• Le mode de production capitaliste

    A. — Le capitalisme prémonopoliste

    Chapitre 7 — Le capital et la plus-value — La loi économique fondamentale du capitalisme

    7.1. La base des rapports de production en régime capitaliste.

    Avec le passage de la manufacture à la grande industrie mécanique, le mode de production capitaliste est devenu prédominant. Dans l’industrie, les ateliers artisanaux et les manufactures fondés sur le travail manuel, font place aux fabriques et aux usines dans lesquelles le travail s’effectue à l’aide de machines complexes. Dans l’agriculture, de grandes exploitations capitalistes apparaissent, qui introduisent la technique agronomique relativement perfectionnée et les machines agricoles. Une nouvelle technique est née, de nouvelles forces productives se sont formées, des rapports de production nouveaux, capitalistes, ont prévalu. L’étude des rapports de production de la société capitaliste dans leur naissance, leur développement et leur déclin fait l’objet principal du Capital de Marx.

    La propriété capitaliste des moyens de production forme la base des rapports de production dans la société bourgeoise. La propriété capitaliste des moyens de production est la propriété privée des capitalistes, qui n’est pas le fruit du travail et qui est utilisée aux fins d’exploitation des ouvriers salariés. D’après la définition classique de Marx,

    le mode de production capitaliste …consiste en ceci que les conditions matérielles de production sont attribuées aux non-travailleurs sous forme de propriété capitaliste et de propriété foncière, tandis que la masse ne possède que les conditions personnelles de production : la force de travail.
    ( K. Marx et F. Engels, Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, p. 25-26, Éditions sociales, Paris, 1950. )

    La production capitaliste est fondée sur le travail salarié. Les ouvriers salariés sont libérés des liens du servage. Mais ils sont privés des moyens de production et, sous peine de mourir de faim, ils sont obligés de vendre leur force de travail aux capitalistes. L’exploitation du prolétariat par la bourgeoisie constitue le principal trait caractéristique du capitalisme, et le rapport entre bourgeoisie et prolétariat est le rapport de classe fondamental du régime capitaliste.

    Les pays où règne le mode de production capitaliste conservent, à côté des formes capitalistes, des survivances plus ou moins importantes des formes précapitalistes d’économie. Le « capitalisme à l’état pur » n’existe dans aucun pays. Outre la propriété capitaliste, il y a dans les pays bourgeois la grande propriété foncière, de même que la petite propriété privée des simples producteurs — paysans et artisans — qui vivent de leur travail. La petite production joue en régime capitaliste un rôle subalterne. La masse des petits producteurs des villes et des campagnes est exploitée par les capitalistes et les propriétaires fonciers, possesseurs des fabriques et des usines, des banques, des entreprises commerciales et de la terre.

    Le mode de production capitaliste dans son développement comprend deux phases : prémonopoliste et monopoliste. Les lois économiques générales du capitalisme agissent à ces deux phases de son développement. Mais le capitalisme monopoliste se distingue par toute une série de particularités essentielles, dont nous parlerons plus loin.

    Passons à l’examen de la nature de l’exploitation capitaliste.

    7.2. La transformation de l’argent en capital.

    Tout capital commence sa carrière sous la forme d’une somme déterminée d’argent. L’argent par lui-même n’est pas un capital. Lorsque, par exemple, de petits producteurs indépendants échangent des marchandises, l’argent intervient comme moyen de circulation, mais non comme capital. La formule de la circulation des marchandises est la suivante : M (marchandise) — A (argent) — M (marchandise), c’est-à-dire vente d’une marchandise pour achat d’une autre marchandise. L’argent devient capital quand il est employé aux fins d’exploitation du travail d’autrui. La formule générale du capital est A — M — A. c’est-à-dire acheter pour vendre aux fins d’enrichissement.

    La formule M — A — M signifie qu’une valeur d’usage est échangée contre une autre : le producteur livre la marchandise dont il n’a pas besoin et reçoit en échange une autre marchandise dont il a besoin pour sa consommation. La valeur d’usage est le but de la circulation. Inversement, avec la formule A — M — A, les points de départ et d’arrivée du mouvement coïncident : au départ le capitaliste avait de l’argent, et il en a au terme de l’opération. Le mouvement du capital serait inutile si, à la fin de l’opération, le capitaliste avait la même somme d’argent qu’au début. Tout le sens de son activité est qu’à la suite de l’opération il se trouve avoir une plus grande somme d’argent qu’auparavant. Le but de la circulation est l’augmentation de la valeur. La formule générale du capital dans sa forme intégrale est donc celle-ci : A — M — A′ où A′ désigne la somme d’argent accrue.

    Le capital avancé, c’est-à-dire le capital mis en circulation, retourne à son possesseur avec un certain excédent.

    D’où vient l’excédent du capital ? Les économistes bourgeois, soucieux de masquer la vraie source de l’enrichissement des capitalistes, affirment fréquemment que ce surplus provient de la circulation des marchandises. Affirmation gratuite ! En effet, si l’on fait l’échange de marchandises et d’argent d’égale valeur, c’est-à-dire d’équivalents, aucun des possesseurs de marchandises ne peut tirer de la circulation une valeur plus grande que celle qui est incorporée dans sa marchandise. Et si les vendeurs réussissent à vendre leurs marchandises à un prix plus élevé que leur valeur, par exemple de 10 %, ils doivent, en devenant acheteurs, payer aux vendeurs en sus de la valeur les mêmes 10 %. Ainsi, ce que les possesseurs de marchandises gagnent comme vendeurs, ils le perdent comme acheteurs. Or, en réalité, toute la classe des capitalistes bénéficie d’un accroissement de capital. Il est évident que le possesseur d’argent, devenu capitaliste, doit trouver sur le marché une marchandise dont la consommation crée une valeur, et une valeur supérieure à celle qu’elle possède elle-même. En d’autres termes, le possesseur d’argent doit trouver sur le marché une marchandise dont la valeur d’usage posséderait elle-même la faculté d’être source de valeur. Cette marchandise est la force de travail.

