• Le mode de production capitaliste

    A. — Le capitalisme prémonopoliste

    Chapitre 11 — Le profit moyen et le prix de production

    11.1. Les coûts de production capitalistes et le profit.

                  Le taux du profit.

    La plus-value créée par le travail des ouvriers salariés dans le cours de la production est la source des revenus de toutes les classes exploiteuses de la société capitaliste. Examinons d’abord les lois en vertu desquelles la plus-value revêt la forme du profit des capitalistes qui placent leurs capitaux dans la production des marchandises.

    La valeur de la marchandise produite dans l’entreprise capitaliste se divise en trois parties : 1o la valeur du capital constant (une partie de la valeur des machines, des bâtiments, la valeur des matières premières, du combustible, etc.) ; 2o la valeur du capital variable et 3o la valeur de la plus-value. La grandeur de la valeur de la marchandise est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire à sa production. Mais le capitaliste ne dépense pas son travail personnel dans la production de la marchandise ; il y dépense son capital.

    Les coûts de production capitalistes de la marchandise comportent les dépenses de capital constant et de capital variable (c + v), c’est-à-dire les dépenses en moyens de production et en salaire aux ouvriers. Ce qu’une marchandise coûte aux capitalistes se mesure par la dépense de capital ; ce qu’une marchandise coûte à la société se mesure par la dépense de travail. Aussi les coûts de production capitalistes d’une marchandise sont-ils inférieurs à sa valeur ou aux coûts réels de production (c + v + p). La différence entre la valeur ou les coûts réels de production, et les coûts de production capitalistes est égale à la plus-value (p) que s’approprie purement et simplement le capitaliste.

    Lorsque le capitaliste vend la marchandise produite dans son entreprise, la plus-value apparaît comme un excédent, un surplus aux coûts de production capitalistes. En déterminant la rentabilité de l’entreprise, le capitaliste confronte cet excédent avec le capital avancé, c’est-à-dire avec la totalité du capital investi dans la production. La plus-value, rapportée à la totalité du capital, prend la forme du profit. Comme la plus-value est comparée non pas au capital variable, mais à tout le capital dans son ensemble, la différence s’efface entre le capital constant, dépensé pour l’achat des moyens de production, et le capital variable dépensé pour l’embauchage de la force de travail. Il en résulte l’apparence trompeuse que le profit est le fruit du capital. Cependant, en réalité, la source du profit est la plus-value créée uniquement par le travail des ouvriers, uniquement par la force de travail dont la valeur est incarnée dans le capital variable. Le profit est la plus-value considérée dans son rapport à la totalité du capital investi dans la production ; elle apparaît, extérieurement, comme le fruit de ce capital. En raison de cette particularité, Marx appelle le profit une forme modifiée de la plus-value.

    De même que la forme du salaire masque l’exploitation de l’ouvrier salarié, en faisant croire que tout le travail est payé, de même la forme du profit camoufle à son tour le rapport d’exploitation, en créant l’apparence trompeuse que le profit serait engendré par le capital lui-même. Ainsi les formes des rapports de production capitalistes estompent et masquent leur véritable nature.

    Le degré de rentabilité de l’entreprise capitaliste pour son possesseur est déterminé par le taux du profit. Le taux du profit est le rapport exprimé en pourcentage entre la plus-value et l’ensemble du capital avancé. Par exemple, si le capital avancé représente un total de 200 000 dollars, et si le profil annuel se monte à 40 000 dollars, le taux du profit est de (40 000 / 200 000) × 100 , soit 20 %.

    Comme le capital total avancé est supérieur au capital variable, le taux du profit p / (c+v) est toujours inférieur au taux de la plus-value p / v . Si, dans notre exemple, le capital de 200 000 dollars se décompose en 160 000 dollars de capital constant et 40 000 dollars de capital variable, et si le taux de la plus-value représente = (40 000 / 40 000) × 100 = 100 % , le taux du profit est égal à 20 %, soit 1/5 du taux de la plus-value.

