• Le capitalisme monopoliste ou impérialisme

    Chapitre 19 — Le système colonial de l’impérialisme

    19.1. Le rôle des colonies dans la période de l’impérialisme.

    Les annexions coloniales, la tendance à former de vastes empires par la conquête de pays et de peuples plus faibles, existaient aussi avant l’époque de l’impérialisme et même avant la naissance du capitalisme. Mais, comme le montrait Lénine, dans la période de l’impérialisme le rôle et la portée des colonies changent de façon fondamentale, non seulement par rapport aux époques précapitalistes, mais aussi par rapport à la période du capitalisme prémonopoliste. Aux « vieilles » méthodes de la politique coloniale s’ajoute la lutte des monopolistes pour les sources de matières premières, pour l’exportation des capitaux, pour les zones d’influence, pour les territoires économiques et stratégiques.

    Comme on l’a déjà montré, l’asservissement et le pillage systématique par les États impérialistes des peuples des autres pays, notamment des pays retardataires, la transformation d’une série de pays indépendants en pays dépendants, constituent un des traits principaux de la loi économique fondamentale du capitalisme actuel. Le capitalisme, en s’étendant au monde entier, a provoqué la tendance au rapprochement économique des divers pays, à la suppression de l’isolement national et à l’union progressive de vastes territoires en un tout cohérent. Le moyen par lequel le capitalisme monopoliste réalise l’union économique progressive de vastes territoires, est l’asservissement des colonies et des pays dépendants par les puissances impérialistes. Cette union se fait en créant des empires coloniaux, fondés sur l’oppression et l’exploitation implacables des pays coloniaux et dépendants par les métropoles.

    Dans la période de l’impérialisme s’achève la constitution du système capitaliste d’économie mondiale, système qui repose sur des rapports de dépendance, de domination et de soumission. Les pays impérialistes, grâce à l’exportation accrue des capitaux, à l’extension des « zones d’influence » et aux annexions coloniales, ont soumis à leur domination les peuples des colonies et des pays dépendants.

    Le capitalisme s’est transformé en un système universel d’oppression coloniale et d’asphyxie financière de l’immense majorité de la population du globe par une poignée de pays « avancés ».

    V. Lénine, « L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme » [1916], préface [1920] aux éditions française et allemande, Œuvres,t. 22, p. 207.

    Ainsi, les différentes économies nationales sont devenues les anneaux d’une chaîne unique, appelée économie mondiale. D’autre part, la population du globe s’est scindée en deux camps — le petit groupe de pays impérialistes qui exploitent et oppriment les pays coloniaux et dépendants, et une énorme majorité de pays coloniaux et dépendants, dont les peuples sont en lutte pour se libérer du joug de l’impérialisme.

    Durant la phase monopoliste du capitalisme, s’est formé le système colonial de l’impérialisme. Ce système embrasse la totalité des colonies et des pays dépendants opprimés et asservis par les États impérialistes.

    Le pillage et la conquête des colonies, l’arbitraire et la violence impérialistes, l’esclavage colonial, l’oppression nationale et la servitude, enfin la lutte des puissances impérialistes entre elles pour la domination des peuples des pays coloniaux : telles sont les formes sous lesquelles s’est poursuivi le processus de création du système colonial de l’impérialisme.

    Les États impérialistes, en s’emparant des colonies et en les pillant, s’efforcent de surmonter leurs contradictions internes grandissantes. Les profits élevés extorqués aux colonies permettent à la bourgeoisie de corrompre certaines couches d’ouvriers qualifiés à l’aide desquels la bourgeoisie cherche à désorganiser le mouvement ouvrier. En même temps, l’exploitation des colonies conduit à l’accentuation des contradictions du système capitaliste dans son ensemble.

    19.2. Les colonies, réserves de produits agricoles et de matières premières pour les métropoles.

    À l’époque de l’impérialisme, les colonies constituent avant tout le champ d’application le plus sûr et le plus avantageux pour le capital. L’oligarchie financière des pays impérialistes, disposant dans les colonies du monopole sans partage de l’investissement des capitaux, touche des profits particulièrement élevés.

