• Le destin incertain de la place bancaire suisse

    Rien ne va plus ? Le destin incertain de la place bancaire suisse

    La bataille qui se joue entre les principales places financières du globe, une bataille intracapitaliste, ne ralentit pas. Au contraire, elle se fait plus farouche encore.

    Vrai bouclier pour protéger l’évasion fiscale, le secret bancaire a permis à la place financière suisse d’occuper la première place mondiale d’un marché très prisé, celui de la gestion des patrimoines privés offshore (les avoirs d’un client dans un autre pays que celui où il est domicilié). Officiellement, les patrimoines des riches étrangers dans les banques suisses se montaient à 2700 milliards de francs en 2011, 27% d’un marché d’environ 10 000 milliards de francs. Mais, selon une étude publiée au mois de juillet [1], ce marché est évalué entre 21 000 et 32 000 milliards de dollars, soit plus que le PIB cumulé des Etats-Unis et du Japon. De quoi expliquer l’offensive contre la place bancaire suisse et son avantage concurrentiel historique: le secret bancaire.

     Le 13 mars 2009, une date historique

    C’est à cette date que le Conseil fédéral a décidé de se soumettre aux standards OCDE en matière d’échanges d’informations fiscales, en acceptant donc l’entraide administrative pour les cas d’évasion fiscale. Dans les faits, cette date coïncide avec la fin du modèle d’affaires basé sur la captation systématique du produit de l’évasion fiscale mondiale grâce au secret bancaire. L’avenir de la place bancaire suisse se fera sans ce dernier. De nombreuses banques se préparent même à un futur où l’échange automatique de renseignements fiscaux sera la norme. Dans ce sens, au mois de juillet, l’OCDE a modifié l’article 26 du Modèle de convention fiscale sur le revenu et la fortune, en introduisant aussi l’échange de renseignements sur des groupes de contribuables. Le modèle Rubik[2]ne constitue pas un barrage permanent contre l’échange automatique d’informations. Rubik est un compromis entre les grandes bourgeoisies européennes et la bourgeoisie suisse. Pour les premières, cet accord répond aux exigences urgentes de liquidités et affaiblit une place concurrente, dans un contexte bancaire européen très difficile. Dans une situation où règne l’incertitude, les gros capitalistes européens ne sont pas encore prêts à se passer complètement des services du seul îlot qui pour le moment offre encore une certaine sûreté. Pour la place bancaire suisse, Rubik est un instrument qui, durant une période déterminée, devrait permettre aux clients étrangers ayant des capitaux en Suisse de les régulariser tout en préservant leur anonymat. C’est une solution pour gagner du temps, afin d’accomplir un repositionnement stratégique des principales institutions bancaires helvétiques au sein de la finance mondiale.

    La fin de la place financière helvétique?

    Environ 135 milliards de francs pourraient être déplacés par les clients européens, soit 15% de leurs avoirs auprès des banques suisses. Au moins 20 000 postes de travail pourraient être supprimés. La valeur ajoutée réalisée par le secteur bancaire pourrait chuter de 12% à 6% du PIB de la Suisse. Sans tomber dans des jugements apocalyptiques, la fin du secret bancaire constitue un sacré coup pour la place financière helvétique. Mais pas de manière indifférenciée. Les principales banques suisses ont les moyens pour réagir au changement de paradigme. Elles vont renforcer leur présence à l’étranger pour suivre leurs clients quittant la Suisse. Elles ont l’argent pour offrir des services spécifiques aux superriches du monde entier. Elles vont diversifier leurs affaires, en renforçant d’autres domaines que le private banking, etc.

    Il en va différemment pour les multiples acteurs financiers nés grâce au secret bancaire: les petits établissements bancaires privés, les sociétés fiduciaires, les gérants de fortune indépendants (GFI). Ces derniers géraient, en 2010, environ 375 milliards de francs, soit 13% des avoirs sous gestion en Suisse. Sur les 2600 GFI, 80% comptent moins de cinq employés, nombreuses sont même les entreprises ne comptant qu’une personne [3]. Cet archipel financier a prospéré sur le produit de l’évasion fiscale internationale, sur le «petite clientèle» (1 million d’euros environ) venant physiquement en Suisse déposer leurs patrimoines. Or, ces entreprises ne peuvent pas suivre leurs clients à l’étranger. L’application de l’accord Rubik risque de leur coûter trop cher, en réduisant à zéro leur rentabilité. Enfin, leurs clients risquent fort d’accepter les amnisties et de rapatrier leurs avoirs. Bref, ce secteur de la place financière helvétique a de fortes probabilités de sortir fortement dilué par la fin du secret bancaire. A Genève comme à Lugano, le futur se fait très incertain…

    [1]. James S. Henry, The Price of Offshore Revisited, Tax Justice Network, juillet 2012.

    [2]. Pour les clients étrangers qui choisissent de garder l’anonymat, les banques suisses vont prélever sur les revenus et les gains en capital un impôt à la source qui sera transmis à l’Administration fédérale des contributions, laquelle reverse le produit de l’impôt aux autorités fiscales allemandes, britanniques et autrichiennes.

    [3]. SwissBanking, Le secteur bancaire en pleine mutation. Perspectives d’avenir pour les banques en Suisse, septembre 2011.

    http://www.gauche-anticapitaliste.ch/


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