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Le reste du monde a mieux à faire que d’imiter le capitalisme occidental
Dans un essai très intéressant intitulé La puissance des pauvres (Actes Sud, 2008, coll. Babel), Majid Rahnema et Jean Robert traitent des impasses du développement, quand son but est d’amener toutes les sociétés humaines à adopter le type d’économie et les technologies propres à l’Occident. Ils écrivent notamment: “Etranger aux réalités locales, non enchâssé dans les réseaux des relations culturelles, le développement nourrit mal les pauvres tout en les rendant dépendants du marché. Il les prive de leurs moyens traditionnels de subsistance et, à la moindre perturbation, cesse de les alimenter” (p. 219), et, “le développement détruit les modes de subsistance non économiques dont les réseaux permirent à la majorité des hommes du passé et à bon nombre de nos contemporains de se nourrir, se vêtir, se loger, de faire la fête et de jouir de plus de temps libre que nous ne le croyons possible. Cette vie de subsistance n’est pas un “paradis perdu” mais ce qui reste d’un monde qui fut possible durant des milliers d’années. La survie du système économique moderne est au contraire aléatoire” (p. 222).
Pourquoi en effet les pays d’Asie non encore inféodés au système capitaliste, pourquoi la plupart des pays d’Afrique, et pourquoi de larges régions d’Amérique latine continueraient-ils de ne voir leur avenir que dans la copie de nos “performances” à l’occidentale, dans le cadre des organisations soi-disant nécessaires patronnées par les pays riches ? A cet égard, le chaos chinois est une illustration patente (et caricaturale) de l’impasse de la copie du modèle occidental.
En fait le modèle occidental est totalement inclus dans l’esprit du capitalisme. L’objectif est de réaliser le plus grand profit. Les technologies ne sont utilisées que dans la mesure où elles permettent le profit maximal. Sans aucune référence au besoin, sans réflexion sur le désir, de nouvelles technologies apparaissent sans cesse. Souvent destructrices d’emplois, ces nouvelles technologies appellent sans cesse à l’invention de nouvelles activités, soutenues d’un point de vue social pour lutter contre le chômage, mais qui nous enserrent dans une spirale sans fin, dont le moteur est l’avidité des financiers alliée à l’avidité des consommateurs.
S’il n’est vraiment pas souhaitable que le monde entier nous imite, il sera aussi nécessaire que nous modifiions nos propres comportements. Le capitalisme a joué son rôle civilisateur quand il a permis de sortir de la pénurie. Mais quand il multiplie les activités factices pour augmenter démesurément et sans raison les profits, il est devenu un fardeau pour l’humanité. L’économie des pays riches est tout à fait remarquable par le “détour de production”, qui fait qu’on ne peut presque plus rien obtenir directement et naturellement: combien de fois n’avons-nous eu des pommes que suite à la constitution de grandes exploitations, à des recherches agronomiques, à la production d’engrais chimiques, à la construction d’entrepôts, au transport sur des autoroutes ou par chemin de fer, à la mise en vente dans d’immenses magasins, que doivent encore contrôler des inspecteurs de la sécurité alimentaire ! Les pommes poussent pourtant dans nos jardins, mais les profits des industriels et commerçants, ainsi que le PIB, ne montent guère si l’on s’occupe simplement des pommes de son jardin…
Voici ce que dit E. F. Schumacher (Small is beautiful, Une société à la mesure de l’hommel, Seuil-Contretemps, 1978, coll. Points-Civilisation): “La technologie moderne a donc privé l’homme du type de travail qu’il apprécie le plus, un travail créateur, utile, qui fait appel à la fois aux mains et au cerveau, pour lui confier beaucoup de tâches fragmentaires, qu’il n’apprécie pas du tout…” (p. 157).
Il faut quand c’est possible tourner le dos à la logique capitaliste-technologique-productiviste. Il y va de l’environnement, mais il me semble que c’est encore plus important, il y va des valeurs humaines et de la qualité de vie (pensons au temps qu’il faut consacrer au travail pour réaliser les “détours de production”).
Mais aucun changement ne doit oublier qu’il faut tourner la page du capitalisme en respectant les intérêts des travailleurs-ses, et qu’il s’agit non de fabriquer du chômage, mais d’organiser autrement le travail, pour qu’il soit un facteur de libération.
illustration: liger.amsud.net
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Tags : capitaliste, qu’il, sans, technologie, profit
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Publié le16 juillet 2012