    En pénétrant dans les pays retardataires, le capital financier désagrège les formes d’économie précapitalistes — petit artisanat, économie semi-naturelle des petits paysans — et provoque le développement des rapports capitalistes. Afin d’exploiter ces pays, les impérialistes y construisent des voies ferrées, des entreprises industrielles pour la production des matières premières. Mais en même temps l’exploitation impérialiste dans les colonies retarde le progrès des forces productives et prive ces pays des conditions nécessaires à leur développement économique indépendant. Les impérialistes sont intéressés au retard économique des colonies, qui leur permet de maintenir leur pouvoir sur les pays dépendants et d’intensifier leur exploitation. Même là où l’industrie est relativement plus développée, par exemple dans certains pays de l’Amérique latine, seules se développent l’industrie minière ainsi que certaines branches de l’industrie légère : coton, cuirs et peaux, alimentation. L’industrie lourde, base de l’indépendance économique d’un pays, est extrêmement faible ; les constructions mécaniques font à peu près défaut. Les monopoles dominants prennent des mesures spéciales pour empêcher de créer la production d’instruments de production : ils refusent aux colonies et aux pays dépendants les crédits à cette fin, ne vendent ni l’outillage ni les brevets nécessaires. La dépendance coloniale des pays retardataires fait obstacle à leur industrialisation.

    En 1920, la part de la Chine dans l’extraction mondiale du charbon était de 1,7 %, dans la production de fonte de 0,8 % ; dans celle du cuivre de 0,03 %. Dans l’Inde, la production d’acier par habitant, à la veille de la deuxième guerre mondiale (1938), était de 2,7 kilogrammes par an contre 222 kilogrammes en Grande-Bretagne. L’Afrique tout entière ne disposait en 1946 que de 1,5 % du combustible et de l’énergie électrique produits dans le monde capitaliste. Même l’industrie textile des pays coloniaux et dépendants est une industrie sous-développée et retardataire. Dans l’Inde, on comptait en 1947 près de 10 millions de broches contre 34,5 millions en Angleterre, dont la population est huit fois moindre que celle de l’Inde : en 1945, il y avait en Amérique latine 4,4 millions de broches contre 23,1 millions aux États-Unis.

    En l’absence de conditions favorables à un développement industriel indépendant, les colonies et les semi-colonies demeurent des pays agricoles. L’immense majorité de la population de ces pays tire ses moyens de subsistance de l’agriculture, qui se trouve entravée par des rapports semi-féodaux. Le marasme et la décadence de l’agriculture retardent le développement du marché intérieur.

    Les monopoles ne tolèrent dans les colonies que les branches de production qui assurent aux métropoles des fournitures en matières premières et en denrées alimentaires : l’extraction des minéraux utiles, la culture des plantes agricoles marchandes et leur premier traitement. De ce fait, l’économie des colonies et semi-colonies prend un caractère unilatéral très prononcé. L’impérialisme transforme les pays asservis en réserves de produits agricoles et de matières premières pour les métropoles.

    L’économie de nombreux pays coloniaux et dépendants est spécialisée dans la production d’un ou deux produits consacrés entièrement à l’exportation. Ainsi, après la deuxième guerre mondiale, le pétrole représentait 97 % des exportations du Venezuela ; le minerai d’étain, 70 % des exportations de la Bolivie ; le café, près de 58 % des exportations du Brésil ; le sucre, plus de 80 % des exportations de Cuba ; le caoutchouc et l’étain, plus de 70 % des exportations de la Malaisie ; le coton près de 80 % des exportations de l’Égypte ; le café et le coton, 60 % des exportations du Kenya et de l’Ouganda ; le cuivre, environ 85 % des exportations de la Rhodésie du Nord ; le cacao, près de 50 % des exportations de la Côte de l’Or (Afrique). Le développement unilatéral de l’agriculture (ce qu’on appelle la monoculture) réduit des pays entiers à la merci des monopoles, accapareurs de matières premières.

    Avec la transformation des colonies en réserves de produits agricoles et de matières premières pour les métropoles, le rôle des colonies s’accroît considérablement en tant que sources de matières premières à bon marché pour les États impérialistes. Plus le capitalisme est développé, et plus la concurrence et la chasse aux sources de matières premières est âpre dans le monde entier, plus la lutte est acharnée pour la conquête des colonies. Dans le cadre du capitalisme monopoliste, alors que l’industrie consomme des masses énormes de charbon, de pétrole, de coton, de minerai de fer, de métaux non ferreux, de caoutchouc, etc., aucun monopole ne peut s’estimer pourvu s’il ne possède pas des sources sûres de matières premières. Des colonies et des pays dépendants, les monopoles tirent à vil prix les quantités énormes de matières premières dont ils ont besoin. La possession monopoliste des sources de matières premières donne des avantages décisifs dans la concurrence. La mainmise sur les sources de matières premières à bon marché permet aux monopoles industriels d’imposer des prix de monopole sur le marché mondial, de vendre leurs articles à des prix exorbitants.

