• Le mode de production capitaliste

    A. — Le capitalisme prémonopoliste

    Chapitre 14 — La rente foncière — Les rapports agraires en régime capitaliste

    14.1. Le régime capitaliste de l’agriculture et la propriété privée de la terre.

    Dans les pays bourgeois, le capitalisme règne non seulement dans l’industrie, mais aussi dans l’agriculture. La plus grande partie de la terre est concentrée dans les mains de la classe des gros propriétaires terriens. La masse de la production agricole marchande appartient à des entreprises capitalistes employant du travail salarié. Néanmoins, dans les pays bourgeois, la forme d’exploitation prédominante sous le rapport numérique dans l’agriculture reste la petite exploitation paysanne marchande.

    Les voies les plus typiques du développement du capitalisme dans l’agriculture sont les deux voies suivantes :

    La première est celle du maintien, pour l’essentiel, de l’ancienne exploitation seigneuriale et de sa transformation progressive, au moyen de réformes, en exploitation capitaliste. En passant aux formes de gestion capitalistes, les propriétaires fonciers, parallèlement à l’emploi du travail salarié libre, utilisent aussi les méthodes d’exploitation du servage. Dans l’économie rurale subsistent des formes d’assujettissement des paysans aux propriétaires fonciers, telles que les redevances, le métayage, etc. Cette voie de l’évolution capitaliste de l’agriculture est caractéristique de l’Allemagne, de la Russie tsariste, de l’Italie, du Japon et de plusieurs autres pays.

    La seconde voie est celle de la rupture de l’ancien système d’exploitation seigneuriale par la révolution bourgeoise, de l’affranchissement de l’économie rurale des entraves féodales, ce qui accélère le développement des forces productives. Ainsi, en France, la Révolution bourgeoise de 1789-1794 a supprimé la propriété foncière féodale. Les terres confisquées de la noblesse et du clergé furent mises en vente. Dans le pays, la petite exploitation paysanne devint prédominante encore qu’une grande partie des terres fût tombée entre les mains de la bourgeoisie. Aux États-Unis, à la suite de la guerre civile de 1861-1865, les latifundia des esclavagistes des États du Sud furent supprimés, la masse des terres libres fut distribuée à bas prix et le développement de l’agriculture suivit la voie capitaliste. Cependant dans ces pays aussi, avec les progrès du capitalisme, la grande propriété terrienne renaissait sur une base nouvelle, capitaliste.

    À la suite de la transformation des formes précapitalistes de la propriété terrienne, la grande propriété féodale et la petite propriété paysanne cèdent de plus en plus le pas à la propriété terrienne bourgeoise. Une partie sans cesse grandissante des terres seigneuriales et paysannes passe entre les mains des banques, de la bourgeoisie rurale, des industriels, des marchands et des usuriers.

    Les chiffres suivants témoignent de la concentration de la propriété terrienne. Aux États-Unis, en 1950, 76,4 % des fermes n’avaient que 23 % de la totalité des terres, tandis que 23,6 % des fermes détenaient 77 % de la terre. Notons que les grands latifundia de plus de 1 000 acres1 de terre chacun qui représentaient 2,3 % de l’ensemble des exploitations, possédaient 42,6 % de la terre.

    En Angleterre, d’après les données du recensement de 1950 (sans l’Irlande du Nord), 75,9 % des exploitations ne possédaient que 20,4 % des terres en culture, tandis que 24,1 % des exploitations en possédaient 79,6 % ; 2,3 % des plus grandes exploitations détenaient à elles seules 34,6 % de la terre.

    En France, en 1950, 62,1 % de la terre étaient détenus par 20,5 % des exploitations.

    Dans la Russie d’avant la Révolution, les seigneurs terriens, la famille impériale, les couvents et les koulaks possédaient une quantité énorme de terres. Dans la Russie d’Europe, à la fin du 19e siècle, il y avait environ, 30 000 grands propriétaires qui possédaient plus de 500 déciatines2 chacun. Ils détenaient en tout 70 millions de déciatines. En même temps, 10,5 millions d’exploitations paysannes, écrasées par l’exploitation semi-féodale, ne possédaient que 75 millions de déciatines.

    En régime capitaliste, la classe des grands propriétaires terriens a le monopole de la propriété privée du sol. Le gros propriétaire terrien donne généralement en location une grande partie de sa terre à des fermiers capitalistes et à des petits paysans. La propriété du sol se sépare de la production agricole.

    Les capitalistes-fermiers, à des échéances déterminées, une fois l’an, par exemple, paient au propriétaire un prix de fermage établi par un bail, c’est-à-dire une somme d’argent pour le droit d’employer leur capital sur une terre donnée.

    La plus grande partie du prix de fermage est constituée par la rente foncière. Le prix de fermage comprend, outre la rente foncière, d’autres éléments. Ainsi, lorsque sur la terre donnée en location, des capitaux ont été investis précédemment dans des bâtiments d’exploitation, des canaux d’irrigation, par exemple, le fermier, en plus de la rente foncière, est obligé de payer au propriétaire l’intérêt annuel de ces capitaux. Pratiquement il n’est pas rare que les capitalistes-fermiers couvrent les frais d’une partie du prix de fermage en diminuant le salaire de leurs ouvriers.

    La rente foncière capitaliste reflète les rapports des trois classes de la société bourgeoise : ouvriers salariés, capitalistes et propriétaires terriens. La plus-value créée par le travail des ouvriers salariés tombe tout d’abord entre les mains du capitaliste-fermier qui en conserve une partie sous la forme du profit moyen du capital. L’autre partie de la plus-value, qui représente l’excédent sur le profit moyen, le fermier est obligé de la remettre au propriétaire terrien sous forme de rente foncière. La rente foncière capitaliste est la partie de la plus-value qui reste, déduction faite du profit moyen du capital investi dans l’exploitation ; elle est payée au propriétaire terrien. Souvent, ce dernier ne donne pas sa terre en location, mais embauche lui-même des ouvriers pour exploiter son terrain. Dans ce cas, il est seul à percevoir la rente et le profit.