    Le taux du profit dépend en premier lieu du taux de la plus-value. Plus le taux de la plus-value est élevé, et plus élevé est le taux du profit, toutes circonstances restant égales. Tous les facteurs qui viennent augmenter le taux de la plus-value, c’est-à-dire élever le degré d’exploitation du travail par le capital (allongement de la journée de travail, intensification, accroissement de la productivité du travail, etc.), élèvent aussi le taux du profit.

    Ensuite, le taux du profit dépend de la composition organique du capital. On sait que celle-ci est le rapport entre capital constant et capital variable. Plus la composition organique du capital est basse, c’est-à-dire plus le pourcentage de sa partie variable (valeur de la force de travail) est élevé, plus le taux du profit est élevé, le taux de la plus-value restant le même. Inversement, plus la composition organique du capital est élevée, et plus le taux du profit est bas.

    Les économies de capital constant sont l’un des facteurs qui exercent une influence sur le taux du profit. Enfin, le taux du profit varie selon la vitesse de rotation du capital. Plus la rotation du capital est rapide, et plus est élevé le taux annuel du profit, qui représente le rapport entre la plus-value produite au cours de l’année et l’ensemble du capital avancé. Inversement, le ralentissement de la rotation du capital amène un abaissement du taux annuel du profit.

    11.2. La formation du taux moyen du profit et la
                  transformation de la valeur des marchandises en prix de production.

    En régime capitaliste, la répartition des capitaux entre les différentes branches de production et le progrès technique se réalisent dans une atmosphère de concurrence acharnée.

    Il faut distinguer la concurrence à l’intérieur des branches d’industrie et la concurrence entre les branches d’industrie.

    La concurrence à l’intérieur des branches d’industrie est celle qui est pratiquée entre les entreprises d’une seule et même branche produisant des marchandises d’une même espèce, pour un écoulement plus avantageux de ces marchandises et pour un profit supplémentaire. Les diverses entreprises travaillent dans des conditions inégales et se distinguent les unes des autres par les dimensions, le niveau de l’équipement technique et de l’organisation de la production. De ce fait, la valeur individuelle des marchandises produites par les diverses entreprises, n’est pas la même. Mais la concurrence entre les entreprises d’une seule et même branche d’industrie aboutit au fait que les prix des marchandises sont déterminés non par leur valeur individuelle, mais par leur valeur sociale. Or la grandeur de la valeur sociale des marchandises, comme on l’a dit, dépend des conditions moyennes de la production dans une branche donnée.

    Du fait que le prix des marchandises est déterminé par leur valeur sociale, l’avantage revient aux entreprises où la technique industrielle et la productivité du travail sont supérieures au niveau moyen de la branche d’industrie considérée et où, par suite, la valeur individuelle des marchandises est inférieure à leur valeur sociale. Ces entreprises reçoivent un profit supplémentaire ou surprofit qui est une forme de la plus-value extra que nous avons étudiée plus haut (chapitre 7). Ainsi, par suite de la concurrence à l’intérieur des branches d’industrie, se forment, dans les différentes entreprises d’une branche donnée, des taux de profit différents. La concurrence entre les entreprises d’une même branche d’industrie aboutit à l’élimination des petites et moyennes entreprises par les grandes. Pour ne pas succomber à la concurrence, les capitalistes possesseurs d’entreprises arriérées, s’efforcent d’introduire chez eux les perfectionnements techniques appliqués par leurs concurrents, possesseurs d’entreprises plus développées au point de vue industriel. Il s’ensuit une élévation de la composition organique du capital dans l’ensemble de la branche d’industrie ; le surprofit, que recevaient les capitalistes possesseurs d’entreprises industriellement plus développées, disparaît, et le taux du profit accuse une baisse générale. C’est ce qui oblige les capitalistes à introduire de nouveaux perfectionnements techniques. C’est ainsi que par suite de la concurrence à l’intérieur des branches d’industrie, la technique se développe et les forces productives s’accroissent.

