• La Gauche Radicale, Les Travailleurs, Les Roms...

    Pour certains de mes lecteurs, ce papier aura un certain parfum de déjà-vu. Je m'excuse auprès d'eux, mais comme l'essence de toute pédagogie digne de ce nom est la répétition, on se retrouve souvent à redire les mêmes choses. C'est embêtant, je le sais, mais c'est comme ça. Et puis, dans la mesure où certains continuent à répéter inlassablement les mêmes idioties, on se sent obligé de tout inlassablement aussi les réfuter.

     

    Faut dire que je prends des risques: par exemple, celui d'aller sur le site du PCF pour regarder les réactions que les sorties de Manuel Valls ont provoqué. Et qui cherche, trouve: le vénérable Parti a ainsi publié une déclaration concernant la réunion interministérielle sur les Roms annoncée par le gouvernement. On peut y lire les paragraphes suivants:

     

    Le PCF exige que les mesures transitoires soient immédiatement levées par la France pour enfin permettre l’égal accès au travail. Un moratoire sur les expulsions doit être décidé. Reconnaître le droit au travail, le droit de circulation, ainsi que leur statut européen implique que l’on cesse de les chasser, de les expulser des bidonvilles et des squats.

     

    Ces lignes sont intéressantes à plusieurs titres. Commençons par la fin: on est toujours surpris de voir dans les écrits du PCF ces histoires de « statut européen ». Quelle est la logique, pour un parti politique qui se prétend par ailleurs universaliste et internationaliste, de faire une différence entre les immigrants « de statut européen » et ceux qui viendraient d'autres contrées ?

     

    Ce qui est intéressant ici, c'est que le PCF, qui rejette toute idée de « préférence nationale » au niveau de la France, semble parfaitement confortable avec la même idée au niveau de l'Europe. Et il n'est pas le seul: cette idée est fort répandue au niveau de la gauche toute entière, qu'elle soit « libérale » ou « radicale ».

     

    Pour la gauche, semble-t-il, la Nation c'est moche, c'est égoïste, c'est ringard.

     

    Et cela rend la préférence nationale détestable. Par contre, l'Europe c'est généreux, c'est ouvert, c'est beau. Et du coup, la « préférence européenne » est tout à fait louable.

     

    Cette asymétrie de la pensée dans une situation parfaitement symétrique montre qu'on se trouve devant un raisonnement ad hoc: si l'on rejette le protectionnisme national mais qu'on adopte l'idée de protectionnisme européen, c'est que quelque part l'un est dans l'intérêt de celui qui rejette, et pas l'autre.

     

    La première partie de la formule utilisée par le PCF est d'ailleurs illustrative des intérêts dont il s'agit.

     

    Le PCF, notez-le bien, « exige que les mesures transitoires soient levées (...) pour permettre l'égal accès au travail ». En d'autres termes, que les roms puissent accéder à un marché du travail déjà saturé où les français mais aussi les immigrés déjà installés en France peinent à trouver du travail, et sur lequel une augmentation de l'offre de travail ne peut mécaniquement que faire baisser les salaires.

     

    La levée des mesures transitoires ferait donc des gagnants et des perdants. Les gagnants, ce seraient les roms bien entendu, mais aussi les employeurs qui trouveraient une main d'œuvre encore plus abondante et donc acceptant des salaires moindres. Les perdants ce sont les travailleurs peu qualifiés, français et immigrés déjà installés sur notre sol.

     

    On peut déclarer que tout homme - pardon, tout « européen », ne mélangeons pas les torchons et les serviettes - devrait avoir le droit de s'installer sur notre sol et de bénéficier des avantages conquis par des siècles de luttes, de travail, de sacrifices sans avoir à souscrire en échange le moindre engagement. On peut longuement discuter sur le caractère « juste » ou « injuste » d'un système qui réserve l'accès à certains droits - dont celui d'accéder au marché du travail - en fonction de la nationalité ou de la régularité du séjour. Cette discussion, qui en fait est celle des rapports que la gauche entretient avec l'idée même de Nation est indispensable, mais ce n'est pas mon but aujourd'hui. Mon point, c'est qu'on ne peut pas proposer une politique et ignorer ses conséquences.

     

    Ouvrir le marché du travail aux roms n'est pas une mesure gratuite pour tout le monde: même si elle semble gratuite pour les classes moyennes, son coût sera supporté par les travailleurs les moins qualifiés sous forme de concurrence accrue sur le marché du travail. Il faut être conscient du coût d'une telle politique, et surtout de qui devra le supporter. Dans cette affaire, les intérêts des roms et ceux des travailleurs français les moins qualifiés sont contradictoires. Si la gauche radicale prend le parti des premiers sans une véritable explication (1), alors elle ne devrait pas être étonnée que les travailleurs aillent chercher un défenseur ailleurs. Chez Le Pen, par exemple.

     

    Cette déclaration du PCF montre à quel point ce parti s'est éloigné de ses racines dans le monde du travail, et combien il est aujourd'hui aliéné aux fantasmes des couches moyennes. Que ce soit sur la question européenne, où il se classe de plus en plus chez les eurobéats, ou sur l'achat d'une bonne conscience avec l'argent des autres.

     

    La politique, la vraie, ce n'est jamais la lutte des bons et les méchants. C'est le compromis entre des intérêts contradictoires, souvent tous aussi « légitimes » les uns que les autres. C'est cela que la gauche bienpensante ne veut pas comprendre...

    Descartes

     

    (1) Le PCF - et ceux qui sont sur la même ligne - serait-il capable d'ailleurs de justifier rationnellement une telle politique ? Car il n'est pas évident d'expliquer rationnellement aux travailleurs les moins qualifiés pourquoi ils doivent risquer leur gagne-pain pour permettre à leurs « frères européens » d'accéder au marché de l'emploi en France pour le plus grand profit des employeurs.


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