    Il faut distinguer entre la rente différentielle et la rente absolue.

    14.2. La rente différentielle.

    Dans l’agriculture comme dans l’industrie, l’entrepreneur n’investit ses capitaux dans la production que s’il est assuré d’en tirer le profit moyen. Les entrepreneurs qui emploient leurs capitaux dans des conditions de production plus favorables, par exemple sur des terrains plus fertiles, reçoivent, en plus du profit moyen sur le capital, un surprofit.

    Dans l’industrie, obtiennent le surprofit les entreprises dont l’équipement technique est supérieur à l’équipement technique moyen de la branche industrielle dont elles font partie. Le surprofit ne saurait y être un phénomène durable. Dès qu’un perfectionnement technique introduit dans une entreprise se généralise, cette entreprise cesse d’obtenir le surprofit. Mais dans l’agriculture le surprofit est assuré pour une période plus ou moins longue. Cela s’explique par le fait que dans l’industrie on peut édifier n’importe quelle quantité d’entreprises dotées des machines les plus perfectionnées, tandis que dans l’agriculture, on ne saurait créer n’importe quelle quantité de terrains, à plus forte raison de bons terrains, étant donné que la surface des terres est limitée et que toute la terre propre à la culture est occupée par des exploitations privées. Le caractère limité de la terre et le fait qu’elle est occupée par des exploitations, conditionnent le monopole de l’exploitation capitalistesur la terre ou le monopole de la terre en tant qu’objet d’exploitation.

    Ensuite, le prix de production des marchandises industrielles est déterminé par les conditions moyennes de production. Il en est autrement du prix de production des marchandises agricoles. Le monopole de l’exploitation capitaliste sur la terre, en tant qu’objet d’exploitation, aboutit au fait que le prix général, régulateur de la production (c’est-à-dire le coût de production plus le profit moyen) des produits agricoles est déterminé par les conditions de la production non pas sur les terres de qualité moyenne, mais sur les plus mauvaises, étant donné que la production des meilleures terres et des terres moyennes n’est pas suffisante pour couvrir la demande sociale. Si le fermier capitaliste, qui emploie son capital sur le plus mauvais terrain, ne réalisait pas le profit moyen, il transférerait ce capital dans une autre branche de production.

    Les capitalistes qui exploitent des terrains moyens et les meilleurs terrains, produisent des denrées agricoles à meilleur marché, autrement dit le prix individuel de production est chez eux inférieur au prix général de production. Jouissant du monopole de la terre en tant qu’objet d’exploitation, ces capitalistes vendent leurs marchandises au prix général de production et reçoivent ainsi un surprofit, qui constitue la rente différentielle. Celle-ci prend naissance indépendamment de l’existence de la propriété privée de la terre ; elle se forme, parce que les denrées agricoles produites malgré des conditions de productivité du travail différentes, se vendent au prix identique du marché, déterminé par les conditions de production sur les plus mauvaises terres. Les fermiers capitalistes sont obligés de livrer la rente différentielle aux propriétaires terriens, et ne gardent que le profit moyen.

    La rente différentielle est l’excédent de profit sur le profit moyen, obtenu dans les exploitations où les conditions de production sont plus favorables ; elle représente la différence entre le prix général de production déterminé par les conditions de production sur les plus mauvais terrains et le prix individuel de production sur les meilleurs terrains et les terrains moyens.

    Ce surprofit, comme d’ailleurs toute la plus-value dans l’agriculture, est créé par le travail des ouvriers agricoles. Les différences de fertilité des terrains ne sont que la condition d’une plus haute productivité du travail sur les meilleures terres. Mais en régime capitaliste, on a l’illusion que la rente, que s’approprient les détenteurs de la terre, est le produit de la terre et non du travail. Or, en réalité, l’unique source de la rente foncière est le surtravail, la plus-value.

    Une conception saine de la rente amène tout d’abord à reconnaître que la rente ne provient pas du sol, mais du produit de l’agriculture, c’est-à-dire du travail et du prix de son produit, du blé, par exemple ; de la valeur du produit agricole, du travail incorpore à la terre, et non du sol.

    K. Marx, Théories de la plus-value, t. 2, 1re partie, p. 221 (éd. russe).

    Il existe deux formes de rente différentielle.

    La rente différentielle I est liée à la différence de fertilité du sol et de situation géographique des terrains par rapport aux débouchés.

    Sur un terrain plus fertile, les dépenses de capitaux étant les mêmes, la récolte est plus abondante. Prenons à titre d’exemple trois terrains, d’égale étendue, mais de fertilité différente.

           
    Prix indi
    de pro
    viduel
    duction
    Prix
    de pro
    général
    duction
     
    Terrains
    Dépen-
    ses
     
    de
    capi-
    taux
     
    en
    dollars
    Profit
     
    moyen
     
    en
     
    dollars
    Produits
     
     
    en
     
     
    quintaux
    de la
    totalité
    de la
    produc-
    tion
    en
    dollars
    d’un
    quin-
    tal
     
    en
    dollars
    d’un
    quin-
    tal
     
    en
    dollars
    de la
    totalité
    de la
    produc-
    tion
    en
    dollars
    Rente
     
    dif-
    féren-
    tielle
     
    en
     
    dollars
    I… 100 20 4 120 30 30 120 0
    II… 100 20 5 120 24 30 150 30
    III… 100 20 6 120 20 30 180 60

    Le fermier de chacun de ces terrains dépense pour l’embauchage des ouvriers, l’achat des semences, des machines et du matériel agricole, pour l’entretien du bétail et autres frais 100 dollars. Le profit moyen est égal à 20 %. Le travail incorporé dans les terrains de différente fertilité, rapporte sur un premier terrain une récolte de 4 quintaux ; sur le deuxième de 5 et sur le troisième de 6 quintaux.