    La concurrence entre les branches d’industrie s’établit entre les capitalistes de diverses branches de la production pour le placement le plus rentable du capital. Les capitaux investis dans les différentes branches de la production ont une composition organique inégale. Comme la plus-value n’est créée que par le travail des ouvriers salariés, dans les entreprises des branches d’industrie où domine une basse composition organique du capital, on produit, à capital égal, une masse relativement plus importante de plus-value. Dans les entreprises où la composition organique du capital est plus élevée, la masse de plus-value produite est relativement plus faible. Cependant la concurrence entre capitalistes des diverses branches d’industrie aboutit à une égalisation des profits pour des capitaux de même grandeur.

    Supposons qu’il existe dans la société trois branches d’industrie : cuirs et peaux, textile et constructions mécaniques, avec un capital de même grandeur, mais de composition organique différente. La grandeur du capital avancé dans chacune de ces branches est égale à 100 unités (par exemple, à 100 millions de livres sterling). Le capital dans la branche des cuirs et peaux comprend 70 unités de capital constant et 30 unités de capital variable ; le capital de la branche textile comprend 80 unités de capital constant et 20 unités de capital variable, et le capital de la branche des constructions mécaniques est formé de 90 unités de capital constant et de 10 unités de capital variable. Admettons que le taux de la plus-value dans les trois branches soit identique et égal à 100 %. Par conséquent, dans les cuirs et peaux, la plus-value produite sera de 30 unités, de 20 dans le textile et de 10 dans les constructions mécaniques. La valeur des marchandises de la première branche d’industrie sera égale à 130 ; dans la seconde à 120 ; dans la troisième à 110 et, dans l’ensemble des trois, à 360 unités.

    Si les marchandises sont vendues à leur valeur, le taux du profit dans les cuirs et peaux sera de 30 %, dans le textile, de 20 % et dans les constructions mécaniques, de 10 %. Une telle répartition du profit sera très avantageuse pour les capitalistes des cuirs et peaux, mais désavantageuse pour les capitalistes des constructions mécaniques. Dès lors les entrepreneurs des constructions mécaniques chercheront un emploi plus avantageux de leurs capitaux. Et ils le trouveront dans les cuirs et peaux. Il se produira un transfert de capitaux de la branche des constructions mécaniques à celle des cuirs. Il s’ensuivra une augmentation de la quantité des marchandises produites dans les cuirs et peaux, la concurrence s’aggravera nécessairement et obligera les entrepreneurs de cette branche d’industrie à abaisser les prix de leurs marchandises, ce qui entraînerait aussi une baisse du taux de profit. Au contraire, dans les constructions mécaniques la quantité des marchandises produites diminuera, et cette modification du rapport entre l’offre et la demande permettra aux entrepreneurs de relever les prix de leurs marchandises et d’élever ainsi le taux du profit. La chute des prix dans les cuirs et peaux et leur hausse dans les constructions mécaniques continueront jusqu’au moment où le taux du profit dans les trois branches sera à peu près égal. Cela se produira lorsque les marchandises des trois branches d’industrie se vendront au prix de 120 unités : (130+120+110) / 3 . Le profit moyen de chaque branche d’industrie, dans ces conditions, sera égal à 20 unités. Le profit moyen est un profit égal pour des capitaux de même grandeur, investis dans des branches différentes de la production.

    Ainsi, la concurrence entre les branches d’industrie conduit à l’égalisation des taux de profit différents existant dans les diverses branches de la production capitaliste pour tendre vers un seul taux général (ou moyen). Cette égalisation est réalisée par le transfert de capital (et, par suite aussi, de travail) d’une branche dans l’autre.