    Les puissances impérialistes reçoivent exclusivement ou en majeure partie des colonies et des semi-colonies un grand nombre de variétés importantes de matières premières. Ainsi, après la deuxième guerre mondiale, les pays coloniaux et dépendants fournissent une grande partie du caoutchouc naturel, de l’étain et du jute consommés dans le monde capitaliste, environ la moitié du pétrole, un certain nombre de produits alimentaires importants ; canne à sucre, cacao, café, thé.

    Les sources de diverses matières premières stratégiques de différentes sortes — charbon, pétrole, minerais de fer, métaux non ferreux et rares, caoutchouc, coton, etc., — font l’objet d’une lutte à outrance. Depuis des dizaines d’années, les puissances impérialistes — et surtout les États-Unis et l’Angleterre — luttent pour la possession exclusive des riches sources de pétrole. La répartition des réserves mondiales de pétrole touche non seulement les intérêts et les rapports économiques, mais aussi politiques, des puissances impérialistes.

    À l’époque de l’impérialisme, le rôle des colonies, en tant que débouchés pour les métropoles, grandit. À l’aide d’une politique douanière appropriée, les impérialistes préservent les débouchés coloniaux de la concurrence étrangère. C’est ainsi que les monopoles ont la possibilité d’écouler dans les colonies, à des prix exorbitants, leur production, y compris les marchandises de qualité inférieure qui ne trouvent pas de débouché sur les autres marchés. La disparité des échanges, entre les puissances impérialistes et les pays dépendants, augmente sans cesse. Les monopoles qui font du commerce avec les colonies (accaparement des matières premières et vente des marchandises industrielles), font des bénéfices énormes. Ils sont les vrais maîtres de pays entiers, disposant de la vie et des biens de dizaines de millions d’hommes.

    Les colonies sont une source de main-d’œuvre à très bon marché. L’exploitation monstrueuse des masses ouvrières rapporte des revenus particulièrement élevés pour les capitaux placés dans les colonies et les pays dépendants. En outre, les métropoles importent de ces pays des centaines de milliers d’ouvriers qui exécutent des travaux particulièrement pénibles pour un salaire de famine. Ainsi, les monopoles aux États-Unis, notamment dans le sud du pays, soumettent à une exploitation inhumaine les ouvriers du Mexique et de Porto Rico, les monopoles de France en font autant pour les ouvriers nord-africains, etc.

    Les calculs suivants, effectués sur la base de chiffres officiels, donnent une idée du tribut prélevé par les monopoles dans les colonies et les semi-colonies. Le tribut annuel que l’impérialisme anglais percevait dans l’Inde, à la veille de la deuxième guerre mondiale, atteignait 150 à 180 millions de livres sterling, répartis comme suit : pour l’intérêt des investissements britanniques, 40 à 45 millions ; pour les dépenses publiques de l’Angleterre, mises au compte de l’Inde, 25 à 30 millions ; pour les revenus et traitements des fonctionnaires et spécialistes militaires anglais dans l’Inde, 25 à 30 millions ; pour les revenus à titre de commission des banques anglaises, 15 à 20 millions ; pour les revenus du commerce, 25 à 30 millions ; pour les revenus de la navigation, 20 à 25 millions. Les monopoles américains ont tiré en 1948 des pays dépendants les revenus suivants : des investissements de capitaux, 1,9 milliard de dollars ; des transports, assurances et autres opérations, 1,9 milliard ; de la vente des marchandises à des prix exorbitants, 2,5 milliards ; de l’achat de marchandises à des prix réduits, 1,2 milliard ; soit un total de 7,5 milliards de dollars, à titre de tribut monopoliste. Sur ce tribut, 2,5 milliards de dollars au moins ont été fournis par les pays de l’Amérique latine.

    Alors que le monde est déjà partagé et que se poursuivent les préparatifs d’une lutte armée pour un nouveau partage, les puissances impérialistes mettent la main sur tous les territoires ayant ou pouvant avoir une valeur quelconque comme point d’appui, base militaire navale ou aérienne.

