à se nourrir ensemble. Quand deux groupes se rencontraient, des conflits éclataient parfois entre eux. Beaucoup de ces groupes mouraient de faim ou devenaient la proie des bêtes féroces. Aussi le travail en commun était-il pour les hommes la seule possibilité et une nécessité absolue.

    Longtemps l’homme primitif a surtout vécu de la cueillette et de la chasse effectuées collectivement à l’aide des instruments les plus simples. Les fruits du travail en commun étaient de même consommés en commun. La précarité de la nourriture explique l’existence chez les hommes primitifs du cannibalisme. Au cours des millénaires, les hommes ont appris en quelque sorte à tâtons, par une expérience très lentement accumulée, à fabriquer les instruments les plus simples, propres à frapper, à couper, à creuser et à exécuter les autres actions peu compliquées auxquelles se réduisait alors presque toute la production.

    La découverte du feu a été une grande conquête de l’homme primitif en lutte contre la nature. Il a d’abord appris à se servir du feu allumé fortuitement : il voyait la foudre enflammer un arbre, il observait les incendies de forêt et les éruptions des volcans. Le feu obtenu par hasard était longuement et soigneusement entretenu. Ce n’est qu’après des millénaires que l’homme perça le secret de la production du feu. À un stade plus avancé de la fabrication des instruments, il nota que le feu s’obtenait par le frottement, et il apprit à le produire.

    La découverte et l’usage du feu permirent aux hommes de dominer certaines forces de la nature. L’homme primitif se détacha définitivement du règne animal ; la longue période de la formation de l’homme avait pris fin. La découverte du feu modifia profondément les conditions de sa vie matérielle. D’abord, le feu lui servit à préparer les aliments et à en augmenter ainsi le nombre : il put désormais se nourrir de poisson, de viande, de racines et de tubercules féculents, etc., en les faisant cuire. Ensuite, le feu commença à jouer un rôle important dans la fabrication des instruments de production ; d’autre part il protégeait du froid, ce qui permit aux hommes de se répandre sur une partie plus étendue du globe. Enfin, il permettait de mieux se défendre contre les bêtes féroces.

    Longtemps la chasse resta la principale source de moyens d’existence. Elle procurait aux hommes les peaux dont ils se vêtaient, les os dont ils faisaient des outils, une nourriture carnée qui influa sur le développement ultérieur de l’organisme humain, et surtout du cerveau. À mesure qu’il se développait physiquement et intellectuellement, l’homme devenait capable de produire des instruments de plus en plus perfectionnés. Il se servait pour chasser d’un bâton à bout aiguisé. Puis il fixa à ce bâton une pointe de pierre. Il eut ensuite des lances à pointe de pierre, des haches, des racloirs, des couteaux, des harpons et des crochets de pierre, instruments qui permirent de chasser le gros gibier et de développer la pêche.

    La pierre est restée très longtemps la principale matière dont on faisait les outils. On a donné le nom d’âge de la pierre à l’époque où prédominent les instruments de pierre, et qui s’étend sur des centaines de milliers d’années. Plus tard l’homme apprit à fabriquer des outils en métal, en métal natif pour commencer, et d’abord en cuivre (mais le cuivre, métal mou, ne pouvait être largement utilisé pour la fabrication d’outils), puis en bronze (alliage de cuivre et d’étain) et ensuite en fer. À l’âge de la pierre succède l’âge du bronze, puis l’âge du fer.

    Les traces les plus anciennes de la fonte du cuivre remontent, dans l’Asie antérieure, aux 5e-4e millénaires avant notre ère ; dans l’Europe méridionale et centrale, aux 3e-2e millénaires. Les premiers vestiges du bronze datent en Mésopotamie du 4e millénaire avant notre ère.

    Les traces les plus anciennes de la fonte du fer ont été découvertes en Égypte et en Mésopotamie et se situent 2 000 ans avant notre ère. En Europe occidentale, l’âge du fer commence environ 1 000 ans avant notre ère.

    L’invention de l’arc et des flèches marqua une importante étape dans l’histoire du perfectionnement des instruments de travail. Désormais la chasse fournit en quantités accrues les moyens d’existence indispensables. Les progrès de la chasse donnèrent naissance à l’élevage primitif. Les chasseurs se mirent à domestiquer les animaux : le chien d’abord, puis la chèvre, les bovidés, le porc et le cheval.