    Avec la formation du taux de profit moyen, les capitalistes de certaines branches (dans notre exemple, ceux des cuirs) perdent une partie de la plus-value créée par leurs ouvriers. En revanche, les capitalistes d’autres branches (dans notre exemple, ceux des constructions mécaniques) réalisent un excédent de plus-value. Cela veut dire que les premiers vendent leurs marchandises à des prix inférieurs à leur valeur, les seconds, à des prix supérieurs à leur valeur. Le prix de la marchandise de chaque branche est formé désormais par les frais de production (100 unités) et le profit moyen (20 unités).

    Le prix égal aux frais de production de la marchandise plus le profit moyen est le prix de production. Dans les diverses entreprises d’une branche donnée, par suite des différences dans les conditions de production, existent des prix individuels de production différents, qui sont déterminés par les frais de production individuels plus le profit moyen. Mais les marchandises sont vendues en moyenne à un prix de production commun, identique.

    Le processus de formation du taux moyen du profit et du prix de production peut être illustré par le tableau suivant :

    Branches
    de production
    Capi-
    tal
     
     
    con-
    stant
    Capi-
    tal
     
     
    vari-
    able
    Plus-
    value
    Valeur
     
     
    des
     
     
    mar-
    chan-
    dises
    Taux
     
    de
     
    profit
     
    moyen
     
     
    en %
    Prix
     
    de
    pro-
    duction
     
    des
    mar-
    chan-
    dises
    Écart
    du
    prix
    de
    pro-
    duction
    par
    rap-
    port
    à la
    valeur
    Cuirs et peaux… 70 30 30 130 20 120 − 10
    Textile… 80 20 20 120 20 120 néant
    Constructions
    mécaniques…
    90 10 10 110 20 120 + 10
    Total… 240 60 60 360 20 360

    Les marchandises produites dans chacune des trois branches, sont vendues 120 unités (par exemple, 120 millions de dollars). Cependant la valeur de la marchandise dans les cuirs et peaux est égale à 130 unités ; dans le textile, à 120 et dans les constructions mécaniques à 110 unités. Contrairement à ce qui se passe dans la production marchande simple, en régime capitaliste les marchandises ne sont plus vendues à des prix qui correspondent à leur valeur, mais à des prix qui correspondent à leur prix de production.

    La transformation de la valeur en prix de production résulte du développement historique de la production capitaliste. Dans le cadre de la production marchande simple, les prix des marchandises sur le marché correspondaient en gros à leur valeur. Aux premières phases du développement du capitalisme, subsistaient des différences notables entre les taux de profit des diverses branches de production ; en effet elles n’étaient pas encore suffisamment liées entre elles et il y avait des restrictions corporatives et autres qui gênaient le libre transfert des capitaux d’une branche dans l’autre. Le processus de formation du taux moyen de profit et de transformation de la valeur en prix de production ne s’achève qu’avec la victoire de l’industrie mécanique capitaliste.

    Avec la transformation de la valeur en prix de production, la loi économique fondamentale du capitalisme, la loi de la plus-value, se concrétise et se manifeste sous la forme du taux moyen du profit.

    Les économistes bourgeois cherchent à réfuter la théorie de la valeur-travail de Marx en alléguant le fait que les prix de production, dans certaines branches d’industrie, ne correspondent pas à la valeur des marchandises. Mais en réalité, la loi de la valeur reste entièrement valable dans les conditions du capitalisme, car le prix de production ne représente que la forme modifiée de la valeur.

    Les faits suivants le confirment :

    Premièrement, certains entrepreneurs vendent leurs marchandises à des prix supérieurs à leur valeur, d’autres à des prix inférieurs, mais tous les capitalistes pris ensemble réalisent toute la masse de la valeur de leurs marchandises. À l’échelle de toute la société, la somme des prix de production est égale à la somme des valeurs de toutes les marchandises.

    Deuxièmement, la somme des profits de toute la classe des capitalistes est égale à la somme de la plus-value produite par la totalité du travail non payé du prolétariat. La grandeur du taux moyen du profit dépend de la grandeur de la plus-value produite dans toute la société.