    Les colonies sont des pourvoyeurs de « chair à canon » pour les métropoles. Dans la première guerre mondiale, du côté français ont combattu un million et demi de soldats noirs des colonies africaines. Pendant la guerre, les métropoles font supporter aux colonies une part importante de leurs charges financières. Une grande partie des emprunts de guerre est placée dans les colonies ; l’Angleterre a utilisé largement les réserves de devises de ses colonies pendant la première et la deuxième guerres mondiales.

    L’exploitation effrénée des pays coloniaux et dépendants par l’impérialisme aggrave la contradiction irréductible entre les besoins immédiats de l’économie de ces pays et les intérêts cupides des métropoles.

    19.3. Les méthodes d’exploitation coloniale des masses laborieuses.

    La combinaison du pillage impérialiste et des formes féodales d’exploitation des travailleurs est un trait caractéristique des méthodes d’exploitation coloniale qui assurent des bénéfices monopolistes au capital financier des métropoles.

    Les progrès de la production marchande et l’extension des rapports monétaires, l’expropriation de terres appartenant à la population autochtone, la destruction de la petite production artisanale vont de pair avec le maintien factice de survivances féodales et l’implantation de méthodes de travail forcé. Avec le développement des rapports capitalistes, la rente en nature est remplacée par la rente en argent, les impôts en nature par des impôts en espèces, ce qui a pour effet de hâter la ruine des masses paysannes.

    Les classes dominantes des colonies et des semi-colonies sont les propriétaires féodaux et les capitalistes des villes et des campagnes (les paysans riches). La classe des capitalistes se divise en bourgeoisie de compradores et bourgeoisie nationale. Les compradores sont les intermédiaires indigènes entre les monopoles étrangers et le marché colonial de produits importés et de matières premières exportées. Les propriétaires féodaux et la bourgeoisie des compradores sont les vassaux du capital financier étranger ; ils constituent une agence vénale pure et simple de l’impérialisme international, qui asservit les colonies et les semi-colonies. Avec le développement d’une industrie propre dans les colonies grandit une bourgeoisie nationale qui se trouve placée dans une situation ambiguë : d’une part, l’oppression de l’impérialisme étranger et des survivances féodales lui barre le chemin vers la domination économique et politique ; d’autre part, elle participe avec les monopoles étrangers à l’exploitation de la classe ouvrière et de la paysannerie. Étant donné que la lutte de libération nationale tend à renverser la domination de l’impérialisme, à conquérir l’indépendance nationale du pays et à liquider les survivances féodales qui entravent le développement du capitalisme, la bourgeoisie nationale participe, à une certaine étape, à cette lutte et joue un rôle progressiste.

    La classe ouvrière grandit dans les colonies et les pays dépendants au fur et à mesure du développement de l’industrie et de l’extension des rapports capitalistes. Son avant-garde est constituée par le prolétariat industriel. Font également partie du prolétariat les masses des ouvriers agricoles, des ouvriers des manufactures capitalistes et des petites entreprises, ainsi que les manœuvres des villes, qui exécutent toutes sortes de travaux manuels.

    La paysannerie forme la masse essentielle, au point de vue numérique, de la population des colonies et semi-colonies. Dans la plupart de ces pays, la population des campagnes est composée, dans son immense majorité, de paysans sans terre ou n’en possédant que peu — paysans pauvres et moyens. La nombreuse petite bourgeoisie des villes est formée de petits commerçants et d’artisans.

    La concentration de la propriété foncière entre les mains des propriétaires terriens et des usuriers s’accompagne d’une mainmise des colonisateurs sur de vastes possessions territoriales. Dans une série de colonies, l’impérialisme a créé des plantations, grosses entreprises agricoles produisant diverses variétés de matières premières végétales (coton, caoutchouc, jute, café, etc.)

    Elles appartiennent principalement aux colonisateurs, ne disposent que de faibles moyens techniques et reposent sur le travail semi-servile d’une population privée de tous droits. Dans les colonies et les pays dépendants à population très dense, prédomine la petite économie paysanne, tout enserrée dans les vestiges du féodalisme et les servitudes usuraires. Dans ces pays la concentration de la propriété foncière va de pair avec le régime de la petite exploitation terrienne.

