• Législatives : la Picardie rouge veut se donner à un gars du coin

    Une carte de la partie amiennoise de la première circonscription de la Somme (Audrey Cerdan/Rue89)

    Législatives : la Picardie rouge veut se donner à un gars du coin

    (D'Amiens) La voilà, la circonscription la plus convoitée de France ! C'est un bout de terre picarde. Elle englobe le nord et une partie de l'est d'Amiens, traverse le Val de Nièvre et s'étend jusqu'à Abbeville. Sur les huit cantons qui la composent, un seul vote à droite. Pour la gauche, elle fait figure de bastion imperdable.

    « Pour comprendre ce territoire, il faut savoir une chose : tout le monde a au moins un ouvrier dans sa famille », annonce Jean-Claude Renaux, maire communiste de Camon (et futur candidat du Front de Gauche aux législatives).

    La mémoire ouvrière imprègne ce pays. Et l'empire paternaliste de la famille Saint, qui a régné sur les activités textiles du coin pendant 150 ans, fait figure de passé commun.
    « Il a fait venir les steaks hachés Bigard »

    Le quotidien ? L'inexorable désindustrialisation et une poignée de petits élus qui se battent pour trouver des repreneurs à chaque coup dur – comme René Lognon, le maire (PCF) de Flixecourt, renommé dans tout le département pour avoir « fait venir les steaks hachés Bigard dans sa commune ».

    Fiodor Rilov, l'avocat des salariés de Goodyear, a eu l'impression de côtoyer « des gens qui ne se laissent pas faire, à l'identité rebelle ». Un gestionnaire de collège confirme :

    « Même quand ils sont dans la précarité, les gens d'ici ne sont pas fatalistes. Ils ont toujours envie de se battre. »

    Et, les jours d'élections, remplissent les urnes de bulletins rouge vif.

    Un employé de l'usine Goodyear Amiens-Nord brûle des pneus, lors d'une manifestation contre un plan social prévoyant plus de 800 licenciements, le 2 juin 2009 (Pascal Rossignol/Reuters)

    Il n'y a plus tellement de territoires à ce point capables de symboliser la poursuite d'un mouvement ouvrier. Mais qui va le représenter à l'Assemblée ? Personne ne sait quel candidat y portera les couleurs du Parti socialiste aux prochaines législatives. Ils sont désormais dix sur les rangs et aucun ne s'impose.

    Dix candidats socialistes

    Les responsables de la fédération socialiste de la Somme recensent dix candidats à l'investiture dans la première circonscription. Deux « Parisiens » et huit « locaux » :

     



    Christophe Borgel, élu en Seine-Saint-Denis, secrétaire national du PS chargé de la vie des fédérations et des élections. Il est soutenu par François Hollande et Martine Aubry.
    Jack Lang, sans circonscription fixe ;
    Gilbert Mathon, député d'Abbeville qui a perdu sa circonscription dans le redécoupage de la carte électorale ;
    Nicolas Dumont, le maire d'Abbeville ;
    Jean-Louis Piot, conseiller général ;
    Et cinq autres figures de la fédération : Anne Van Dycke, Mathieu Zanetti, Boujemaa Bourezma, Thierry Bonte, Maryse Lion-Lec.

    « Gremetz, il nous défend »

    De fait, le siège de député d'Amiens-Nord est vacant depuis la démission en mai de Maxime Gremetz. Aucune élection partielle ne peut se dérouler dans les douze mois qui précèdent les législatives. En lâchant son écharpe de député juste un an avant, le communiste dissident a fait en sorte de figer le vide qu'il a laissé.

    Ce siège, il l'avait occupé pendant 23 ans (de 1978 à 1981, de 1986 à 1988 et de 1993 à 2011). Et c'est sa succession qui se joue aujourd'hui.

    « Même si, la seule fois où il s'est retrouvé dans un exécutif, au conseil régional, il a très vite montré ses limites, les gens disaient “il nous défend”. Voir leur député aux portes des usines leur faisait du bien », reconnaît le socialiste Jean-Louis Piot, tombeur de Gremetz aux dernières cantonales, un ancien militaire longtemps responsable de la « convivialité » au sein du PS samarien.

    Pendant des mois, Gremetz avait disparu. A Amiens, plus personne ne savait où le joindre. On disait qu'il s'était retiré dans les Landes.

    Mais à 71 ans, « Maxime » est de retour en ville. « Je n'étais pas là mais je n'étais pas parti », répond-il à tous ceux qui lui demandent des explications. On le revoit au marché, aux goûters des personnes âgées. On l'a vu au bar Le Folie's, à la pizzéria La Dolce Vita et tenir des permanences dans des cafés.

    Maxime Gremetz à l'Assemblée Nationale en 2008 (Audrey Cerdan/Rue89)
    « Pas Jack Lang ! »

    Il prépare le terrain au disciple qu'il s'est choisi : maître Rilov, praticien de la lutte des classes par le droit. Un homme qui « défend les travailleurs parce qu'il est payé pour », cingle le communiste Renaux. Un avocat « parisien », soulignent ses adversaires. Un « parachuté ».

    « Parachuté », c'est aussi le mot qui excite les militants socialistes ces jours-ci. Comme ailleurs, cette pratique est beaucoup moins bien tolérée qu'avant. Ils disent : « On n'est plus dans les années 80. »

    Après l'université d'été du PS à La Rochelle, les élus locaux avaient entendu parler d'un « gel » de la première circonscription. L'idée d'un accord avec le Front de Gauche pour les législatives n'était pas encore enterrée. Un candidat « partenaire », ils auraient compris.

    Mais pas Jack Lang, qui a « voté avec la droite à Versailles » ! Pas Christophe Borgel, qu'ils voient comme un pur apparatchik ! « Même Robien a été perçu comme parisien après cinq années au gouvernement. C'est très sensible ici », relève Vladimir Mendes Borges, le candidat du Modem.

    « La très fidèle nation de Picardie »

    « D'Azincourt à 1940, toutes les guerres nous sont passées dessus. La seule contrepartie que nous ayons reçue, c'est les cimetières militaires », ressasse Brigitte Fouré, ex-maire d'Amiens, aujourd'hui au Nouveau Centre.

    « Du temps des rois, on n'avait pas le droit d'avoir de seigneur puissant car on était trop près de la Couronne. On est restés “la très fidèle nation de Picardie”, on est loyaux, mais on nous traite par le mépris.

    Quand on fait venir le TGV à Lille, il passe à 40 km de chez nous parce qu'on ne compte pas vraiment... On a voulu nous rayer de la carte, nous découper.

    C'est aussi cet état d'esprit qui a rendu possible la rumeur d'Abbeville au moment des inondations. C'est toujours comme ça. Alors, pour les gens d'ici, ne pas avoir l'un des leurs à l'Assemblée serait une injure. »

    La primaire socialiste a aussi fait son œuvre. « Elle a été ressentie comme une forme de victoire de la démocratie », insiste Gilles Demailly, le maire PS d'Amiens. Cet ancien président de l'université de Picardie – qui, en se présentant, confie qu'on le « compare souvent à l'acteur des pubs Nespresso » – milite pour des primaires à tous les scrutins. Pour les législatives de 2012, c'est trop tard.

    D'ailleurs, selon lui, « n'importe quel candidat socialiste gagnera la circonscription en juin si Hollande emporte la présidentielle ». Puis il ajoute, dans un plissement d'yeux hollywoodien :

    « Si ce n'est pas le cas, les gens peuvent être tentés par un autre choix. »

    Par Mathieu Deslandes


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