    7.3. La force de travail en tant que marchandise. La valeur et la valeur d’usage de la marchandise force de travail.

    La force de travail, l’ensemble des facultés physiques et morales dont l’homme dispose et qu’il met en action lorsqu’il produit des biens matériels, quelle que soit la forme de la société, est un élément indispensable de la production. Mais c’est seulement en régime capitaliste que la force de travail devient marchandise.

    Le capitalisme est la production marchande au plus haut degré de son développement, quand la force de travail elle-même devient marchandise. Avec la transformation de la force de travail en marchandise, la production marchande prend un caractère universel. La production capitaliste est fondée sur le travail salarié, et l’embauchage de l’ouvrier par le capitaliste n’est autre chose qu’une opération de vente-achat de la marchandise force de travail : l’ouvrier vend sa force de travail, le capitaliste l’achète.

    En embauchant un ouvrier, le capitaliste reçoit sa force de travail dont il dispose sans réserve. Il l’utilise dans le processus de production capitaliste, dans lequel s’opère l’accroissement du capital.

    De même que toute autre marchandise, la force de travail est vendue à un prix déterminé, à la base duquel se trouve la valeur de cette marchandise. Quelle est cette valeur ?

    Pour que l’ouvrier conserve sa capacité de travail, il doit satisfaire ses besoins en nourriture, vêtements, chaussures, logement Satisfaire les besoins vitaux, c’est reconstituer l’énergie vitale dépensée par l’ouvrier : l’énergie des muscles, des nerfs, du cerveau ; c’est reconstituer sa capacité de travail. En outre, le capital a besoin d’un afflux incessant de force de travail ; l’ouvrier doit donc avoir la possibilité non seulement de s’entretenir lui-même, mais d’entretenir aussi sa famille. Par là se trouve assurée la reproduction, c’est-à-dire le renouvellement constant de la force de travail. Enfin, le capital a besoin non seulement d’ouvriers non spécialisés, mais aussi d’ouvriers qualifiés sachant manier les machines complexes ; or, acquérir une qualification comporte certaines dépenses de travail pour l’apprentissage. Aussi les frais de production et de reproduction de la force de travail comprennent-ils un minimum de dépenses pour la formation des générations montantes de la classe ouvrière.

    Il ressort de tout cela que la valeur de la marchandise force de travail est égale à la valeur des moyens de subsistance nécessaires à l’entretien de l’ouvrier et de sa famille.

    Cette marchandise, de même que toute autre, possède une valeur. Comment la détermine-t-on ? Par le temps de travail nécessaire à sa production.

    ( K. Marx, Le Capital, livre 1, t. 1, p. 173. )

    Avec le développement historique de la société se modifient le niveau des besoins habituels de l’ouvrier, mais aussi les moyens de satisfaire ces besoins. Dans les différents pays, le niveau des besoins usuels de l’ouvrier n’est pas le même. Les particularités de l’évolution historique suivie par un pays donné, ainsi que celles des conditions dans lesquelles s’est formée la classe des ouvriers salariés, déterminent sous bien des rapports le caractère de ses besoins. Les conditions climatiques et autres exercent également une certaine influence sur les besoins de l’ouvrier en nourriture, en vêtements, en logement. La valeur de la force de travail renferme non seulement la valeur des objets de consommation nécessaires à la restauration des forces physiques de l’homme, mais aussi les frais que comporte la satisfaction des besoins culturels de l’ouvrier et de sa famille, tels qu’ils résultent des conditions sociales dans lesquelles vivent et sont élevés les ouvriers (éducation des enfants, achat de journaux, de livres, cinéma, théâtre, etc.) Les capitalistes cherchent toujours et partout à ramener les conditions matérielles et culturelles de vie de la classe ouvrière au niveau le plus bas.

    Pour engager une affaire, le capitaliste commence par acheter tout ce qui est nécessaire à la production : bâtiments, machines, équipement, matières premières, combustible. Ensuite, il embauche la main-d’œuvre et le processus de production commence à l’entreprise. Dès que la marchandise est prête, le capitaliste la vend. La valeur de la marchandise produite renferme, premièrement, la valeur des moyens de production dépensés : matières premières traitées, combustible, une partie déterminée de la valeur des bâtiments, des machines et des outils ; en second lieu, la valeur nouvelle créée par le travail des ouvriers de l’entreprise.

    Qu’est-ce que cette nouvelle valeur ?

    Le mode de production capitaliste suppose un niveau relativement élevé de la productivité du travail, tel que l’ouvrier, pour créer une valeur égale à celle de sa force de travail, n’a besoin que d’une partie de la journée de travail. Admettons qu’une heure de travail moyen simple crée une valeur égale à un dollar, et que la valeur journalière de la force de travail soit égale à six dollars. Alors, pour compenser la valeur journalière de sa force de travail, l’ouvrier doit travailler pendant 6 heures. Mais le capitaliste ayant acheté la force de travail pour toute la journée fait travailler le prolétaire non pas 6 heures, mais pendant une journée de travail entière qui comporte, par exemple, 12 heures. Pendant ces 12 heures, l’ouvrier crée une valeur égale à 12 dollars, cependant que sa force de travail ne vaut que 6 dollars.

    Nous voyons maintenant en quoi consiste la valeur d’usage spécifique de la marchandise force de travail pour l’acheteur de cette marchandise, le capitaliste. La valeur d’usage de la marchandise force de travail est sa propriété d’être une source de valeur, d’une valeur plus grande qu’elle n’en possède elle-même.

    7.4. La production de la plus-value est la loi économique fondamentale du capitalisme.

    La valeur de la force de travail et la valeur créée dans le processus de sa consommation sont deux grandeurs différentes. La différence entre ces deux grandeurs est la condition préalable nécessaire de l’exploitation capitaliste.