    Les grands propriétaires fonciers mettent en location la terre par petites parcelles, à des conditions asservissantes. La sous-location parasitaire à plusieurs degrés est pratiquée en grand : entre le propriétaire terrien et le paysan travaillant la terre s’interposent plusieurs intermédiaires qui enlèvent au cultivateur une grande partie de sa récolte. Le métayage est prédominant. D’ordinaire le paysan se trouve entièrement sous le pouvoir du propriétaire foncier, dont il reste pour toujours débiteur. Dans certains pays subsistent pratiquement la corvée et les prestations en travail : les paysans sans terre sont tenus, à titre de loyer ou pour acquitter leurs dettes, de travailler plusieurs jours par semaine au profit du propriétaire. L’extrême misère force le paysan à s’endetter, à se laisser asservir et parfois à devenir l’esclave de l’usurier ; il arrive que le paysan vende les membres de sa famille comme esclaves.

    Avant la domination britannique dans l’Inde, l’État recevait sous forme d’impôt une partie des produits cultivés par les paysans. Après leur mainmise sur l’Inde, les autorités britanniques ont fait des anciens collecteurs d’impôts d’État de gros propriétaires fonciers, possédant des domaines de centaines de milliers d’hectares. Près des trois quarts de la population rurale de l’Inde ont été pratiquement dépouilles de leurs terres. Le paysan était tenu de payer à titre de fermage de la moitié aux deux tiers de sa récolte au propriétaire, et du reste il doit retrancher l’intérêt de ses dettes envers l’usurier. Au Pakistan, suivant les données des années d’après-guerre, 70 % de l’ensemble de la surface cultivée appartiennent à 50 000 gros propriétaires.

    Dans les pays du Proche-Orient, à l’heure actuelle, 75 à 80 % de la population se livrent à l’agriculture. Ajoutons qu’en Égypte 770 grands propriétaires possèdent plus de terre que 2 millions d’exploitations pauvres qui forment près de 75 % de toutes les exploitations ; sur 14,5 millions de personnes vivant de l’agriculture, 12 millions sont des petits fermiers et des salariés agricoles ; le fermage engloutit jusqu’aux quatre cinquièmes de la récolte. En Iran, près des deux tiers de la terre appartiennent aux propriétaires fonciers, un sixième à l’État et à l’Église musulmane ; le fermier ne reçoit que un à deux cinquièmes de la récolte. En Turquie, plus des deux tiers des paysans sont pratiquement privés de terre.

    Dans les pays de l’Amérique latine, la terre est concentrée entre les mains des grands propriétaires fonciers et des monopoles étrangers. Ainsi, par exemple, au Brésil, d’après le recensement de 1940, 51 % des exploitations ne possédaient que 3,8 % de la terre. Dans les pays de l’Amérique latine, le paysan appauvri se voit obligé de demander au propriétaire des avances qui doivent être remboursées en prestations en travail ; avec ce système (appelé « péonage »), les obligations passent d’une génération à l’autre, et toute la famille du paysan devient en fait la propriété du maître. Marx qualifiait le péonage d’esclavage déguisé.

    Une grande partie du maigre produit du travail exténuant du paysan et de sa famille est accaparée par les exploiteurs : le propriétaire foncier, l’usurier, le revendeur, la bourgeoisie rurale, le capital étranger, etc. Ceux-ci prennent possession non seulement du produit du surtravail mais aussi d’une part importante du travail nécessaire du cultivateur. Le revenu restant au paysan est dans bien des cas insuffisant, même pour subvenir à une existence misérable. Nombreuses sont les exploitations paysannes qui se ruinent ; leurs anciens possesseurs viennent grossir l’armée des salariés agricoles. La surpopulation agraire atteint de vastes proportions.

    Écrasée par le propriétaire et l’usurier, l’exploitation paysanne ne peut employer que l’outillage le plus primitif, qui demeure sans changement notable pendant des centaines et parfois des milliers d’années. La technique primitive du travail de la terre aboutit à un épuisement extrême du sol. Aussi beaucoup de colonies, tout en restant des pays agricoles, sont-elles incapables de faire vivre leur population et obligées d’importer des produits alimentaires. L’agriculture des pays asservis par l’impérialisme est vouée à la décadence et à la dégradation.

    Dans ces pays, malgré l’immense surpopulation agraire et la pénurie de terre, une partie seulement des terres cultivables est utilisée de façon productive. Dans les pays du Proche-Orient, les systèmes d’irrigation sont abandonnés ou détruits. Sur les terres autrefois réputées les plus fertiles du monde, le rendement est extrêmement bas et décroît sans cesse. Les mauvaises récoltes fréquentes provoquent la mort de millions d’hommes.

