• Le poids des mots

    ImageIl est des tours ou détours du langage qui, consciemment ou non, en disent long sur ce qu’on ne veut pas dire. Ainsi, dimanche, au 13 heures de TF1, cette formule de Claire Chazal : «Le soulèvement populaire a déjà fait une centaine de morts en cinq jours. » Hier, une dépêche de l’AFP : «Une semaine après son lancement, la révolte a fait au moins 125 morts». Mais, voyons, ce ne sont pas le soulèvement ou la révolte qui ont fait des morts, les exactions de pillards peut-être, mais essentiellement les tirs de la police. C’est la répression qui a fait des morts. Nicolas Sarkozy, dimanche, devant les pays africains, d’une manière bien plus calculée sans doute, évoquait « la violence qui ne mène nulle part, d’où qu’elle vienne».

    Ce que tout cela traduit, c’est l’embarras du monde capitaliste et des puissances qui, depuis des décennies, ont soutenu sans faille les régimes autoritaires et corrompus de la région, dont l’Égypte est un maillon fort, aidée financièrement, économiquement, militairement, stratégiquement par les États-Unis, par Israël, par la France. Et l’on s’aperçoit maintenant que ces pays n’étaient pas vraiment « démocratiques » ? On se pince un peu le nez, mais on ne souhaite qu’une chose : pas trop de vagues, pas trop de changements. L’Europe, hier, par la voix de la responsable de sa diplomatie, Catherine Ashton, appelait les autorités égyptiennes à faire preuve de « retenue » et à « aller de l’avant de manière pacifique sur la base d’un dialogue sérieux et ouvert avec les partis d’opposition et tous les éléments de la société civile ». Mais c’est le départ immédiat d’Hosni Moubarak que la rue réclame, quand ce dernier, en guise de changement, n’a nommé de nouveaux ministres issus de l’armée que pour s’assurer du soutien de cette dernière au cas où…

    Ce que les pays dominants souhaitent, c’est tout simplement ce que résume la formule célèbre du Guépard. Que les choses changent pour que tout continue comme avant. Car ce qui se passe en Égypte, après la Tunisie, n’ébranle pas seulement le monde arabe. À Davos, les « élites » du monde globalisé étaient préoccupées par l’Égypte et une montée de « l’instabilité stratégique » avec ses conséquences. C’est aussi leur ordre économique qui est mis en cause. Si des millions d’Égyptiens vivent avec moins de deux dollars par jour, cela ne signifie pas, au contraire, que l’économie du pays est en panne. Avec une croissance annuelle de 5 % sur la base des réformes menées ces dernières années, l’Égypte était considérée par la finance internationale comme un bon élève. Mais à quel prix ? Le Monde écrivait hier, dans la suite des discussions de Davos : « Si la révolte des Égyptiens doit beaucoup à un régime politique sclérosé, autoritaire et brutal, elle s’explique aussi par un type de développement marqué du sceau d’une terrible inégalité sociale. » C’est pourtant bien de ce régime que s’accommodaient jusqu’alors, et s’accommodaient est un euphémisme, les « élites globalisées ». Le capitalisme, quand il est contraint de composer avec les exigences démocratiques, n’est pas démocratique pour autant. La preuve par les marchés : dès hier matin, l’agence de notation financière Moody’s baissait la note de l’Égypte, comme a été baissée, dès la semaine dernière, la note de la Tunisie.

    Mais voilà. Le peuple égyptien va être aujourd’hui en grève générale et une manifestation géante va avoir lieu. C’est peut-être un tournant, et chez tous les démocrates l’inquiétude le dispute à l’espoir.

    Ce qui se passe en Égypte, après la Tunisie, n’ébranle pas seulement le monde arabe. On en était préoccupé à Davos.

    Maurice Ulrich


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