    Dans notre exemple, le capitaliste, en dépensant 6 dollars pour embaucher un ouvrier, reçoit une valeur créée par le travail de l’ouvrier, égale à 12 dollars. Le capitaliste récupère le capital qu’il a d’abord avancé avec une augmentation ou un excédent égal à 6 dollars. Cet excédent constitue la plus-value.

    La plus-value est la valeur créée par le travail de l’ouvrier salarié en plus de la valeur de sa force de travail, et que le capitaliste s’approprie gratuitement. Ainsi, la plus-value est le fruit du travail non payé de l’ouvrier.

    La journée de travail dans l’entreprise capitaliste comporte deux parties: le temps de travail nécessaire et le temps de travail supplémentaire ; le travail de l’ouvrier salarié se décompose en travail nécessaire et surtravail. Pendant le temps de travail nécessaire, l’ouvrier reproduit la valeur de sa force de travail, et pendant le temps de surtravail, il crée la plus-value.

    Le travail de l’ouvrier en régime capitaliste est processus de consommation par le capitaliste de la marchandise force de travail, c’est-à-dire processus pendant lequel le capitaliste soutire à l’ouvrier la plus-value. Le processus de travail en régime capitaliste est caractérisé par deux particularités fondamentales.

    Premièrement, l’ouvrier travaille sous le contrôle du capitaliste à qui appartient le travail de l’ouvrier. En second lieu, au capitaliste appartient non seulement le travail de l’ouvrier, mais aussi le produit de ce travail. Ces particularités du processus de travail font du travail de l’ouvrier salarié un dur et odieux fardeau.

    Le but immédiat de la production capitaliste est la production de la plus-value. En conséquence, seul un travail créateur de plus-value est considéré comme travail productif en régime capitaliste. Si donc l’ouvrier ne crée pas de plus-value, son travail est un travail improductif, inutile pour le capitaliste.

    Contrairement aux anciennes formes d’exploitation — esclavagiste et féodale — l’exploitation capitaliste se présente sous une forme déguisée. Lorsque l’ouvrier salarié vend sa force de travail au capitaliste, cette transaction apparaît au premier abord comme une transaction habituelle entre possesseurs de marchandises, comme un échange ordinaire d’une marchandise contre de l’argent, effectué en accord avec la loi de la valeur. Mais la transaction vente-achat de la force de travail n’est qu’une forme extérieure derrière laquelle se cachent l’exploitation de l’ouvrier par le capitaliste, l’appropriation par l’entrepreneur, sans aucun équivalent, du travail non payé de l’ouvrier.

    En analysant l’essence de l’exploitation capitaliste, nous supposons que le capitaliste, en louant l’ouvrier, lui paie la valeur intégrale de sa force de travail, déterminée par la loi de la valeur. Plus tard, en examinant le salaire, nous montrerons qu’à la différence des prix des autres marchandises, le prix de la force de travail, en règle générale, oscille au-dessous de sa valeur. Cela a pour effet d’augmenter encore l’exploitation de la classe ouvrière par la classe des capitalistes.

    Le capitalisme permet à l’ouvrier salarié de travailler et, par conséquent, de vivre, dans la mesure seulement où il travaille un certain temps à titre gratuit pour le capitaliste. Lorsqu’il quitte une entreprise capitaliste, l’ouvrier, dans le meilleur des cas, entre dans une autre entreprise capitaliste où il subit la même exploitation. En dénonçant le travail salarié comme un système d’esclavage salarié, Marx disait que si l’esclave romain était chargé de fers, l’ouvrier salarié est attaché à son maître par des fils invisibles. Ce maître, c’est la classe des capitalistes dans son ensemble.

    La plus-value créée par le travail non payé des ouvriers salariés constitue la source commune des revenus, non acquis par le travail, des différents groupes de la bourgeoisie : industriels, commerçants, banquiers, ainsi que de la classe des propriétaires fonciers.

    La production de la plus-value est la loi économique fondamentale du capitalisme. En définissant le capitalisme, Marx disait :

    Fabriquer de la plus-value, telle est la loi absolue de ce mode de production.

    ( K. Marx, Le Capital, livre 1, t. 3, p. 59. )

    Les traits essentiels de cette loi consistent dans la production sans cesse croissante de plus-value, et dans l’appropriation de celle-ci par les capitalistes sur la base de la propriété privée des moyens de production et grâce à l’intensification de l’exploitation du travail salarié et à l’élargissement de la production. La loi économique fondamentale exprime l’essence même des rapports de production capitalistes ; elle est la loi du mouvement du capitalisme ; elle détermine le caractère inévitable de l’accroissement et de l’aggravation de ses contradictions.

    Le capital n’a pas inventé le surtravail. Partout où la société est composée d’exploiteurs et d’exploités, la classe dominante soutire du surtravail aux classes exploitées. Mais contrairement au maître d’esclaves et au seigneur féodal, qui, par suite du régime d’ qui régnait alors, consacraient la plus grande partie des produits du surtravail des esclaves et des serfs à la satisfaction immédiate de leurs besoins et de leurs caprices, le capitaliste convertit en argent tout le produit du surtravail des ouvriers salariés. Le capitaliste consacre une partie de cet argent à l’achat d’objets de consommation et d’objets de luxe ; l’autre partie de cet argent, il !a met de nouveau en œuvre à titre de capital additionnel qui produit une nouvelle plus-value. Aussi le capital manifeste-t-il, selon l’expression de Marx, une voracité de loup pour le surtravail.

    La course à la plus-value est le principal moteur du développement des forces productives en régime capitaliste. Aucune des formes antérieures de régime d’exploitation — ni l’esclavage ni la féodalité — ne possédait un tel stimulant du progrès technique.

