• Les Indignés en procès pour une vitre décollée

    Onze personnes, membres des Indignés parisiens, étaient jugées ce matin, pour avoir abîmé un fourgon de police. La procureure a requis trois mois de prison ferme. Leur avocat dénonce un procès disproportionné.

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    Par FABIEN SOYEZ

    La place de la Bourse, à Paris, le lendemain de l'évacuation des Indignés par les forces de l'ordre. (AFP)
     

    Ce matin, dans la 29e chambre du tribunal correctionnel de Paris, une audience pour le moins singulière. Onze Indignés comparaissaient pour avoir, lors d'un rassemblement place de la Bourse, "dégradé des biens publics" - en fait "décollé" la vitre du fourgon de police dans lequel ils étaient détenus.

    Les prévenus, alignés, se succèdent à la barre, devant le micro. "Je n'ai rien vu, je n'ai rien fait, puisque je n'étais pas dans ce fourgon !", affirme Jérémy, 29 ans. Agent SNCF, il était place de la Bourse, le 21 septembre, au milieu d'une cinquantaine d'activistes du mouvement des Indignés. "Ils étaient assis sur le sol, formant un cercle pacifique. Les policiers sont arrivés, ils ont voulu les dégager", raconte-t-il.

    "J'avais une caméra, j'ai filmé la scène, poursuit le jeune homme. Un flic est arrivé vers moi, a donné un coup de pied sur ma trottinette et m'a invité à arrêter de filmer... Je les ai un peu provoqués, j'avoue, et c'est alors qu'ils m'ont plaqué au sol puis embarqué dans un fourgon... Quelques minutes plus tard, la portière s'est ouverte et on m'a emmené avec une dizaine d'autres que je ne connaissais pas dans un autre fourgon, direction la garde à vue, pour avoir cassé une vitre." Me Breham, l'avocat des onze Indignés, lâche : "Je rappelle que la vitre ne s'est pas cassée, elle s'est juste décollée, parce qu'elle tenait mal."

    «Oui, je suis vraiment indignée !»

    Parmi les prévenus, il y a aussi Hilmar, 36 ans. Vénézuélienne, elle était venue manifester le soir du 21 septembre avec une vingtaine d'Espagnols, qui, comme elle, étaient partis de Madrid pour rejoindre Bruxelles, dans une grande "Marche des Indignés" contre "le système économique et politique". La jeune femme brandit les mains devant elle. Deux cœurs roses ont été dessinés sur les paumes. "J'ai montré mes mains devant la vitre, pour montrer ces dessins, lance-t-elle, et je me suis aperçue que le carreau vibrait, qu'il allait se décoller, alors j'ai dit à tout le monde de se tenir loin de la vitre."

    Séverine, absente au procès, est celle qui, selon la présidente du tribunal, a "le casier le plus chargé" : une arrestation pour conduite en état d'ivresse. La jeune femme était debout, dans le fourgon, quand celui-ci s'est mis en route. "Elle a alors trébuché et a posé ses mains sur la vitre, qui s'est décollée. Un policier l'a vite repoussée d'une main et remise en place", affirme Hilmar. Souriante malgré la situation, la Sud-Américaine s'exclame : "Ce genre de procès est ridicule, où est la justice ? Oui, je suis vraiment, vraiment indignée !"

    Puis c'est au tour de la procureure, Laurence Dané, de décrire un tout autre scenario. "La vitre n'aurait pu se décrocher que si les prévenus s'y étaient mis à plusieurs, de manière concertée", affirme-t-elle, accusant ces derniers de l'avoir poussée intentionnellement. Et de réclamer, pour Séverine, rien moins que trois mois de prison ferme. Pour les autres, une peine de 100 jours-amende à 5 euros, soit 500 euros d'amende.

    «On essaie de criminaliser la lutte sociale»

    "J'ai entendu, ce matin, juste avant notre affaire, des histoires de violences conjugales, des prévenus qui ont frappé leurs femmes de manière extrêmement violente. Et qu'est-ce qui a monopolisé la majorité de l'audience ? Une vitre", ironise l'avocat des "Indignés". "La police, la justice n'ont-ils rien d'autre à faire que de juger onze personnes pour une vitre décollée ?", s'étonne Me Breham. "Nous avons ici deux prévenus qui n'étaient pas dans le fourgon. Le chauffeur de camion, les policiers, les témoins, personne n'a été capable de dire qui a poussé la vitre, qui était dans cette soi-disant chaîne."

    L'avocat ajoute : "Dans ces cas-là, le doute profite aux mis en cause." Quant à Séverine, "la seule à avoir eu l'honnêteté de dire qu'elle a appuyé sur la vitre", Me Breham s'indigne : "Doit-on la condamner à trois mois de prison pour avoir décollé, de façon non intentionnelle, une vitre de fourgon dont le joint était défectueux ?" La présidente fixe la date du délibéré au 14 novembre.

    Après l'audience, Emilie, 26 ans, l'une des "Indignés" jugés, est encore toute interloquée. "Je n'ai pas touché cette fichue vitre, tout ce qu'on peut me reprocher, c'est de m'être assise sur l'un des bancs et d'avoir chanté dans un camion de police", lance-t-elle en retirant ses lunettes. "Ce procès est surréaliste, c'est la première fois que je vois une affaire aussi vide. Ou la justice française est extrêmement diligente, ou on essaie de criminaliser la lutte sociale, d'en faire un procès pour l'exemple. J'ai déjà vu ça en Amérique du Sud, je ne pensais pas le voir en France", indique Me Breham.

    L'avocat, qui défend également Yldune Levy dans l'affaire de Tarnac, s'étonne : "C'est le même genre de disproportion. On mobilise les forces de l'ordre, un greffier, un procureur pour une vitre décollée !" Pour Marie-Ange, membre du collectif Démocratie réelle maintenant, "on essaie de réduire notre mouvement. Dans les médias, on parle d'une centaine de manifestants alors que souvent, on est plusieurs milliers." Et l'Indignée de donner rendez-vous à ses camarades le 4 novembre, à 17h, à la Défense. "Vous verrez combien nous serons", promet-elle.

    (1) Des photos de l'intervention des forces de l'ordre sont en ligne sur le site du «Nouvel Observateur».

    http://www.liberation.fr/societe


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