    Le prix individuel de production de toute la masse des produits obtenus sur chaque terrain est le même. Il est égal à 120 dollars (coût de production plus profit moyen). Le prix individuel de production d’une unité de produit sur chaque terrain est différent. Un quintal de produits agricoles du premier terrain devrait se vendre à raison de 30 dollars ; du deuxième terrain, 24 ; du troisième, 20 dollars. Mais comme le prix général de production des denrées agricoles est le même et qu’il est déterminé par les conditions de production sur le plus mauvais terrain, chaque quintal de produits de tous les terrains se vendra à raison de 30 dollars. Le fermier du premier terrain (le plus mauvais) retirera de sa récolte de 4 quintaux 120 dollars, soit une somme équivalente à son coût de production (100 dollars), plus le profit moyen (20 dollars). Le fermier du second terrain retirera pour ses 5 quintaux 150 dollars. En plus du coût de production et du profit moyen, il percevra 30 dollars de surprofit qui constitueront la rente différentielle. Enfin, le fermier du troisième terrain percevra pour ses 6 quintaux 180 dollars. La rente différentielle ici se montera à 60 dollars.

    La rente différentielle I est liée également à la différence de situation géographique des terrains. Les exploitations situées plus près des débouchés (villes, gares de chemin de fer, ports, élévateurs, etc.), économisent une part considérable de travail et de moyens de production sur le transport des produits, par rapport aux exploitations qui sont plus éloignées de ces points. En vendant leurs produits au même prix, les exploitations situées plus près des débouchés perçoivent un surprofit qui forme la rente différentielle de situation.

    La rente différentielle II provient des investissements supplémentaires de moyens de production et de travail sur une même superficie de terre ; elle apparaît donc avec l’intensification de la culture. Contrairement à l’exploitation extensive qui se développe grâce à l’augmentation des surfaces ensemencées ou des pâturages, l’exploitation intensive se développe grâce à l’emploi de machines perfectionnées, d’engrais chimiques, grâce à des travaux de bonification, à l’élevage de bétail de races plus productives, etc. En dehors de tout perfectionnement technique, l’intensification de la culture peut s’exprimer dans un accroissement des dépenses de travail sur une parcelle de terrain donné.

    Il en résulte des surprofits qui forment la rente différentielle.

    Reprenons notre exemple. Sur le troisième terrain, le plus fertile, on a dépensé primitivement 100 dollars et obtenu une production de 6 quintaux ; le profit moyen était de 20 dollars, la rente différentielle de 60 dollars. Supposons que, les prix restant les mêmes, on effectue sur ce terrain, pour augmenter la production, une dépense de capital supplémentaire de 100 dollars, dépense liée au progrès technique, à l’emploi d’une grande quantité d’engrais, etc. Il en résultera une récolte supplémentaire de 7 quintaux, un profit moyen de 20 dollars sur le capital additionnel, tandis que l’excédent sur le profit moyen sera de 90 dollars. C’est cet excédent de 90 dollars qui constitue la rente différentielle II. Tant que subsiste le bail précédent, le fermier paye pour ce terrain 60 dollars de rente différentielle, et il empoche l’excédent en plus du profit moyen, fruit de sa seconde dépense de capital. Mais la terre est affermée pour un délai déterminé. Lors du renouvellement du bail, le propriétaire terrien tiendra compte des avantages que procurent les dépenses additionnelles de capitaux et augmentera de 90 dollars le montant de la rente foncière sur ce terrain. Dans ce but, les propriétaires terriens cherchent à conclure des baux à court terme. Il en résulte que les fermiers capitalistes n’ont pas intérêt à faire de grosses dépenses qui ne produisent d’effet qu’au bout d’un long intervalle de temps, car c’est le propriétaire qui en définitive s’approprie le gain résultant de ces dépenses.

    L’intensification capitaliste de l’agriculture a pour but d’obtenir le plus grand profit possible. Dans la course aux profits élevés, les capitalistes utilisent abusivement la terre en développant des exploitations étroitement spécialisées pratiquant la monoculture. Ainsi, dans le dernier quart du 19e siècle, aux États-Unis, les terres des États du Nord ont été ensemencées principalement en céréales. Cela a eu pour effet la dégradation du sol, son érosion, les tempêtes de poussière ou « tempêtes noires ».

    Le choix des cultures agricoles dépend de la variation des prix du marché. Cela constitue un obstacle à la pratique généralisée d’assolements réguliers, qui sont la base d’une agriculture évoluée. La propriété privée de la terre entrave la réalisation de grands travaux de bonification et autres, qui ne rapportent qu’au bout de plusieurs années. Le capitalisme rend donc difficile l’application d’un système rationnel de culture.

    Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité.

    K. Marx, Le Capital, livre 1, t. 2, p. 181.

    Les défenseurs du capitalisme, qui cherchent à masquer les contradictions de l’agriculture capitaliste et justifier la misère des masses, affirment que l’économie rurale serait soumise à l’action d’une loi naturelle éternelle, la « loi de la fertilité décroissante du sol » : tout travail additionnel appliqué à la terre fournirait un résultat inférieur au précédent.