    Lénine a appelé la théorie de la plus-value la pierre angulaire de la théorie économique de Marx. En révélant dans sa théorie de la plus-value l’essence de l’exploitation capitaliste, Marx a porté un coup mortel à l’économie politique bourgeoise et à ses affirmations sur l’harmonie des intérêts des classes en régime capitaliste et il a donné à la classe ouvrière une arme spirituelle pour renverser le capitalisme.

    7.5. Le capital en tant que rapport social de production. Le capital constant et le capital variable.

    Les économistes bourgeois appellent capital tout instrument de travail, tout moyen de production, à commencer par la pierre et le bâton de l’homme primitif. Cette définition du capital a pour but d’estomper l’essence de l’exploitation de l’ouvrier par le capitaliste, de présenter le capital comme une condition éternelle et immuable de l’existence de toute société humaine.

    En réalité, la pierre et le bâton servaient d’outil de travail à l’homme primitif, mais n’étaient point du capital. Ne sont pas non plus du capital les instruments et les matières premières de l’artisan, le matériel, les semences et les bêtes de trait du paysan qui exploite son terrain sur la base de son travail personnel. Les moyens de production ne deviennent du capital qu’à une phase déterminée du développement historique, lorsqu’ils sont propriété privée du capitaliste et servent de moyen d’exploitation du travail salarié. Avec la liquidation du régime capitaliste les moyens de production deviennent propriété sociale et ils cessent d’être du capital. Ainsi le capital n’est pas une chose, mais un rapport social de production qui a un caractère historique transitoire.

    Le capital est une valeur qui — par l’exploitation des ouvriers salariés — rapporte la plus-value. Selon Marx, le capital est

    du travail mort, qui, semblable au vampire, ne s’anime qu’en suçant le travail vivant, et sa vie est d’autant plus allègre qu’il en pompe davantage.
    ( K. Marx, Le Capital, livre 1, t. 1, p. 229. )

    Le capital incarne le rapport de production entre la classe des capitalistes et la classe ouvrière, rapport qui consiste en ce que les capitalistes, en tant que possesseurs des moyens et des conditions de production, exploitent les ouvriers salariés qui créent pour eux la plus-value. Ce rapport de production, comme d’ailleurs tous les autres rapports de production de la société capitaliste, prend la forme d’un rapport entre objets et apparaît comme la propriété de ces objets (moyens de production) de procurer un revenu au capitaliste.

    C’est en cela que consiste le caractère fétiche du capital : avec le mode de production capitaliste se crée une apparence trompeuse, selon laquelle les moyens de production (ou une certaine somme d’argent avec laquelle on peut acheter les moyens de production) possèdent par eux-mêmes la faculté miraculeuse de procurer à leur possesseur un revenu régulier ne provenant pas du travail.

    Les différentes parties du capital ne jouent pas le même rôle dans le processus de production de la plus-value.

    L’entrepreneur dépense une certaine partie du capital pour construire les bâtiments d’une fabrique, acquérir de l’équipement et des machines, acheter les matières premières, le combustible, les matériaux accessoires. La valeur de cette partie du capital est transférée à la marchandise nouvellement produite à mesure que les moyens de production sont consommés ou usés au cours du travail. La partie du capital, qui existe sous forme de valeur des moyens de production, ne change pas de grandeur en cours de production ; aussi porte-t-elle le nom de capital constant.

    L’entrepreneur consacre l’autre partie du capital à l’achat de la force de travail, à l’embauchage des ouvriers. En échange de cette partie du capital dépensé, l’entrepreneur, le processus de production terminé, reçoit une nouvelle valeur créée par les ouvriers dans son entreprise. Cette nouvelle valeur, on l’a vu, est supérieure à celle de la force de travail achetée par le capitaliste. C’est ainsi que la partie du capital, dépensée pour l’embauchage d’ouvriers, change de grandeur au cours de la production : elle augmente à la suite de la création par les ouvriers d’une plus-value que le capitaliste accapare. La partie du capital qui est consacrée à l’achat de la force de travail (c’est-à-dire à l’embauchage d’ouvriers) et qui augmente en cours de production, s’appelle capital variable.

    On désigne le capital constant par la lettre c, et le capital variable par la lettre v. La division du capital en partie constante et partie variable a été établie pour la première fois par Marx. Cette division a mis en lumière le rôle particulier du capital variable destiné à l’achat de la force de travail. L’exploitation des ouvriers salariés par les capitalistes constitue la source véritable de la plus-value.

    La découverte du double caractère du travail incarné dans la marchandise, a été la clef qui a permis à Marx d’établir la distinction entre le capital constant et le capital variable, et de dégager l’essence de l’exploitation capitaliste. Marx a montré que l’ouvrier par son travail crée simultanément une nouvelle valeur et transfère la valeur des moyens de production à la marchandise fabriquée. Comme travail concret et déterminé, le travail de l’ouvrier transmet au produit la valeur des moyens de production dépensés, et comme travail abstrait, en tant que dépense de la force de travail en général, le travail de ce même ouvrier crée une nouvelle valeur. Ces deux aspects du processus du travail se distinguent de façon très marquée. Par exemple, en doublant la productivité du travail dans sa branche, le fileur transmet au produit, pendant une journée de travail, une valeur de moyens de production deux fois plus grande (puisqu’il traite deux fois plus de coton) ; pour ce qui est de la nouvelle valeur, il en créera autant qu’auparavant.

    7.6. Le taux de la plus-value.

    Le degré d’exploitation de l’ouvrier par le capitaliste trouve son expression dans le taux de la plus-value.