    Troisièmement, l’abaissement de la valeur des marchandises entraîne l’abaissement de leurs prix de production ; l’accroissement de la valeur des marchandises entraîne la hausse de leurs prix de production.

    Ainsi, dans la société capitaliste, il existe une loi du taux moyen du profit, selon laquelle les différents taux de profit, qui dépendent de la composition organique différente du capital dans les diverses branches de production, tendent à s’égaliser du fait de la concurrence en un taux général (moyen) du profit. La loi du taux moyen du profit, comme d’ailleurs toutes les lois régissant le mode de production capitaliste, agit spontanément à travers de multiples écarts et oscillations. Dans la lutte pour le placement le plus rentable du capital, une concurrence acharnée se livre entre capitalistes. Ces derniers cherchent à placer leurs capitaux dans les branches de production qui leur font entrevoir les profits les plus élevés. Dans la chasse aux gros profits, les capitaux sont transférés d’une branche d’industrie à l’autre, à la suite de quoi précisément s’établit le taux moyen du profit.

    Ainsi, c’est sur la base de la loi du taux moyen du profit que se réalise la répartition du travail et des moyens de production entre les diverses branches de la production capitaliste. Par conséquent, dans un régime capitaliste développé, la loi de la valeur agit comme un régulateur spontané de la production par l’intermédiaire du prix de production.

    Le prix de production est la moyenne autour de laquelle en définitive oscillent les prix de marché des marchandises, c’est-à-dire les prix auxquels les marchandises sont pratiquement vendues et achetées sur le marché.

    L’égalisation du taux de profit et la transformation de la valeur en prix de production masquent encore davantage le rapport d’exploitation, cachent encore plus la source véritable de l’enrichissement des capitalistes.

    La véritable différence de grandeur entre le profit et la plus-value… dans les sphères particulières de la production, cache maintenant complètement la vraie nature et l’origine du profit, non seulement pour le capitaliste qui a un intérêt particulier à s’illusionner lui-même, mais encore pour l’ouvrier. Du moment que les valeurs sont transformées en prix de production, la base même de la détermination de la valeur échappe à leur regard.

    ( K. Marx, « Transformation du profit en profit moyen », Le Capital, livre 3, chap. 9. )

    En réalité, la formation du taux moyen du profit signifie la redistribution de la plus-value entre les capitalistes des différentes branches de la production. Les capitalistes des branches à composition organique du capital élevée s’approprient une partie de la plus-value créée dans les branches d’industrie à basse composition organique du capital. Par conséquent, les ouvriers sont exploités non seulement par les capitalistes qui les font travailler, mais aussi par toute la classe des capitalistes. Toute la classe des capitalistes a intérêt à voir s’élever le degré d’exploitation des ouvriers, puisque cela conduit à l’accroissement du taux moyen du profit. Comme l’indiquait Marx, le taux moyen du profit dépend du degré d’exploitation de l’ensemble du travail par l’ensemble du capital.

    La loi du taux moyen du profit exprime, d’une part, les contradictions et la concurrence entre les capitalistes industriels pour le partage de la plus-value ; d’autre part, l’antagonisme profond de deux classes hostiles, la bourgeoisie et le prolétariat. Cette loi confirme que dans la société capitaliste la bourgeoisie en tant que classe s’oppose à l’ensemble du prolétariat, que la lutte pour les intérêts partiels des ouvriers ou de groupes d’ouvriers, la lutte contre tels ou tels capitalistes ne peut amener un changement radical dans la situation de la classe ouvrière. Celle-ci ne peut secouer le joug du capital qu’à la condition de renverser la bourgeoisie en tant que classe, de supprimer le système même de l’exploitation capitaliste.

    11.3. La baisse tendancielle du taux de profit.

    Au fur et à mesure que le capitalisme se développe, la composition organique du capital s’élève sans discontinuer. Tout entrepreneur, qui remplace de plus en plus les ouvriers par des machines, cherche à rendre la production moins coûteuse, à élargir l’écoulement de ses marchandises et à tirer un surprofit. Mais lorsque les progrès techniques de certaines entreprises se répandent largement, il en résulte une élévation de la composition organique du capital dans la plupart des entreprises, ce qui amène la baisse du taux de profit général.