    Cette invention de l’économie politique bourgeoise part de la fausse hypothèse que la technique de la production en agriculture reste invariable et que le progrès technique y est une exception. En réalité, les investissements additionnels de moyens de production dans un même terrain, en règle générale, sont liés au développement de la technique, à l’introduction de méthodes nouvelles, perfectionnées, de production agricole, ce qui aboutit à une élévation de la productivité du travail agricole. La véritable cause de l’épuisement de la fertilité naturelle, de la dégradation de l’agriculture capitaliste est non pas la « loi de la fertilité décroissante du sol », inventée par les économistes bourgeois, mais les rapports capitalistes, et surtout la propriété privée de la terre, qui entravent le développement des forces productives de l’agriculture. En effet, ce qui augmente en régime capitaliste, ce n’est pas la difficulté de produire les denrées agricoles, mais la difficulté pour les ouvriers de se les procurer en raison de leur paupérisation croissante.

    14.3. La rente absolue. Le prix de la terre.

    En plus de la rente différentielle, le propriétaire du sol reçoit la rente absolue. L’existence de celle-ci est liée au monopole de la propriété privée de la terre.

    Quand nous avons examiné la rente différentielle, nous avons supposé que le fermier du plus mauvais terrain, en vendant les produits agricoles, ne récupérait que son coût de production plus le profit moyen, c’est-à-dire qu’il ne payait pas de rente foncière. Or le propriétaire même du plus mauvais terrain ne le donne pas à cultiver gratuitement. Donc, le fermier d’un mauvais terrain doit avoir un excédent sur le profit moyen pour acquitter la rente foncière. Cela veut dire que le prix du marché des produits agricoles doit être supérieur au prix de production sur le plus mauvais terrain.

    D’où provient cet excédent ? En régime capitaliste, l’agriculture est fort en retard sur l’industrie au point de vue technique et économique. La composition organique du capital dans l’agriculture est inférieure à ce qu’elle est dans l’industrie. Admettons que la composition organique du capital dans l’industrie soit en moyenne 80 c + 20 v. Le taux de plus-value étant supposé égal à 100 %, un capital de 100 dollars donne 20 dollars de plus-value, et le prix de production est égal à 120 dollars. La composition organique du capital dans l’agriculture est, par exemple, de 60 c + 40 v. Ici 100 dollars produisent 40 dollars de plus-value, et la valeur des produits agricoles est égale à 140 dollars. Le fermier capitaliste, tout comme le capitaliste industriel, reçoit de son capital un profit moyen de 20 dollars. Par conséquent, le prix de production des produits agricoles est égal à 120 dollars. La rente absolue est dès lors de 140 − 120 = 20 dollars. Il ressort de là que la valeur des produits agricoles est supérieure au prix général de la production, et que la grandeur de la plus-value dans l’agriculture est supérieure au profit moyen. C’est cet excédent de plus-value sur le profit moyen qui constitue la source de la rente absolue.

    S’il n’y avait pas de propriété privée de la terre, cet excédent entrerait dans la répartition générale entre capitalistes, et les produits agricoles se vendraient alors au prix de production. Mais la propriété privée du sol entrave la libre concurrence, le transfert des capitaux de l’industrie à l’agriculture et la formation d’un profit moyen, commun aux entreprises agricoles et industrielles. Aussi les produits agricoles se vendent-ils à un prix équivalent à leur valeur, c’est-à-dire supérieur au prix général de production. Dans quelle mesure cette différence peut-elle être réalisée et convertie en rente absolue ? Cela dépend du niveau des prix du marché, qui s’établit par le jeu de la concurrence.

    Ainsi, le monopole de la propriété privée de la terre est la cause de l’existence de la rente absolue, payée pour chaque terrain indépendamment de sa fertilité et de sa situation géographique. La rente absolue est l’excédent de valeur sur le prix général de production créé dans l’agriculture par suite d’une composition organique du capital plus basse que dans l’industrie, et les propriétaires terriens se l’approprient en vertu de la propriété privée de la terre.

    Outre la rente différentielle et la rente absolue, il existe en régime capitaliste, une rente monopole. La rente monopole est le revenu additionnel obtenu du fait que le prix d’une marchandise, produite dans des conditions naturelles particulièrement favorables, est supérieur à sa valeur. Telle est, par exemple, la rente pour les terres qui permettent de produire des cultures agricoles rares en quantité limitée (par exemple, des variétés particulièrement précieuses de raisin, des agrumes, etc.), et la rente pour l’usage de l’eau dans les régions de cultures irriguées. Les marchandises produites dans ces conditions se vendent, en règle générale, à des prix supérieurs à leur valeur, c’est-à-dire à des prix de monopole. C’est le consommateur qui fait les frais de la rente monopole dans l’agriculture.

    La classe des grands propriétaires terriens, qui n’ont aucun rapport avec la production matérielle, par suite du monopole de la propriété privée de la terre, met à profit les progrès techniques dans l’agriculture pour s’enrichir. La rente foncière est un tribut que la société, en régime capitaliste, est tenue de payer aux grands propriétaires terriens. L’existence de la rente absolue et de la rente monopole renchérit les produits agricoles : denrées alimentaires pour les ouvriers, matières premières pour l’industrie. L’existence de la rente différentielle dépouille la société de tous les avantages liés à une productivité plus élevée du travail sur les terres fertiles. Ces avantages reviennent aux propriétaires terriens et aux fermiers capitalistes. On peut se faire une idée du fardeau de la rente foncière pour la société, quand on voit qu’aux États-Unis, d’après les chiffres de 1935-1937, elle représentait 26 à 29 % du prix du maïs, 26 à 36 % du prix du froment.

    Les sommes énormes consacrées à l’achat de la terre sont retirées de leur emploi productif dans l’agriculture. Si l’on excepte les installations et les améliorations artificielles (constructions, irrigation, assèchement des marais, emploi d’engrais), la terre par elle-même n’a pas de valeur, puisqu’elle n’est pas le produit du travail humain. Toutefois la terre, bien qu’elle n’ait pas de valeur, est en régime capitaliste un objet de vente et d’achat et possède un prix. Cela s’explique par le fait que la terre est accaparée par les propriétaires qui en font leur propriété privée.