    L’agriculture primitive constitua un nouveau progrès considérable dans le développement des forces productives de la société. En récoltant les fruits et les racines, les hommes primitifs avaient remarqué des milliers de fois, sans comprendre pourquoi, que les graines tombées à terre se mettaient à germer. Mais un jour arriva où leur esprit établit un rapport entre ces faits, et ils commencèrent à cultiver les plantes. Ce fut le début de l’agriculture. Longtemps les procédés de culture restèrent des plus primitifs. On ameublissait le sol au moyen d’un simple bâton, et plus tard, d’un bâton à bout recourbé : la houe. Dans les vallées des cours d’eau, on jetait les semences sur le limon déposé par les crues. La domestication des animaux permit d’utiliser le bétail comme force de trait. Par la suite, quand les hommes apprirent à fondre les métaux, l’emploi d’outils en métal rendit le travail agricole plus productif. L’agriculture reçut une base plus solide. Les tribus primitives devinrent progressivement sédentaires.

    1.3. Les rapports de production dans la société primitive. La division naturelle du travail.

    Les rapports de production sont déterminés par le caractère, l’état des forces productives. Dans la communauté primitive, la propriété commune des moyens de production constitue la base des rapports de production. La propriété commune correspond alors au caractère des forces productives, les instruments de travail étant trop primitifs pour permettre aux hommes de lutter isolément contre les forces de la nature et les bêtes féroces.

    Ce type primitif de la production collective ou coopérative, écrit Marx, fut, bien entendu, le résultat de la faiblesse de l’individu isolé,
    et non de la socialisation des moyens de production.

    ( « Brouillon d’une lettre de Marx à Véra Zassoulitch » dans K. Marx et F. Engels Œuvres, t. 27, p. 681 (éd. russe). )

    D’où la nécessité du travail collectif, de la propriété commune de la terre et des autres moyens de production, ainsi que des produits du travail. Les hommes primitifs n’avaient pas la notion de la propriété privée des moyens de production. Seuls quelques instruments de production, qui constituaient en même temps des moyens de défense contre les bêtes féroces, étaient leur propriété individuelle et étaient utilisés par certains membres de la communauté.

    Le travail de l’homme primitif ne créait aucun excédent par rapport au strict nécessaire, autrement dit aucun produit supplémentaire ou surproduit. Il ne pouvait donc exister ni classes ni exploitation de l’homme par l’homme. La propriété sociale ne s’étendait qu’à de petites communautés plus ou moins isolées les unes des autres. Ainsi que l’a fait observer Lénine, le caractère social de la production n’englobait que les membres d’une même communauté. Le travail, dans la société primitive, reposait sur la coopération simple. La coopération simple, c’est l’emploi simultané d’une quantité plus ou moins grande de force de travail pour exécuter des travaux du même genre. La coopération simple permettait déjà aux hommes primitifs de s’acquitter de tâches qu’il aurait été impossible à un homme seul d’accomplir (par exemple, la chasse aux grands fauves).

    Le niveau extrêmement bas des forces productives imposait la division d’une maigre nourriture en parts égales. Toute autre méthode de partage était impossible, les produits du travail suffisant à peine à satisfaire les besoins les plus pressants : si un membre de la communauté avait reçu une part supérieure à celle de chacun, un autre aurait été condamné à mourir de faim. Ainsi la répartition égalitaire des produits du travail commun était une nécessité.

    L’habitude de tout diviser en parts égales était profondément ancrée chez les peuples primitifs. Les voyageurs qui ont séjourné dans les tribus se trouvant encore à un stade inférieur du développement social ont pu le constater. Il y a plus d’un siècle le grand naturaliste Darwin, accomplissant un voyage autour du monde, rapportait le fait suivant : on avait fait cadeau d’un morceau de toile à des indigènes de la Terre de Feu ; ils le déchirèrent en parties absolument égales pour que chacun en eût autant.

    La loi économique fondamentale du régime de la communauté primitive consiste à assurer aux hommes les moyens d’existence nécessaires à l’aide d’instruments de production primitifs, sur la base de la propriété communautaire des moyens de production, par le travail collectif et par la répartition égalitaire des produits. Le développement des instruments de production entraîne la division du travail dont la forme la plus simple est la division naturelle du travail d’après le sexe et l’âge : entre les hommes et les femmes, entre les adultes, les enfants et les vieillards.