    L’oppression coloniale signifie pour la classe ouvrière la servitude politique et une exploitation féroce. Le bon marché de la main-d’œuvre entraîne un niveau technique extrêmement bas des entreprises industrielles et des plantations. Étant donné le niveau technique arriéré de la production, les énormes profits des monopoles sont assurés par l’allongement de la journée de travail, l’accroissement de son intensité et un salaire extrêmement bas.

    La journée de travail dans les colonies atteint 14 à 16 heures et même davantage. En règle générale, dans les entreprises industrielles et dans les transports, la protection du travail fait complètement défaut. La grande usure de l’outillage, le refus des entrepreneurs de faire les dépenses nécessitées par les réparations et la sécurité du travail provoquent de fréquents accidents qui causent la mort ou la mutilation de centaines de milliers d’hommes. L’absence de toute législation sociale prive l’ouvrier de tout moyen d’existence en période de chômage, en cas de mutilation ou de maladie professionnelle.

    Le salaire des ouvriers coloniaux n’est même pas suffisant pour satisfaire les besoins les plus immédiats. Les ouvriers sont obligés de payer une part déterminée de leur salaire dérisoire à des intermédiaires de toutes sortes — courtiers, contremaîtres, surveillants, ou personnes préposées à l’embauchage. On emploie en grand le travail des femmes, ainsi que celui des enfants à partir de 6 ou 7 ans, et il est payé encore plus misérablement que le travail des hommes. La plupart des ouvriers sont cribles de dettes. Très souvent, les ouvriers sont logés dans des baraquements spéciaux ou dans des camps, comme des prisonniers privés du droit de se déplacer librement. Le travail forcé est appliqué sur une vaste échelle tant dans l’agriculture que dans l’industrie.

    Le retard économique extrême joint à un degré élevé d’exploitation condamne les peuples coloniaux à la famine et à la misère. Une part immense des biens matériels créés dans les colonies est accaparée sans compensation par les grands monopoles des États impérialistes. L’exploitation des colonies et le retard apporté au développement de leurs forces productives font que le revenu national par tête d’habitant n’y est que le dixième ou le quinzième de celui des métropoles. Le niveau de vie de la majeure partie de la population est très bas. La mortalité y est très élevée : la famine et les épidémies dépeuplent des régions entières.

    Dans les colonies africaines, l’esclavage existe officiellement ; les autorités organisent des battues contre les Noirs, la police encercle des villages et envoie les hommes ainsi capturés construire des routes, travailler dans les plantations de coton, etc. On pratique également la vente des enfants en esclavage. Dans les pays coloniaux, l’esclavage pour dettes est chose courante ; il existait aussi dans la Chine d’avant la Révolution.

    Dans les colonies sévit la discrimination raciale en matière de salaires. En Afrique occidentale française, les ouvriers qualifiés de la population autochtone touchent encore de quatre à six fois moins que les ouvriers européens de la même spécialité. Dans les mines du Congo belge, les ouvriers africains touchent cinq à dix fois moins que les ouvriers européens. Dans l’Union sud-africaine, 65 % des enfants de la population autochtone meurent avant d’avoir atteint l’âge de deux ans.

    19.4. La lutte des peuples coloniaux pour la libération nationale.

    Avant l’époque de l’impérialisme, la lutte des peuples pour la libération nationale touchait essentiellement des pays européens (Irlandais, Hongrois, Polonais, Finlandais, Serbes, et autres) et ne dépassait pas le cadre des États multinationaux. À l’époque de l’impérialisme, le capital financier des métropoles ayant asservi les peuples des pays coloniaux et dépendants, le cadre de la question nationale s’est élargi, et par le cours même des choses elle s’est fondue avec la question générale des colonies.

    Par là même, la question nationale, de question particulière, de question intérieure d’État, est devenue une question générale et internationale, la question universelle de la libération des peuples opprimés des pays dépendants et des colonies, du joug de l’impérialisme.

    J. Staline, Les Questions du léninisme, t. 1, p. 54, Éditions sociales, Paris, 1947.

    Le seul moyen qu’ont ces peuples de se libérer du joug de l’exploitation est la lutte révolutionnaire contre l’impérialisme. Durant toute l’époque capitaliste, les peuples des pays coloniaux ont lutté contre les oppresseurs étrangers, déclenché souvent des insurrections férocement réprimées par les colonisateurs. Dans la période de l’impérialisme, la lutte des peuples des pays coloniaux et dépendants pour leur libération prend une ampleur sans précédent. Dès le début du 20e siècle, notamment après la première révolution russe de 1905, les masses laborieuses des pays coloniaux et dépendants s’éveillent à la vie politique. Des mouvements révolutionnaires éclatent en Chine, en Corée, en Perse, en Turquie, dans l’Inde.