    Le prix du terrain est déterminé en fonction de la rente annuelle qu’il produit et du taux d’intérêt que la banque paye pour les dépôts. Le prix de la terre est égal à la somme d’argent qui, déposée en banque, fournit à titre d’intérêt un revenu de la même grandeur que la rente prélevée sur le terrain considéré. Supposons qu’un terrain rapporte 300 dollars de rente par an, et que la banque paye 4 % d’intérêt pour les dépôts. Dans ce cas, le prix du terrain sera de 300×1004=7 500 dollars. Le prix de la terre est donc une rente capitalisée. Le prix de la terre est d’autant plus élevé que la rente est plus forte et que le taux d’intérêt est plus bas.

    Avec le développement du capitalisme, la grandeur de la rente s’élève. Cela entraîne une hausse systématique des prix de la terre. Les prix de la terre augmentent également par suite de la baisse du taux de l’intérêt.

    Les chiffres suivants donnent une idée de la hausse des prix de la terre. Le prix des fermes aux États-Unis a augmenté en 10 ans (de 1900 à 1910) de plus de 20 milliards de dollars. Sur cette somme, l’augmentation de la valeur du matériel, des bâtiments, etc., ne représente que 5 milliards de dollars, les 15 milliards de dollars qui restent proviennent de la hausse du prix de la terre. Au cours des dix années suivantes, le prix global des fermes a augmenté de 37 milliards de dollars, dont plus de 26 milliards proviennent de la hausse du prix de la terre.

    14.4. La rente dans l’industrie extractive. La rente sur les terrains à bâtir.

    La rente foncière n’existe pas seulement dans l’agriculture. Elle est perçue par les propriétaires des terrains, dont le sous-sol fournit des minéraux utiles (minerais, charbon, pétrole, etc.), ainsi que par les propriétaires des terrains à bâtir dans les villes et les centres industriels, lorsqu’on y construit des maisons d’habitation, des entreprises industrielles et commerciales, des édifices publics, etc.

    La rente dans l’industrie extractive se forme exactement de la même manière que la rente foncière. Les mines, les gisements de pétrole diffèrent par leur richesse, la profondeur des gisements, par l’éloignement des débouchés ; des capitaux de grandeur différente y sont investis. Aussi le prix individuel de production de chaque tonne de minerai, de charbon, de pétrole diffère-t-il du prix général de production. Mais sur le marché chacune de ces marchandises est vendue au prix général de production, déterminé par les conditions de production les plus défavorables. Le surprofit obtenu de ce fait, dans les gisements les meilleurs et dans les gisements moyens, forme une rente différentielle que s’approprie le propriétaire terrien.

    En outre, les propriétaires terriens prélèvent sur chaque terrain, indépendamment de la présence des minéraux utiles que recèle son sous-sol, la rente absolue. Elle constitue, comme on l’a déjà vu, l’excédent de la valeur sur le prix général de production. L’existence de cet excédent s’explique par le fait que, dans l’industrie extractive, la composition organique du capital, par suite du niveau relativement bas de la mécanisation et de l’absence des frais nécessités par les achats de matières premières, est inférieure au niveau moyen de l’industrie. La rente absolue augmente les prix du minerai, du charbon, du pétrole, etc.

    Enfin, il existe, dans l’industrie extractive, une rente monopole sur les terrains où l’on extrait des minéraux extrêmement rares qui se vendent à des prix supérieurs à la valeur de leur extraction.

    La rente foncière perçue par les gros propriétaires terriens sur les mines et les exploitations pétrolières empêche l’utilisation rationnelle du sous-sol. La propriété privée du sol détermine le morcellement des entreprises de l’industrie extractive, ce qui rend difficile la mécanisation et aboutit à renchérir la production.

    La rente sur les terrains à bâtir est payée au propriétaire par les entrepreneurs qui louent la terre pour y construire des immeubles d’habitation, des entreprises industrielles, commerciales et autres. La plus grande partie de la rente foncière dans les villes est constituée par la rente des terrains occupés par les immeubles d’habitation. L’emplacement des terrains à bâtir exerce une influence énorme sur le montant de la rente différentielle. Les terrains situés plus près du centre de la ville et des entreprises industrielles fournissent la rente la plus élevée. C’est l’une des raisons pour lesquelles, dans les grandes villes des pays capitalistes, les logements s’entassent, les rues sont étroites, etc.

    Outre la rente différentielle et absolue, les possesseurs de terrains urbains, profitant du nombre extrêmement limité des terrains dans beaucoup de villes et de centres industriels, lèvent sur la société un tribut sous forme de rente monopole, ce qui élève considérablement le prix des loyers. Avec l’accroissement de la population des villes, les détenteurs de terrains urbains font monter en flèche la rente sur les terrains à bâtir, ce qui freine la construction des logements. Une partie importante de la population ouvrière est obligée de s’entasser dans des taudis. La hausse constante des loyers diminue le salaire réel des ouvriers.

    Le monopole de la propriété privée du sol freine le développement de l’industrie. Pour construire une entreprise industrielle, le capitaliste doit faire des dépenses improductives pour l’achat d’un terrain ou le paiement de la rente foncière d’un terrain loué. La rente foncière constitue un poste important des dépenses de l’industrie de transformation.

    On peut juger de l’importance de la rente foncière sur les terrains à bâtir, par le fait que sur la somme totale de la rente de 155 millions de livres sterling, touchée chaque année par les landlords anglais entre 1930 et 1940, 100 millions de livres sterling provenaient de la rente foncière des villes. Les prix du terrain dans les grandes villes augmentent rapidement.