    Dans le même sens agit l’accroissement plus rapide du capital fixe par rapport au capital circulant, ce qui ralentit la rotation de l’ensemble du capital.

    Chaque capitaliste, en perfectionnant son équipement technique, cherche à tirer le plus de profit possible, mais les efforts de tous les capitalistes pour atteindre ce but aboutissent à ce que nul d’entre eux ne voulait — à la baisse du taux de profit général.

    Reprenons l’exemple précédent. La somme de tous les capitaux, égale à 300 unités, est formée de 240 unités de capital constant et de 60 unités de capital variable. Le taux de la plus-value étant de 100 %, il est produit 60 unités de plus-v machines-alue, le taux du profit est égal à 20 %. Supposons que, 20 ans plus tard, le montant total du capital soit passé de 300 à 500 unités. Dans le même temps, grâce au progrès technique, la composition organique du capital s’est élevée, et les 500 unités se divisent en 425 unités de capital constant et 75 unités de capital variable. Dès lors, avec le même taux de plus-value, il sera créé 75 unités de plus-value. Le taux de profit sera alors de (75 / 500) × 100 = 15 % . La masse du profit est passée de 60 à 75 unités, tandis que le taux de profit est tombé de 20 à 15 %.

    Ainsi, l’élévation de la composition organique du capital amène la baisse du taux moyen du profit. En même temps, une série de facteurs s’opposent à l’abaissement du taux de profit.

    Premièrement, l’exploitation de la classe ouvrière se renforce. Le développement des forces productives du capitalisme, qui trouve son expression dans l’élévation de la composition organique du capital, aboutit du même coup à élever le taux de la plus-value. Dès lors, la baisse du taux de profit s’effectue avec plus de lenteur que dans le cas où le taux de la plus-value resterait invariable.

    Deuxièmement, le progrès technique, tout en élevant la composition organique du capital, engendre le chômage qui pèse sur le marché du travail. Cela permet aux entrepreneurs de diminuer les salaires, et de les fixer sensiblement au-dessous de la valeur de la force de travail.

    Troisièmement, au fur et à mesure que la productivité du travail se développe, la valeur des moyens de production : machines, outillage, matières premières, etc., diminue. Ceci a pour effet de ralentir l’élévation de la composition organique du capital et, par suite, s’oppose à l’abaissement du taux de profit.

    Supposons que l’entrepreneur ait obligé l’ouvrier, qui conduisait auparavant cinq métiers à tisser, à travailler sur 20 métiers. Du fait de l’augmentation de la productivité du travail dans la construction des machines-outils, la valeur de ces dernières a diminué de moitié. Désormais les 20 métiers coûtent non plus quatre fois plus cher que 5, comme auparavant, mais seulement deux fois. Aussi la part du capital constant correspondant à un ouvrier, n’aura pas quadruplé, mais doublé.

    Quatrièmement, à la baisse du taux de profit moyen s’oppose l’économie réalisée par les capitalistes sur le capital constant, aux dépens de la santé et de la vie des ouvriers. Afin d’augmenter leur profit, les entrepreneurs font travailler les ouvriers dans des locaux étroits, insuffisamment aérés ; ils lésinent sur les dispositifs de sécurité. Cette avarice sordide des capitalistes a pour résultat de ruiner la santé des ouvriers, de provoquer une quantité énorme d’accidents de travail et d’accroître la mortalité parmi la population ouvrière.

    Cinquièmement, la chute du taux de profit est freinée par le déséquilibre des échanges dans le commerce extérieur, grâce auquel les entrepreneurs des pays capitalistes développés, en exportant leurs marchandises dans les pays coloniaux, obtiennent du surprofit.