    Le taux de la plus-value est le rapport exprimé en pourcentage de la plus-value au capital variable. Le taux de la plus-value montre dans quelle proportion le travail dépensé par les ouvriers se divise en travail nécessaire et en surtravail ; autrement dit, quelle est la partie de la journée de travail que le prolétaire dépense pour compenser la valeur de sa force de travail et quelle partie de la journée il travaille gratuitement pour le capitaliste. On désigne la plus-value par la lettre p et le taux de la plus-value par p′=pv. Dans le cas cité plus haut (p. 121) le taux de la plus-value, exprimé en pourcentage, est :

    p′=pv=6 dollars6 dollars×100=100 %.

    Le taux de la plus-value est ici égal à 100 %. Cela veut dire que dans le cas présent le travail de l’ouvrier est divisé pour moitié en travail nécessaire et en surtravail. Avec le développement du capitalisme s’élève le taux de la plus-value, ce qui marque l’élévation du degré d’exploitation du prolétariat par la bourgeoisie. La masse de plus-value s’accroît encore plus rapidement, du fait qu’augmente le nombre des ouvriers salariés exploités par le capital.

    Dans son article « Salaire des ouvriers et profit des capitalistes en Russie », rédigé en 1912, Lénine présente le calcul suivant qui montre le degré d’exploitation du prolétariat dans la Russie d’avant la Révolution. Une enquête officielle effectuée en 1908 sur les fabriques et les usines, et dont les chiffres sans aucun doute surestiment les salaires des ouvriers et sous-estiment les profits des capitalistes, établissait que les salaires des ouvriers se montaient à 555,7 millions de roubles, tandis que les profits des capitalistes étaient de 568,7 millions de roubles. Le nombre total des ouvriers des entreprises inspectées de la grande industrie était de 2 254 000. Ainsi, la moyenne du salaire d’un ouvrier était de 246 roubles par an, et chaque ouvrier apportait en moyenne au capitaliste 252 roubles de bénéfice annuel.

    Ainsi donc, dans la Russie des tsars, l’ouvrier travaillait un peu moins de la moitié de la journée pour lui-même, et un peu plus de la moitié de cette journée pour le capitaliste.

    7.7. Deux moyens d’augmentation du degré d’exploitation du travail par le capital. La plus-value absolue et la plus-value relative.

    Tout capitaliste, afin d’accroître la plus-value, cherche par tous les moyens à augmenter la part du surtravail qu’il extorque à l’ouvrier. L’augmentation de la plus-value se réalise par deux moyens principaux.

    Prenons à titre d’exemple une journée de travail de 12 heures, dont 6 heures forment le travail nécessaire et 6 heures le surtravail. Représentons cette journée de travail sous la forme d’une ligne dont chaque division est égale à une heure.

    Journée de travail = 12 heures
    |—|—|—|—|—|—|—|—|—|—|—|—|
    Temps de travail nécessaire
    = 6 heures
    |—|—|—|—|—|—|
    Temps de surtravail
    = 6 heures
    |—|—|—|—|—|—|

    Le premier moyen d’augmenter le degré d’exploitation de l’ouvrier consiste pour le capitaliste à augmenter la plus-value qu’il reçoit, en allongeant la journée de travail, par exemple, de 2 heures. Alors la journée de travail se présentera comme suit :

    Journée de travail = 14 heures
    |—|—|—|—|—|—|—|—|—|—|—|—|—|—|
    Temps de travail nécessaire
    = 6 heures
    |—|—|—|—|—|—|
    Temps de surtravail
    = 8 heures
    |—|—|—|—|—|—|—|—|

    La durée du surtravail a augmenté par suite de rallongement absolu de la journée de travail dans son ensemble, tandis que le temps de travail nécessaire est resté invariable. La plus-value produite par la prolongation de la journée de travail s’appelle plus-value absolue.

    Le second moyen d’augmenter le degré d’exploitation de l’ouvrier consiste, sans modifier la durée générale de la journée de travail, à augmenter la plus-value que reçoit le capitaliste en réduisant le temps de travail nécessaire. L’augmentation de la productivité du travail dans les branches fabriquant les objets de consommation pour les ouvriers, et aussi dans celles qui fournissent les instruments et les matériaux pour la production des objets de consommation, aboutit à réduire le temps de travail nécessaire à leur production. Il en résulte que la valeur des moyens de subsistance des ouvriers diminue et la valeur de la force de travail décroît en conséquence. Si auparavant on dépensait 6 heures pour la production des moyens de subsistance de l’ouvrier, maintenant on ne dépense, par exemple, que 4 heures. La journée de travail se présente alors comme suit :

    Journée de travail = 12 heures
    |—|—|—|—|—|—|—|—|—|—|—|—|
    Temps de travail nécessaire
    = 4 heures
    |—|—|—|—|
    Temps de surtravail
    = 8 heures
    |—|—|—|—|—|—|—|—|

    La longueur de la journée de travail reste invariable, mais la durée de surtravail augmente du fait que le rapport s’est modifié entre le temps de travail nécessaire et le temps de surtravail. La plus-value résultant, par suite de l’augmentation de la productivité du travail, de la diminution du temps du travail nécessaire et de l’augmentation correspondante du temps de surtravail s’appelle plus-value relative.

    Ces deux moyens d’augmenter la plus-value renforcent l’exploitation du travail salarié par le capital. En même temps ils jouent un rôle différent aux différentes phases du développement historique du capitalisme. Dans les premières phases du développement du capitalisme, alors que la technique était rudimentaire et avançait relativement lentement, l’augmentation de la plus-value absolue avait une importance primordiale. Le capital à la poursuite de la plus-value réalisa une révolution radicale dans les méthodes de production, la révolution industrielle, qui donna le jour à la grande industrie mécanique. La coopération capitaliste simple, la manufacture et l’industrie mécanique, dont il a été question plus haut (ch. 5 et 6), représentent des degrés successifs de l’élévation de la productivité du travail par le capital. Dans la période du machinisme, alors que la technique hautement développée permet d’accroître rapidement la productivité du travail, les capitalistes s’attachent à élever considérablement le degré d’exploitation des ouvriers, avant tout par l’augmentation de la plus-value relative. En même temps, ils cherchent comme par le passé à prolonger au maximum la journée de travail et surtout à intensifier encore le travail. L’intensification du travail des ouvriers a pour le capitaliste la même importance que l’allongement de la journée du travail : l’allongement de la journée de travail de 10 à 11 heures ou l’augmentation d’un dixième de l’intensité du travail lui fournit le même résultat.