    14.5. La grande et la petite production agricole.

    Les lois économiques du développement du capitalisme sont les mêmes pour l’industrie et l’agriculture. La concentration de la production, dans l’agriculture comme dans l’industrie, aboutit à l’élimination des petites exploitations par les grandes exploitations capitalistes, ce gui a pour effet d’aggraver inévitablement les antagonismes de classe. Les défenseurs du capitalisme ont intérêt à atténuer et à masquer ce processus. Pour falsifier la réalité, ils ont créé la fausse théorie de « la stabilité de la petite exploitation paysanne ». Suivant cette théorie, la petite exploitation paysanne conserverait sa stabilité dans la lutte contre les grandes exploitations.

    Mais en réalité, la grande production agricole possède une série d’avantages décisifs sur la petite. C’est avant tout qu’elle a la possibilité d’employer des machines coûteuses (tracteurs, moissonneuses-batteuses, etc.) qui augmentent considérablement la productivité du travail. Avec le mode de production capitaliste, les moyens mécaniques sont concentrés entre les mains des grands fermiers capitalistes et restent inaccessibles aux couches laborieuses de la campagne.

    La grande production jouit de tous les avantages de la coopération capitaliste et de la division du travail. Un de ses avantages importants est son rendement marchand élevé. Les grandes et les très grandes entreprises agricoles aux États-Unis fournissent la majeure partie de l’ensemble de la production agricole marchande, tandis que la masse des fermiers n’exploite guère que pour sa propre consommation ; ils n’ont même pas assez de leur production pour satisfaire les besoins immédiats de leur famille.

    De par sa nature, la propriété parcellaire exclut le développement de la productivité sociale du travail, les formes sociales du travail, la concentration sociale des capitaux, l’élevage en grand, l’utilisation progressive de la science.

    K. Marx, Le Capital, livre 3, chap. 47.

    Cependant, le développement de la grande production et l’élimination de la petite production dans l’agriculture ont leurs particularités. Les grandes entreprises agricoles capitalistes se développent principalement dans le sens d’une intensification de l’agriculture. Souvent une exploitation d’une petite superficie constitue une grande entreprise capitaliste par le volume de sa production globale et de sa production marchande. La concentration de la production agricole dans de grandes exploitations capitalistes s’accompagne souvent d’un accroissement numérique des toutes petites exploitations paysannes. L’existence d’un nombre important de ces toutes petites exploitations, dans les pays capitalistes hautement évolués, s’explique par le fait que les capitalistes ont intérêt au maintien d’ouvriers agricoles ayant un petit lopin de terre, afin de les exploiter.

    Le développement de la grande production agricole capitaliste accentue la différenciation de la paysannerie, en augmentant la servitude, la paupérisation et la ruine de millions de petites et de moyennes exploitations paysannes.

    Dans la Russie tsariste, avant la Révolution d’Octobre, on comptait parmi les exploitations paysannes 65 % d’exploitations de paysans pauvres, 20 % de paysans moyens et 15 % de koulaks. En France, le nombre de propriétaires terriens est tombé de 7 000 000-7 500 000 en 1850 à 2 700 000 en 1929 par suite de l’expropriation des petites exploitations paysannes parcellaires ; le nombre des prolétaires et semi-prolétaires atteignait en 1929 près de 4 millions dans l’agriculture française.

    La petite exploitation agricole se maintient au prix d’incroyables privations, du gaspillage du travail de l’agriculteur et de toute sa famille. Le paysan a beau s’exténuer pour garder une indépendance illusoire, il perd sa terre et se ruine.

    Un grand rôle dans la dépossession de la paysannerie appartient au crédit hypothécaire. Le crédit hypothécaire est un prêt gagé sur la terre et les biens immobiliers. Lorsque le cultivateur, qui exploite son propre terrain, a des besoins pressants d’argent (par exemple, pour payer ses impôts), il demande un prêt à une banque. Souvent, il demande un prêt pour l’achat d’un terrain. La banque délivre une certaine somme gagée sur le terrain. Si l’argent n’est pas remboursé à temps, la terre devient propriété de la banque. En réalité, la banque devient son véritable propriétaire bien avant, car le débiteur est obligé de lui rembourser sous forme d’intérêt une partie importante du revenu de cette terre. Sous forme d’intérêt, le paysan verse en fait à la banque une rente foncière pour son propre terrain.

    La dette hypothécaire des fermiers américains en 1910 était de 3,2 milliards de dollars et en 1940, de 6,6 milliards de dollars. D’après les chiffres de 1936, l’intérêt du crédit et les impôts constituaient environ 45 % du revenu net des fermiers.

    L’endettement vis-à-vis des banques est un véritable fléau pour la petite exploitation agricole. Le pourcentage des fermes hypothéquées aux États-Unis était en 1890 de 28,2 %, et en 1940 de 43,8 %.

    Chaque année un grand nombre d’exploitations paysannes hypothéquées sont vendues aux enchères. Les paysans ruinés sont chassés de leur terre. L’accroissement des dettes contractées par les paysans illustre le processus de séparation de la propriété terrienne d’avec la production agricole, sa concentration dans les mains des grands propriétaires terriens et la transformation du producteur indépendant en fermier ou en ouvrier salarié.

    Un nombre considérable de petits paysans prend à bail, chez les gros propriétaires terriens, des parcelles de terres de peu d’étendue à des conditions très dures. La bourgeoisie rurale en prend à bail afin de produire pour le marché et d’en tirer bénéfice C’est l’affermage d’entreprise. Le petit fermier paysan est obligé de louer un lopin de terre pour pouvoir manger. C’est ce qu’on peut appeler l’affermage d’alimentation ou de famine. Le montant du loyer à l’hectare est généralement plus élevé pour les petits terrains que pour les grands. Le fermage du petit paysan engloutit souvent non seulement la totalité de son surtravail, mais aussi une fraction de son travail nécessaire. Les rapports d’affermage s’entremêlent ici avec les survivances du servage. La survivance la plus répandue de la féodalité dans les conditions du capitalisme est le métayage, dans lequel le paysan paye en nature, pour sa redevance, jusqu’à la moitié et plus de la récolte rentrée.

    Aux États-Unis, en 1950, 57,5 % des cultivateurs étaient propriétaires de leurs terres et 26,5 % étaient fermiers. En outre, 15,6 % de l’ensemble des cultivateurs étaient des « propriétaires partiels », c’est-à-dire qu’ils étaient également obligés de louer une certaine partie de la terre cultivée par eux. Environ la moitié des paysans qui louent de la terre sont des métayers. Bien que l’esclavage aux États-Unis ait été officiellement aboli au siècle précédent, des survivances de l’esclavage, notamment en ce qui concerne les métayers noirs, subsistent encore aujourd’hui.

    En France, il existe un grand nombre de métayers. Outre la redevance en nature, qui comprend la moitié de la récolte et même davantage dans certains cas, ils sont souvent obligés de ravitailler le propriétaire en produits de leur propre exploitation : fromage, beurre, œufs, volailles, etc.

    14.6. L’aggravation de l’opposition entre la ville et la campagne.

    Un trait caractéristique du mode de production capitaliste est le retard marqué de l’agriculture sur l’industrie, l’aggravation de l’opposition entre la ville et la campagne.

    Dans son développement, l’agriculture retarde sur l’industrie : c’est là un phénomène propre à tous les pays capitalistes et qui est l’une des causes les plus profondes de la rupture de la proportionnalité entre les différentes branches de l’économie nationale, des crises et de la hausse du coût de la vie.

    V. Lénine, « Nouvelles données sur les lois du développement du capitalisme dans l’agriculture », Œuvres, t. 22, p. 100.

    L’agriculture en régime capitaliste retarde sur l’industrie avant tout par le niveau des forces productives. Le progrès technique se réalise dans l’agriculture avec beaucoup plus de lenteur que dans l’industrie. On n’emploie les machines que dans les grandes exploitations, tandis que les exploitations paysannes à petite production marchande sont incapables d’en faire usage. D’autre part, l’emploi capitaliste des machines conduit à un renforcement de l’exploitation et à la ruine du petit producteur. L’emploi des machines en grand dans l’agriculture est retardé par suite du bon marché de la main-d’œuvre, conséquence de la surpopulation agraire.

    Le capitalisme a considérablement accentué le retard de la campagne sur la ville dans le domaine culturel. Les villes sont des foyers scientifiques et artistiques. C’est là que se trouvent concentrés les établissements d’enseignement supérieur, les musées, les théâtres, les cinémas. Et ce sont les classes exploiteuses qui profitent des richesses de cette culture. Les masses prolétariennes ne peuvent profiter que médiocrement du progrès culturel des villes. Quant aux masses de la population paysanne des pays capitalistes, elles sont coupées des centres urbains et sont condamnées à rester en retard au point de vue culturel.

    La base économique de l’opposition entre la ville et la campagne en régime capitaliste est l’exploitation du village par la ville, l’expropriation de la paysannerie et la ruine de la majorité de la population rurale par tout le cours du développement de l’industrie, du commerce et du système de crédit capitalistes. La bourgeoisie des villes, avec les capitalistes-fermiers et les propriétaires fonciers, exploite les millions de paysans. Les formes de cette exploitation sont multiples : la bourgeoisie industrielle et les commerçants exploitent la campagne grâce aux prix élevés des produits industriels et aux prix relativement bas des produits agricoles ; les banques et les usuriers, par l’octroi de crédits à des conditions draconiennes ; l’État bourgeois, par ses impôts de tout genre. Les sommes énormes que les grands propriétaires terriens s’approprient en prélevant la rente et en vendant la terre, les ressources que perçoivent les banques sous forme d’intérêts pour les prêts hypothécaires, etc., sont détournées de la campagne vers la ville pour la consommation parasite des classes exploiteuses.

    Ainsi, les causes du retard de l’agriculture sur l’industrie, l’approfondissement et l’aggravation de l’opposition entre la ville et la campagne résident dans le système même du capitalisme.

    14.7. La propriété privée de la terre et la nationalisation de la terre.

    Avec le développement du capitalisme, la propriété privée de la terre prend un caractère de plus en plus parasite. La classe des grands propriétaires terriens accapare, sous forme de rente foncière, une part immense des revenus provenant de l’agriculture. Une partie considérable de ces revenus est, par le prix de la terre, retirée de l’économie rurale et tombe entre les mains des grands propriétaires terriens. Tout cela entrave le progrès des forces productives et fait monter les prix des produits agricoles, ce qui pèse lourdement sur les épaules des travailleurs. Il en résulte que « la nationalisation de la terre est devenue une nécessité sociale » (K. Marx, « La nationalisation de la terre », dans K. Marx et F. Engels, Œuvres, t. 13, 1re partie, p. 341 (en russe).) La nationalisation de la terre est la transformation de la propriété privée de la terre en propriété de l’État.

    En justifiant la nationalisation de la terre, Lénine partait de l’existence de deux sortes de monopoles : le monopole de la propriété privée de la terre et le monopole de la terre en tant qu’objet d’exploitation. Nationaliser la terre, c’est supprimer le monopole de la propriété privée de la terre et la rente absolue qui s’y rattache. La suppression de la rente absolue amènerait la baisse des prix des produits agricoles. Mais la rente différentielle continuerait à exister, car elle est liée au monopole de la terre en tant qu’objet d’exploitation. Dans le cadre du capitalisme, en cas de la nationalisation de la terre, une partie importante de la rente différentielle serait mise à la disposition de l’État bourgeois. La nationalisation de la terre écarterait une série d’obstacles sur la voie du développement du capitalisme dans l’agriculture, obstacles dressés par la propriété privée de la terre, et affranchirait la paysannerie des survivances féodales du servage.