    Les pays du monde colonial se distinguent entre eux par le niveau du développement économique et par le degré de formation du prolétariat. Il faut distinguer au moins trois catégories de pays coloniaux et dépendants : 1o les pays qui ne sont absolument pas développés au point de vue industriel et qui n’ont pas ou presque pas de prolétariat ; 2o les pays sous-développés au point de vue industriel et dont le prolétariat est relativement peu nombreux, et 3o les pays plus ou moins développés au point de vue capitaliste et dont le prolétariat est plus ou moins nombreux. Cela détermine les particularités du mouvement de libération nationale dans les pays coloniaux et dépendants.

    Étant donné que la paysannerie prédomine dans la population des pays coloniaux et dépendants, la question coloniale et nationale est, quant au fond, une question paysanne. Le but général du mouvement de libération nationale dans les colonies et les pays dépendants est la libération du joug de l’impérialisme et la suppression de toutes les survivances féodales. De ce fait, tout mouvement de libération nationale dans les colonies et les pays dépendants, dirigé contre l’impérialisme et l’oppression féodale, si même le prolétariat y est relativement faible, revêt un caractère progressiste.

    Le mouvement de libération nationale dans les colonies et les pays dépendants, dans lequel le prolétariat joue un rôle de plus en plus grand en tant que dirigeant reconnu des larges masses de la paysannerie et de tous les travailleurs, entraîne dans la lutte contre l’impérialisme l’immense majorité de la population du globe, opprimée par l’oligarchie financière de quelques grandes puissances capitalistes. Les intérêts du mouvement prolétarien dans les pays développés au point de vue capitaliste et du mouvement de libération nationale dans les colonies, imposent l’union de ces deux formes de mouvement révolutionnaire en un front unique de lutte contre l’ennemi commun, contre l’impérialisme. L’internationalisme prolétarien part du point de vue qu’un peuple qui en opprime d’autres ne saurait être un peuple libre. Et, comme l’enseigne le léninisme, le soutien, la défense et la réalisation du mot d’ordre proclamant le droit des nations à se séparer et à se constituer en États indépendants, représente de la part du prolétariat des nations dominantes une aide efficace au mouvement de libération des peuples opprimés.

    L’essor de la lutte pour la libération nationale des peuples opprimés des colonies et des pays dépendants sape les assises de l’impérialisme et en prépare l’effondrement.

    Résumé du chapitre 19

    1. L’exploitation sans frein des colonies et des semi-colonies est un des traits caractéristiques du capitalisme monopoliste. Les profils maximums des monopoles sont étroitement liés à l’exploitation des colonies et des semi-colonies en tant que débouchés, sources de matières premières, sphères d’investissements des capitaux, réservoirs de main-d’œuvre à bon marché. Tout en détruisant les formes pré-capitalistes de la production et en hâtant le développement des rapports capitalistes, l’impérialisme ne permet aux colonies et pays dépendants qu’un développement qui les prive de l’autonomie et de l’indépendance économiques. Les colonies sont des réserves de produits agricoles et de matières premières pour les métropoles.

    2. L’interpénétration de l’exploitation et du pillage capitalistes et de différentes survivances de l’oppression féodale, voire esclavagiste, est caractéristique du système colonial de l’impérialisme. Le capital financier maintient artificiellement dans les colonies et les pays dépendants les survivances du féodalisme, il y introduit le travail forcé, l’esclavage. Les dures conditions de travail, avec un niveau technique extrêmement bas, l’absence totale de droits, la ruine et la paupérisation, la famine et le dépérissement massif, tel est le lot de la classe ouvrière et de la paysannerie des pays coloniaux et semi-coloniaux.

    3. Le renforcement de l’exploitation coloniale et de l’oppression provoque inévitablement la résistance des masses les plus larges de la population des pays coloniaux et dépendants. Le mouvement de libération nationale des peuples asservis entraîne dans la lutte contre l’impérialisme l’immense majorité de la population du globe, ébranle les assises de l’impérialisme et en prépare l’effondrement.


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