    7.8. La plus-value extra.

    La course à la plus-value extra joue un grand rôle dans le développement du capitalisme. Elle s’obtient dans les cas où certains capitalistes introduisent chez eux des machines et des méthodes de production plus perfectionnées que celles qui sont employées dans la plupart des entreprises de la même branche d’industrie. C’est ainsi que tel capitaliste obtient dans son entreprise une plus haute productivité du travail par rapport au niveau moyen existant dans une branche d’industrie donnée. Dès lors, la valeur individuelle de la marchandise produite dans l’entreprise de ce capitaliste se trouve être inférieure à la valeur sociale de cette même marchandise. Mais comme le prix de la marchandise est déterminé par sa valeur sociale, ce capitaliste reçoit un taux de plus-value supérieur au taux ordinaire.

    Prenons l’exemple suivant. Admettons que, dans une manufacture de tabac, un ouvrier produise 1 000 cigarettes à l’heure et travaille 12 heures, dont 6 lui servent à créer une valeur égale à celle de sa force de travail. Si l’on introduit dans la manufacture une machine doublant la productivité du travail, l’ouvrier, tout en continuant à travailler 12 heures, ne produit plus 12 000, mais 24 000 cigarettes. Le salaire de l’ouvrier est compensé par une partie de la valeur nouvellement créée, incarnée (déduction faite de la valeur de la part transférée du capital constant) dans 6 000 cigarettes, c’est-à-dire dans le produit de 3 heures. Au fabricant revient l’autre partie de la valeur nouvellement créée, incarnée (déduction faite de la valeur de la part transférée du capital constant) dans 18 000 cigarettes, c’est-à-dire dans le produit de 9 heures.

    Ainsi, le temps de travail nécessaire est réduit et le temps de surtravail de l’ouvrier est allongé en conséquence. L’ouvrier compense la valeur de sa force de travail, non plus en 6 heures, mais en 3 heures ; son surtravail passe de 6 heures à 9 heures. Le taux de la plus-value a triplé.

    La plus-value extra est l’excédent de plus-value que reçoivent, en sus du taux ordinaire, les capitalistes en abaissant la valeur individuelle des marchandises produites dans leurs entreprises.

    L’obtention de la plus-value extra ne constitue, dans chaque entreprise, qu’un phénomène passager. Tôt ou tard, la plupart des entrepreneurs de la même branche d’industrie introduisent chez eux des machines nouvelles ; quiconque ne possède pas un capital suffisant pour cela finit par se ruiner dans cette concurrence. Résultat : le temps socialement nécessaire à la production d’une marchandise donnée diminue, la valeur de la marchandise baisse, et le capitaliste qui a appliqué avant les autres les perfectionnements techniques, cesse de recevoir une plus-value extra. Cependant, en disparaissant dans une entreprise, la plus-value extra apparaît dans une autre où sont introduites des machines nouvelles encore plus perfectionnées.

    Chaque capitaliste ne vise qu’à s’enrichir personnellement. Cependant l’action dispersée des différents entrepreneurs a pour résultat le progrès technique, le développement des forces productives de la société capitaliste. En même temps, la course à la plus-value incite chaque capitaliste à protéger ses réalisations techniques contre ses concurrents, elle engendre le secret sur le plan commercial et technique. Il apparaît ainsi que le capitalisme pose des limites au développement des forces productives. Les forces productives, en régime capitaliste, se développent sous une forme contradictoire. Les capitalistes ne font usage de nouvelles machines que si leur emploi donne lieu à un accroissement de la plus-value. L’introduction de nouvelles machines sert de base à l’élévation systématique du degré d’exploitation du prolétariat, à l’allongement de la journée de travail et à l’intensification du travail ; le progrès technique se réalise au prix d’infinis sacrifices et privations de nombreuses générations de la classe ouvrière. Ainsi le capitalisme traite avec une rapacité extrême la principale force productive de la société, la classe ouvrière, les masses laborieuses.

    7.9. La journée de travail et ses limites. La lutte pour sa réduction.

    Dans leur course au relèvement du taux de la plus-value, les capitalistes s’efforcent d’allonger la journée de travail au maximum. La journée de travail, c’est le temps pendant lequel l’ouvrier se trouve à l’entreprise, à la disposition du capitaliste. Si la chose était possible, l’entrepreneur contraindrait ses ouvriers à travailler 24 heures par jour. Mais, pendant une certaine partie de la journée, l’homme doit rétablir ses forces, se reposer, dormir, manger. Par là, des limites purement physiques sont assignées à la journée de travail. Celle-ci a de plus des limites morales, puisqu’il faut à l’ouvrier du temps pour satisfaire ses besoins culturels et sociaux.

    Le capital, dans sa soif ardente de surtravail, refuse de tenir compte non seulement des limites morales, mais encore des limites purement physiques de la journée de travail. Selon Marx, le capital ne ménage ni la vie ni la santé du travailleur. L’exploitation effrénée de la force de travail réduit la durée de la vie du prolétaire, provoque une extraordinaire élévation de la mortalité parmi la population ouvrière.

    À l’époque où le capitalisme naissait, le pouvoir d’État a promulgué, en faveur de la bourgeoisie, des lois spéciales pour contraindre les ouvriers salariés à travailler le plus d’heures possible. Alors la technique demeurait à un niveau inférieur, des masses de paysans et d’artisans pouvaient travailler pour leur propre compte, et de ce fait le capital ne disposait pas d’un excédent de main-d’œuvre. La situation s’est modifiée avec l’introduction des machines et les progrès de la prolétarisation de la population. Le capital disposait alors d’une quantité suffisante d’ouvriers qui, sous peine de mourir de faim, durent se laisser asservir aux capitalistes. La nécessité d’avoir des lois officielles, tendant à allonger la journée de travail, avait disparu. Le capital eut la possibilité, par des contraintes économiques, de prolonger la durée du travail à l’extrême. Dès lors la classe ouvrière engagea une lutte opiniâtre pour la réduction de la journée de travail. Cette lutte s’est déroulée tout d’abord en Angleterre.

    À la suite d’une lutte prolongée, les ouvriers anglais obtinrent la promulgation en 1833 d’une loi sur les fabriques qui limitait le travail des enfants au-dessous de 13 ans à 8 heures et celui des adolescents de 13 à 18 ans, à 12 heures. En 1844 fut promulguée la première loi limitant le travail des femmes à 12 heures et celui des enfants à 6 heures et demie. La plupart du temps la main-d’œuvre enfantine et féminine était utilisée parallèlement au travail des hommes. Aussi, dans les entreprises que visait la loi, la journée de 12 heures fut-elle étendue à tous les ouvriers. La loi de 1847 limitait le travail des adolescents et des femmes à 10 heures. La loi de 1901 limitait la journée de travail des ouvriers adultes à 12 heures pendant les cinq premiers jours de la semaine et à 5 heures et demie le samedi.

    Au fur et à mesure que la résistance des ouvriers augmentait, les lois limitant la journée de travail apparurent aussi dans les autres pays capitalistes. Après la promulgation de chacune de ces lois, les ouvriers durent lutter inlassablement pour en assurer l’application.

    La lutte pour la limitation législative du temps de travail fut particulièrement intense, après que la classe ouvrière eut adopté comme mot d’ordre de combat la revendication de la journée de huit heures. Cette revendication fut proclamée en 1866 par le Congrès ouvrier en Amérique et le Congrès de la 1re Internationale sur la proposition de Marx. La lutte pour la journée de 8 heures devint partie intégrante non seulement de la lutte économique, mais aussi de la lutte politique du prolétariat.

    Dans la Russie tsariste, les premières lois ouvrières parurent à la fin du 19e siècle. Après les fameuses grèves du prolétariat de Saint-Pétersbourg, la loi de 1897 limita la journée de travail à 11 heures et demie. Cette loi fut, d’après Lénine, une concession imposée, conquise par les ouvriers russes sur le gouvernement du tsar.

    À la veille de la première guerre mondiale, dans la plupart des pays développés au point de vue capitaliste, prédominait la journée de travail de 10 heures. En 1919, sous l’influence de la peur devant le mouvement révolutionnaire ascendant, les représentants d’une série de pays capitalistes passèrent à Washington un accord sur l’introduction de la journée de 8 heures à l’échelle internationale, mais ensuite tous les grands États capitalistes se refusèrent à ratifier cet accord. Pourtant sous la pression de la classe ouvrière, dans de nombreux pays capitalistes fut introduite la journée de travail de 8 heures. Mais les entrepreneurs compensaient la diminution de la journée de travail par un accroissement brutal de l’intensité du travail. Dans une série de pays capitalistes, à une intensité du travail exténuante s’ajoute une longue journée de travail, notamment dans l’industrie de l’armement. Une journée de travail excessivement longue est le lot du prolétariat des pays coloniaux et dépendants.

    7.10. La structure de classe de la société capitaliste. L’État bourgeois.

    Ce qui caractérisait les modes de production esclavagiste et féodal, c’était la division de la société en différentes classes et castes, division qui lui donnait une structure hiérarchique complexe. L’époque bourgeoise a simplifié les antagonismes de classes et substitué aux diverses formes de privilèges héréditaires et de dépendance personnelle le pouvoir impersonnel de l’argent, le despotisme illimité du capital. Avec le mode de production capitaliste, la société se scinde de plus en plus en deux grands camps ennemis, en deux classes opposées : la bourgeoisie et le prolétariat.

    La bourgeoisie est la classe qui possède les moyens de production et les utilise pour exploiter le travail salarié. Elle est la classe dominante de la société capitaliste.

    Le prolétariat est la classe des ouvriers salariés, dépourvus de moyens de production et obligés, par suite, de vendre leur force de travail aux capitalistes. Sur la base de la production mécanique le capital a entièrement mis sous sa coupe le travail salarié. Pour la classe des ouvriers salariés, la condition prolétarienne est devenue son lot pour la vie. La situation économique du prolétariat en fait la classe la plus révolutionnaire.

    Bourgeoisie et prolétariat sont les classes fondamentales de la société capitaliste. Tant qu’existe le mode de production capitaliste, ces deux classes sont indissolublement liées entre elles : la bourgeoisie ne peut exister et s’enrichir sans exploiter les ouvriers salariés ; les prolétaires ne peuvent vivre sans se louer aux capitalistes. En même temps, la bourgeoisie et le prolétariat sont des classes antagonistes, dont les intérêts s’opposent et sont irréductiblement hostiles. Le capitalisme, en se développant, approfondit l’abîme entre la minorité exploiteuse et les masses exploitées.

    À côté de la bourgeoisie et du prolétariat en régime capitaliste existent la classe des propriétaires fonciers et celle des paysans. Ces classes sont des survivances du régime féodal antérieur, mais elles ont pris un caractère sensiblement différent, en rapport avec les conditions du capitalisme.

    Les propriétaires fonciers en régime capitaliste sont la classe des grands propriétaires terriens, qui, d’ordinaire, afferment leurs terres à des fermiers capitalistes ou à de petits paysans producteurs, ou bien qui pratiquent sur la propriété qui leur appartient la grande production capitaliste à l’aide de travail salarié.

    La paysannerie est la classe des petits producteurs possédant leur propre exploitation, fondée sur la propriété privée des moyens de production, sur une technique arriérée et le travail manuel. La paysannerie constitue dans les pays bourgeois une partie importante de la population. La masse essentielle de la paysannerie, exploitée sans merci par les propriétaires fonciers, les paysans riches, les marchands et les usuriers, court à sa ruine. Dans le processus de sa différenciation, la paysannerie dégage constamment de son sein, d’une part, des masses de prolétaires, et de l’autre, des paysans enrichis, des capitalistes.

    L’État bourgeois qui, à la suite de la révolution bourgeoise, est venu remplacer l’État féodal, est par son caractère de classe, entre les mains des capitalistes, un instrument d’asservissement et d’oppression de la classe ouvrière et de la paysannerie. L’État bourgeois protège la propriété privée capitaliste des moyens de production, garantit l’exploitation des travailleurs et réprime leur lutte contre le régime capitaliste. Gomme les intérêts de la classe capitaliste s’opposent foncièrement à ceux de l’immense majorité de la population, la bourgeoisie est obligée de cacher par tous les moyens le caractère de classe de son État. Elle s’efforce de le présenter comme un État de « démocratie pure », soi-disant au-dessus des classes et appartenant au peuple tout entier. Mais en fait la « liberté » bourgeoise est la liberté pour le capital d’exploiter le travail d’autrui, l’ « égalité » bourgeoise est une apparence qui masque l’inégalité de fait entre l’exploiteur et l’exploité, entre l’homme rassasié et l’affamé, entre les propriétaire moyens de production et la masse des prolétaires qui ne possèdent que leur force de travail.

    L’État bourgeois réprime les masses populaires à l’aide de son appareil administratif, de sa police, de son armée, de ses tribunaux, de ses prisons, de ses camps de concentration, et d’autres moyens de coercition. L’action idéologique à l’aide de laquelle la bourgeoisie maintient sa domination est le complément indispensable de ces moyens de coercition. Cela comprend la presse bourgeoise, la radio, le cinéma, la science et l’art bourgeois, les Églises.

    L’État bourgeois est le comité exécutif de la classe des capitalistes. Les constitutions bourgeoises ont pour but de renforcer le régime social, agréable et avantageux pour les classes possédantes. L’État bourgeois déclare sacré et inviolable le fondement du régime capitaliste, la propriété privée des moyens de production.

    Les formes de l’État bourgeois sont très variées, mais leur essence est la même : dans tous ces États, la dictature est exercée par la bourgeoisie qui essaie par tous les moyens de conserver et de fortifier le régime d’exploitation du travail salarié par le capital.

    À mesure que se développe la grande production capitaliste, augmentent les effectifs du prolétariat qui prend conscience de plus en plus de ses intérêts de classe, progresse politiquement et s’organise pour la lutte contre la bourgeoisie

    Le prolétariat est la classe de travailleurs  liée à la forme d’avant-garde de l’économie, la grande production.

    Étant donné le rôle économique qu’il joue dans la grande production, le prolétariat est seul capable d’être le guide de toutes les masses laborieuses et exploitées […]

    ( V. Lénine, « L’État et la révolution », Œuvres, t. 25, p. 437. )

    Le prolétariat industriel qui est la classe la plus révolutionnaire, la plus avancée de la société capitaliste, est appelé à réunir autour de lui les masses travailleuses de la paysannerie, toutes les couches exploitées de la population et de les mener à l’assaut du capitalisme.


    Résumé du chapitre 7

    1. En régime capitaliste, la base des rapports de production est la propriété capitaliste des moyens de production, utilisée pour l’exploitation des ouvriers salariés. Le capitalisme est la production marchande au plus haut degré de son développement, quand la force de travail elle-même devient marchandise. En tant que marchandise, la force de travail en régime capitaliste a une valeur et une valeur d’usage. La valeur de la marchandise force de travail est déterminée par la valeur des moyens de subsistance nécessaires à l’entretien de l’ouvrier et de sa famille. La valeur d’usage de la marchandise force de travail réside dans sa propriété d’être source de valeur et de plus-value.

    2. La plus-value est la valeur créée par le travail de l’ouvrier en plus de la valeur de sa force de travail, et que le capitaliste accapare gratuitement La production de la plus-value est la loi économique fondamentale du capitalisme.

    3. Le capital est de la valeur qui rapporte — au moyen de l’exploitation des ouvriers salariés — de la plus-value. Le capital incarne en lui le rapport social entre la classe des capitalistes et la classe ouvrière. Dans le cours de la production de la plus-value, les différentes parties du capital ne jouent pas un rôle identique. Le capital constant est la partie du capital qui est dépensée en moyens de production ; cette partie du capital ne crée pas de nouvelle valeur, ne change pas de grandeur. Le capital variable est la partie du capital qui est dépensée pour l’achat de la force de travail ; cette partie du capital augmente du fait de la création par les ouvriers d’une plus-value, que s’approprie le capitaliste.

    4. Le taux de la plus-value est le rapport de la plus-value au capital variable. Il exprime le degré d’exploitation de l’ouvrier par le capitaliste. Les capitalistes augmentent le taux de plus-value par deux moyens : la production de la plus-value absolue et la production de la plus-value relative. La plus-value absolue est celle qui est créée par l’allongement de la journée de travail ou par l’intensification du travail. La plus-value relative est celle qui est créée par la réduction du temps de travail nécessaire et par l’augmentation correspondante du temps de surtravail.

    5. Les intérêts de classe de la bourgeoisie et ceux du prolétariat sont inconciliables. La contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat constitue la principale contradiction de classe de la société capitaliste. L’État bourgeois, dictature de la bourgeoisie, est l’organe de protection du régime capitaliste et d’oppression de la majorité laborieuse et exploitée de la société.


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