    Le mot d’ordre de nationalisation de la terre a été formulé par le Parti communiste dès la première révolution russe de 1905-1907. La nationalisation de la terre impliquait la confiscation sans indemnité de toute la terre des gros propriétaires fonciers au profit des paysans.

    Lénine n’estimait possible la nationalisation de la terre dans le cadre de la révolution démocratique bourgeoise qu’avec l’établissement de la dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie. La nationalisation de la terre en tant que mot d’ordre de la révolution démocratique bourgeoise ne renferme en soi rien de socialiste. Mais l’abolition de la grande propriété terrienne renforce l’alliance du prolétariat avec les masses de la paysannerie, déblaie le terrain de la lutte de classes entre prolétariat et bourgeoisie. La nationalisation de la terre en ce cas aide le prolétariat, allié avec la paysannerie pauvre, dans sa lutte pour la transformation de la révolution démocratique bourgeoise en révolution socialiste.

    Développant la théorie marxiste de la rente, Lénine a montré que la nationalisation de la terre, dans le cadre de la société bourgeoise, n’est réalisable que dans la période des révolutions bourgeoises et est « inconcevable si la lutte des classes s’aggrave fortement entre le prolétariat et la bourgeoisie ». (V. Lénine : « Le programme agraire de la social-démocratie dans la première révolution russe de 1905-1907 », Œuvres, t. 13, p. 336.) À l’époque du capitalisme développé, lorsque la révolution socialiste est à l’ordre du jour, la nationalisation du sol ne peut être réalisée dans le cadre de la société bourgeoise pour les raisons suivantes : Premièrement, la bourgeoisie n’ose pas liquider la propriété privée de la terre, craignant qu’avec la montée du mouvement révolutionnaire du prolétariat, cela puisse ébranler les fondements de la propriété privée en général. En second lieu, les capitalistes se sont eux-mêmes pourvus de propriété terrienne. Les intérêts de la classe de la bourgeoisie et de la classe des propriétaires fonciers s’enchevêtrent de plus en plus. Dans la lutte contre le prolétariat et la paysannerie, ils agissent toujours de concert.

    Tout le cours du développement historique du capitalisme confirme que, dans la société bourgeoise, les masses essentielles de la paysannerie, férocement exploitées par les capitalistes, les propriétaires fonciers, les usuriers et les marchands, sont fatalement vouées à la ruine et à la misère. En régime capitaliste, les petits paysans ne peuvent espérer voir leur situation s’améliorer. Inéluctablement la lutte des classes s’accentue à la campagne.

    Les intérêts vitaux des masses fondamentales de la paysannerie concordent avec les intérêts du prolétariat. C’est là la base économique de l’alliance du prolétariat et de la paysannerie laborieuse dans leur lutte commune contre le régime capitaliste.

    Résumé du chapitre 14

    1. Le régime capitaliste de l’agriculture est caractérisé par le fait que, premièrement, la plus grande partie de la terre est concentrée entre les mains de grands propriétaires fonciers, qui donnent la terre à bail ; deuxièmement, les fermiers capitalistes organisent leur production sur la base de l’exploitation d’ouvriers salaries ; troisièmement, une classe nombreuse de petits et moyens paysans participe à la propriété privée des moyens de production, et aussi de la terre. L’agriculture des pays bourgeois, malgré les progrès du. capitalisme, est encore très morcelée entre petits et moyens propriétaires paysans, qui sont exploités par les capitalistes et les propriétaires fonciers.

    2. La rente foncière capitaliste est une partie de la plus-value créée par les ouvriers salariés dans l’agriculture ; elle représente un excédent sur le profit moyen, excédent que le fermier capitaliste verse au propriétaire du sol pour le droit de jouir de la terre. L’existence de la rente foncière capitaliste est liée à l’existence d’un double monopole. Le monopole de l’exploitation capitaliste sur la terre en tant qu’objet d’exploitation dérive de la quantité limitée des terres, de l’occupation de celle-ci par diverses exploitations et de ce fait le prix de production de la marchandise agricole est déterminé par les conditions de production les plus mauvaises. Le surprofit, provenant des meilleures terres ou d’une dépense plus productive de capital, forme la rente différentielle. Le monopole de la propriété privée de la terre, la composition organique du capital étant plus basse dans l’agriculture que la composition du capital dans l’industrie, engendre la rente absolue. Avec le développement du capitalisme, augmentent les taux de toutes les formes de rente, ainsi que le prix de la terre qui représente la rente capitalisée.

    3. Dans l’agriculture comme dans l’industrie, la grande production supplante la petite. Cependant la grande production mécanique, même dans les pays capitalistes les plus développés, se répand dans l’agriculture avec beaucoup plus de lenteur que dans l’industrie. Ce n’est qu’au prix d’un effort immense et exténuant, d’un abaissement rapide du niveau de vie du petit paysan et de sa famille, que se maintient dans les pays capitalistes la masse des petites exploitations paysannes, que caractérise une extrême instabilité.

    4. Le capitalisme engendre inévitablement un retard grandissant de l’agriculture sur l’industrie, approfondit et aggrave l’opposition entre la ville et la campagne. Le monopole de la propriété privée de la terre détourne de l’agriculture, sous forme de rente foncière et de dépenses improductives pour l’achat de la terre, d’immenses ressources qui vont à la consommation parasite de la classe des propriétaires terriens et retardent le développement des forces productives de l’économie rurale.

    5. Les masses essentielles de la paysannerie en régime capitaliste sont vouées à la ruine et à la paupérisation. Les intérêts vitaux du prolétariat et des masses exploitées de la paysannerie sont les mêmes. C’est seulement dans l’alliance avec le prolétariat et sous sa direction, par une révolution qui détruira le régime capitaliste, que la paysannerie laborieuse peut se libérer de l’exploitation et de la misère.


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