    Le célèbre explorateur russe Mikloukho-Maklaï, qui a étudié la vie des Papous de la nouvelle-Guinée dans la seconde moitié du 19e siècle, décrit ainsi le travail collectif dans l’agriculture. Quelques hommes alignés enfoncent profondément des bâtons pointus dans le sol, puis d’un seul coup soulèvent un bloc de terre. Derrière eux, des femmes s’avancent à genoux et émiettent à l’aide de bâtons la terre retournée par les hommes. Viennent ensuite les enfants de tout âge qui triturent la terre avec leurs mains. Quand le sol a été ameubli, les femmes pratiquent des trous à l’aide de bâtonnets et y enfouissent les graines ou les racines des plantes. Le travail a donc un caractère collectif et est divisé d’après le sexe et l’âge.

    Avec le développement des forces productives, la division naturelle du travail s’affermit et se stabilise. La chasse est devenue la spécialité des hommes, la récolte des aliments végétaux et le ménage celle des femmes, d’où un certain accroissement de la productivité du travail.

    1.4. Le régime de la « gens ». Le droit maternel. Le droit paternel.

    Tant que l’humanité ne s’était pas entièrement détachée du règne animal, les hommes vivaient en troupeaux, en hordes, comme leurs ancêtres immédiats. Par la suite, quand une économie primitive se fut constituée et que la population eut augmenté peu à peu, la société s’organisa en « gentes » 1.

    Seuls des hommes unis par les liens du sang pouvaient, à cette époque, se grouper pour travailler ensemble. Le caractère primitif des instruments de production ne permettait au travail collectif de s’exercer que dans le cadre restreint d’un groupe d’individus liés entre eux par la consanguinité et la vie en commun. L’homme primitif considérait d’ordinaire comme un ennemi quiconque n’était pas lié à lui par la parenté consanguine et la vie en commun au sein de la gens. La gens s’est d’abord composée de quelques dizaines d’individus unis par les liens du sang. Chacune de ces gentes vivait repliée sur elle-même. Avec le temps, l’effectif du groupe augmenta et atteignit plusieurs centaines d’individus ; l’habitude de la vie en commun se développa ; les avantages du travail collectif incitèrent de plus en plus les hommes à rester ensemble.

    Morgan qui a étudié la vie des primitifs, décrit le régime gentilice encore en vigueur chez les Indiens Iroquois au milieu du siècle dernier. Les principales occupations des Iroquois étaient la chasse, la pêche, la cueillette des fruits et la culture. Le travail était divisé entre les hommes et les femmes. La chasse et la pêche, la fabrication des armes et des outils, le défrichement, la construction des cases et les travaux de fortification étaient le lot des hommes. Les femmes s’acquittaient des principaux travaux des champs, levaient et rentraient la récolte, cuisaient la nourriture, confectionnaient les vêtements et les ustensiles d’argile, cueillaient les fruits sauvages, les baies et les noisettes, récoltaient les tubercules. La terre était la propriété de la gens. Les gros travaux : coupe du bois, essouchage, grandes chasses, étaient exécutés en commun. Les Iroquois vivaient dans ce qu’ils appelaient de « grandes maisons » pouvant abriter vingt familles et plus. Chaque groupe de ce genre avait ses entrepôts communs où étaient déposées les provisions. La femme qui se trouvait à la tête du groupe distribuait la nourriture entre les familles. En cas de guerre, la gens élisait un chef militaire qui ne bénéficiait d’aucun avantage matériel et dont le pouvoir prenait fin en même temps que les hostilités.

    Au premier stade du régime gentilice, la femme occupait une situation prépondérante, ce qui découlait des conditions de la vie matérielle d’alors. La chasse à l’aide d’instruments des plus primitifs, qui était alors l’affaire des hommes, ne pouvait assurer entièrement l’existence de la communauté, ses résultats étant plus ou moins aléatoires. Dans ces conditions, les formes même embryonnaires de la culture du sol et de l’élevage (domestication des animaux) acquéraient une grande importance économique. Elles étaient une source de subsistance plus sûre et plus régulière que la chasse. Or, la culture et l’élevage primitifs étaient surtout le lot des femmes restées au foyer pendant que les hommes allaient à la chasse. La femme joua pendant une longue période le rôle prépondérant dans la société gentilice. C’est par la mère que s’établissait la filiation. C’était la gens matriarcale, la prédominance du droit maternel.

    Avec le développement des forces productives, quand l’élevage nomade (pâturage) et l’agriculture plus évoluée (culture des céréales), qui étaient l’affaire des hommes, commencèrent à jouer un rôle déterminant dans la vie de la communauté primitive, la gens matriarcale fut remplacée par la gens patriarcale. La prépondérance passa à l’homme qui prit la tête de la communauté. C’est par le père que s’établit désormais la filiation. La gens patriarcale a existé au dernier stade de la communauté primitive.

    L’absence de propriété privée, de division en classes et d’exploitation de l’homme par l’homme rendait impossible l’existence de l’État.

    Dans la société primitive […], on n’observe pas d’indices d’existence de l’État. On y voit régner les coutumes, l’autorité, le respect, le
    pouvoir dont jouissaient les anciens du clan ; ce pouvoir était parfois dévolu aux femmes — la situation de la femme ne ressemblait pas alors à ce qu’elle est aujourd’hui, privée de droits, opprimée ; mais nulle part une catégorie spéciale d’hommes ne se différencie pour gouverner les autres et mettre en œuvre d’une façon systématique, constante, à des fins de gouvernement, cet appareil de coercition, cet appareil de violence […]

    ( V. Lénine, « De l’État », Œuvres, t. 29, p. 478. )
    Notes
     1. Nom latin de la communauté réunissant des membres unis par les liens du sang. Au pluriel : « gentes » ; de là l’adjectif : gentilice. (N. d. T.)

    1.5. Les débuts de la division sociale du travail et de l’échange.

    Avec le passage à l’élevage et à la culture du sol apparut la division sociale du travail : diverses communautés, puis les différents membres d’une même communauté commencèrent à exercer des activités productrices distinctes. La formation de tribus de pasteurs a marqué la première grande division sociale du travail.

    En se livrant à l’élevage, les tribus de pasteurs réalisèrent d’importants progrès. Elles apprirent à soigner le bétail de manière à obtenir plus de viande, de laine, de lait. Cette première grande division sociale du travail entraîna à elle seule une élévation sensible pour l’époque de la productivité du travail.

    Toute base d’échange fit longtemps défaut entre les membres de la communauté primitive : le produit était tout entier créé et consommé en commun. L’échange naquit et se développa d’abord entre les gentes et garda durant une longue période un caractère accidentel.

    La première grande division sociale du travail modifia cette situation. Les tribus de pasteurs disposaient de certains excédents de bétail, de produits laitiers, de viande, de peaux, de laine. Mais elles avaient aussi besoin de produits agricoles. À leur tour, les tribus qui cultivaient le sol réalisèrent avec le temps des progrès dans la production des denrées agricoles. Agriculteurs et pasteurs avaient besoin d’objets qu’ils ne pouvaient produire dans leur propre exploitation. D’où le développement des échanges.

    À côté de l’agriculture et de l’élevage, d’autres activités productrices prenaient leur essor. Les hommes avaient appris à fabriquer des récipients en argile dès l’âge de la pierre. Puis apparut le tissage à la main. Enfin, avec la fonte du fer, il fut possible de fabriquer en métal des instruments de travail (araire à soc de fer, hache de fer) et des armes (épées de fer). Il s’avérait de plus en plus difficile de cumuler ces formes de travail avec la culture ou l’élevage. Peu à peu se constitua au sein de la communauté une catégorie d’hommes exerçait des métiers. Les articles produits par les artisans : forgerons, armuriers, potiers, etc., devenaient de plus en plus des objets d’échange. Les échanges prirent de l’extension.

    1.6. Apparition de la propriété privée et des classes. La désagrégation de la communauté primitive.

    Le régime de la communauté primitive atteignit son apogée à l’époque du droit maternel ; la gens patriarcale renfermait déjà les germes de la désagrégation de la communauté primitive.

    Les rapports de production, dans la communauté primitive, correspondirent jusqu’à une certaine époque au niveau de développement des forces productives. Il n’en fut plus de même au dernier stade de la gens patriarcale, après l’apparition d’outils plus perfectionnés (âge du fer). Le cadre trop étroit de la propriété commune, la répartition égalitaire des produits du travail commencèrent à freiner le développement des nouvelles forces productives.

    Jusque là, l’effort collectif de quelques dizaines d’individus permettait seul de cultiver un champ. Dans ces conditions, le travail en commun était une nécessité. Avec le perfectionnement des instruments de production et l’élévation de la productivité du travail, une famille à elle seule était déjà capable de cultiver un terrain et de s’assurer les moyens d’existence dont elle avait besoin. L’amélioration de l’outillage permit donc de passer à l’exploitation individuelle, plus productive dans les nouvelles conditions historiques. La nécessité du travail en commun, de l’économie communautaire se faisait de moins en moins sentir. Si le travail en commun entraînait nécessairement la propriété commune des moyens de production, le travail individuel requérait la propriété privée.

    L’apparition de la propriété privée est inséparable de la division sociale du travail et du progrès des échanges. Ceux-ci se firent au début par l’entremise des chefs des communautés gentilices (anciens, patriarches) au nom de la communauté qu’ils représentaient. Ce qu’ils
    échangeaient appartenait à la communauté. Mais avec le développement de la division sociale du travail et l’extension des échanges, les chefs des gentes en vinrent peu à peu à considérer le bien de la communauté comme leur propriété.

    Le principal article d’échange fut d’abord le bétail. Les communautés de pasteurs possédaient de grands troupeaux de moutons, de chèvres, de bovins. Les anciens et les patriarches, qui jouissaient déjà d’un pouvoir étendu dans la société, s’habituèrent à disposer de ces troupeaux comme s’ils étaient à eux. Leur droit effectif de disposer des troupeaux était reconnu par les autres membres de la communauté. De la sorte le bétail, puis peu à peu tous les instruments de production devinrent propriété privée. C’est la propriété commune du sol qui se maintint le plus longtemps.

    Le développement des forces productives et la naissance de la propriété privée entraîna la désagrégation de la gens. Celle-ci se décomposa en un certain nombre de grandes familles patriarcales. Du sein de ces dernières se dégagèrent par la suite certaines cellules familiales qui firent des instruments de production, des ustensiles de ménage et du bétail leur propriété privée. Avec les progrès de la propriété privée les liens de la gens se relâchaient. La communauté rurale, ou territoriale, se substitua à la gens. À la différence de celle-ci, elle se composait d’individus qui n’étaient pas forcément liés par la consanguinité. L’habitation, l’exploitation domestique, le bétail étaient la propriété privée de chaque famille. Les forêts, les prairies, les eaux et d’autres biens restèrent propriété commune, de même que, pendant une certaine période, les terres arables. Celles-ci, d’abord périodiquement redistribuées entre les membres de la communauté, devinrent à leur tour propriété privée.

     L’apparition de la propriété privée et de l’échange marqua le début d’un bouleversement profond de toute la structure de la société primitive. Les progrès de la propriété privée et de l’inégalité des biens déterminèrent chez les divers groupes de la communauté des intérêts différents. Les individus qui exerçaient les fonctions d’anciens, de chefs militaires, de prêtres mirent leur situation à profit pour s’enrichir. Ils s’approprièrent une partie considérable de la propriété commune. Les hommes qui avaient été investis de ces fonctions sociales, se détachaient de plus en plus de la grande masse des membres et formaient une aristocratie dont le pouvoir se transmettait de plus en plus par hérédité. Les familles aristocratiques devenaient aussi les plus riches, et la grande masse des membres de la communauté tombait peu à peu, d’une manière ou d’une autre, sous leur dépendance économique.

    Grâce à l’essor des forces productives, le travail de l’homme, dans l’élevage et l’agriculture, lui procura plus de moyens d’existence qu’il n’en fallait pour son entretien. Il devint possible de s’approprier le surtravail ou travail supplémentaire et le surproduit ou produit supplémentaire, c’est-à-dire la partie du travail et du produit qui excédait les besoins du producteur. Il était donc profitable de ne pas mettre à mort les prisonniers de guerre, comme auparavant, mais de les faire travailler, d’en faire des esclaves. Les esclaves étaient accaparés par les familles les plus puissantes et les plus riches. À son tour, le travail servile aggrava l’inégalité existante, car les exploitations utilisant des esclaves s’enrichissaient rapidement. Avec les progrès de l’inégalité des fortunes, les riches se mirent à réduire en esclavage non seulement les prisonniers de guerre, mais aussi les membres de leur propre tribu appauvris et endettés. Ainsi naquit la première division de la société en classes : la division en maîtres et en esclaves. Ce fut le début de l’exploitation de l’home par l’homme, c’est-à-dire de l’appropriation sans contre-partie par certains individus des produits du travail d’autres individus.

    Peu à peu les rapports de production propres au régime de la communauté primitive se désagrégeaient et étaient remplacés par des rapports nouveaux, qui correspondaient au caractère des nouvelles forces productives. Le travail en commun fit place au travail individuel, la propriété sociale à la propriété privée, la société gentilice à la société de classes. Désormais l’histoire de l’humanité sera, jusqu’à l’édification de la société socialiste, l’ histoire de la lutte des classes.

    Les idéologues de la bourgeoisie prétendent que la propriété privée a toujours existé. L’histoire dément cette assertion ; elle atteste que tous les peuples ont passé par le stade de la communauté primitive, qui est fondée sur la propriété commune et ignore la propriété privée.

    Les représentations sociales à l’époque primitive.

    À l’origine, l’homme primitif, accablé par le besoin et les difficultés de la lutte pour l’existence, ne s’était pas encore entièrement détaché de la nature environnante. Il n’eut pendant longtemps aucune notion cohérente ni de lui-même, ni des conditions naturelles de son existence.

    Ce n’est que peu à peu qu’apparaissent chez lui des
    représentations très limitées et primitives sur lui-même et sur les conditions de sa vie. Il ne pouvait encore être question de conceptions religieuses, que les défenseurs de la religion prétendent inhérentes de toute éternité à la conscience humaine. C’est seulement par la suite que l’homme primitif, incapable de comprendre et d’expliquer les phénomènes de la nature et de la vie sociale, se mit à peupler le monde d’êtres surnaturels, d’esprits, de forces magiques. Il animait les forces de la nature. C’est ce qu’on a appelé l’animisme (du latin animus : âme). De ces notions confuses sur l’homme et la nature naquirent les mythes primitifs et la religion primitive où l’on retrouvait l’égalitarisme du régime social. L’homme, qui ignorait la division en classes et l’inégalité des fortunes dans la vie réelle, ne hiérarchisait pas non plus le monde imaginaire des esprits. Il divisait ceux-ci en esprits familiers et étrangers, favorables et hostiles. La hiérarchisation des esprits date de l’époque de la désagrégation de la communauté primitive.

    L’homme se sentait intimement lié à la gens ; il ne se concevait pas en dehors de celle-ci. Le culte des ancêtres communs était le reflet idéologique de cet état de choses. Il est significatif que les mots « moi » et « mon » n’apparaissent qu’assez tard dans la langue. La gens exerçait sur chacun de ses membres un pouvoir extraordinairement étendu. La désagrégation de la communauté primitive s’accompagna de la naissance et de la diffusion de notions centrées sur la propriété privée, ce dont témoignent éloquemment les mythes et les idées religieuses. À l’époque où s’établirent les rapports de propriété privée et où l’inégalité des fortunes commença à s’affirmer, on prit l’habitude dans de nombreuses tribus, de conférer un caractère sacré (« tabou ») aux biens que s’étaient attribués les chefs des familles riches (dans les îles du Pacifique le mot « tabou » s’applique à tout ce qui est frappé d’interdiction, soustrait à l’usage général). Avec la désagrégation de la communauté primitive et l’apparition de la propriété privée, l’interdit religieux consacra les nouveaux rapports économiques et l’inégalité des fortunes.

    Résumé du chapitre 1

    1. C’est grâce au travail que les hommes se sont dégagés du règne animal et que la société humaine a pu se constituer. Le travail humain est avant tout caractérisé par la confection d’instruments de production.

    2. Les forces productives de la société primitive se trouvaient à un niveau extrêmement bas, les instruments de production étaient extrêmement primitifs. D’où la nécessité du travail collectif, de la propriété sociale des moyens de production et de la répartition égalitaire. Sous le régime de la communauté primitive, l’inégalité des fortunes, la propriété privée des moyens de production, les classes et l’exploitation de l’homme par l’homme étaient inconnues. La propriété sociale des moyens de production était limitée au cadre restreint de petites communautés plus ou moins isolées les unes des autres.

    3. La loi économique fondamentale du régime de la communauté primitive consiste à assurer aux hommes les moyens d’existence nécessaires à l’aide d’instruments de production primitifs, sur la base de la propriété communautaire des moyens de production, par le travail collectif et par la répartition égalitaire des produits.

    4. Pendant longtemps les hommes, qui travaillaient en commun, accomplirent le même genre de travail. L’amélioration progressive des instruments de production contribua à l’établissement de la division naturelle du travail selon le sexe et l’âge. Le perfectionnement ultérieur des instruments de production et du mode d’obtention des moyens d’existence, le développement de l’élevage et de l’agriculture firent apparaître la division sociale du travail et l’échange, la propriété privée et l’inégalité des fortunes, entraînèrent la division de la société en classes et l’exploitation de l’homme par l’homme. Ainsi, les forces productives accrues entrèrent en conflit avec les rapports de production ; en conséquence, le régime de la communauté primitive fit place à un autre type de rapports de production, à la société esclavagiste.

     


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