• La face cachée du TSCG

    « Le capitalisme ne peut pas s’effondrer, c’est l’état naturel de la société. La démocratie n’est pas l’état naturel de la société. Le marché, oui. »
    Alain Minc [1]

    vive la crise !

    ce n'est pas la crise pour tout le monde !

    « Faut que ça saigne » chantait Boris Vian dans Les Joyeux Bouchers, tel est la devise des bourgeoisies européennes aux prises avec une crise majeure de leur système. Cette crise doit être payée par les exploités tant sur le plan économique que sur le plan politique. Voilà pourquoi s’installe une austérité permanente et une tendance nette à l’autoritarisme. Les travailleurs grecs ont inauguré cette politique avec des plans d’austérité à répétition qui aggravent toujours plus leurs conditions d’existence et avec le limogeage du gouvernement Papandreou décidé par le duo de choc Merkel-Sarkozy.

    Un constat s’impose : tant que le prolétariat ne sera pas écrasé la bourgeoisie sait qu’elle n’a pas gagné.

    Le nouveau traité européen que la majorité du PS et l’ensemble de la droite parlementaire se préparent à ratifier dans un touchant concert, dit traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), condense tous les enjeux de la lutte des classes en Europe. Les mots clés de ce traité sont « stabilité » et « gouvernance ».

     

     La quête de la stabilité

    La recherche de la stabilité, présentée sous ses aspects budgétaires, hante les bourgeoisies membres de l’Union européenne depuis des lustres. Le traité de Maastricht, en 1992, l’explicitait clairement, reprenant, en fait, le traité de Rome de 1957. Ce dernier instaurait un « marché commun » ou « la concurrence n’est pas faussée » [2]. Depuis les origines, ce que l’on appelle abusivement « l’Europe » cherche à se prémunir des mauvaises intentions que le prolétariat pourrait tôt ou tard nourrir à l’encontre du capitalisme. Et pour cela, la discipline budgétaire semble un argument idéologiquement convaincant. Rappelons que quand on nous parle de dépenses publiques il faut entendre la somme des budgets de l’État, des collectivités territoriales et de la… Sécurité sociale. Pour prendre un exemple parlant : combien de contre-réformes des retraites ont été imposées au nom de la discipline budgétaire ?

    L’article 104-C du traité de Maastricht indique que « les États membres évitent les déficits excessifs » et que « la Commission examine notamment si la discipline budgétaire a été respectée ». La pacte de stabilité de 1997 – que Lionel Jospin a avalisé contre une simple déclaration sur l’emploi alors qu’il s’était engagé à le renégocier – ajoute l’obligation pour les États membres de notifier à la Commission le niveau de déficit et de dette ainsi que le programme pour les résorber. Aujourd’hui, le TSCG fait de l’équilibre budgétaire la règle et des déficits l’exception. Il est toléré un déficit de 0,5% du PIB.

    A titre d’exemple, pour la France, selon la Cour des comptes, en 2010 le déficit était de 5% soit environ 97 milliards d’euros. Le ramener à 0,5% équivaut à trouver la bagatelle de 87 milliards d’euros. Le projet de budget pour 2013 en dégage 30 milliards et fixe l’objectif du TSCG – non encore ratifié – pour 2015. Cela donne une petite idée des futurs sacrifices qu’entraînera la machine infernale que François Hollande vient de mettre en branle.

    Si un État membre n’est pas dans les clous, le traité de Maastricht prévoyait une longue séquence de rapport de la Commission, de recommandations du Conseil des chefs d’États et de gouvernements et en dernier recours des amendes. L’expérience a montré que tout cela n’a pas vraiment fonctionné en particulier pour la France et l’Allemagne. Par contre pour la Grèce, l’Italie ou encore l’Espagne les obligations doivent être remplies. Si l’on prend le cas de la France, le gouvernement de Lionel Jospin avait laissé un déficit public dans la norme fatidique des 3%, durant dix ans – et surtout sous le règne de Nicolas Sarkozy – le déficit et la dette ont explosé. Désormais, le TSCG prévoit des sanctions automatiques. Fini le laxisme !

    Le TSCG introduit deux nouveautés :

    1. Pour que les sanctions ne s’appliquent pas il faut une majorité qualifiée du Conseil qui se prononce contre. Depuis le traité de Maastricht c’est l’inverse (une majorité qualifiée qui se prononce en faveur des sanctions).
    2. Un État membre peut porter plainte contre un autre devant la Cour de justice européenne. La décision de cette dernière est contraignante.

    Le recours à la Cour de justice n’a rien de nouveau. Il s’agit d’une extension du rôle de cette dernière. Selon l’article 177 du traité de Maastricht elle dispose de la capacité d’interprétation des traités et de validation des actes des institutions de l’Union européenne. L’article 171 du dit traité lui accorde le droit de sanctionner tout État membre qui manquerait « à une obligation qui lui incombe en vertu du présent traité. » L’État en question n’a pas d’autre choix que de s’exécuter. En réalité ces disposition découlent de la jurisprudence de cette même Cour. L’arrêt Costa stipule que le « droit né du traité ne pouvait donc, en raison de son contenu spécifique original, se voir juridiquement opposer un texte interne [à un État] quel qu’il soit. » Cet arrêt date du 15 juillet… 1964.

    Aujourd’hui, le TSCG se contente – si l’on peut dire – d’approfondir la tendance lourde au gouvernement des juges et des experts.

    La gouvernance contre la démocratie

    Dans la démocratie classique il existe une forme plus ou moins effective de séparation des pouvoirs. Ces pouvoirs sont identifiables et par voie de conséquence contestables. Pour le capital ce principe est de plus en plus pervers. C’est ainsi que naquit la « gouvernance ». Tout le monde en parle, mais pas grand monde est capable d’en donner une définition compréhensible. Dans leur livre La Ville européenne comme société et acteur, Arnaldo Bagnasco et Patrick Le Galés présentent ainsi la gouvernance : « un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux, d’institutions pour atteindre des buts propres discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés et incertains. »

    Conclusion. Plus de classes sociales antagonistes, il n’existe que des partenaires qui agissent dans le cadre de valeurs communes. Il s’agit des normes établies par les traités de l’Union européenne et par la jurisprudence de la Cour de justice. Au passage cela implique l’intégration des organisations syndicales et le généralisation du « dialogue social ». L’État, autrement dit « le pouvoir politique » n’est plus « le résumé officiel de l’antagonisme dans la société civile » comme le caractérisait Karl Marx dans Misère de la philosophie [3].

    En somme, si ça marche, le capital aura atteint son objectif ! Son objectif : interdire toute possibilité d’alternative politique et ne permettre qu’une simple alternance gouvernementale. Comme Lionel Jospin en 1997, François Hollande s’inscrit idéologiquement dans cette démarche que le très libéral Alain Madelin qualifiait, en 1992, « d’assurance vie contre le socialisme ».

    Emile Fabrol

    1.- Le Monde du 17 décembre 1994.
    2.- Dans les articles 2 et 3.
    3.- La Pléiade, Œuvres économiques I, page 136.

    http://www.promethee-1871.com


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