• Les"indignados", les nouveaux dons Quichottes

     

    Tolède

    Les"indignados", les nouveaux dons Quichottes 

    Reportage. Si Madrid focalise tous les regards, 
des campements ont lieu dans d’autres villes espagnoles. 
Tolède n’a pas échappé 
au soulèvement populaire. 
Ici aussi, on réclame l’indépendance 
de la justice, 
la défense du service public et la fin 
de la corruption.

    Ce qui frappe le plus lorsqu’on arrive à Tolède, ce sont ces dizaines de lotissements surgis de nulle part, posés là en plein cœur de la Meseta balayée par le vent et la chaleur. Ce sont ces kilomètres d’autoroutes, de bretelles, de ponts, de chantiers à ciel ouvert, de pelleteuses et autres engins qui se meuvent comme au ralenti au milieu de motels et de stations-service étrangement vides. On est en plein Far West castillan, hors du temps. De Tolède l’arabe, de Tolède la juive, il reste des traces indélébiles. Et l’esprit de don Quichotte, dont les moulins, à quelques kilomètres de là, tournent à vide, semble veiller de loin sur cette ville étonnante, belle, trop peut-être à force d’être toilettée et briquée pour les centaines de touristes qui déambulent tous les jours au milieu de ses ruelles étroites, de ses coupe-gorge où l’on craint de croiser un rufian brandissant son épée. Mais Tolède s’est transformée au fil des ans en une ville conservatrice, catholique, apostolique et romaine qui a bouté dehors les Arabes et les juifs pour devenir l’une des villes symboles du franquisme lorsque le général Moscardo, du haut de l’Alcazar, refusa de se rendre aux troupes de la République. C’est aussi une ville qui, dimanche dernier, a renouvelé sa confiance au maire PSOE mais qui vote, lors des autres scrutins, à droite.

    C’est sur la place Zocodover, en plein cœur de Tolède, que le campement du mouvement M15 s’est installé. Ils sont une vingtaine à se relayer jour et nuit, un peu plus de deux cents lors des assemblées publiques qui se déroulent chaque soir à 20 heures. Loin du brouhaha et de l’effervescence madrilène de la Puerta del Sol, à Tolède, tout est plus tranquille. Chacun parle en son nom propre, me répète-t-on, en boucle. Mais ce qu’expriment Raul, Ana, Gustavo ou Sonia est à l’image de cette prise de conscience qui vient, comme un chien dans un jeu de quilles, bousculer l’apathie générale, réveiller les esprits, déstabiliser les états-majors politiques.

    On pourrait croire qu’ils sont une génération spontanée. Mais si l’on se penche attentivement sur les mouvements qui ont traversé le pays ces dernières années (manifs pour le logement, manifs contre la précarité, manifs contre les lois anti-étrangers, contre le traité de Bologne, contre les expulsions de squats), cela faisait plusieurs mois que le feu de la contestation couvait. Et ce sont ces jeunes qui, les premiers, font le lien avec ces luttes très récentes et l’histoire de leur pays, l’histoire de la transition démocratique, les dérives néolibérales des partis qui se sont succédé au pouvoir. On pensait cette génération accro aux jeux vidéo et bourrée de hamburgers aux hormones et voilà qu’au beau milieu de la conversation, Raul invoque les lois mémorielles, Roberto rêve de voir démolir El Valle de los Caidos ; qu’Ana, infirmière au chômage, refuse bec et ongles la privatisation des hôpitaux, de considérer les malades comme des clients ; qu’Alejandro ne lâchera pas les autorités tant que le Taje, autrefois majestueux, ressemblera à un cloaque. Non loin de là, de petits vieux, quatre-vingt-huit ans au compteur, béret vissé sur la tête, observent du coin de l’œil cette 
agitation. Ils comprennent la colère de ces jeunes « mais le chômage, c’est à cause de l’autre ». Quel autre ? 
« Felipe », précise l’un. « Zapatero, vous voulez dire ? » Bien sûr. Mais élevés au biberon du franquisme, la peur du rouge, même très pâle, et même très ancien, est encore vive par ici.

    Tout est affaire de contraste. Sol y sombra. Mais le soleil l’emporte ces derniers temps sur l’obscurantisme et la résignation. On ne peut toutefois s’empêcher d’éprouver une étrange sensation devant le contraste de plus en plus marqué et troublant entre la rue et les politiques. D’un côté, une rue déterminée, soudée, solidaire, qui fait l’apprentissage de la politique et de la démocratie directe chaque jour qui passe. De l’autre, des états-majors qui s’agitent. Au PP, on ne parle que d’élections anticipées. Au PSOE, c’est Règlement de comptes à OK Corral et ses camarades d’hier couvrent de goudron et de plumes Zapatero. À Izquierda Unida, on ne sait plus si l’on doit reconduire les alliances avec le PSOE en Estrémadure ou dans certaines villes de la banlieue sud de Madrid. Et au Pays basque, conservateurs (PP), PSE (Parti socialiste Euskadi) et PNV (nationalistes conservateurs) sont prêts à pactiser afin d’empêcher Bildu de diriger les régions de Vizcaye et de Guipuzcoa, détournant, sans état d’âme, le résultat des urnes qui a donné gagnante cette formation hybride qui regroupe des anciens de Batsasuna et une partie d’IU.

    Sous les fenêtres des mairies, là où los Indignados ont planté leurs tentes, les édiles restent sourds à la rue. Mais le débat se poursuit. À Tolède, on réclame l’indépendance de la justice, une réforme fiscale plus juste, la fin de la corruption, la défense du service public, une presse libre qui ne dépende plus des groupes financiers. À l’applaudimètre, Gustavo emporte le morceau : « Voilà quinze ans que l’on privatise, externalise dans tous les services publics de Castilla la Mancha. On le doit à un gouvernement qui se dit socialiste mais il est aussi corrompu que les autres. Ils ont favorisé la corruption, le clientélisme, j’approuve les revendications de la plate-forme ! » On décide d’étendre le mouvement dans quatre autres quartiers ce samedi : barrio Santa Maria, barrio Santa Teresa, barrio Santa Barbara, barrio de la Paloma. On approuve l’idée de retirer 155 euros le 30 mai prochain (15 pour le jour, 5 pour le mois, date de naissance du mouvement du M15). Enfin, « ceux qui le peuvent ! » lance un garçon qui récolte applaudissements et rires. Carlos reprend la parole. « Nous devons réfléchir à la suite du mouvement. Va-t-on lever le camp, rester ? On a pris Tolède, la rue est à nous. Mais si nous décidons de partir, qu’on se le dise bien fort : nous reviendrons ! »

    • A lire :

    "J’ai couru devant la police de Franco, alors ce mouvement, ça m’a mise  en joie. Cela fait des années que la classe politique se moque de nous,  nous trompe et que nous encaissons, encaissons, alors quand les gens  relèvent la tête, ça redonne de l’espoir. Sous Franco, on n’avait pas de  liberté, on avait peu de choses, nous étions un pays sous-développé, et  soudain, la démocratie : tout vous semble ouvert, possible." --> Lire la suite du témoignage

    --> Témoignages d'"Indignés" de la première heure

    --> Les « indignés » font des émules

    Tolède (Espagne), envoyée spéciale.

    Marie-José Sirach

     

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