    Tous ces facteurs d’opposition ne suppriment pas, mais affaiblissent seulement la baisse du taux de profit» lui confèrent un caractère tendanciel. Ainsi, l’élévation de la composition organique du capital a pour conséquence inévitable la loi de l’abaissement tendanciel du taux général (ou moyen) du profit.

    La chute du taux de profit ne signifie pas la diminution de la masse du profit, c’est-à-dire du volume total de la plus-value produite par la classe ouvrière. Au contraire, la masse du profit s’accroît tant par l’élévation du taux de la plus-value que par l’augmentation du nombre total des ouvriers exploités par le capital. Par exemple, aux États-Unis, la somme des profits industriels, établie suivant les données officielles du recensement des industries, se montait, en 1859, à 316 millions de dollars ; en 1869, à 516 millions, en 1879, à 660 millions ; en 1889, à 1 513 millions ; en 1899, à 2 245 millions.

    Les capitalistes s’efforcent, en exploitant au maximum les ouvriers, de freiner la baisse tendancielle du taux de profit. Cela aboutit à aggraver les contradictions entre prolétariat et bourgeoisie.

    La loi de la baisse tendancielle du taux de profit accentue la lutte au sein de la bourgeoisie elle-même pour la répartition de la masse globale des profits.

    Dans leur course aux profits élevés les capitalistes dirigent leurs capitaux vers les pays retardataires, où la main-d’œuvre est meilleur marché et la composition organique du capital plus basse que dans les pays à industrie hautement développée, et ils se mettent à exploiter à fond les peuples de ces pays. Cela aboutit à aggraver les contradictions entre pays capitalistes développés et pays retardataires, entre métropoles et colonies.

    Ensuite, pour maintenir les prix à un niveau élevé, les entrepreneurs s’unissent en groupements de divers types. Ils cherchent ainsi à obtenir des profits élevés.

    Enfin, soucieux de compenser la baisse du taux de profit en augmentant sa masse, les capitalistes élargissent le volume de la production au-delà des limites de la demande solvable. De ce fait, les contradictions résultant de la baisse tendancielle du taux de profit, se manifestent de façon particulièrement aiguë pendant les crises.

    La loi de la baisse tendancielle du taux de profit est un des indices les plus frappants des limites historiques du mode de production capitaliste. En aggravant les contradictions capitalistes, cette loi montre clairement que, à un certain niveau, le régime bourgeois devient un obstacle au développement des forces productives.

    Résumé du chapitre 11

    1. Le profit est la plus-value considérée dans son rapport avec la totalité du capital investi dans la production ; extérieurement, il se présente comme le fruit de l’ensemble du capital. Le taux du profit représente le rapport, exprimé en pourcentage, de la masse de plus-value produite à la totalité du capital.

    2. La concurrence à l’intérieur des branches d’industrie aboutit au fait que les prix des marchandises similaires sont déterminés non pas par la valeur individuelle, mais par la valeur sociale de ces marchandises. La concurrence entre branches d’industrie amène le transfert des capitaux d’une branche dans l’autre et aboutit à la formation d’un taux moyen du profit dans le cadre de la totalité de la production capitaliste.

      C’est en vertu de la loi du taux moyen du profit que s’opère la répartition du travail et des moyens de production entre les diverses branches de l’industrie capitaliste.

    3. Par suite de l’égalisation du taux de profit, les marchandises ne se vendent pas à leur valeur, mais à leur prix de production. Le prix de production est égal aux frais de production de la marchandise plus le profit moyen. Le prix de production est la forme modifiée de la valeur. La somme des prix de production est égale à la somme des valeurs de toutes les marchandises ; la modification de la valeur des marchandises entraîne la modification du prix de production.

    4. Avec le développement du capitalisme, au fur et à mesure que s élève la composition organique du capital, le taux moyen du profit manifeste une tendance à la baisse. En même temps la masse des profits augmente sans cesse. La loi de la baisse tendancielle du taux de profit aggrave les contradictions du capitalisme.


    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :